Articles de presse parus au décès de René Barjavel

Les textes de ces articles sont fidèlement reproduits ci-après, et on ne manquera pas de relever quelques inexactitudes dans des titres ou genres littéraires...
On y verra aussi l'orientation toute particulière qu'y montrent les journaux à forte connotation politique...
La mise en page proprement dite des articles (colonnes, typographie, positionnement des images) n'est en revanche pas reproduite ici.


Le Parisien (quotidien) - 26 novembre 1985

Une crise cardiaque l'a emporté à 74 ans
René Barjavel, un poète de l'anticipation

Terrassé par une crise cardiaque dans un restaurant parisien, René Barjavel est mort dimanche soir à l'hôpital Cochin où il avait été transporté d'urgence. Il était àgé de soixante-quatorze ans.
Chaleureux, séduisant, enthousiaste, curieux de tout et attentif à tous, René Barjavel avait abordé avec un égal bonheur les domaines les plus divers de la littérature.
Connu surtout pour ses ouvrages de science-fiction (« Ravage » publié en 1943 avait dépassé le million d'exemplaires vendus), il s'était imposé aussi avec des essais philosophiques, des contes, des livres de souvenirs et même des romans policiers.
Ajoutons qu'il fut aussi un brillant journaliste, chroniqueur pamphlétaire et critique.
Et n'oublions pas enfin qu'il participa à la création de films aussi différents que « le Guépard » ou « Don Camillo » !
Rien pourtant ne disposait ce fils de boulanger et petit-fils de paysans à devenir un passionné de l'écriture. Rien sauf, peut-être, le sens du merveilleux qu'il garda de son enfance et la foi dans le bonheur qu'il y puisa.
Aussi bien, après avoir tâté de différents petits métiers, trouva-t-il sa voie dans le journalisme, au « Progrès de l'Allier » d'abord, puis au « Merle blanc » où il put donner libre cours à sa verve.
C'est pendant l'Occupation qu'il entreprit d'écrire des livres de science-fiction. Seule façon alors de s'évader de la tutelle de l'occupant.
Ce fut immédiatement le succès.
Barjavel, fasciné par le devenir de l'homme, devait continuer dans cette voie en publiant des livres comme « le Voyageur imprudent » ou « la Nuit des temps ».
De là à aborder la philosophie, il n'y avait qu'un pas qu'il franchit avec « la Faim du tigre » et « Si j'étais Dieu », qui étaient autant d'interrogations sur l'avenir de l'humanité.
Mais parallèlement à ces prospections dans le futur, Barjavel revenait à ses sources en égrenant des souvenirs d'enfance (« la Charrette bleue »).
Au total, c'est une trentaine de romans et d'essais qu'il nous laisse en plus d'une multitude de chroniques où, avec autant de verve que de bon sens, « refaisait le monde » en stigmatisant nos petits travers, de nombreux dialogues de films, des chansons et même des photographies, puisque son passe-temps favori consistait à photographier des arbres et des fleurs.
René Barjavel était marié et père de deux entants.
Nous garderons ici le souvenir de son talent, de son ouverture d'esprit et de sa proverbiale gentillesse.

Barjavel lors de l'émision Apostrophe, le 15 février 1982


Le DAUPHINÉ LIBÉRÉ - 29 novembre 1985

La mort de l'écrivain René Barjavel
Nyons (Drôme) a perdu son poète

Il n'avait que 74 ans et la mort nous l'a ravi alors que nous attendions encore beaucoup de lui. René Barjavel… Lorsque je l'avais renconteé pour la première fois, en 1974, de loin, la toison haut plantée sur le front lui donnait des allures à la Cocteau. Il avait conservé dans le regard la pureté originelle des premiers rêves, les émerveillements soudain des premières impulsions.

Cet écrivain qui s'était fait connaître en 1943 avec « Ravages », un roman d'anticipation tiré à plus de 100000 exemplaires les premiers mois (un record pour l'époque) était tout le contraire d'un homme du futur. Il avait la nostalgie de son enfance, de ses anêtres aussi il se désolait de sa « trahison » :

« Je suis le premier de ma famille à ne pas vivre de mes mains. Ces muscles qui ne demandaient qu'à travailler s'atrophient et n'ont à manier que le stylo ».

Non, René Barjavel ne maniera pas la charrue comme ses oncles du village de Tarendol, dans le Nyonsais, ce « Tarendol » qui sera le titre d'un de ses romans de jeunesse. Il ne pétrira pas le pain comme son père boulanger de la rue Gambetta à Nyons. Il en parlait avec émotion : « Tout à l'heure, à table, disait-il, en mangeant la première bouchée de pain, pensez que pour qu'il arrive à votre bouche, il a fallu le travail du boulanger, de l'ouvrier minotier, du transporteur, de l'ouvrier agricole et le génie inimitables de nos ancêtres « sauvages » qui, il y a mille ans, en partant d'une herbe folle ont fabriqué le blé. Goûtez-le bien, sa saveur est celle de la solidarité, de l'ingéniosité humaine à travers l'espace et le temps. N'en gaspillez pas, mais donnez-en au moineau. Pour remercier la terre, mère du blé et de l'homme. »
Cette phrase résume pour moi le vrai Barjavel, le tendre, le poète, le sensible.

A 13 ans il quitte Nyons pour suivre au collège de Cusset, M. Boisselier, son profeseur de français qui a emarqué ses dons. A 18 ans il devient journaliste dans l'atelier et a la chance de rencontrer Denoël, alors jeune éditeur. Et c'est le succès foudroyant de « Ravages », un roman d'anticipation qui, hélas, n'était que prémonition.

Et puis la traversée du désert. La maladie. Il survit grâce à la générosité d'un mécène. Mais aussi en se livrant à une tâche ingrate : faire des dialogus de films. Ça ne lui plaît pas d'avoir fait « Le petit monde de Don Camillo » ou des dialogues sur mesure pour Gabin, dont, disait-il, « le vocabulaire était très réduit ».

« Ecrivain de cinéma ? Un métier de p... Vous me voyez moi émotionnel, écrivant pour le rationnel Cayatte .

1968. La rencontre avec une jeune astrologue qui lui annonce que sa carrière n'est pas derrière mais devant lui. ELle a raison.

1969. « Prix des Libraires  avec « La nuit des temps » (film de Cayatte). Réédition de « Ravages » (300000 exemplaires), des « Contes extraordinaires », du « Voyageur imprudent ».

Et l'éditorial dans le « Journal du dimanche ». Et qui n'a lu « La charrette bleue », le merveilleux livre de souvenirs nyonsais de Barjavel.

Nyons où il revenait, méditatif, à la recherche du temps perdu. Nyons où il sera inhumé. Barjavel de « Ravages » mais aussi de « Tarendol », des « Dames à la licorne », mais aussi de « La Charrette bleue ». Le poète est ainsi multiple, en perpétuelle contradiciton avec lui-même.

Peut-être son véritable monde était-il sur cette île déserte des « Dames à la licorne », au milieu de cinq filles folles, sans autre homme que leur père, errant à la rencontre des Korrigans, des elfes et des renard roux à la queue folle était peut-être le monde de ??? dont rêvait René Barjavel et où il repose en paix.

Jean DURAND


La Tribune de Montélimar - 28 novembre 1985

René BARJAVEL est mort
hommage à un Nyonsais

René Barjavel est mort, victime d'une crise cardiaque. Il avait 74 ans. Né à Nyons, cet écrivain avait, avant tout, donné une dimension romnesque à la science fiction.

Fils de boulanger, très vite ses dons dans le maniement de la langue française sont décelés.

