Dossier de « La Tempête »
Édition Le Tallandier

René Barjavel
et la molécule d'amour


En sommes-nous déjà à l'âge qui suivra La Tempête ? On le dirait à voir, dans le quartier où habite René Barjavel, à proximité de l'Unesco, ces larges avenues désertes. Pierre de taille, verre et acier, et au-dessous des antennes de télévision, bouches d'aération, de ventilation, d'évacuation... la dent acérée d'un clocher. Dans le square, les premiers tourbillons de feuilles mortes effleurent le sol avec un bruit de papier froissé. Ce matin, on a aperçu le soleil pendant cinq minutes au-dessus de Madagascar. Faudra-t-il bientôt allumer aux carrefours de nos villes de grands feux où l'on brûlera tous les livres ? Le devrait-on que la grande pièce où nous reçoit René Barjavel resterait longtemps une caverne d'Ali Baba. Des livres s'y amoncellent, véritable trésor de paix, de sérénité, de curiosité, dernier refuge de la raison. Ici l'on croit et l'on professe que l'homme finira par abandonner tous ses gadgets, pour retrouver l'odeur des livres, le toucher de la table à laquelle on est assis. Ici les chats peuvent encore s'étirer d'aise au fond d'un fauteuil moelleux. Les chats ont l'éternité devant eux. Nous aussi, d'une façon ou d'une autre. Barjavel a su nous en convaincre...


AVEC
L'HUMOUR
EN PLUS


Lorsqu'a paru la Charrette bleue, vous disiez ne pas vouloir abandonner le genre de romans que le public attend de vous. La Tempête en fait-elle partie ?
- Mon nouveau roman se situe exactement dans la ligne de Ravage, qui fut le premier. C'est ce qu'on appellerait aujourd'hui un roman-catastrophe, avec en plus, une bonne dose d'humour. Cela me semble nécessaire pour faire passer les choses terribles qui constituent la réalité d'aujourd'hui.
- Comment percevez-vous votre public ? Quelles relations avez-vous avec lui ?
- Je reçois beaucoup de courrier, je fais des signatures, et c'est dans les comités d'entreprise que j'ai le contact le plus intéressant. J'y rencontre aussi bien des gens qui ne savent pas qui je suis, que des fanatiques de mes romans et cela m'est très précieux. La rencontre des jeunes lecteurs aussi. Deux ou trois de mes livres sont étudiés en classe, Ravage, justement, la Nuit des temps, parfois les Chemins de Katmandou, et au moins dix fois dans l'année, des lycéens me demandent de venir discuter avec eux. Ils me découvrent grâce aux éditions de « poche ». A part cela, ma clientèle se recrute parmi les cadres moyens, les professions libérales, avec une majorité de femmes. Ce sont plutôt les histoires d'amour qui les intéressent. Or il y a toujours une histoire d'amour dans mes romans. Les hommes en revanche s'attachent davantage au côté technique, scientifique, prophétique de mes livres.
- Sont-ils surtout des lecteurs de science- fiction ?
- Non. Il y en a, mais les vrais amateurs de science-fiction me considèrent avec une certaine méfiance. Je m'écarte souvent de ce genre. Vous ne rencontrerez jamais chez moi d'extra-terrestres à grosses têtes vertes ou de robots.


La rencontre des jeunes lecteurs aussi m'est précieuse

Pour moi, le personnage, c'est l'homme, l'espèce humaine. Un de mes romans a été publié dans une collection de science-fiction. Il n'a jamais atteint le tirage de mes autres romans, mais dans cette collection, c'est un des best-sellers.
- Reniez-vous, l'étiquette d'écrivain de science-fiction ?
- Non. J'ai commencé en publiant sous le titre de « roman extraordinaire ». À l'époque de Ravage, l'expression de science-fiction était ignorée en France. C'était l'Occupation et nous nous trouvions totalement coupés de l'immense production-américaine qui était déjà très importante. Cette expression n'a fait son apparition en France qu'avec la fameuse collection du « Rayon Fantastique » de chez Hachette/Gallimard.
- Que pensez-vous de la science-fiction actuelle ?


