ILS AIMENT... OU N'AIMENT PAS...
BARJAVEL...

Un peu.. beaucoup...à la folie... pas du tout

Chaque individu, et à plus forte raison l'écrivain, du fait même de l'expression publique de ses idées et opinions, prend le risque de déplaire, à des degrés divers pouvant aller du désaccord poli à l'exécration la plus frénétique.
René Barjavel s'est trouvé dans ce cas, et cela d'autant plus que ses écrits, tout particulièrement journalistiques, ne masquaient pas des opinions parfois tranchées. Il est utile de faire la part des choses, et de déterminer dans un concert parfois dissonnant d'avis plus ou moins hostiles, ce qui relève du dénigrement gratuit, du désaccord d'idées ou de la critique raisonnablement argumentée. Une telle présentation se doit de s'efforcer de faire preuve d'objectivité, ou du moins de prendre du recul par rapport aux opinions exprimées.

Il a été retenu comme fil conducteur le déroulement de la biographie de l'auteur connue publiquement, dont le point de départ est constitué par son récit d'enfance qu'est La Charrette bleue. On y voit que son enfance et surtout le début de son adolescence à Nyons font parfois l'objet d'antipathies plus ou moins prononcées, mais ses souvenirs personnels et parfois familiaux n'ont pas vraiment leur place ici.
 


Les Débuts

Concrètement, ses "interactions" avec le public commencent lorsqu'il prend la plume à l'été 1930 dans Le Progrès de l'Allier. Dès les premiers jours de son emploi au journal, et en plus de son travail de rédacteur/composeur/typographe (et autres activités, le journal employant un tout petit nombre de personnes), il écrit son « Billet du matin » de façon tout d'abord anonyme, sans que l'on puisse savoir si cet anonymat était "contractuellement imposé" par le journal ou s'il résultait d'un choix réfléchi. Anonymat qui lui valu dès les premiers mois des "attaques" par courrier de quelques lecteurs, elles aussi anonymes... Au point que le 15 octobre 1930 il décide de signer ses articles, expliquant en post-scriptum de son article de ce jour-là  :

Pour éviter que certaines personnes, s'y croyant autorisées par leur anonymat, ne répondent aux « billets du matin » par des lettres non signées, j'écrirai désormais, au bas de mes articles, mon nom en toutes lettres.

Y a-t-il lieu de voir dans les antipathies précoces ainsi évoquées une quelconque ébauche de "procès d'intention" ? On peut en douter. Certes le Progrès de l'Allier avait une tendance politique marquée, son propriétaire,

Marcel Régnier était, alors, une lumière du parti radical-socialiste, sénateur de l'Allier, ministre des Finances.

et sa plume s'activait fréquemment en première page du journal pour des articles "de fond". Mais ceux de Barjavel, en 1930 du moins, sont d'une modestie de ton qui confère aujourd'hui à la plupart un intérêt qui peut paraître limité pour tout autre que les férus de l'auteur, ou les amateurs d'histoire locale du Bourbonnais, ou les instituteurs à la recherche de jolis textes de dictée...
Au fil des mois son expression s'affermit, et révèle une certaine indépendance de ton en abordant plus directement les commentaires de l'actualité, plus seulement locale. Et quelques attaques de collègues journalistes, relevant plutôt de la concurrence commerciale puisque émanant de l'autre journal local, La Semaine, portent les traces d'une querelle vite étouffée .