A 18 ans, il est journaliste au « Progrès de l'Allier »

A 26 ans, il rencontre Denoël chez qui oil entre comme chef de fabrication.

A 32 ans, c'est « Ravages », son premier roman de science fiction. Un succès. Suivront parmi les plus connus, « Le voyageur imprudent » et « La nuit des temps ». Mais cet homme qui écrivait le futur était avant tout un moraliste qui se voulait un explorateur du passé.

Profondément attaché à ses racines nyonsaises, il y a cinq ans, il publie « La charrette bleue », un hommage à son nyonsais natal.

René Barjavel a connu une période noire dans les années 50. Pour survivre, il écrit pour le cinéma. ON lui doit les dialogues notamment des « Don Camillo ».

A partir de 1969, c'est à nouveau la grande consécration.

« La nuit des temps » paraît et reçoit le Prix des Libraires.

René Barjavel entre alors au Journal du Dimanche.

Homme distant et secret, il devenait enthousiaste dès qu'il parlait de son pays et de son enfance. Souvent, il venait se ressourcer à Nyons, car il s'accomodait mal de la vie parisienne.

Son dernier roman, à paraître : « Demain le paradis ». René BArjavel y est allé avant la sortie de son livre.

Ph. CAHN


L'Auvergnat de Paris - 26 novembre 1985

RENÉ BARJAVEL LE CHEVALIER DE LA SCIENCE-FICTION

René Barjavel,écrivain, journaliste, qui était surtout le chevalier de la science-fiction, est mort des suites d'une crise cardiaque à l'âge de soixante-quatorze ans à Paris.
Né le 24 janvier 1911 à Nyons, dans la Drôme, il fit ses études « au cher Collège de Cusset », dans l'Allier. II y fut pensionnaire de 1925 à 1928, puis pion en 1929 avant d'entrer comme rédacteur (de 1930 à 1935) au journal « Le progrès de l'Allier ».
C'est là qu'il rencontre Robert Denoël, l'homme qui deviendra tout à la fois son éditeur et son ami. C'est chez Denoël que seront successivement publiés : Ravage, son premier roman, Tarendol, dont l'adaptation à la télévision fut saluée par le public, La tempête, La charrette bleue. Journal d'un homme simple, l'Enchanteur, vie de Merlin revue et superbement corrigée par le romancier devenu poète d'un paradis perdu, - celui d'un temps où hommes et bêtes pouvaient se parler, se comprendre et s'aimer.
A un journaliste qui lui demandait un jour « comment voyez-vous l'an 2000 », il répondit : « La science-fiction est une hypothèse sur l'avenir. C'est une nouvelle littérature. Elle s'évade du cadre de la chambre à coucher ou de la salle à manger. Elle fait éclater les murs pour nous donner à voir de nouveaux horizons. On retrouve tous les genres en elle et elle peut être épique, lyrique, politique, dramatique... Elle s'intéresse au devenir de l'espèce humaine. »
Cet avenir de l'espèce humaine, René Barjavel y. fut attentif toute sa vie ; il s'inquiétait de « la connerie » générale, de la frénésie de haine. Jamais, disait-il, l'intelligence individuelle n'a été aussi vive et jamais l'enflure de l'imbécilité collective aussi grande. Comment voir, dans ces conditions, une suite optimiste ? » s'interrogeait-il.
 Revenu l'an passé sur les lieux de son enfance à Vichy, à un journaliste qui lui demandait ce qu'il « aurait aimé être de. différent », il fit une réponse qui ne laissera pas insensible les Auvergnats puisqu'il déclara : « Un paysan pauvre, comme mes grands-parents qui travaillaient la terre ».
Reste que son destin fut tout autre ; aujourd'hui disparu il nous laisse l'essentiel c'est-à-dire son œuvre. Qu'il nous soit donc permis de citer le prologue de Merlin l'enchanteur, un livre où triomphaient ses talents de conteur :
« II y a plus de mille ans vivait en Bretagne un Enchanteur qui se nommait Merlin.
Il était jeune et beau, il avait l'oeil vif, malicieux, un sourire un peu moqueur, des mains fines, là grâce d'un danseur, la nonchalance d'un chat, la vivacité d'une hirondelle. Le temps passait sur lui sans le toucher. Il avait la jeunesse éternelle des forêts.
Il possédait les pouvoirs, et ne les utilisait que pour le bien, ou ce qu'il croyait être le bien, mais parfois il commettait une erreur, car s'il n'était pas un humain ordinaire, il était humain cependant.
Pour les hommes il était l'ami, celui qui réconforte, qui partage la joie et la peine et donne son aide sans mesurer. Et qui ne trompe jamais.
Pour les femmes, il était le rêve. Celles qui aiment les cheveux blonds le rencontraient .coiffé d'or et de soleil, et celles qui préfèrent les bruns le voyaient avec des cheveux de nuit ou de crépuscule. Elles n'étaient pas amoureuses de lui, ce n'était pas possible, il était trop beau, inaccessible, il était comme un ange. Seule Viviane l'aima, pour son bonheur, pour son malheur peut-être, pour leur malheur ou leur bonheur à tous les deux, nous ne pouvons pas savoir, nous ne sommes pas des enchanteurs.
Pour tous, il était l'irremplaçable, celui qu'on voudrait ne jamais voir s'en aller, mais qui doit partir, un jour.
Quand il quitta le monde des hommes, il laissa un regret qui n'a jamais guéri. Nous ne savons plus qui est celui qui nous manque et que nous attendons sans cesse, mais nous savons bien qu.'il y a une place vide dans notre cœur. »


Le Quotidien de Paris - 26 novembre 1985

RENÉ BARJAVEL L'HOMME QUI VOYAIT
L'AVENIR AVEC LES YEUX DU COEUR

. René Barjavel, terrassé dimanche par une crise cardiaque à l'âge de 74 ans, a partagé sa vie entre l'écriture de science-fiction, le cinéma et le journalisme avec une fascination pour « le devenir de l'homme » dont la destinée lui paraissait à la fois très mystérieuse et très fragile.
Originaire de Nyons (Drôme), où il est né en 1911, il n'a connu son père qu'au retour de la Grande Guerre. Cette évocation de son enfance - source de son émerveillement - Barjavel y reviendra constamment, notamment dans « la Charette bleue », récit de son enfance, et indirectement dans « l'Enchanteur ». Devenu en 1935 secrétaire de rédaction de la revue Le Document, il écrit dans Le Merle blanc comme critique cinématographique, avant de passer chef de fabrication chez Denoël.
Il publie une série de romans d'anticipation, tel que « Ravage » publié en 1943. Il écrit parallèlement des essais sur le cinéma, puis un grand roman d'amour, « Tarendol » en 1945.
Lui aussi est aux prises avec les événements. Très lié avec Robert Denoël, les « Lettres françaises » l'accusent de « collaboration ». Rapidement mis hors de cause par une lettre de Georges Duhamel, il fut très affecté par l'assassinat de son éditeur en décembre 1945, deux jours avant son procès. Après un long silence, ayant souffert de la tuberculose, Barjavel allait revenir sur le devant de la scène grâce à Julien Duvivier qui lui avait acheté les droits de Tarendol pour le cinéma. Il devint, en effet, adaptateur et dialoguiste de nombreux films, et notamment pour Fernandel dans Don Camillo.
Il imagine en 1962 dans « Colomb de la lune » les aventures du premier astronaute, qui est Français dans son histoire. « Les Chemins de Katmandou » (1969), « la Faim du tigre », « Si j'étais Dieu » viennent s'ajouter à sa méditation sur l'avenir de l'humanité. Il prolongeait cette réflexion dans ses chroniques du « Journal du dimanche » qui ont été publiées sous le titre « les Années de la lune ».