EXPRESSION
NOUVELLE

ÉPOQUE
ÉPIQUE

- Le cinéma est en train de lui donner sa véritable dimension. Elle était jusqu'à maintenant considérée avec un mépris anivisé par l'intelligentzia littéraire. On ne la juge, en fait, que sur ses mauvais titres, et sur des collections populaires. Dans le roman traditionnel aussi, il y a. des collections populaires et des rnauvais livres. Je considère la science-fiction, non pas comme un genre littéraire, mais comme une nouvelle littérature. Elle comprend tous les genres : il y a, par exemple, une science-fiction historique très à la mode aujourd'hui. On fait de la science-fiction moyenâgeuse, satirique, épique, lyrique, politique. Elle a ceci de différent de la plupart des romans qll'elle ne se borne pas à l'étude des petites coliques sentimentalo-érotiques du couple, du trio... ou du groupe. Que ce soit chez un bon écrivain ou chez un écrivain médiocre, le personnage principal, c'est l'espèce humaine. Que sornmes-nous en train de devenir ? Voilà le problème.
- Dans les films de science-fiction qui sortent actuellement, le décor prend une importance telle qu'il finit par manger le scénario...

- Le cinéma est un spectacle, et le cinéma français l'a trop oublié. En regardant la télévision, je peux compter le nombre de fois où l'on voit quelqu'un ouvrir ou fermer une porte, descendre ou monter un escalier, entrer dans une pièce, en sortir, etc... on a oublié qu'il faut d'abord faire du spectacle. Les metteurs en scène de science-fiction s'en donnet en ce moment à-cceur-joie. Mais cela va passer. Cette explosion correspond à l'étape épique de la S.F. : je pense à Burroughs, Van Vogt, Azimov, à toutes ces grandes épopées cosmiques... Le cinéma est en train de faire la même chose : la Guerre des étoiles en est un exemple. Des personnages du XIXème siècle sont égarés dans des décors futuristes.


On fait dela science-fiction moyenâgeuse...

DES BOMBES
AU-DESSUS DE
NOS TÊTES

Mais tous ces décors et le côté spectaculaire de ces films vont donner au public le goût de cette littérature. Il faudrait évidemment que les auteurs répondent à une telle demande. Malheureusement en France, les bons écrivains ne veulent pas s'intéresser à ce genre. Merle, Gary et quelques autres ont fait de grands romans de science-fiction. Mais la plupart de ceux qui s'y sont adonnés étaient de petits jeunes gens, des débutants qui s'imaginaient pouvoir écrire n'importe quoi n'importe comment, pour la seule raison qu'ils se situaient en dehors du roman traditionnel. Cela a fait un tort immense à la science-fiction française.
- Dans la Tempête, vous envisagez le péril atomique - c'est plutôt de la politique-fiction - mais cela ne reste-t-il pas un peu abstrait ?
- Ce n'est pas un problème dont on puisse parler d'une façon tranquille, normale. II faut soit en parler avec fureur, soit en montrer la vérité, la faire supporter aux gens avec cet humour qui permet d'avaler la pilule. Il faut exagérer et rendre l'exagération presque burlesque. Nous n'en sommes pas encore à. dix-sept mille bombes en orbite, mais cela ne saurait tarder, il y en a qui vont bientôt nous tourner au-dessus de la tête.
- Mais si la Paix universelle survient...
- Les bombes seront toujours là. Si jamais, effectivement, l'on décrétait un désarmement universel, que ferait-on des bombes ? Pour l'instant, elles ne sont pas en l'air, mais il y en a partout, dans les Montagnes Rocheuses, dans l'Oural, et même en France, dans ce merveilleux plateau d'Albion, qui est le pays de Giono.
- La solution qui consiste à les envoyer vers le soleil, est-elle plausible ?
- Il n'y en a pas d'autre à mon avis.


Barjavel et son chat, Toufou

- Et cette Paix universelle, ne serait-elle pas encore un piège tendu à l'humanité ? Ne produit-elle pas une irrémédiable dégradation de la planète ?
- Ces deux situations me paraissent correspondre à deux formes de la déraison collective. Il y a d'une part le génie humain qui produit des individus extraordinaires, et d'autre part, la collectivité qui produit une imbécillité de plus en plus meurtrière et considérable. Regardez où nous serions allés, s'il n'y avait pas eu la crise mondiale, avec cette progression insensée de la production ! En trente ans, l'humanité se serait trouvée devant une terre empoisonnée, d'où les matières premières essentielles auraient disparu.