Arrive l'hiver 1935, au début duquel Barjavel "monte à Paris" pour y rejoindre Robert Denoël qui va l'employer à des activités variées dans le métier de l'édition, lui offrant ainsi une formation sur le vif aux techniques de l'écrit. Denoël, qui connaissait beaucoup de monde dans les milieux parisiens, n'y avait pas que des amis. Il éditait aussi bien les auteurs d'extrême-droite comme Brasillach, Rebatet, Bardèche, que Elsa Triolet et Louis Aragon. À l'arrivée de la guerre, ou plutôt après sa démobilisation, son positionnement ambigu dans la France occupée lui créera des ennemis, au point, comme on le sait, qu'il sera assassiné le 6 décembre 1945 sans que l'on sache vraiment pourquoi. Aussi, après la Libération et pendant la période agitée qui s'ensuivit, cet environnement sera pesant pour Barjavel. Il lui sera reproché d'avoir travaillé avec Denoël, qui lui-même publiait des écrits sulfureux de Célines, Rebatet ou Brasillach, et surtout d'avoir publié trois nouvelles et en feuilleton chapitre par chapitre son roman Le Voyageur imprudent dans l'hebdomadaire collaborationiste Je Suis Partout. Pourtant aucun de ces écrits n'exprime une quelconque pensée politique. Lors de l'Épuration qui suivit la fin de la guerre, il fut mis à l'index, c'est à dire inscrit sur la liste noire du Comité National des Écrivains, et quelque peu inquiété jusqu'à son complet blanchiment qui ne tarda pas.
La succession de Robert Denoël, qui fut corsée d'une complexe histoire de litige testamentaire, lui fut sans doute aussi l'occasion de se faire des ennemis de ce côté-là, mais ceci ne fut jamais exprimé publiquement.
Plus notoire, il lui arriva de pâtir dans les années suivantes d'une réputation... d'anarchiste (ce mot n'ayant alors pas tout à fait le sens actuel). Comme le raconte le biographe de Fernandel, Jacques Lorcey , cette réputation fit se renfrogner les associés de Julien Duvivier lorsque ce dernier, qui avait fait appel à Barjavel pour l'adaptation et les dialogues de Don Camillo, proposa que la saga des aventures du curé de choc ne se poursuive pas indéfiniment, et avait envisagé pour cela de faire périr Don Camillo dans les inondations, pour le mener au Paradis où il retrouverait Peppone à la droite de Saint Pierre...

Et les producteurs s'exclament :
-C'est de la folie pure ! Vous voulez tuer la poule aux œufs d'or ! Ce doit être une idée de Barjavel, cet anarchiste ! Nous allons le renvoyer.
- S'il ne reste pas dans l'équipe, alors qu'il a été le moins payé, je m'en irai aussi ! menace Duvivier.
 


Les Années 50

On a sans doute oublié que les années 50 furent politiquement tendues, la situation politique internationale dominée par la guerre froide, la menace atomique dont le public était particulièrement conscient, voire obsédé, et les luttes intellectuelles et politiques au sein de l'intelligensia française et du monde des Lettres. Ainsi, alors que Jean-Paul Sartre, grand maître de l'Existensialisme germano-pratin, inscrivait résolument sa pensée politique à l'extrême-gauche, René Barjavel, bien que "neutre politiquement", l'appréciait peu, sous le prétexte assez curieux et quelque peu partial de son strabisme....

Quand je voyais M. Allende à la télévision, entouré d'humbles citoyens adorants, comme dans la cour de récréation, un professeur aimé entouré de ses élèves - mais cela existe-t-il encore ? - je pensais chaque fois à M. Jean-Paul Sartre. Et j'imaginais le singulier désordre où nous eût conduit, en France, un gouvernement dirigé par ce dernier, avec autant de bonne volonté et de générosité que d'incompétence.

(Les Années de la Liberté, 7 octobre 1973)
Et, dans La Faim du tigre :

[...] c'est Jean-Paul Sartre, c'est le prof de philo, l'esprit éclairé par la lampe à gaz du XIXe siècle, celui-qui-n'est-pas-dupe, Homais.

Et le "prétexte ophtalmologique" n'a rien de directement, mais le raisonnement logique qu'on peut penser le sous-tendre décrit bien un positionnement opposé... Pourtant, en 1950, Barjavel écrivait lui-même dans son Journal d'un homme simple

Le communisme m'attire et m'effraie. Il propose une justice sociale idéale. Mais la justice sociale peut-elle exister? Depuis le commencement des siècles, l'homme n'a jamais trouvé une solution sociale au problème du bonheur. Tout au plus peut-il espérer, d'une meilleure répartition du travail et du profit, le bien-être. La propagande bourgeoise nous fait du communisme un épouvantail. Il faudrait voir. Nous ferons sans doute l'expérience, que nous le voulions ou non.