Le Figaro (quotidien) - 26 novembre 1986

René Barjavel est mort

René Barjavel qui vient de mourir à l'âge de soixante-quatorze ans, des suites d'un malaise cardiaque, était l'un des auteurs les plus mystérieux qui soient. Il a, pendant quelque temps, habité à Paris le quartier des Batignolles où j'habite également, et quand nous nous rencontrions, au marché de la rue de Lévis, il me faisait jurer sur ce que j'avais de plus cher au monde de ne pas dire où il habitait, ni même que je l'avais rencontré...
S'il faisait tant d'inexplicables mystères sur ce qui constituait alors son présent, René Barjavel était volontiers prolixe sur ce qui constituait son passé. Il était né dans le Sud de la France, à Nyons, le 24 janvier 1911. Il en gardait un léger accent, un goût prononcé pour l'huile d'olive et la pratique de certaines superstitions. Il n'entreprenait rien sans les conseils de son astrologue, Olenka de Veer, avec la collaboration de laquelle il avait écrit un roman, Les Dames à la licorne qui devient ensuite un feuilleton que l'on a pu voir récemment à la télévision...
Fils de boulanger, petit-fils de paysan, René Barjavel, en bon Méditerranéen, était surtout un « fils de sa mère ». Je veux dire que sa mère, Marie Barjavel, avait beaucoup compté, dans son enfance, et dans sa vie, et qu'il lui avait rendu hommage dans un livre de souvenirs, La Charrette bleue. Grande dévoreuse de livres et grand caractère, Marie Barjavel avait su faire face à son veuvage, devenir chef de famille en 1914, et faire de sa boulangerie la première de sa région. Avec une mère pareille, Barjavel se devait d'aller loin !
Tout en aidant à la boulangerie, René Barjavel fait des études, passe son baccalauréat et entreprend de gagner sa vie en expérimentant divers métiers : surveillant dans un collège, professeur privé, employé de banque, conférencier, démarcheur ; il ne tarde pas à découvrir sa véritable vocation : le journalisme. En 1939, il débute dans un quotidien de province, à Moulins, dans l'Allier, où il tient successivement toutes les rubriques (sauf celle de la politique). Il apprend ainsi son métier tout en se passionnant pour les techniques du papier et de l'impression. Ce qui lui permet, quelques années plus tard, d'être chef de fabrication d'une grande maison d'édition parisienne et de fonder une revue où débutèrent un Jacques Laurent, un François Chalais, un Henri-François Rey. Il collabore à différents journaux et revues en tant que critique de cinéma et de théâtre.
C'est en 1943 qu'il publie son premier roman, Ravage, inaugurant ainsi une série d'œuvres de science-fiction parmi lesquelles se détache surtout Le Voyageur imprudent. Suivront ensuite, entre autres, Tarendol, Cinéma total, La Faim du tigre, La Nuit des temps (Prix des libraires 1969), Les Chemins de Katmandou, Le Grand Secret (Prix du roman des Maisons de la Presse 1973), Les Années de la liberté, Les Années de l'homme, Si j'étais Dieu...
René Barjavel restera surtout comme l'un des maîtres français de la science-fiction. Il en était conscient, ce qui ne l'empêchait pas, au passage, de saluer ses pairs américains : « C'est en Amérique que roule le fleuve du roman aujourd'hui. Les petits cousins yankees de Galaad vont chercher le Graal dans les étoiles. La vraie littérature américaine, ce n'est pas Faulkner, Hemingway et leurs pareils, descendants anémiques de Zola, branche exténuée de la littérature européenne du XIX" siècle : c'est Bradbury, Clifford Simack, Van Vogt, Asimov, Walter Miller, Damon Knight, James Blish et mille autres. Ils sont légion. Ils grouillent dans tous les genres. »
Barjavel, lui aussi, « grouillait » dans tous les genres ! II avait même écrit de nombreux scénarios et dialogues de films comme Le Mouton à cinq pattes ou La Grande Vie. Ce printemps, il s'était même offert le luxe de débuter... dans le roman policier avec La Peau de César (Mercure de France) dont notre ami Jean Papillon avait rendu compte dans notre numéro du 6 avril 1985 : « René Barjavel, un romancier merveilleux qui a parlé de tout avec une conviction qui passionne le lecteur. De la lune, du diable, de la tempête, du tigre, des chemins de la drogue. (...) Et voici René Barjavel, transformé en spécialiste du roman policier. Transformation réussie. La Peau de César est un excellent roman policier... »
Grand, maigre, grisonnant, proche de ses frères les hommes comme de ses sœurs les galaxies les plus lointaines, René Barjavel, quand il m'arrivait de le rencontrer, au marché de la rue de Lévis, me faisait immanquablement penser à un mutant, à un extraterrestre égaré, par hasard, à Paris, dans le quartier des Batignolles qu'il ne tarda pas à quitter pour aller cacher ailleurs ses mystères et ses recherches...

Jean CHALON.

  • La plupart de l'œuvre de Barjavel est publiée aux Presses de la Cité et chez Denoël.

Le Journal du dimanche (hebdomadaire) - 1er décembre 1985

Celui qui savait s'émerveiller

par GILLES MARTIN-CHAUFFIER

II savait « voir ». Il suffisait d'une rose jaune pâle plantée dans une bouteille d'eau minérale à côté de la caisse enregistreuse de sa boulangère pour que René Barjavel se mette à rêver. A sa manière : en humaniste. Attentif aux autres, il saisissait la vie dans ses détails les plus insignifiants et en tirait des paragraphes drôles et émouvants.

Pendant dix ans, au « Journal du Dimanche », d'abord dans sa chronique télé, puis dans ses « libres propos », il nous a enchantés par ses petites histoires faussement naïves d'observateur acide et lucide. De l'actualité brutale, il retirait des perles qui, réunies les unes aux autres, affirmaient sans hausser le ton que la vie est aussi une longue suite de moments privilégiés. Pourtant, derrière l'observateur cocasse, se cachait le polémiste prêt à mordre. Alors sa férocité valait sa gentillesse : elle touchait le nerf.
René, par exemple, n'aimait pas Reagan. Pervers, il nous avait suggéré d'assister à son débat télévisé face à Carter. Terrible ! Recensant les rides, les coutures, les sillons ou les crevasses parcourant le visage du futur président américain, il avait ironisé au vitriol sur les camouflages des maquilleuses. Avec un faux effroi et une vraie jubilation moqueuse, il s'était ensuite demandé si derrière une façade aussi lézardée ne se calfeutrait pas un intérieur délabré.
 

Une place vide

Notre si gentil chroniqueur ne dédaignait pas de se faire les crocs : il aimait s'émerveiller mais n'avait rien d'un naïf et il tenait son rang dans les polémiques parisiennes. Ses coups de cœur ou de griffe n'étaient pourtant pas l'essentiel pour René Barjavel. Inlassablement, il travaillait à son œuvre. Journaliste, adapteur et scénariste de film (« le Petit Monde de Don Camillo », « les Misérables », « les Chemins de Katmandou »...), il était d'abord un romancier. Et d'envergure : « Ravage », son premier roman, en 1943, fut un triomphe, le premier. Il inventait une science-fiction à la française qu'il développera ensuite dans « la Nuit des Temps », ou «le Voyageur imprudent ».
Attentif à son écriture, l'ancien fils d'une boulangère de Nyons, dans la Drôme, à la limite de la Provence, l'était aussi aux autres écrivains : c'est lui, pendant la guerre, qui fil débuter Jacques Laurent, François Chalais ou Henri-François Rey. Sa vie, si riclie, il avait commencé de la raconter en 1980 dans « la Charrette bleue », ses souvenirs d'enfance. Un triomphe en librairie et, surtout, un monument d'émotion. Nous attendions la suite avec impatience. Elle ne viendra pas. René Barjavel, par cette mort injuste venue trop tôt, nous prive de ses phrases si belles. Comme celle-ci, qui traduit tellement bien nos sentiments actuels : « Pour tous, il était l'irremplaçable, celui qu'on voudrait ne jamai voir s'en aller, mais qui doit partir, un jour. »
« Quand il quitta le monde des hommes, il laissa un regret qui n'a jamais guéri. Nous ne savons plus qui est celui qui nous manque et que nous attendons sans cesse mais nous savons bien qu'il y une place vide dans noire cœur »
En janvier prochain René Barjavel devait publier : « Demain le paradis ». Il y est déjà.


