Dossier de « Colomb de la lune »
Édition Rombaldi

(interview réalisée par Laurence Paton)

 

. Avec Le Voyageur imprudent et Ravage, publiés en 1943, vous avez introduit la science-fiction en France à une époque ou elle était totalement méconnue. Vous considérez vous essentiellement comme un auteur de science-fiction ?

Quand l'ai écrit mes premiers romans, on ignorait totalement en France - et moi le premier - l'expression science-fiction. C'est une association de mots crée aux USA et au temps de Ravage et du Voyageur imprudent (1942-43), nous étions, en France , complètement coupés des États unis par l'occupation allemande. Rien n'avait été traduit de l'immense production américaine dans ce domaine. Personnellement, j'étais nourri de Wells et de Jules Verne, mais je ne connaissais absolument rien de la "science-fiction", ni du mot, ni de la chose. Je qualifiais mes livres de "romans extraordinaires", pour préciser qu'ils étaient différents de la tradition classique du roman et aussi en hommage à Jules Verne qui avait nourri mon enfance et qui intitulait ses livres "voyages extraordinaires"

Quand, après la guerre, la mode, les revues et les collections de science-fiction ont rendu populaires les chefs-d'oeuvre de Van Vogt, Asimov, Damon Knight et autres grands américains, on m'a catalogué auteur de science-fiction...

Je veux bien... Et pourtant...

Ce qui me met, je crois, en marge de la science-fiction, c'est qu'on ne trouve jamais dans mes livres de monstres extravagants ou d'extra-terrestres. Mes personnages sont toujours des êtres humains. C'est le sort de l'homme, de l'espèce humaine, qui est mon souci. Je me qualifierais plutôt de fabuliste. Mes romans sont des fables dont on peut tirer une moralité. Non pas une morale, c'est à dire une règle de vie, mais bien une moralité, c'est à dire, un conseil pratique.

. Que pensez vous de l'engouement actuel pour cette nouvelle littérature ? En êtes-vous vous-même un inconditionnel ?

Je me réjouis de ce goût du public - et surtout du jeune public, pour la science-fiction. Le roman traditionnel est bout de souffle. Les petites coliques sentimentalo-érotique du couple ou du "groupe" n'offrent qu'un intérêt étriqué : les drames familiaux ou sociaux, nous y sommes plongés jusqu'au cou chaque jour, nous n'avons pas envie de les retrouver dans les livres. La science-fiction apporte des voies nouvelles vers des horizons sans limites. Ce n'est pas un genre littéraire nouveau, c'est une littérature qui comprend tous les genres : lyrique, dramatique, psychologique, philosophie, épique, etc. Naturellement il y a du bon et du mauvais, comme dans la littérature classique, il y a du roman populaire et du roman de grande qualité, et beaucoup de livres moyens, mais qui ont tous quelque chose de nouveau que ne nous apportent plus les livres traditionnels, sauf lorsqu'ils sont exceptionnels.

Pour ma part je ne lis presque plus que de la science-fiction. Et je suis persuadé que si Balzac et Victor Hugo étaient nos contemporains, ils seraient des auteurs de science-fiction.

. Dans l'ensemble de votre oeuvre, comment situez vous Colomb de la lune ?

Colomb de la lune est celui de tous mes romans que je préfère. Je l'ai écrit avec délectation et je lui garde une grande tendresse. C'est le seul que je relise de temps en temps, comme s'il n'était pas de moi, et pourtant c'est celui qui me ressemble le plus. Sous son humour j'ai mis tout ce que je crois, tout ce que je pense. Il y a là tout mon pessimisme et tout mon optimisme, mon amour pour l'homme et mon amour de la femme, et mon admiration et ma stupéfaction devant le grand courant de la vie qui continue son chemin et se débrouille toujours pour faire venir au monde des enfants qui la porteront plus loin ?

Et si je me rends compte, une fois de plus, qu'il est bien difficile à un homme et à une femme de s'entendre, je n'en fais pas une tragédie. L'humour permet de remettre chaque chose à sa place, avec son importance relative , et de ne pas se perdre dans la gravité et la sinistrose, tout en restant sérieux…

. Colomb de la lune est dédié à votre grand-père paysan. Ce goût de la simplicité et du naturel qui transparaît dans ce livre, le tenez-vous de vos origines ?

Oui, c'est certain. Je suis un paysan déraciné et qui ne peut pas se replanter dans la terre de ses origines. On ne redevient pas paysan. Depuis Ravage et Colomb de la lune, j'ai vu de nombreux couples de jeunes partir s'installer à la campagne pour retrouver cette simplicité et ce naturel. Ce furent presque toujours des échecs. Tout ce qu'ils parvenaient à produire, c'est du fromage de chèvre, parce que la chèvre est un animal rustique, solide, qui s'élève tout seul ne demande pas de soin et résiste à tout. Mais des qu'on passe au mouton, ça devient le désastre…

. Cosmonaute rêveur, Colomb de la lune, dans ce voyage-parodie des missions Apollo, ne découvrira pas de nouveaux continents, comme son homonyme, mais s'enfoncera dans les profondeurs de son imagination. Serait-ce que l'exploration intérieure est le seul voyage qui vaille la peine d'être entrepris ?

Nous avons tous une princesse de rêve dans le coeur. Elle est introuvable sur la Terre, et même sur la Lune. Il faut s'enfoncer jusqu'au centre de l'astre, c'est çà dire de soi-même, pour enfin la rencontrer. Cette princesse, c'est la sagesse, c'est la Vérité, c'est la connaissance. Oui, elle est au bout du voyage intérieur, et quand on l'a rencontrée on possède la Terre, la Lune, l'Univers. C'est un voyage très difficile. Beaucoup le commencent. Peu le terminent. Moi je piétine…

. Votre héros ressemble à s'y méprendre à un Pierrot lunaire, remis au goût du jour. Qu'est ce qui vous fascine dans ce personnage de pantomime ?

Colomb, comme son frère Pierrot, est en marge des réalités quotidiennes. Il ne peut pas s'y intégrer. S'il s'en approche il est blessé. Il doit se mettre à l'abri dans l'œuf du rêve, comme Pierrot se peint en blanc pour devenir irréel et se confondre avec la lumière. Pierrot, Colomb, je les aime parce qu'ils sont mes demi-frères, ils sont la part de moi-même qui est bousculée et blessée par la réalité quotidienne. C'est un peu moi que j'ai enfermé dans l'œuf en voyage vers la lune. Cet œuf, c'est également, bien sur, le souvenir mélancolique de l'enfance, la nostalgie de la pré-naissance, du monde tiède, à l'abri, merveilleux, du ventre maternel dont nous avons brisé la coquille pou venir au monde…

. Considérez vous Colomb de la lune comme un roman de science-fiction ?

Oui et non... Pas plus que Le Voyageur imprudent mais autant. D'ailleurs Colomb et Saint Menoux, le Voyageur, se ressemblent. Ils sont cousins, partis tous les deux vers l'impossible et disparus l'un et l'autre entre la réalité et l'irréel. Colomb de la lune est un conte, un roman, un poème ; c'est une histoire que je me suis racontée à moi même pour me faire sourire, un rêve que je me suis fabriqué pour décourager les cauchemars...