Quoi d'étonnant que les amis de Jean-Paul Sartre, et sa classe politique toute entière, vouent aux gémonies Barjavel, et extirpent de son œuvre, des années sombres et de Ravage en particulier, une coloration politique tendancieuse. Cette assimilation se maintin au fil des années et, à la mort de Sartre, ressortit avec virulence sous la plume d'un compatriote drômois de l'auteur, Roger Borderie, qui écrivait le 18 juillet 1980 dans sa revue Oblique publiée à Nyons :

Lettre ouverte à Barjavel
Si je vous ai bien compris, Sartre est louche parce qu'il louchait.
Or, si à vous considérer dans un miroir, vous retirez le sentiment d'appartenir à une race supérieure, c'est à vous — si je puis paraphraser Cocteau — que la réflexion fait défaut : je donnerais volontiers vos deux oreilles et votre queue pour un seul des yeux morts de Sartre.
En vérité, votre articulet sur sa mort n'aura eu d'autres dons que d'indigner ceux qui accordent un privilège au courage de la pensée sur la prostitution de la copie, ils sont plus nombreux que votre opportunisme maladroit ne voudrait le faire croire.
Certes, il y a eu des gens pour cracher sur Voltaire ou sur Hugo et, en somme, il n'est pas de statue dont le socle ne soit souillé de pisse de chien. Que votre encre s'y mêle pourrait n'être qu'un accident auquel l'incontinence d'une certaine forme de journalisme nous a hélas ! accoutumés, si le fait de s'en prendre au physique des êtres pour mettre en cause le bien-fondé de leur œuvre n'avait pas le caractère délibéré de certaine idéologie scélérate.
Je vous le demande au nom du simple bon sens : parlez-nous de Tino Rossi, de la tapenade ou des extra-terrestres, mais, de grâce, ne touchez pas à ce qui (vous l'avez deviné dans un strasbisme qui ne vous gêne pas pour rien) ne vous regarde pas.

Le Parti Communiste Français ne put non plus s'empêcher de re-signaler l'"anti-sartrisme" de Barjavel à la mort de ce dernier, en publiant une acide notice nécrologique dans L'Humanité :

[...] René Barjavel est mort dimanche à l'âge de soixante-quatorze ans. Il fut lancé par « Ravage » (1943), l'un des premiers livres français de science-fiction. Il n'en professait pas moins les vieilles idées de la droite la plus extrême. Collaborateur de « Gringoire », « Je suis partout », il écrira en 1980 à la mort de Sartre : « Je n'aimais pas Sartre, d'abord à cause de son physique. Je ne croyais pas qu'un homme affligé d'un strabisme tel que le sien puisse avoir une vision claire du monde. »
Barjavel portait, lui, des lunettes, mais resta toujours aveugle au sens de l'histoire et au sort de ses concitoyens.

Avouons que tout cela sent maintenant le passé, et le dépassé...
 


Autour des Années 60-70

Certaines "prises de position" de Barjavel, pourtant fort courtoises et même pleines d'une forme de sympathie, irritèrent furieusement certaines féministes de la fin des années 60 et des années 70 en particulier. Considérant son orientation politique "à droite" (ce qui reste à prouver - et un point sur le sujet serait intéressant à faire - mais qui peut effectivement ressortir d'une lecture contextuelle de ses écrits), elles l'accusaient de professer, dans ses livres et surtout ses articles, des opinions misogynes, voire "machistes" (le mot venait tout juste d'être inventé, et encore...)