Barjavel : il nous a enchanté pendant dix ans dans nos colonnes.

Le Monde - 30 novembre 1985

   René Barjavel est mort

L'écrivain journaliste René Barjavel est mort dimanche soir 24 novembre à l'hôpital Cochin, des suites d'un malaise cardiaque. Il était âge de soixante-quatorze ans.
Science-fiction et journalisme
Après avoir débuté par un roman de Science-Fiction, Ravage (1943), René Barjavel était devenu un auteur à succès avec le Voyageur imprudent et Tarandol, publiés en 1944, et surtout avec la Nuit des temps (1968) qui avait obtenu le Prix des libraires. La plupart de ses œuvres ont été publiés chez Denoël.
Né le 24 janvier 1911 à Nyons dans la Drôme, René Barjavel était fils de boulanger. Il avait commencé assez tard dans la littérature après avoir exercé divers métiers : employé de banque à Vichy, journaliste au Progrès de l'Allier, à Moulins... Il entre en 1935 aux Editions Denoël comme chef de fabrication, sans abandonner pour autant sa carrière de journaliste. Il collabore notamment à Gringoire et, durant l'occupation à Je suis partout. Après la guerre il devient critique dramatique à Carrefour, puis critique de télévision à Radio-Luxembourg et chroniqueur au Journal du dimanche à partir de 1969.
C'est dans ce journal qu'il écrivait, en 1980, à la mort de Sartre, une phrase remarquée : « Je n'aimais pas Sartre, d'abord à cause de son physique. Je ne croyais, et je ne crois toujours pas, qu'un homme affligé d'un strabisme tel que le sien puisse avoir une claire vision du monde. Même en fermant les yeux, il est réduit à s'en faire une idée, et cette idée ne peut pas être droite »...
Ses positions sur les problèmes de société n'étaient pas moins abruptes, notamment en faveur de la peine de mort et de la loi du talion : il recommandait de droguer à mort les pourvoyeurs de drogues.
Parallèlement, il a collaboré à de nombreux filins, comme scénariste et dialoguiste, dont le Petit Monde de Don Camillo (1951), Till l'espiègle et le Cas du docteur Laurent (1956), Don Camillo Monseigneur et Chair de poule, avec Julien Duvivier. En 1971, il donne, aux Bouffes-Parisiens, une pièce intitulée Madame Jonas dans la baleine.
Parmi ses dizaines de livres, dont beaucoup furent portés à l'écran (les Chemins de Katmandou, Plon 1969), son plus grand succès reste son premier livre, Ravage (vendu à plus d'un million d'exemplaires). En 1980, ses souvenirs d'enfance, la Charrette bleue, atteignirent deux cent mille exemplaires.
Son dernier roman, à paraître le 23 janvier prochain chez Denoël, a pour titre : Demain le paradis.


Le Matin de Paris (quotidien de tendance socialiste) - 30 novembre 1986

Barjavel est mort

. De son pétrin, il ne sortira plus de livres dorés, bons comme du pain mais d'une farine parfois poujadiste. René Barjavel vient de mourir, d'un malaise cardiaque, à l'hôpital Cochin à Paris. Il était né à Nyons (Drôme) en 1911. Fils d'un petit boulanger, il avait d'abord été employé de banque, puis journaliste dans le centre de la France, avant d'entrer chez Denoël comme chef de fabrication. Curieusement, cet homme proche de la terre allait devenir un grand auteur de science-fiction.
Dans Ravage, en 1943, il imagina que l'électricité s'arrêtait brutalement de fonctionner. C'était anticiper la gigantesque panne de New York, avec quarante ans d'avance. Tout en travaillant pour le cinéma (il signa les adaptations des Don Camillo mais détestait ce milieu), la radio et la presse, il publia une quinzaine de romans : le Voyageur imprudent, Tarandol, la Nuit des temps, les Chemins de Katmandou...

Il était pour la peine de mort, au nom de la vie, de l'élan vital. Avec sa pointe d'accent drômois, il ralliait les idées des Français moyens. Mais c'était un véritable artisan dont les souvenirs, la Charrette bleue, vous atteignent au cœur. Son éditeur, Denoël, publiera en janvier son dernier roman, Demain le paradis.

G.C.


Le Journal des livres - 30 novembre 1986

Barjavel : le fabuliste de la planète inquiète

UN ami est mort. René Barjavel vient de s'éteindre brusquement, il était âge de soixante-quatorze ans. L'épigraphe de son roman le Diable l'emporte restera célèbre : « À notre grand-père, à notre petit-fils, l'homme des cavernes. » Quelle condamnation de notre société résumée dans une si courte sentence !
Quel pessimisme aussi. Barjavel n'était pas à l'aise dans notre époque, une époque où les mots progrès et modernité lui paraissaient autant de démons que seul l'humanisme pouvait exorciser.
Il est entré dans la carrière des lettres en 1943 avec un roman prophétique, Ravage. Son argument est simple : il dépeint l'effondrement de la civilisation occidentale à la suite de la disparition de l'électricité. Allégorie, la science mauvaise et la machine ennemie de l'homme. Pourtant, la bombe d'Hiroshima n'avait pas éclaté à l'époque, et n'avait pas encore donné naissance à la mauvaise conscience de toute une génération d'auteurs de science-fiction. Ce genre, devenu essentiellement américain depuis la mort de Jules Verne, avait été redécouvert par Barjavel. Dans sa critique de la science, il fut un précurseur par rapport aux Américains qui ne remirent en question cette religion des temps modernes qu'après les explosions nucléaires qui marquèrent la fin de la Seconde Guerre mondiale. Barjavel aimait les auteurs anglo-saxons de S.-F., qu'il plaçait même au-dessus des auteurs reconnus de littérature
 


Des fictions gravitent autour d'une angoisse :
la science ressentie comme incontrôlable. (dessin de Ghazi)

générale ; ainsi, il préférait Bradbury à Hemingway. Il ne chercha cependant jamais à s'en inspirer, et des œuvres telles que le Voyageur imprudent (1944), Colomb de la Lune (1962), la Nuit des temps (1968), ont toutes une saveur de terroir bien française. Pourtant, René Barjavel refusait d'être rangé dans la catégorie des auteurs de science-fiction. Il préférait se nommer « fabuliste ».
Et il est vrai que la fable, ou la légende, l'ont toujours inspiré. Son grand roman d'amour, Tarendol (1945) était une transposition moderne de Tristan et Iseult. Son dernier livre, l'Enchanteur (1984), recréait l'univers de Merlin et de la fée Viviane. A travers les personnages issus du futur ou venus du lointain passé, c'était toujours l'homme qui fascinait Barjavel, c'était l'humanité qu'il traquait derrière l'écran du merveilleux. Dans une interview récente, il déclarait : « Pour ma part. je suis sans arrêt ébloui par le phénomène de la vie. »
Après la mort de Jacques Bergier, c'est un autre scribe des miracles qui disparaît aujourd'hui. Il nous reste l'œuvre de René Barjavel ; elle est généreuse et passionnante. Quant à l'auteur, gageons qu'il nous observe désormais, devenu immatériel. Perdu dans la chevelure de la comète de Halley.

