BARJAVEL se fâche

dans la revue Chiens 2000 n°48 - octobre 1980

La revue CHIENS 2000 n°48 - octobre 1980

Comme tous ceux qui s'efforcent de sauver les animaux abandonnés, René Barjavel, romancier, polémiste, homme de radio, de télévision, et journaliste, reçoit des lettres indignées, parfois franchement injurieuses de ceux qui ne supportent pas les chiens.
Toutes ces missives disent en substance : « Comment osez-vous vous occuper d'animaux, demander des secours, alors que des enfants meurent de faim ? ».
Des lettres de même inspiration ont submergé les services de la Campagne de la Propreté de Paris quelques jours après son lancement.
« Des enfants qui meurent... » ces reproches, ces évocations, culpabilisent ceux qui ne pensent pas à demander à ces censeurs ce qu'ils font, eux, pour ces martyrs, pour toutes ces victimes des calamités qui s'abattent sur notre terre. A cette question, personne ne nous a répondu : « J'envoie des chèques. J'offre quelques heures de mes loisirs à une organisation philanthropique ».
En réalité, on se défend contre les chiens parce qu'ils font du bruit. Qu'ils dérangent l'harmonie des appartements. Qu'ils s'oublient sur les trottoirs. Qu'il faut les soigner, les nourrir




C'est cela qu'a dit René Barjavel, au cours d'une récente interview radiophonique. Interview trop courte, qu'il a accepté de continuer, à son domicile du quartier des Invalides.
Cheveux blancs, très courts, veste sport, lunettes d'écaille, René Barjavel s'installe dans son fauteuil et prend feu :

« On nous accuse de préférer nos chiens, aux enfants malheureux. C'est un argument tellement imbécile. Ce n'est pas parce que l'on va laisser un chien crever de faim, ou le faire souffrir, que les petits enfants du Cambodge seront plus heureux. Au contraire, je crois que l'amour, crée l'amour... L'amour que l'on donne aux animaux, à la nature, l'homme finit par en profiter.
Ce qu'il y a de plus horrible, ce sont ces gens incapables d'aimer autre chose qu'eux-mêmes. Comment pourraient-ils donner une parcelle de cet amour à un animal ?
Aimer un chien, cela va de soi. Un chien c'est une bête d'amour... J'ai eu deux chiens dans ma vie. Quand j'ai perdu ma chienne, « Belle », j'ai eu autant de chagrin que si j'avais perdu une personne aimée.
Entre nous, sans aucun doute, il y avait un réel échange d'amour... Par dessus le marché, l'amour que l'on donne à un chien est un amour véritable, parce que désintéressé. On n'en n'attend aucune faveur. Aucun privilège. J'ai reçu des dizaines de lettres d'insultes. Toutes, disaient : « Vous appelez à la compassion pour les chiens sauvés de la vivisection. Quand on pense à ces pauvres enfants qui ont été brûlés au napalm » Mais ça n'a rien à voir. La méchanceté des hommes s'exprime aussi bien contre ses frères, que contre les animaux... »
 
ce sexisme absurde

Avez-vous remarqué, René Barjavel, que lorsqu'un homme parle de son chien avec tendresse, on en fait un homme sensible ? Mais quand c'est une femme qui dit la même chose, elle devient une mémère à chiens, à chats ?

Barjavel se redresse et tonne :

« C'est grotesque. Il y a en France un nombre considérable de femmes qui recueillent et soignent des animaux perdus ou abandonnés. Elles leur sacrifient toutes leurs ressources et sont en butte aux protestations des voisins : leurs protégés font du bruit, sentent mauvais...
Je trouve ça abominable. J'ai demandé du secours pour une femme qui m'a appelé à l'aide. Elle a reçu un peu d'argent des lecteurs de mon journal. Mais elle a été haïe, aussi, par ceux qui pensaient : « comment, on lui envoie de l'argent, à elle, alors que moi, je n'arrive pas à payer les traites de ma voiture... »

N'avez-vous pas découvert des gens exceptionnels grâce aux animaux ?

Ici un grand sourire. René Barjavel se détend :

En réalité, cette petite chienne teckel
s'appellait Paméla
« Belle » la passion animale de Barjavel*.
Une photo qui ne quitte pas la table de
travail de l'auteur de « La Charrette
bleue ».
 

«Oui, j'ai connu Paul Millot, dans les Vosges. C'est maintenant un ami de longue date. Depuis plus de 10 ans, il a consacré sa vie aux bêtes abandonnées. Il les recueille, les soigne, les requinque. les place chez des particuliers, après avoir enquêté. Parce qu'il ne les donne pas à n'importe qui. II vient d'acheter un fortin, de la ligne Maginot, qu'il a transformé en refuge pour les vieilles chiennes qu'il appelle « ses retraitées ». On lui a signalé un jour, le cas extraordinaire d'un caniche de 9 ans, qui n'avait jamais été ni peigné ni toiletté. Le pauvre vivait dans ses excréments. Il n'était pas maltraité, mangeait à sa faim. Mais la vieille femme qui l'avait eu tout petit, ne savait pas qu'il fallait donner beaucoup de soins à un caniche. Paul Millot a pris des photos de ce malheureux chien, avant et après la tonte. Le sac aussi haut que lui, qui se trouve à ses côtés, ce sont ses poils. Mon ami s'est installé en pleine campagne, avec sa femme et son fils, qui l'aident dans cette œuvre. Millot est un homme heureux, une force de la nature, débordant de vitalité et d'amour. Rien, ni personne ne lui résiste, il s'est fait des ennemis bien-sûr. Mais ils n'ont pas osé lui porter tort. Je m'efforce de l'aider. Pour moi, Paul Millot est une espèce de François d'Assise ».

René Barjavel souffre beaucoup de ne plus avoir de chien près de lui.

« Maintenant, je suis seul dans cet appartement, explique-t-il. Je dois m'absenter souvent. Il serait très égoïste de ma part, de vivre avec un chien, que je devrais condamner à la solitude. A la tristesse, aux pleurs, comme celui de mes voisins. On ne mesure pas toujours les obligations que créent un animal. Cette méconnaissance provoque des abandons. C'est atroce d'abandonner un chien, un chat. C'est comme si on abandonnait un enfant. Voyez-vous, la clé de tous les problèmes, c'est l'amour. L'amour peut résoudre tous les problèmes : familiaux, sociaux, internationaux. Si on repousse la haine, au profit de l'amour, il n'y a plus aucun problème. Et je crois que l'on peut apprendre l'amour, en aimant les animaux ».

Propos recueillis par
Jacqueline DELRIEU


  Note : la petite chienne teckel sur la photo s'appelait en réalité Paméla. La chienne Belle était un caniche, que Barjavel avait eu auparavant.