Benoîte Groult (née en 1920) et sa sœur Flora (1924-2001), écrivaines (rendons-leur cette appellation à laquelle elles tenaient particulièrement ) et journalistes, témoignaient parfois avec virulence de leur ressentiment dans leurs écrits. Benoîte Groult, rédactrice à ELLE, fut en 1978 la co-fondatrice du mensuel F-Magazine, qui abordait l'actualité sous un angle résolument féministe, et où elle tenait une chronique en dernière page dans laquelle elle ne mâchait pas ses mots. Purent ainsi être la cible de ses attaques quelques articles de Barjavel dont "Quand Ève remplace Adam" (voir l'article du 18 septembre 1977), et explicitement celui du 14 janvier 1979 (voir cet article) dans l'article de B.Groult du 13 févier 1979, Il faut de tout pour faire des femmes, où elle s'en prend aux femmes femmes mêmes qui admettent pouvoir "être complémentaires des hommes" :

Quant à la complémentarité dans laquelle bien des femmes se réfugient, c'est une notion tout aussi dangereuse, sinon plus.

Et d'épingler avec une pointe d'ironie ce qui était un thème de l'article de Barjavel :

Benoîte Groult
Benoîte Groult

Car la solution idéale au chômage en hausse, à la natalité en baisse reste, toujours et partout, le retour des femmes au foyer. Il présente un avantage supplémentaire. On les dissuade de se battre pour changer notre vie à tous, hommes et femmes, et on les enferme dans un cocon, quitte à leur octroyer un jour, piège suprême, un salaire de misère à condition qu'elles pondent suffisamment et couvent assez longtemps pour soulager l'Etat de ce souci. On peut donc gager que bien des hommes, Barjavel en tête (Cf. son éditorial du 14 janvier dernier dans le Journal du dimanche.) vont retrouver leurs plus doux accents pour nous chanter la romance de la Mamma... Trop la chanter nous-mêmes, nous revendiquer différentes, c'est leur tendre la perche pour qu'ils nous ramènent à nos fonctions biologiques, dont nous avons eu tant de mal à leur prouver qu'elles ne nous empêchaient pas de faire des mathématiques !

Pourtant, l'anti-féminisme supposé de l'auteur n'en ressort pas de ses articles avec une quelconque hostilité, et l'on peut même, avec le recul que donne les années, avoir un avis contraire ! Et il ne faut pas oublier non plus les interventions de Barjavel lui-même en faveur de "causes féminines" ou "féministes", ni son amitié avec Louise Weiss, et que certaines représentantes de mouvements féministes ont elles-mêmes considéré l'auteur avec sympathie.

Alors, Barjavel misogyne et anti-féministe ? ou est-ce du parti-pris ? assimilation d'idées politiques (pas vraiment exprimées comme on l'a vu) à des opinions sociales ? Le témoignage qui suit donne l'avis d'une femme qui l'a connu avec une certaine sympathie malgré des "désaccords" d'opinion :

Je conçois que des gens n'aimaient pas Barjavel, car il fallait faire la part des choses entre l'homme assez plaisant qu'il était et les idées sur les femmes et la jeunesse, qu'il sacralisait, et la peine de mort qu'il jugeait indispensable etc etc... mais moi, j'aimais "Ravage", "Tarendol" et "la Nuit des Temps" avant de le connaître et je n'ai lu ses articles sur le Journal du dimanche que plus tard... je n'avais pas d'a priori quand je l'ai rencontré... je ne m'étais pas encore aperçue à cette époque que c'était un homme de droite... il y a des distinctions que fondamentalement je ne faisais pas encore à 30 ans...

Que reste-t-il de ces polémiques, mis à part des souvenirs plus ou moins embrumés, si l'on souhaite ne considérer que des constatations factuelles sur la base des écrits de l'auteur ? On pourra ainsi replacer à se juste valeur un avis que j'ai recueilli d'une bouquiniste à qui j'achetai une édition de L'Enchanteur :

Ah, ce roman est bien, mais lui, Barjavel, alors là, les bonnes femmes, il les aimait pas !