JACQUES SADOUL

  • À lire aussi : Chez Denoël : l'Enchanteur, la Tempête, la Charette bleue, le Diable l'emporte, le Grand Secret. Chez Albin Michel : Lettre ouverte aux vivants. Chez Gallimard Folio : Ravages. Chez Garnier : Si J'étais Dieu. Aux Presses de la Cité : la Nuit des temps.

Allier Magazine (hebdomadaire régional) - février 1986
rubrique "Droits d'auteurs"

Barjavel en route pour l'éternité

Ceux qui nous ont dit qu'il était mort se sont trompés. René Barjavel a simplement changé de vie. Il est parti au pays des Dames à la Licorne après nous avoir laissé une œuvre où se préfigure l'homme de l'avenir.
Barjavel n'est pas né en Bourbonnais puisqu'il a vu le jour à Nyons le 24 janvier 1911, mais c'est bien en Bourbonnais qu'il est né à la littérature, il avait commencé ses études à la chaleur du Midi : mais quand son professeur Abel Boisselier fut nommé à Cusset il le suivit car une grande amitié, qui allait durer toute la vie du professeur, les unissait.
Abel Boisselier aimait la littérature et il encouragea bien des vocations littéraires dans notre région. René Barjavel sera surveillant, « pion » comme on disait alors, dans son établissement : un établissement curieux car il recevait non seulement des garçons mais des jeunes filles en un temps ou la gémination était vouée aux... gémonies. Même, quand vint un inspecteur, ces demoiselles durent se dissimuler dans un placard... Une telle situation devait ravir Barjavel.
Las de continuer des études qui le menait à rien, le rôle de surveillant ne le passionnant pas il entra comme rédacteur au « Progrès de l'Allier », journal de Marcel Régnier qui fut ministre des Finances.
« - Nous n'étions que deux, le directeur et moi. J'écrivais le billet du matin : je relisais les copies des correspondants, instituteurs ou buralistes. Je découpais dans un journal de Paris tous les articles qui n'étaient pas signés, c'est là où j'appris mon métier. » Les chiens écrasés sont encore une bonne école...
Il donna des conférences à l'Université populaire, sur Colette en particulier et quand cela fut nécessaire, il accompagna la voiture, tirée par l'ânesse Charlotte, pour mener les journaux à la gare. C'est dans cette période de l'adolescence prolongée que se forma l'écrivain. Mais est-il jamais sorti de l'adolescence ?
Avec son premier roman : « Ravage », paru aux éditions Denoél, - il avait rencontre le directeur de cette maison d'édition à Vichy -, il commença sa carrière d'écrivain complétant celle de journaliste par celle de chroniqueur au « Journal du dimanche ». où il faisait toujours une place au Bourbonnais.
Ecrivain, journaliste, scénariste, dialoguiste, il fut avant tout un homme de culture et la vareté de son œuvre est un juste reflet de notre temps : « Les chemins de Katmandou », « Tarendol », « La nuit des temps », « La mort de César », mais aussi des œuvres comme l'admirable et passionnant « L'enchanteur » et la série des « Dames à la licorne » écrite en collaboration avec Olenka de Veer, font de lui un romancier des espoirs de notre temps et du rêve de l'homme de se donner un avenir. On comprend qu'il aimait Charles-Louis Philippe.
Sachant tout le prix de l'amitié et de l'amour, il sut conserver cette leunesse du cœur, mais aussi de l'âme et de l'espritl, que l'on retrouve dans ses chroniques et retenons son avertissement « Rappelons-nous que la peau de la terre sur laquelle nous éditions nos civilisations et nos certitudes, est, par rapport au volume du globe, moins épaisse qu'une coquille d'œuf. Et qu'au-dessous d'elle, bien sagement. roule l'énorme masse du feu. » Et répétons ce cri d'espérance : « La vie est une chance fabuleuse, chaque printemps qui revient est une merveille... »

Jean-Charles Varennes


Le Républicain Lorrain (quotidien régional) - 18 avril 1986

L'adieu de Barjavel : « Demain le paradis »

Barjavel, on l'appelait volontiers « L'Enchanteur », c'était le titre d'un de ses romans, c'était aussi un nom qui lui allait bien tant l'écrivain véhiculait l'enchantement dans ses lignes bien serrées et sous sa crinière blanche en toute liberté. Quand il nous a quittés brusquement. sans prévenir, le 24 novembre 1985, nous avons perdu un de nos derniers magiciens. Son œuvre le prolonge et un dernier volume. « Demain le paradis », (Denoël) apparaît aujourd'hui comme un testament. Le livre n'était pas terminé quand la mort l'a saisi, il s'achève sur une virgule et sur deux notes, indépendantes, griffonnées sur une feuille blanche : « Tout s'accélère. Tout va aller très vite. Un nouveau monde doit naître, sans doute dans les douleurs. Nous arrivons à la Fin des temps barbares. Le monde nouveau sera le vôtre (celui des jeunes). Faites le bien. Peut-être. familiarisé avec l'idée de mourir, l'homme choisira son temps de vie et s'en ira à sa volonté ».
L'auteur de « Ravage », des « Dames à la Licorne », de « La Nuit des temps » avait abandonné momentanément le roman pour parcourir les allées de sa mémoire et réfléchir sur l'être humain. C'était comme une halte, une méditation flâneuse sur des sujets aussi divers que l'intelligence, le sens de l'aventure ou... la nourriture des bébés.
L'anecdote amusée se mêlait à des considérations sérieuses sur la biologie moléculaire. A bâtons rompus, Barjavel s'entretenait avec ses lecteurs, pour essayer de donner d'autres éclairages, de construire des réponses. Il parlait en poète, en humaniste avec une clairvoyance de visionnaire. En effet, si le passé et le présent le nourrissaient, c'était le futur qui le passionnait. Il aurait tellement voulu que le monde ne coure pas à la folie, qu'il fasse une plus grande part à « l'être » au lieu de s'enivrer de possession.
Moraliste, philosophe, baigné sans doute par l'étrange prémonition de sa fin proche, Barjavel a voulu tout dire sans que la pensée passe par le miroir déformant d'une histoire irréelle. Une réflexion en amène une autre : l'image entraine la prise de position.
Au soir d'une vie, « l'enchanteur » évoquait l'amour, la mort, la religion, ces grands thèmes qui restent l'essentiel. Un rien de nostalgie pointait devant l'évolution de quelques techniques, devant des valeurs que le monde moderne a oubliées. Barjavel aurait-il en écrivant « Demain le paradis » retrouvé son âge, celui d'un septuagénaire qui a derrière lui ses plus belles années ? Mais la passion, cette puissance fantastique de projection dans le futur l'arrêtail sur le chemin de la mélancolie. L'espoir, chevillé à l'âme, reprenait ses droits malgré la conscience aiguë d'une mutation difficle de société. Barjavel oubliait alors les gouffres infinis, des visions d'Apocalypse pour admirer éperdument ce « soleil si modéré, si bienveillant, qui a permis l'éclosion de la vie sur la terre ».
Jusqu'au bout, au fond d'un pessimisme latent, l'étincelle apportait la lumière. « Demain le paradis » n'est pas un livre comme les autres. Inachevé, il est pourtant la somme des réflexions d'un écrivain qui voulait croire, plus fort que tout dans le dynamisme de la vie.

