LES FLEURS,
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L'intérêt de Barjavel pour la Nature et la Vie est une constante de son oeuvre. À la fin des années 70, alors que ses activités
d'écrivain ont fait de lui un auteur à succès, il a aussi approfondi sa passion pour la photographie.
Dans une interview à Gérard Guillot pour Le Figaro à l'occasion de la parution de Lettre ouverte aux vivants en février 1978,
il confie :
René Barjavel, avez vous en route d'autres livres ?
Vous savez, j'ai très envie de ralentir mes activités d'écrivain pour me consacrer à ma passion : la photo. Je prépare actuellement un album de photos. Depuis deux ans j'ai photographié sans arrêt des plantes, des arbres et des fleurs. J'ai par exemple, 600 diapositives prises à partir du même pied de pétunia. Je vais donc choisir les meilleures photos et je les accompagnerai d'un texte écrit à la gloire du règne végétal. Mais je cherche un éditeur qui voudra bien, avec moi, se lancer dans cette aventure...
Le présent album en est donc la réalisation concrète.
L'extrait suivant se regarde autant qu'il se lit. La photo prise par l'auteur est la fenêtre,
côté jardin, de son appartement parisien, 30, avenue Duquesne, sur le rebord de laquelle un
véritable petit jardin se dispute la lumière. L'écrivain présente avec tendresse et complicité
ses petites protégées, en même temps qu'il partage, au passage, quelques conseils d'amis.
Les personnages sont, ici plus qu'ailleurs, les mille anonymes qui
constituent notre entourage au quotidien. Pour cette raison, ils
passent souvent inaperçus, sans que nous daignons jamais les
regarder avec l'interêt qu'ils méritent. Ils ne sont pourtant ni
personnages de fiction, ni réalités lointaines et interdites. Ici,
photographiée par l'auteur, c'est le chèvrefeuille, que l'on trouve
dans les sous-bois ou les jardins. C'est une fleur très répandue en
France, qui est souvent très odorante. Ses feuilles sont lisses, ses fruits
rouges, sa fleur danse avec une grâce immobile, comme suspendue dans
le temps.
Plus loin Barjavel s'attarde encore sur de plus communs encore mais
non moins merveilleux spécimens. Marguerites, Fougères, Carottes. Il
n'est pas un végétal qui ne retienne son attention. Il confesse,
heureux,
Personnages ? Non bien sûr, mais compagnons, assurément. L'on peut
chérir une plante, l'aimer pour sa beauté et s'y attacher comme à un
véritable ami en lui prodiguant les soins et l'attention qui sont le
ciment des amours véritables. Une plante d'appartement n'est pas
qu'un bibelot oublié sur un coin d'étagère, à valeur décorative
seule. Ce n'est pas qu'un souvenir. Ce n'est pas qu'un objet qui
remplit un angle. Il s'agit d'un véritable espoir de vie qui
s'épanouit. Un esprit éveillé et attentif peut suivre l'évolution,
chaque jour, sur le coin de sa fenêtre, d'une petite tige d'abord
timide, qui flamboiera au printemps en une fleur sublime. Si des
années d'indifférence ont appris à la plupart d'entre nous à
ignorer, Barjavel en quelques pages nous rappelle aux joies
indicibles et si simples de regarder. La beauté de la fleur n'est pas
cette beauté abstraite des livres romantiques. C'est la chaleur, la
joie de la vie, des jardins, de toutes les religions, de Dieu.
Sans surprise, le vocabulaire est consacré en majeure partie au monde
végétal. Le nom le plus cité est, comme l'on pouvait s'y attendre,
le mot « fleur », qui apparaît sous cette forme trente-quatre fois,
dans un texte très court (4926 mots). Il faut lui ajouter les
nombreux dérivés : fleurettes (3), fleuri (2), floraison (1), fleurit (1),
fleuriste (1), fleurir (1). La fleur tient ainsi le haut du
pavé, tout naturellement, puisque, du monde végétal--que l'album
célèbre dans son entier--c'est la fleur qui en est son représentant
le plus noble, le plus harmonieux, le plus abouti tant en
esthétique qu'en fonctionnalité : il est le vivant laborieux et
méritant. On pourrait s'étonner que le « fruit », à l'inverse,
n'apparaît que très peu dans le texte. Il n'y est mentionné que
trois fois seulement. La raison de cet interêt second chez Barjavel
pour ce qui est, pour nombre d'auteurs, un autre symbole de
félicité et de volupté, apparaît clairement dans le Grand Secret. Le