Et les statistiques recueillies des visiteurs du barjaweb indiquent, par comparaison des proportions entre hommes et femmes, que le lectorat féminin actuel ne partage peut-être plus trop ces opinions :


Après 1980...

La fin des années 70 a vu l'auteur peut-être fatigué, plus éloigné de la "jeune génération" - qui avait elle- même vieilli , ou du moins d'une partie quelque peu politisée de celle-ci. S'il aimait rencontrer lycéens et étudiants à l'invitation de leurs professeurs, certains débats dans ce cadre devenaient parfois houleux. Ainsi cette amie dont la classe de 1ère a rencontré Barjavel en 1975 au Lycée P.V., et qui me l'a témoigné :

C'était vraiment intéressant, il a beaucoup parlé de La Nuit des temps, et nous a révélé qu'il s'agissait à l'origine d'un scénario pour un projet de film. Mais ensuite il y en a [des élèves] qui se sont mis à parler politique, et ça a dégénéré...

En 1981, le changement d'orientation politique que vit la France met quelque peu à l'ombre l'expression de certaines idées, là encore pas forcément politiques, mais peut-être pas très chaleureuses... La chronique de Barjavel au Journal du Dimanche prend fin vers cette époque, et l'auteur, qui vieillit, entre dans une autre génération qui sera amenée à subir les sarcasmes, pouvant s'avérer au départ "gratuits", de ses cadets...
Le monde de la S.-F., qui se veut "progressiste" même dans sa branche "écologiste" représentée par exemple par Jean-Pierre Andrevon, semble le "renier" : Andrevon remplace la sympathique préface de Barjavel à son premier recueil de nouvelles "Aujourd'hui, Demain et Après" par un texte de son cru, qu'il intitule, dans le goût de l'époque, "Introduction huilée", et où il se justifie en disant que

Je dois cependant avouer que certains termes de cette préface m'avaient, déjà en cette période, choqué ; par exemple lorsqu'il enterre la barbe de Karl Marx, ou qu'il accuse le "sinistre Zola" d'avoir asphyxié le roman dans, les "puanteurs du réalisme". Chacun est libre de ses idées, mais encore faut-il qu'elles n'entrent pas en contradiction violente avec celles de celui qu'on est supposé parrainer...
De la même manière, je regrette que Barjavel, dans ses articles journalistiques ou dans ses apparitions à la télévision, se fasse l'apôtre des pires thèses de la majorité silencieuse. Mais encore une fois, il n'est pas question pour moi d'accuser ni de juger René Barjavel.

Témoignage plus grinçant, celui où Barjavel est l'"invité" de la célèbre émission radiophonique de Claude Villers sur France-Inter « Le Tribunal des flagrants délires » (1981-1983) où le "procureur" Pierre Desproges commence par faire lecture de l'"acte d'accusation" du "prévenu", longue plaidoirie de sarcasmes, jeux de mots et calembours irrespectueux, qui ne visent pas forcément tant l'individu présent que des catégories de gens, voire le genre humain dans son ensemble, dont on peut penser que « en vérité, il n'est pas important de savoir qui était en face de Desproges. Ses Réquisitoires sont l'occasion pour lui de laisser libre cours à son mauvais esprit et à ses inventions verbales. » :

Françaises, Français, Belges, Belges, Morvandelles, Morvandeau, Mortadelles, Mortadeaux, Barjavel, Barjaveaux... [applaudisements - rires (ou ricanements)]
Mon président, mon chien, Maître, ne pas mettre,
Bonjour ma colère, salut ma hargne,
Et mon courroux... Coucou

Et l'humour de dérision de Desproges s'en est pris le 9 décembre 1982 à Barjavel sous la justification que

La présence [...] de Monsieur Barjavel n'est pas l'effet du hasard, puisque cette semaine est la semaine des vieux... Pourquoi pas l'année des vieux, direz-vou ? Parce que une année, à cette âge-là, c'est long.
Afin de vous rendre hommage, Monsieur Barjavel, et par le même coup de saluer bien chaleureusement les milliers d'autres gâteux semi-grabataires qui nous écoutent tant bien que mal...