Odile Le Bihan


Pélerin Magazine (hebdomadaire catholique) - n° 5375 - 6 décembre 1985

Mort de René Barjavel

Il était le fils d'un boulanger de la Drôme. René Barjavel est mort à 74 ans en laissant derrière lui une très forte œuvre littéraire. Barjavel était devenu écrivain après avoir été employé de banque puis journaliste. Passionné de science-fiction, il imagina dans un de ses romans, Ravage, publié en 1943, New York privée d'électricité. Ce qui devait survenir bien des années après. Auteur de Tarandol, La nuit des temps, Les chemins de Katmandou, il avait aussi adapté pour le cinéma les Don Camillo immortalisés par Fernandel. Son dernier roman Demain le paradis paraîtra en janvier.


Libération (quotidien) - le 26 novembre 1985

BARJAVEL AU PARADIS

Demain le Paradis annonçait le titre du dernier roman dont René Barjavel corrigeait encore les épreuves la semaine dernière. Il y est allé plus vite que prévu. Foudroyé par une crise cardiaque alors qu'il dînait, dimanche soir, dans un restaurant parisien, il est mort vers 20h à l'hôpital Cochin où il avait été transporté d'urgence.
Né en 1911 à Nyons, dans la Drôme, il avait d'abord été employé de banque avant de travailler dans la presse régionale. En 1937, alors qu'il était journaliste dans l'Allier, Barjavel avait rencontré Robert Denoël pour qui il avait commencé à travailler comme chef de fabrication.
Son premier roman Ravage, publié en 1943 connaît d'emblée un énorme succès. Vendu à prés d'un million d'exemplaires, il est devenu un classique de la science-fiction. Si Barjavel s'est imposé comme un maître de la S.F. avec des romans comme Le voyageur imprudent, Tarendol ou La Nuit des temps, il a également publié des essais philosophiques : Si j'étais Dieu ou Les Chemins de Katmandou, des souvenirs d'enfance : La Charrette Bleue et une Lettre ouverte aux vivants qui veulent le rester.


L'Humanité (quotidien, organe du Parti Communiste Français)
le 26 novembre 1985

DÉCÈS DE RENE BARJAVEL

Chroniqueur à « France-Soir », scénariste de films aussi hétéroclites que « Don Camillo » et « le Guépard », auteur de « la Faim du tigre », « Si j'étais Dieu », « la Charette bleue », René Barjavel est mort dimanche à l'âge de soixante-quatorze ans. Il fut lancé par « Ravage » (1943), l'un des premiers livres français de science-fiction. Il n'en professait pas moins les vieilles idées de la droite la plus extrême. Collaborateur de « Gringoire », « Je suis partout », il écrira en 1980 à la mort de Sartre : « Je n'aimais pas Sartre, d'abord à cause de son physique. Je ne croyais pas qu'un homme affligé d'un strabisme tel que le sien puisse avoir une vision claire du monde. »
Barjavel portait, lui, des lunettes, mais resta toujours aveugle au sens de l'histoire et au sort de ses concitoyens.


France-Soir (quotidien) - le 26 novembre 1985

L'auteur de « Ravage » est mort à soixante-quatorze ans,
terrassé par une crise cardiaque

René Barjavel était en train d'écrire : « Demain, le paradis »

TERRASSÉ dimanche soir par une crise cardiaque alors qu'il dinait dans un restaurant parisien l'écrivain René Barjavel devait mourir peu après à l'hôpital Cochin. Le célèbre auteur de « Ravage », son premier roman, best-seller de la littérature de science-fiction, était âgé de soixante-quatorze ans.
Sa disparition survient à quelques semaines de la sortie d'un nouveau livre intitulé « Demain le paradis » où il racontait coroment les hommes allaient profiter du travail des robots pour avoir du temps libre. C'est l'ère de la civilisation des loisirs que René Barjavel, disciple de Jean-Jacques Rousseau par sa quête du bonheur des autres et de leur compréhension mutuelle, décrivait dans cet ultime ouvrage à paraître en janvier.
Chez Denoél, son éditeur, il était encore passé vendredi dernier déposer des feuillets de son manuscrit qu'une secrétaire tapait au fur et à mesure. Romancier prolifique, il avait publié récemment au Mercure de France son premier roman policier, « La Peau de César ».
Mais, sa notoriété, il la devait surtout à son rôle de précurseur de la science-fiction, continuant à s'intéresser de trèsi près aux nouveaux auteurs d'un genre qu'il avait superbement illustré par des titres comme « Ravage » (l948) dont 1'action se déroule en 2052 ou « La Nuit des temps » (1968) où il imagine la découverte de survivants d'une civilisation antérieure au déluge.

Joie, amour

Né le 24 janvier 1911 à Nyons, une petite ville du sud de la Drôme, dans une région caractéristique de la Provence avec ses plantations d'oliviers et ses champs de lavande, René Barjavel, fortement attaché à ce pays ensoleillé, l'évoquait dans ses souvenirs d'enfance. « La Charrette bleue ». Ce livre enchanteur sentait bon les odeurs de garrigue et le pain chaud car le père de l'écrivain était boulanger. Successivement pion, démarcheur, employé de banque, journaliste, puis chef de fabrication des éditions Denoél, René Barjavel allait devenir un maître du récit d'anticipation un chroniqueur de l'actualité et du merveilleux, notamment au « Journal du Dimanche ». Avec sa foi en l'homme et la ferveur qu'il mettait à conjurer les démons du monde futur, ses articles reflétaient sa philosophie résumée danc la notice de son prochain livre. Pour présenter « Demain le paradis », il écrivait ces lignes qui résonnent comme un message testamentaire :

« Le passage du monde actuel au monde futur sera peut-être difficile, peut-être dramatique, mais l'avenir qui s'offre au regard est fabuleux. Nous vivons les dernières années des temps barbares. Demain commence la véritable histoire de l'homme. »
René Barjavel qui avait pris pour devise : « Joie. amour et liberté » rejoignait en quelque sorte l'univers des chansons de Charles Trenet et celui des personnages tendres de Peynet. C'est cette générosité et un humour chaleureux qui lui valurent de dialoguer plusieurs films sur « Don Camillo » avec Fernandel.

Jean-Claude LAMY


René Barjavel excellait à faire jaillir le fantastique d'une réalité patiemment observée.
Pour lui, la science-fiction s'inscrivait dans une tradition moraliste et utopiste proche du Rousseauisme.