DEUX FORMES
DE LA
DÉRAISON
COLLECTIVE

UNE MINCE
PELLICULE

Je reviens de Ceylan, où j'ai passé des vacances : c'est loin de tout, il y a cette mer bleue, étale, calme comme nulle part ailleurs. Eh bien ! sur l'eau on aperçoit une petite pellicule de mazout, et il paraît qu'on la trouve même au milieu du Pacifique. Ce que je fais dire à la brave institutrice noire de mon livre est vrai : le plancton est en train de crever ! Et cela pose un problème épouvantable, car c'est le plancton qui fabrique notre oxygène. On est aussi en train de raser les dernières forêts, et la forêt amazonienne elle-même va y passer.

- Alors nous sommes vraiment condamnés à voir arriver sur nos têtes un gros nuage noir ?
- Oui. On peut prévoir le temps où l'on ne verra le soleil que par accident.
- Le seul de vos personnages qui parle le langage de la raison, c'est Olof, le seul aussi qui soit réfractaire aux Love Molécules. En dehors du désir destructeur de ce personnage, il n'y a pas de solution ?
- II en arrive à cette conclusion terrible que l'homme est un être malfaisant, prêt à envahir la galaxie et peut-être le cosmos. Il faut donc le détruire avant. Cela me paraît d'une logique irréfutable. Pourtant, je suis très optimiste. Je crois en l'homme et je l'aime beaucoup. C'est un animal merveilleux, complètement idiot, mais génial en même temps...Je crois qu'un moment viendra où il laissera tomber tous ses gadgets monstrueux. La crise mondiale qui s'amorce dans le monde entier est le début d'un changement. Je vois arriver le moment où l'on sera bien obligé de s'apercevoir des bêtises que l'on est en train de faire, faute de quoi l'on se trouverait confronté à un désastre épouvantable, qui n'aurait pas, bien sûr, la forme que je lui ai donnée dans le livre.
- Le couple-héros de la Tempête se détruit, contrairement au couple rédempteur d'Une Rose au Paradis.


Pour la Place des Vosges, quelle perspective ?

LA MÉMOIRE
DES
PARTICULES

- II se détruit, mais je lui ai trouvé une mort tellement magnifique ! Pour cela je me suis inspiré du livre de Jean Charon : L'Esprit cet inconnu, où il explique que nous sommes constitués d'atomes, eux-mêmes constitués de particules qui elles, sont immortelles. Charon prétend que ces particules ont de la mémoire : non seulement leur propre mémoire, mais une mémoire universelle, parce qu'elles échangent des informations. Cela m'a paru extrêmement réconfortant de penser, que des couples qui avaient connu un amour fou, extraordinaire, allaient continuer à s'aimer pendant l'éternité.

- Il me semblait au contraire que la fuite des deux héros vers le soleil rejoignait le désespoir des héros des Chemins de Katmandou.
- Non, ce n'est pas une mort par désespoir. Il est certain qu'ils ne peuvent plus, au point où ils en sont, retrouver la vie banale, mais cela rejoindrait plutôt un phénomène dont les journaux parlaient beaucoup au temps de ma jeunesse : ces suicides de fiancés japonais qui, au comble du bonheur, allaient se jeter dans le Fujiama. C'est le désir de mourir au moment où le bonheur va devenir immortel, par le fait même de cette mort.
- Vous prêtez un discours fort précis au savant qui a inventé de cette Love Molécule. Comporte-t-il une part de vérité scientifique ?

L'AMOUR
CHEZ
LE CHIEN

- J'ai appris, avec stupéfaction, alors que le livre se trouvait en cours d'impression, que ce que j'avais imaginé, on était en train de le découvrir dans les laboratoires. Les biologistes ont, en effet, isolé une molécule qui supprime l'agressivité et rend aimable. Quant à l'histoire du chien, j'ai toujours proclamé que le seul être vivant qui connaisse l'amour, c'est le chien. Il est tout amour, il se donne entièrement : on a beau lui taper dessus, un chien aime et ne sait faire que ça. Il m'a donc paru normal que l'on trouve la molécule d'amour dans le cerveau du chien.


Ce que j'ai imaginé, on est en train de le découvrir

Ce personnage horrible qui bat le chien, je l'ai appelé Mr.G. On le trouve dans d'autres romans, dans Une Rosé au paradis, dans le Diable l'emporte, dans Colomb de la Lune, c'est celui qui à un moment donné décide de la destinée de l'humanité.
- Mais le génial inventeur de la molécule d'amour parle aussi d'un quatrième cerveau...
- II espère du moins que ce cerveau poussera. Ce que je dis des trois cerveaux est vrai. J'ai beaucoup simplifié, mais nous avons effectivement trois cerveaux, divisés en deux, avec une partie droite et une partie gauche. Il y a d'abord le cerveau du reptile, puis celui du quadrupède, du mammifère, et puis le cerveau de l'homme, le cortex, qu'il est le seul à posséder. Même le dauphin ne l'a pas. Il est probable que l'évolution n'est pas terminée. Mais cela va prendre des millions d'années.