Il n'est pas possible de citer de plus larges extraits de cette diatribe, les ayants-droits de Pierre Desproges se montrant particulièrement susceptibles sur la question . On pourra en lire la transcription intégrale dans le tome I de la récente édition du recueil des Réquisitoires du Tribunal des Flagrants Délires (Édition du Seuil / France-Inter), page 100...
Rassurons-nous, Barjavel ne fut que l'une des nombreuses "victimes consentantes" (le plus souvent avec le sourire semble-t-il) du maître de cérémonie. On ne peut regretter que les archives n'aient pas conservé le reste de l'émission, c'est à dire la "défense" de l'accusé, et le débat qui a pu s'ensuivre. On peut néanmoins percevoir les réactions des spectateurs (car l'émission était en direct et en public) en écoutant la version enregistrée sur CD (volume 4), où ce réquisitoire figure entre ceux de Régine Deforges et Josiane Balasko... L'éditeur des recueils a cru bon d'étoffer la stricte retranscription du texte par une petite présentation de chaque invité par Bernard Morrot, vieil ami et complice de Desproges, qui conserve le même ton pour indiquer que

René Barjavel : écrivain catho-prolifique quelque peu oublié aujourd'hui, a en particulier écrit un livre sur « Brigitte Bardot amie des animaux » qui vaut son pesant de graisse de bébé phoque.

La vision ainsi présentée ne brille ni par le bon goût (qui n'était pas non plus le style de Desproges), ni par l'objectivité ou même la simple exactitude d'information. Car considérer Barjavel comme écrivain catho[lique]-prolifique ne révèle pas une fiabilité de source d'informations concernant un auteur protestant et qui n'hésitait pas à écrire, se mettant à la place du Très-Haut dans dans Si J'étais Dieu :

C'est pourquoi Je ne fais jamais et n'ai jamais fait de miracles, quoi que prétendent les prêtres de toutes vos religions, ces farceurs.

À la mort de Barjavel, les témoignages exprimés par la presse furent globalement bienveillants, à l'exception comme on l'a vu de L'Humanité qui ironisait à propos de J.-P. Sartre - là aussi avec un petit défaut d'information, car ce n'est que vers 1965 que Barjavel a commencé à porter des lunettes...
 


Et Maintenant...

Les opinions les plus anciennes telles que j'ai pu les retrouver, se sont émoussées, et les polémiques éteintes... Certains de ceux qui ont vécu cette époque comme jeunes contestataires se sont, non pas "assagis", mais disons "posés". Ainsi ce témoignage récent d'un de ceux qui, tout en le connaissant, ne cachaitpas ses désaccords :

On lisait le Journal du Dimanche, ses articles, on n'était souvent pas d'accord, on était jeunes et c..., il faut bien le dire, alors, tout ça...

Si à présent Barjavel en tant que personne ne soulève plus d'attaque, ses écrits et les idés que certaines y extrapolent restent la cible de critiques parfois acerbes. En fait, on trouve plutôt celles-ci du côté des anthologistes de science-fiction, souvent auteurs eux-mêmes (ou l'ayant été), qui présentent l'écrivain dans telle ou telle encyclopédie ou compendium.
Pour Lauris Murail, par exemple, auteur du "Guide Tout-Terrain de la Science Fiction" :

[...] Barjavel nous laisse méditer sur ses sombres prophéties et s'en va prêcher sur d'autres terres. écrivain, scénariste, journaliste, polémiste, il continue cependant de professer des idées noires et de prôner une morale réactionnaire.
Barjavel reste un cas à part dans la Science-Fiction française.
En raison de ses positions obscurantistes, il a eu quelque mal à se faire admettre au sein d'un milieu pour lequel il n'y a pas d'avenir sans foi, même mesurée, même méfiante, en l'homme et le progrès scientifique.