Journal de Montpellier - décembre 1984

Il écrivait la tête dans l'avenir

DEPUIS l'adolescence sa fragilité pulmonaire l'avait longtemps préoccupé, handicapé même. Mais c'est son cœur qui a trahi René Barjavel, foudroyé dimanche soir dans un restaurant parisien par une crise cardiaque. Il avait 74 ans.
Sa disparition va sans doute raviver de vieux souvenirs chez bon nombre de sexagénaires d'aujourd'hui qui fréquentaient les Facultés de Montpellier dans les années 1940-42.
René Barjavel, après la débâcle, s'était installé entre Peyrou et Comédie, et avait lancé contre vents et ma r ée s. «L'Echo des élu diants. Sous sa direction, ce journal comportait des signatures d'écrivains et journalistes fort connus, réfugiés eux aussi en Languedoc ou dans la proche Provence.
Barjavel, à cette époque. tirait comme beaucoup d'autres le diable par la queue. Il ne fut jamais, d'ailleurs, ce que l'on appelle un « homme d'argent » et préféra avoir sa liberté pour fortune en savourant les fruits d'une imagination toujours en éveil, parfois effervescente. D'où sa « vocation » de pionnier français de la science-fiction, gourmand d'aventures proprement extraordinaires.
Avant son « repli » à Montpellier, ce fils d'un boulanger de Nyons (Drôme) avait été obligé de travailler tôt. D'abord pion, puis employé de banque à Vichy, il avait tête du journalisme à Moulins puis de l'édition, à Paris, chez Denoël. A la déclaration de guerre en 1939, il tenait la rubrique cinématographique au « Merle Blanc ».
Revenu à Paris après la Libération, il fut longtemps critique de théâtre puis de télévision, tout en élargissant de façon très éclectique ses activités d'homme de lettres. Ainsi publiât-il des livres aussi différents que « Mémoires d'un homme de 40 ans », des essais comme « Cinéma total », des romans comme « Ravage », « Tarendol », « Colomb de la lune », « La nuit des Temps », etc.
Il signa aussi « Les chemins de Katmandou » ainsi que plusieurs scénarios et dialogues pour le cinéma. Parmi eux (et les plus inattendus sous sa plume) ceux qui firent la gloire de Fernandel et Gino Cervi dans les aventures à répétition de « Don Camillo ».
Il s'est toujours montré très marqué par la lecture des ouvrages de Jules Verne et. plus tard, l'influence du philosophe Gurdjeff. S'il éprouvait une sorte de fascination pour les mirages diaprés de l'anticipation, sa renommée dans le domaine de la science-fiction ne doit pas faire oublier ses essais philosophiques sur le devenir de l'Homme, constant sujet de méditation à tonalité plutôt sombre pour lui.
Plus ensoleillés sont les ouvrages ou il a collecté ses souvenirs d'enfance, comme « La charrette bleue ». Il avait gardé une sorte d'émerveillement de cette période : « J'ai grandi au milieu des femmes, nous vivions libres, livrés au besoin de la découverte ; j'ai vécu dans l'amour avec la foi dans le bonheur »
II y a quelques années, Barjavel était venu en cure à Balaruc-les-Bains. Sa première question, à l'occasion de ce nouveau séjour en Languedoc, avait été :
 - Et vers Palavas, est-ce que ca pue autant qu'il y a quarante ans ? »
A cette époque, la vase, les moustiques et la « malaïgue » lui avaient agressé les narines au point de lui inspirer des lignes impitoyables et des souvenirs en béton.
Pour le rassurer, je l'avais conduit dans la zone « maudite ». Il avait été stupéfait de l'urbanisation de Palavas et Carnon. Et, sortant de voiture au bord d'un étang, il avait pris une spectaculaire inspiration et humé l'air avant de s'exclamer en riant :
 -  « Eh oui. c'est vrai ! Tiens, à cet instant, je crois aux miracles !

Jean-Louis VILLET


Le Film Français - revue spécialisée de cinéma
n°2065 - 29 novembre 1985 - p.24

Informations professionnelles - Décès

René Barjavel est mort le 25 novembre dernier à Paris des suites d'une crise cardiaque. Il était âgé de 74 ans. Né à Nyons dans le sud de la France, ce fils de boulanger avait travaillé avec son père à la boulangerie, tout en faisant ses études. Après son baccalauréat il avait entrepris de travailler pour gagner sa vie. Expérimentant différents métiers (surveillant dans un collège, professeur privé, employé de banque, acteur, conférencier, démarcheur...). Débutant à 18 ans comme journaliste dans un quotidient de province, à Moulins (Allier), il y apprendra son métier en tentant successivement toutes les rubriques, sauf celle de la politique. Au début de 1940 il avait fondé en zone non occupée un hebdomadaire pour les étudiants, où il fit débuter entre autres, François Chalais, Yvan Christ, Henri-François Rey, etc.
En an plus tard, il publiera son premier roman qui inagurera toute une série d'œuvres de science-fiction, et outre ses œuvres de science-fiction, Barjavel avait écrit plusieurs romans, essais et nouvelles, et collaboré à de nombreux films comme dialoguiste, en particulier la série des Don Camillo.
Principaux films : Nuits andalouses, Le mouton à cinq pattes, Till l'espiègle, Les misérables, Le diable et les dix commandements, Les chemins de Katmandou, etc...


Le Technicien du film et de la vidéo - revue spécialisée de cinéma (mensuelle)
n°342 - 15 décembre 1985 - p.51

Le carnet du mois - Décès

RENÉ BARJAVEL, emporté par une crise cardiaque à l'âge de 74 ans, était né à Nyons dans le midi de la France. Il avait exercé tous les métiers, à commencer par celui de son père, boulanger, avant de débuter à 18 ans dans un quotidien de province où il devait expérimenter toutes les rubriques, sauf la politique. On le retrouvera en 1935 chef de fabrication chez Denoël, puis rédacteur à "Gringoire" et "Je suis partout", et enfin à "Carrefour" où il est critique dramatique après la guerre. Sa carrière de romancier débute avec "Ravage" (1943) qui fera de lui le premier auteur français de science-fiction. Suivront d'autres ouvrages du même genre dont "Le voyageur imprudent". Mais "Ravage" sera vendu à un million d'exmplaires et Barjavel ne retrouvera jamais un succès pareil. Ses souvenirs d'enfance "La charrette bleue", publiés en 1980, atteindront tout de même le tirage confortable de 200  000 exemplaires.
Ses chroniques au "Journal du dimanche" ne nous ferons pas oubliés (sic) que Barjavel fut aussi un des scénaristes français les plus fertiles, qu'il ait adapté ses propres œuvres ("Les chemins de Katmandou") ou celles des autres : la série fameuse des "Don Camillo", "Till l'espiègle", "Chair de poule", "Le mouton à cinq pattes" ou "La grande vie".
Barjavel avait publié cette année son premier roman policier "La peau de César".


Phosphore - magazine lycéen - janvier 1986

RENÉ BARJAVEL

La SF grand public

René Barjavel nous a quitté fin novembre. Même si les fans « purs et durs » ne l'appréciaient que modérément, Barjavel était sans nul doute l'écrivain français de science-fiction le plus connu du grand public. Ravage (Folio), son premier roman paru en 1943, fait partie de ces quelques rares livres de S.-F. à avoir le redoutable honneur d'être décortiqués en cours de français. On en connait le thème : l'écroulement de notre civilisation suite à la disparition de l'électricité et le retour à la terre effectué par une petite communauté (écologie avant la lettre ou influence pétainiste ?). Barjavel fut l'un des premiers à parler de paradoxes temporel, en 1944 dans Le voyageur imprudent (Folio) : Au siège de Toulon, Pierre Saint-Menoux - voyageur temporel de son état - en voulant tuer Bonaprte, tue son ancêtre. « Donc il n'existe pas. Donc il n'a pas tué son ancêtre. Donc il exsite. Donc il a tué son ancêtre. Donc il n'existe pas... » Et puis surtout, comment oublier ce très grand roman qu'est La nuit des temps (Presses-Pocket), l'histoire du couple Éléa et Païka, seuls survivants d'une civilisation disparue, que des scientifiques découvrent en hibernation sous les glaces polaires