EXCLUSIVITÉ
DU CORTEX
 
 


 
 
PAS
D'ENTROPIE

- Avec cette hypothèse on retrouve un thème cher à la science-fiction, celui des « mutants ».
- Ce qui arrive à la fin est effectivement une mutation. Mais je crois, et il s'agit là d'une conviction personnelle, qu'au départ la première molécule vivante avait déjà des ordres. Je crois que la vie s'est imprégnée dans la matière et lui a donné un élan. Quand une espèce s'est trouvée devant un obstacle, elle a piétiné jusqu'à ce qu'une mutation favorable lui permette de passer par-dessus, ou qu'une mutation néfaste la fasse s'écrouler. Mais je crois à une mutation générale vers le haut, qui est le contraire de la fameuse entropie, de la dégradation de l'énergie. Il y a, en sens contraire, un affinement de cette énergie mentale, de cette énergie spirituelle, qui va d'espèce en espèce. Je ne crois pas du tout, comme Teilhard de Chardin que l'homme est l'aboutissement de l'évolution, avec Jésus-Christ comme point Oméga. Pourquoi l'évolution devrait-elle s'arrêter ?
- La science-fiction représente souvent les mutants comme des êtres dangereux, effrayants, par ce qu'ils ont à la fois d'humain et de surhumain...

UNE PÊCHE
UN PEU PLUS
ROSE

- Les mutations ne sont pas si spectaculaires, en réalité. Les hommes savent provoquer des mutations dans le végétal : on obtient une pêche qui est un peu plus rosé que la pêche précédente, ou un épi de maïs qui aura quelques grains de plus. Les grandes mutations sont de toute façon néfastes et vouées à disparaître. En tout cas, ce n'est pas dans la science-fiction qu'on en trouve les exemples les plus vraisemblables.
- Vivons-nous maintenant ces « temps bénis où les hommes savaient qu'ils étaient heureux » ? Sommes-nous heureux ?

Je crois que la vie s'est imprégnée dans la matière et lui a donné un élan

- Bien sûr ! Bien sûr que vous êtes heureuse, mais vous ne le savez pas ou vous n'y pensez pas. D'abord, si l'on s'en tient au simple point de vue matériel, notre temps est un temps béni. L'homme, et la femme surtout ont été débarrassés de la plupart des travaux répugnants et difficiles. Je pense à ma grand-mère paysanne : la vie qu'elle menait était quelque chose d'épouvantable. Levée avec le soleil, pas une minute de repos dans la journée ! On faisait encore la lessive en ébouillantant le linge ! Les hommes, de leur côté rentraient des champs complètement harassés. Quant aux ouvriers des usines, je ne dis pas que leur sort soit béni aujourd'hui, mais ils travaillent huit heures par jour, cinq jours par semaine, alors que leurs pères travaillaient beaucoup plus et vivaient plus mal.

DES TEMPS
BÉNIS
 
 
 


 
 
 
 
HIC ET NUNC

Aujourd'hui, bien sûr, il y a cet épouvantable fléau qu'est le chômage, mais du temps de mon enfance, un type, qui ne travaillait pas, il crevait ! Nous sommes bien vêtus. A l'époque de mon grand-père, les vêtements faisaient toute la vie, et encore ! certains étaient portés par plusieurs générations. J'ai le souvenir d'une tante paysanne vêtue d'une espèce de robe qui ressemblait à un 'habit d'Arlequin, tellement elle était rapiécée. La pauvreté aujourd'hui en France n'est rien à côté de ce qu'elle fut voici seulement un siècle. Mais au fond, le problème n'est pas seulement là, le bonheur dépend de la façon dont on prend les choses. Le grand bonheur que nous avons et dont personne ne s'aperçoit, c'est d'être vivants, d'être cette combinaison fantastique de miracles, qui nous permet de voir, sentir, goûter, toucher, entendre... Il faut aller au devant de l'univers, au devant de la création, l'accepter, lui ouvrir les bras. Le bonheur, c'est maintenant, et pas demain. Je dis souvent aux adolescents que je vais voir dans les lycées : je suis en train de vous parler, vous m'écoutez, mais est-ce que vous vous en rendez compte ? II ne faut pas recevoir mes mots passivement, que vous soyez d'accord ou non avec ce que je vous dis. Est-ce que vous sentez seulement le bois de la table sur laquelle vous vous appuyez ?... En fait, nous passons notre temps à fermer les portes qui nous donneraient accès au monde.
- II y a la mauvaise conscience aussi, de vivre dans une zone un peu trop protégée, comme l'Europe miraculeusement préservée de la Tempête.