Jean-Pierre Andrevon, que je citais ci-dessus à propos de la préface à son recueil, a récemment publié une longue interview pour le magazine BIFROST, où l'on peut voir sa position "radoucie" - certains diraient même "retournée" :

Je suis resté en contact avec Barjavel jusqu'à sa mort. J'avoue ne pas comprendre le mépris distingué qu'il est courant de voir nombre de jeunes cons lui témoigner aujourd'hui, car c'était un homme d'une extrême bonté, et un écrivain dont le talent me marque encore. Disons que c'est le sixième et dernier des oncles que je citerai ici.

En dehors des publications éditoriales, il se trouve des sites Internet se voulant exhaustifs sur le monde de la science-fiction qui considèrent que :

Résolument anti scientifique et même carrément réactionnaire sur la fin. Il fut un des précurseurs de la SF française des années 40 - 50.

De tels avis n'engagent que leurs auteurs... qui omettent toutefois de mentionner leurs sources et celles de leurs déductions. Car si l'on peut comprendre qu'une certain lecture de Ravage y fasse trouver des idées "réactionnaires" -  sans que puisse être affirmé qu'il s'agit de celles de l'auteur - le considérer comme "réactionnaire sur la fin" est un peu abrupt, alors qu'il déclarait, dans la dernière année de sa vie  :

Nous voici à un moment crucial de l'histoire humaine. Mais c'est un moment fascinant. Et si l'homme ne fait pas sauter la baraque, il va entrer dans un âge dont nous n'avons qu'une faible idée...
Les sciences sont à leur commencement. Nous ne savons rien. L'homme est aujourd'hui au début de tout. La biologie, la physique, la connaissance de l'univers n'en sont qu'à leurs balbutiements !
Mais il faudra inventer un nouveau monde, car les machines, les robots, les ordinateurs vont libérer complètement l'homme de toutes ses tâches inférieures.

et écrivait, quelques semaines avant sa disparition brutale :

Je n'ai jamais été indifférent, j'ai regardé, écouté, goûté, touché, respiré, aimé. Aimé toute chose et toutes choses, belles et laides, émerveillé par les miracles qui m'entourent et dont je suis fait.


Les visiteurs du barjaweb

On a pu voir la présentation des { statistiques } du sondage proposé par le site à son entrée. La forme du questionnaires (choix et cases à cocher), si elle facilite l'automatisation du dépouillement, ne laisse pas la place à des analyes nuancées. Et les résultats sont nécessairement quelques peu biaisés car l'esentiel des visiteurs du barjaweb, et a fortiori ceux qui répondent au questionnaire, y parviennent du fait de leur intérêt positif pour l'auteur. En revanche, les "boutons de votes" sur les pages "écrits" présentants les œuvres sont complétées, lorsque l'avis du visiteur est fortement négatif, d'une demande d'explication qui permet donc, lorsqu'elle est complétée, de se faire une idée des raisons d'"anthipathie" pour l'auteur.
En rappelant que la question est « Pourquoi n'aimez-vous pas ... ? », et plutôt qu'une fastidueuse, pesante et parfois grotesque, liste exhaustive des réponses ainsi recueillies, je propose d'en découvrir un assortiment choisi au hasard pour chacun des titres ayant reçu un nombre significatifs de tels avis.


  • Pour Ravage :
     
  • Pour La Nuit des temps :
  • Pour L'Enchanteur :
     
  • Pour Le Voyageur Imprudent :


Bonnes raisons ? mauvaises raisons ? Je laisse chacun en juger...

Et puis, comme l'écrivait avec tant de bon sens La Fontaine dans { Le Meunier, son fils et l'âne }, et ainsi que j'aime à le rappeler :

est bien fou du cerveau
Qui prétend contenter tout le monde et son père.


 


SOURCES et DOCUMENTS

Les index correspondent aux notes de renvoi dans la page.


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