fruit, c'est la chute, affirme Barjavel, c'est la mort. La mort de
la fleur. Ce que, peut-être, Barjavel ne lui pardonne pas. La fleur
est donc, du monde végétal, la figure de choix pour réjouir l'oeil
et l'âme. Elle est parfaite, complète, se suffit à elle même, comme
le premier homme de la Genèse, tel que l'imagine Barjavel dans
l'Enchanteur. Dans la bouche de Monseigneur Myriel--l'homme d'église
qui cultive l'amour des fleurs autant que le dialoguiste des
Misérables--Barjavel n'a pas de mal à placer les répliques qui lui
tiennent à coeur [laissez moi vérifiez quelques détails]. Cette
prédominance de la fleur sur le reste des composants du monde
végétal se reflète d'ailleurs dans le titre. L'album ne se consacre
pas pour autant aux fleurs seules, et si le titre trahit une
préférence, il dissimule une vision plus large, dont la perspective
embrasse feuilles (16), graines (15), herbe (10), terre (8), tiges
(7) et autres plantes (8). Il n'y a pas de végétaux sans importance
pour l'auteur. Mais, bien sûr, il a ses préférences. Pourtant, si
les fleurs dans leur ensemble restent prédominantes, c'est le
marronnier qui comme caractère isolé jouit de la plus grande
attention, et que l'auteur semble affectionner le plus. Il est, en
écho, explicitement nommé par sept fois (c'est toutefois encore
moins que le pétunia, huit fois), ce qui reste un nombre important
pour un texte aussi court. La plupart du temps, il est d'ailleurs
honoré d'un article défini. Il s'agit de l'arbre qui fait face à la
fenêtre de l'auteur, qui reconnaît avec circonvolutions que l'arbre
"est à son voisin", mais qui n'hésite pas pour autant à parler de « son
marronier ». Il ne se l'approprie que du regard et dans un sens qui
n'implique que félicité et réjouissance. Mais n'est-ce pas le vrai
sens de la propriété ? Barjavel le croit en effet. L'arbre (18) dans
son ensemble, reste donc peu mentionné, si l'on exclut l'histoire
toute personnelle qui lie l'auteur à son voisin qui le regarde par
la fenêtre. Les éspèces explicitées le plus par ailleurs sont le
pétunia (8 fois), le coquelicot (5), à qui est également dévolu une
attention toute particulière pour son nom, sa couleur, sa fragilité,
et sa specificité française. N'oublions pas des plantes si communes
qu'elles pourraient passer pour vulgaires, mais certainement pas
chez l'auteur : la marguerite (4) ou l'ortie (3), qui recueille
d'ailleurs plus d'attention que les plus raffinées géraniums (3),
cobée (2), oeillet (1), lilas (1) ou lichen (1). L'olive et
l'olivier (une fois chacun) ne sont point mis à l'honneur en dépit
de l'enfance provençale de l'écrivain. Fougère (1) et salsepareille
(1) font une timide apparition au pieds des arbres que l'on
retrouve, sauf l'exception que l'on a vue, mentionnés sans réel
entrain. L'on rencontre le platane (2), le chêne (2), le tilleul
(1), le séquoia (1) ou le sapin (1). La vie plus élaborée apparaît
elle aussi, principalement du fait des insectes (7), et surtout le
papillon (3), l'abeille (3), la guêpe (2), le bourdon (2), ou encore
la punaise (1) ou la luciole (1). Plus haut dans l'échelle du
vivant, l'on retrouve, chez les mollusques, une mention furtive de
l'escargot (2) quit doit sa place dans le texte au point commun
qu'il partage, presque, avec la fleur, et qui captive l'auteur :
l'escargot est hermaphrodite. Mais il n'est pas complet, souligne
l'auteur. L'escargot est deux fois une moitié incompatible avec elle
même. Dans l'ensemble, il ne se dégage donc point de direction
lexicale privilégiée au sein même d'un vocabulaire sans surprise. Agrave;
noter néanmoins l'emploi de mots relativement érudits dans le
domaine floral pour les besoins du sujet : pistil (4), pétiole (1),
corolle (3), étamine (3), spores (1), etc... ceci à côté de termes
plus courants : végétal (10, avec dérivés), brin (5), brindilles (2),
pétales (3), etc... Une place plus restreinte qu'à l'accoutumée est
laissée à l'homme, qui totalise quatorze occurences, comme
toujours, principalement masculine (11 « homme(s) » pour 1
« femme »). Dans le domaine animal ou végétal, cette distinction
s'efface cependant, ce qui n'est pas pour combattre l'image de
l'auteur misogyne. Sur ce terrain en effet, la femelle (6 fois)
n'apparaît que pour balancer le mâle (6 fois également).