Denis Guiot


FICTION - revue spécialisée S.-F. mensuelle - janvier 1986

IN MEMORIAM RENÉ BARJAVEL

Dimanche 24 novembre 1985, René BARJAVEL a quitté notre monde de désaxés, dont il avait tant de fois dénoncé la folie et l'étroitesse d'esprit. Frappé par une crise cardiaque dans le restaurant où i! dînait, il est décédé dans la soirée à l'hôpitai Cochin. Il avait 74 ans et quarante ans de carrière littéraire derrière lui.
Quand mon épouse me téléphona le lendemain matin à FR3 Bordeaux pour m'apprendre sa mort, je fus atterré. Nous admirions tous deux cet homme généreux, chaleureux et humaniste avec qui nous correspondions et que nous avions eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises. La dernière fois, ce fut en février 1982, à son domicile parisien. René BARJAVEL y vivait sereinement et y écrivait ses livres sur son bureau taillé dans un tronc de chêne, devant son soc de charrue en provenance de son pays natal. Septuagénaire, il écrivait tranquillement et publiait un livre par an. Lors de notre dernière visite, il se préparait à s'enfermer pendant trois mois dans son havre de paix pour rédiger La Tempête, dont il nous envoya ensuite un exemplaire dédicacé.
Cet ouvrage, tout comme Ravage, Le voyageur imprudent, Le Diable l'emporte ou La nuit des temps, dévoilait la blessure morale reçue par René BARJAVEL lors de la défaite et l'exode de 1940 ; blessure dont l'écrivain ne s'était jamais remis et qui l'avait marqué à vie. Dès qu'il écrivait, sa plume dérivait inconsciemment vers cette obsession : le mythe du paradis perdu par l'utilisation de la Connaissance, alors que la bête humaine n'avait pas encore acquis la sagesse indispensable pour pouvoir en user sans risque suicidaire.
Pour René BARJAVEL le monde des valeurs paysannes ancestrales de son enfance s'était effondré dans le chaos, la honte et l'humiliation de la capitulation de 1940. Ecrasé par la force mécanique (DE GAULLE dixit), son pays n'avait rien à attendre de la science ni de la technique fourvoyées dans le Mal par les humains. Il n'entrevoyait que des avenirs infernaux où la science favoriserait l'exploitation de l'homme par l'homme.
La découverte ultérieure des camps de la mort devait le conforter dans cette idée.
Comme quarante millions de Français vivant à cette époque, René BARJAVEL avait approuvé l'armistice de 1940 et entrepris de gagner une vie si difficile alors, durant laquelle le principal souci du quotidien était de trouver de quoi manger et nourrir les siens. Cette réalité pragmatique fut volontairement gommée quatre ans plus tard par tout un peuple qui voulait en même temps effacer l'humiliation et la misère d'une défaite due à la naïveté de son humanisme. Il travailla donc pour Je suis partout... Cet emploi et le manifeste qu'il signa à la Libération pour tenter de faire gracier Robert BRASILLACH lui valurent l'hostilité de bon nombre d'intellectuels pendant plusieurs décennies. J'en ai même rencontré un qui lui vouait encore de la haine en 1982. Lui aussi est mort à présent. Un même aboutissement les réunit... Pourtant René BARJAVEL avait agi par bonté, pour le triomphe de la vie contre la folie meurtrière des humains.
Car René BARJAVEL était un homme bon. On ne le dira jamais assez. Un homme qui dénonça toujours toutes les formes d'hystéries sanguinaires. Témoin de la libération de Paris, il analysa objectivement les nécessités et les lâchetés de la bassesse humaine, le pseudo-héroïsme des forts contre les faibles et l'opportunisme politique.
René BARJAVEL fut encore le témoin omniprésent des événements de mai 68, durant lesquels, paradoxalement, des jeunes qui se voulaient révolutionnaires défendirent les « valeurs pétainistes » du retour à la terre ! Ironie de l'histoire humaine... Sa plume dénonça une nouvelle fois les idéologies suicidaires qu'il symbolisa dans son merveilleux livre Les chemins de Katmandou : un ouvrage dont on devrait, à mon avis, inclure l'étude dans tous les programmes scolaires. Il y démontrait l'échec d'une société croyant au paradis par l'égalité au niveau du plus bas et par les jouissances autodestructrices dues aux drogues.
René BARJAVEL a aussi amusé toute une génération en rédigeant les dialogues des films de la série des Don Camillo. Il m'avait avoué qu'il n'aurait jamais pensé que ces films eussent un tel retentissement et qu'il serait dépassé par ce succès.
Mais René BARJAVEL était également un grand auteur de science-fiction. Il débuta son œuvre par Ravage et Le voyageur imprudent : deux romans qui s'inscrivaient dans ce genre il apporta l'excellence de son style très classique. Francis CARSAC me disait de lui que c'était l'auteur français de SF qui écrivait le mieux, dans le plus beau style. Je partage cette opinion que n'ont cessé de renforcer des chefs-d'œuvre de la SF comme La nuit des temps Le grand secret. Une anecdote à propos du Grand secret dont les fictions s'imbriquent si bien dans les événements réels : certaines personnes voulurent absolument croire en la réalité des causes merveilleuses, mais hélas fictives, qui déterminèrent la conjuration du Grand Secret ! C'était oublier que René BARJAVEL avait aussi écrit de savoureuses chroniques, réparties entre les années 60 et 70, qui lui furent de bonnes sources d'inspiration.
René BARJAVEL possédait un tel sens poétique qu'il écrivit des livres dans lesquels le merveilleux traditionnel, modernisé par sa plume, devenait crédible le temps d'une lecture. Son cycle des Dames de ta Licorne, en duo avec Olenka DE VEER, est un enchantement ; et dans un autre roman, précisément intitulé l'enchanteur, on voit une fois de plus la machine de guerre de la barbarie humaine détruire un paradis perdu et oublié. Il termine sa vie en écrivant et publiant un savoureux polar : La peau de César.
Je tiens encore à répéter que René BARJAVEL était un exemple de bonté. Lorsque fut réédité son Journal d'un homme simple, il s'opposa à la publication du dernier chapitre de cet ouvrage initialement paru en 1951, afin de ne pas effrayer ses lecteurs par une vision d'un possible trop pessimiste situé à la fin de ce siècle. Il avait été choqué par l'exploitation éhontée des « prophéties de Nostradamus », et il ne voulait pas accroître l'angoisse de ses contemporains. Je possède un exemplaire de cette première édition. Le chapitre en question, trop possible, me donne froid dans le dos...
Tous les ouvrages de René BARJAVEL figurent dans ma bibliothèque, y compris le rarissime et clairvoyant Cinéma total publié quand les chars de LECLERC roulaient vers Paris. J'aime relire ses œuvres dont la valeur s'accroît à mesure que le temps leur donne du recul. Son style issu d'une solide base culturelle est imprégnié d'un humour d'une finesse exceptionnelle, dans lequel le bon sens paysan s'associe au don d'adaptation du citadin.
René BARJAVEL évoquait souvent Nyons où il naquit en 1911 ; pourtant, observateur désabusé et amusé de la vie urbaine, il préférait demeurer à Paris pour rester un extraordinaire témoin de notre temps.
Je voudrais conclure sur un article qu'il écrivit récemment pour les anthologistes de Chat plume : un ouvrage racontant les réalisations de soixante écrivains avec leurs chats. Dans le chapitre consacré à son amitié avec le félin Chafou, il lui demande souvent : - Qui donc es-tu ?... Car pour René BARJAVEL, dans ta mystérieuse personnalité d'un chat se cache la discrète réincarnation d'un ami connu.
Adieu, cher René BARJAVEL. Et maintenant, dans quel chat d'écrivain êtes-vous donc ?

Bordeaux, le 1er janvier 1986

Pierre Bameul

Si vous disposez d'autres articles parus en décembre 1985 ou début 1986 à propos de la disparition de René Barjavel, vous pouvez m'en faire part afin que ce dossier soit complété. Merci de me contacter par e-mail :