L'UNIVERSELLE
INJUSTICE

- Plus exactement, nous avons une idée de la justice et nous trouvons que la situation du monde est injuste. Parce que nous sommes des repus et que des populations meurent de faim. Je pense à l'Inde où je suis allé et où je l'ai vu de mes yeux. La justice, ça n'existe pas, c'est tout. Dieu n'est pas bon, il est indifférent, il s'en fout.


Il faut aller au devant de l'univers

Il a jeté la vie dans la matière, et puis ça se débrouille ! Et la vie nous paraît parfois monstrueusement injuste. Des changements peuvent intervenir, où les repus seront les affamés, où les affamés seront repus, mais la justice sociale ne peut pas exister. En Inde, il y a 700 millions d'hommes, il y en aura bientôt un milliard et demi et la moitié meurent de faim. Qu'est-ce qu'on peut faire ? En nourrir un, en nourrir deux, et puis quoi ? Savez-vous d'où cela vient ? Quel est le plus grand malfaiteur de la terre ?
- ?
- C'est Louis Pasteur. Parce qu'il a supprimé la mortalité infantile. L'équilibre biologique, pour toutes les espèces, c'est la mort des enfants ou des oeufs. En Europe, il fut un temps où l'on ne donnait pas de nom aux enfants à leur naissance : on attendait de voir s'ils allaient survivre...

DE LA MORT
DES ENFANTS
 

SANTÉ OU
DENSITÉ
 
 
 

Pasteur, avec la vaccination est à l'origine de cette explosion démographique épouvantable. Quand je suis passé de l'Inde au Népal, la différence entre les deux pays était frappante. Il y avait encore là-bas à l'époque où j'y suis allé une mortalité infantile importante. En Inde, à Calcutta, tous les matins, l'on ramassait dans les rues des pleins camions d'enfants morts de faim - ce qui est beaucoup plus épouvantable que de mourir de maladie. En revanche, lorsque je suis arrivé au Népal, j'ai vu des enfants glorieux, superbes, sales, mais de belle santé : ils avaient de quoi manger. Quant au développement industriel que l'on a pu apporter au tiers-monde, il crée d'autres problèmes. Ce qui nous maintient, nous, dans une certaine prospérité, c'est la petite densité de notre population.

- Et aussi le fait que nous nous appuyons sur leur pauvreté, en amenant par exemple certains pays à pratiquer une monoculture dévastatrice.
- C'est une explication un peu simple. Il y a eu effectivement un grand dérangement lorsque les cultures se sont interpénétrées, lorsque l'Europe a violé l'Afrique, lorsqu'elle a détruit les traditions, les cultures originelles pour y fourrer son rationalisme et sa rapacité. Les Indiens d'Amérique du Sud ne se sont pas encore remis de la conquête portugaise et espagnole, ils sont encore des esclaves.
- Et ce « sabir », cette langue des rues que parlent dans Blade Runner, le film de science-fiction de Ridley Scott, les petits marchands, les employés, les subalternes, composée d'un mélange de japonais, d'anglais, d'allemand, d'espagnol : il apparaît comme un phénomène d'extrême décadence.


Voir, sentir, goûter, toucher, entendre...

- Cela ne fait que montrer avec quelque exagération ce qui va effectivement se produire. Il suffit pour s'en persuader, d'écouter parler les lycéens. Mais, puisqu'il est question de mots, je suis surpris que vous ne m'ayez pas interrogé sur le nom du héros, Olof... Mon livre n'est qu'une version futuriste de l'histoire biblique de Judith. Elle a sauvé son peuple encerclé par les soldats de Nabuchodonosor, en tuant, après s'être donnée à lui, le chef des armées qui s'appelait... (H) oloph(erne) !
 
      Propos recueillis par Anne Lavaud.