Comme tous ceux qui s'efforcent de sauver les animaux abandonnés, René Barjavel, romancier, polémiste, homme de radio,
de télévision, et journaliste, reçoit des lettres indignées, parfois franchement injurieuses de ceux qui ne supportent
pas les chiens. Toutes ces missives disent en substance : « Comment osez-vous vous occuper d'animaux,
demander des secours, alors que des enfants meurent de faim ? ». Des lettres de même inspiration ont
submergé les services de la Campagne de la Propreté de Paris quelques jours après son lancement. « Des enfants
qui meurent... » ces reproches, ces évocations, culpabilisent ceux qui ne pensent pas à demander à ces censeurs
ce qu'ils font, eux, pour ces martyrs, pour toutes ces victimes des calamités qui s'abattent sur notre terre. A cette
question, personne ne nous a répondu : « J'envoie des chèques. J'offre quelques heures de mes loisirs
à une organisation philanthropique ». En réalité, on se défend contre les chiens parce qu'ils font du bruit.
Qu'ils dérangent l'harmonie des appartements. Qu'ils s'oublient sur les trottoirs. Qu'il faut les soigner, les nourrir
C'est cela qu'a dit René Barjavel, au cours d'une récente interview radiophonique.
Interview trop courte, qu'il a accepté de continuer, à son domicile du quartier des Invalides.
Cheveux blancs, très courts, veste sport, lunettes d'écaille, René Barjavel s'installe dans son fauteuil et prend feu :
« On nous accuse de préférer nos chiens, aux enfants malheureux. C'est un argument
tellement imbécile. Ce n'est pas parce que l'on va laisser un chien crever de faim, ou le faire souffrir, que les petits
enfants du Cambodge seront plus heureux. Au contraire, je crois que l'amour, crée l'amour... L'amour que l'on donne aux
animaux, à la nature, l'homme finit par en profiter.
Ce qu'il y a de plus horrible, ce sont ces gens incapables d'aimer autre chose
qu'eux-mêmes. Comment pourraient-ils donner une parcelle de cet amour à un animal ?
Aimer un chien, cela va de soi. Un chien c'est une bête d'amour... J'ai eu deux chiens dans ma vie. Quand j'ai perdu
ma chienne, « Belle », j'ai eu autant de chagrin que si j'avais perdu une personne aimée.
Entre nous, sans aucun doute, il y avait un réel échange d'amour...
Par dessus le marché, l'amour que l'on donne à un chien est un amour véritable,
parce que désintéressé. On n'en n'attend aucune faveur. Aucun privilège. J'ai reçu des dizaines de lettres d'insultes.
Toutes, disaient : « Vous appelez à la compassion pour les chiens sauvés de la vivisection. Quand on pense à ces pauvres
enfants qui ont été brûlés au napalm » Mais ça n'a rien à voir. La méchanceté des hommes s'exprime aussi bien contre
ses frères, que contre les animaux... »
ce sexisme absurde
Avez-vous remarqué, René Barjavel, que lorsqu'un homme parle de son chien avec tendresse, on en fait un
homme sensible ? Mais quand c'est une femme qui dit la même chose, elle devient une mémère à chiens, à chats ?
Barjavel se redresse et tonne :
« C'est grotesque. Il y a en France un nombre considérable de femmes qui recueillent et soignent des
animaux perdus ou abandonnés. Elles leur sacrifient toutes leurs ressources et sont en butte aux protestations des voisins :
leurs protégés font du bruit, sentent mauvais...
Je trouve ça abominable. J'ai demandé du secours pour une femme qui m'a appelé à
l'aide. Elle a reçu un peu d'argent des lecteurs de mon journal. Mais elle a été haïe,
aussi, par ceux qui pensaient : « comment, on lui envoie de l'argent, à elle, alors que
moi, je n'arrive pas à payer les traites de ma voiture... »
N'avez-vous pas découvert des gens exceptionnels grâce aux animaux ?
Ici un grand sourire. René Barjavel se détend :
« Belle » la passion animale de Barjavel*. Une photo qui ne quitte pas la table
de travail de l'auteur de « La Charrette bleue ».
«Oui, j'ai connu Paul Millot, dans les Vosges. C'est maintenant un ami de longue
date. Depuis plus de 10 ans, il a consacré sa vie aux bêtes abandonnées. Il les recueille, les soigne, les requinque.
les place chez des particuliers, après avoir enquêté. Parce qu'il ne les donne pas à n'importe qui. II vient d'acheter
un fortin, de la ligne Maginot, qu'il a transformé en refuge pour les vieilles chiennes qu'il appelle « ses retraitées ».
On lui a signalé un jour, le cas extraordinaire d'un caniche de 9 ans, qui n'avait jamais été ni peigné ni toiletté. Le pauvre
vivait dans ses excréments. Il n'était pas maltraité, mangeait à sa faim. Mais la vieille femme qui l'avait eu tout petit,
ne savait pas qu'il fallait donner beaucoup de soins à un caniche. Paul Millot a pris des photos de ce
malheureux chien, avant et après la tonte. Le sac aussi haut que lui, qui se trouve à ses
côtés, ce sont ses poils. Mon ami s'est installé en pleine campagne, avec sa femme
et son fils, qui l'aident dans cette œuvre. Millot est un homme heureux, une force de
la nature, débordant de vitalité et d'amour. Rien, ni personne ne lui résiste, il s'est fait
des ennemis bien-sûr. Mais ils n'ont pas osé lui porter tort. Je m'efforce de l'aider. Pour
moi, Paul Millot est une espèce de François d'Assise ».
René Barjavel souffre beaucoup de ne plus avoir de chien près de lui.
« Maintenant, je suis seul dans cet appartement, explique-t-il. Je dois m'absenter
souvent. Il serait très égoïste de ma part, de vivre avec un chien, que je devrais condamner à la solitude.
A la tristesse, aux pleurs, comme celui de mes voisins. On ne mesure pas toujours les obligations que
créent un animal. Cette méconnaissance provoque des abandons. C'est atroce d'abandonner un chien, un chat. C'est comme
si on abandonnait un enfant. Voyez-vous, la clé de tous les problèmes, c'est l'amour. L'amour peut résoudre tous
les problèmes : familiaux, sociaux, internationaux. Si on repousse la haine, au profit de l'amour, il n'y a plus
aucun problème. Et je crois que l'on peut apprendre l'amour, en aimant les animaux ».
Propos recueillis par Jacqueline DELRIEU
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