Échange de lettres
entre
René Barjavel
et
Yves Duteil
(juin 1984)
 
 
Couverture du livre d'Yves Duteil Dos de couverture du livre

Le livre d'Yves Duteil Les choses qu'on ne dit pas (Éd. L'Archipel, 2006) est un recueil de lettres adressées à des personnes, réelles ou archétypales, chères à l'auteur-compositeur-interprète qui eut un succès certain à la fin des années 1970 et au début des années 80. Il mena ensuite, à partir de 1989, une activité politique locale, maire de son village de Précy- sur-Marne en Seine-et-Marne.
Parmi ses correspondants - bien réel - figure René Barjavel, dont la lecture de L'Enchanteur avait émerveillé Yves Duteil (il indique aussi par ailleurs son affinité de pensée avec l'auteur de La Faim du tigre à propos de sa chanson Le Bûcheron : [ Voir ]

Voici son "témoignage"...

À René Barjavel

Cher René Barjavel,

Je venais juste de finir votre dernier roman, L'Enchanteur, et j'étais encore imprégné de la douceur de Viviane, écœuré par la cruauté de Morgane, émerveillé de la densité du livre. La légende des chevaliers de la Table ronde, sous votre plume, avait une saveur nouvelle, un parfum d'amour et de magie qui m'avait emporté dès la première page. Je l'avais lu d'une seule traite, en ne regrettant qu'une chose: devoir refermer le livre. Quitter la forêt de Brocéliande était un arrachement, et jamais Merlin, Perceval ou Lancelot ne m'avaient semblé aussi proches, aussi émouvants. Ce jour-là, j'étais invité par RVS, Radio Versailles Service, pour une émission de deux heures, et vous êtes entré dans le studio.

Vous étiez la surprise que m'avait réservée la station, avec la complicité de Noëlle, qui partageait ma passion pour vos ouvrages. Le Grand Secret avait été l'ultime lecture de maman. Cela, déjà, vous donnait une place à part dans la bibliothèque de mon cœur. Et ce fut le début d'une longue fidélité. Adolescent, je dévorais les histoires fantastiques et les nouvelles de science-fiction de la collection " Présence du Futur ". Isaac Asimov et Van Vogt étaient mes auteurs de chevet. Puis j'ai lu La Nuit des temps. Un Français pouvait donc faire aussi bien dans le genre... Je trouvais aussi chez vous une poésie particulière, qui tranchait avec la rigidité de l'univers robotique d'Asimov et manquait à la rigueur un peu scientifique de Van Vogt. J'ai béni un jour Pierre Tchernia d'avoir réalisé un téléfilm d'après votre Voyageur imprudent. Au-delà de tous vos autres livres, il y avait La Charrette bleue, où vous racontiez votre enfance. J'ai gardé l'image de votre père, boulanger, levé silencieusement à quatre heures du matin pour descendre à son fournil et qui, pour que votre maman ne se réveille pas aux premières lueurs de l'aube, repoussait depuis le jardin le volet de la chambre, au premier étage, avec le manche de sa pelle à enfourner... J'étais si familier de votre univers que, lors de cet échange, j'avais l'impression de pouvoir anticiper la plupart de vos réponses aux questions de l'animateur... Et puis vous avez eu cette réflexion : " Vous savez, j'ai une petite-fille, et à ses yeux, jusqu'à présent, j'étais un vieux monsieur gentil et un peu embêtant, mais depuis que je lui ai dit que j'allais rencontrer Yves Duteil, j'ai considérablement grandi dans son estime... " Alors qu'au même instant je me sentais comme un petit garçon devant votre sourire radieux ! Vous m'apparaissiez tel que je vous imaginais, ouvert et bienveillant. J'ai gardé de ces moments précieux le sentiment d'avoir reçu un cadeau, vécu un privilège.

J'ai adoré cette rencontre et je vous ai écrit pour vous en remercier. Quelques jours plus tard, j'ai reçu votre réponse :

Cher Yves Duteil,

Je suis heureux que vous ayez aimé mon livre, et que vous ayez pris la peine de me l'écrire. Vos lettres m'ont surpris autant que touché: il n'est pas habituel qu'une rencontre autour d'un micro donne naissance à autre chose qu'à des courants d'air... Je vous aime aussi tous les deux, et l'amour visible qui vous unit et vous entoure et que, par la grâce de votre talent et la magie de la technique, vous répandez dans tous les coeurs à travers les oreilles. Vous êtes l'enchanteur. Je vous embrasse.

Cette lettre m'est restée aussi précieuse que votre regard sur l'univers. Un regard sans concession, tendre et drôle, qui dépeint les hommes à la pointe de la vie terrestre, mais aussi au sommet de l'horreur. Passant avec poésie du futur au passé, vous m'avez fasciné au présent, livre après livre... Souvenirs, romans, essais ou légendes, je les ai retrouvés dans les étagères du salon, pieusement regroupés. Je vous lisais comme on écoute un conteur. Votre voix résonnait dans ma tête et accompagnait les rebondissements de l'histoire d'un léger sourire de quatrième de couverture. J'ignorais où vous alliez m'emmener, mais j'y allais en toute confiance. Même si ça commençait parfois par la fin du monde... Et puis, vous m'avez tant fait sourire à travers le regard de Fernandel, qui fut votre don Camillo au cinéma.. Vous avez écrit une " Lettre aux vivants qui veulent le rester... " Pour moi, vous le resterez encore longtemps. Mon plaisir de vous lire se double du bonheur de vous avoir connu...

Yves


 

 

Note éditoriale

Cette page, préparée en mars 2009, a été annoncée par la Lettre de G.M.Loup de cette date : http://barjaweb.free.fr/SITE/lettre/lettre0309.html.