Beaucoup moins importantes, mais présent néanmoins et à hauteur du
second champ lexical, les notions de vie et de mort. La vie reste
prédominante, avec treize nominations. Mais la survie (2), et des
couples « vivant » (7), « mort » (5), ce dernier encore accompagné de
verbes tels « tuer » (2) ou « tue » (2), trahissent des parenthèses qui
ne sont pas vouées à la seule célébration de la vie, dans sa gloire
et sa splendeur. Cela se retrouve dans le champ lexical des saisons
et du temps, tout aussi important mais qui ne caractérise pas une
préoccupation aussi majeure que celle, profonde, de la vie et de la
mort. Si en majorité il est question de soleil (13), d'été (12) ou
de printemps (7), avec nombreuses mentions de lumière (10), il vient
aussi inéluctablement l'automne (5). Et après lui, l'hiver (7). Il
est alors question de froid (1) et de nuit (3). Cette même
prédominance de la célébration, avec des mentions fugaces mais bien
présentes au niveau lexical, de la mort, se traduit au niveau des
couleurs, dans un rapport pratiquement identique. C'est le bleu (7)
qui est le plus mentionné. Couleur froide, il apparaît cependant
dans le texte toujours dans un contexte de couleur claire, de
couleur de vie : « bleu du ciel », « bleu comme la lumière »,
« bleu pâle dans une fleur saphir », « longue clochette d'un bleu violacé »,
etc... Le rouge (6) vient ensuite, à l'instar du bleu, comme une
couleur de vie. Il qualifie d'ailleurs la plupart du temps le
coquelicot. Avec le rouge s'associent le roux, le rose et le
rosé. Vient ensuite la couleur que l'on aurait pu attendre en
première position, le vert (5). Les coloris des fleurs expliquent le
rang décevant pour cette couleur phare du théatre végétal. Le jaune
(2) est peu important, mais illustre toujours chaleur et spectacle,
même si ce dernier est déjà la prémice de l'hiver (le spectacle est
celui des couleurs de l'automne). D'autres couleurs entrent dans ce
contexte : l'or (2), ou le mauve (4). Enfin, l'intrusion des couleurs
grises (2) nous rappelle à cette préoccupation de l'hiver, sur
lequel l'auteur passe rapidement.
Quelques thèmes secondaires se dégagent encore du vocabulaire. Les
questions philosophiques et spirituelles se traduisent par l'emploi
des mots Dieu (3), Jésus (2) ou Bouddah (1). Le texte se termine sur
une gratitude appuyée. On y décompte trois « merci » successifs, qui
saluent l'amour (5) qui traverse le texte, celui-là que nous offre
le monde des fleurs. Un mot inclassable mais sans surprise, qui
apparaît avec une nette importance sur les autres substantifs
communs du texte, le mot « fenêtre » (10), est une invitation continue à
vivre l'univers activement, à observer sans cesse, même depuis son
chez-soi qu'il n'est donné qu'au plus petit nombre de quitter, pour
son jardin ou l'autre bout du monde. Depuis sa fenêtre, il est
possible d'embrasser l'essentiel des délices de la création. Pourquoi s'en priver?
Ou plutôt :
À première vue, les Fleurs, l'amour, la vie... n'est qu'un album ordinaire de
photographies quelconques, sans esthétiques particulières. La plupart même sont
si communes et anodines que l'on serait tenté de croire que l'artiste a photographié
n'importe quoi. On trouve ici un rebord de fenêtre, là des feuilles, mauvaises
herbes ou simples tiges, ici encore des insectes repoussants voutés
sur une fleur sans attrait. Le secret du livre commence à se révèler
lorsque l'on réalise que ce n'est point un artiste, au sens attendu
de ce mot, mais René Barjavel, qui a promené son « gros oeil de
verre » sur ces banalités de bords de routes. La révélation est totale
lorsque ces simples photos de fleurs des rues ou des champs prises
sans trop d'ingéniosité technique, sans jeu de lumière, sans effet de
perspective, sont baignées d'un texte signé de l'auteur qui déferle
autour de ces banalités pour les gonfler de magie et de beauté, leur
insuffler une vie nouvelle, un mystère inapercu, les rendre
vivantes et superbes. Barjavel ouvre les yeux d'un lecteur blasé par
toutes les beautés sans joie qu'on lui présente partout, et qui nous
laissent indifférent. Il n'a pas cherché à révéler une fleur
inconnue des pays lointains, il n'a pas voulu agencer un parterre de
couleurs, assembler des bouquets, marier des couples improbables de
fleurs rares, en un mot, fabriquer de l'esthétique. Il se contente
de regarder ce qui est existe déjà, naturellement, et qui porte en
soi la véritable beauté, pleine de questions et de mystères, de
réponses et de ressources. Il a cueilli, avec les yeux, ce qui est à
sa portée, sur le balcon ou le bord du chemin. Il a voulu montrer les
simples oeillets, marguerites, chèvrefeuille, coquelicots, ou
simplement orties ou fleur de carotte sauvage. Cette dernière est
d'abord photographiée misérable, rude, sans fleur, entourée de
minces feuilles pointues qui se hérissent autour d'un coeur non
éclos. Barjavel vole à sa rescousse et nous présente le végétal sans
noblesse sous un jour attendrisant et prometteur.
L'auteur surveille l'évolution de la fleur. Elle est, à côté ou un
peu plus tard, déjà un bouquet, que quelques mots de l'enchanteur
suffisent à embellir à sa juste mesure.
En effet, sur ces centaines de petites fleurs blanches agrandies par l'objectif et qui
s'entremêlent en une nappe de soie blanche, se déroule un véritable roman, que l'auteur
commente minutieusement. C'est une histoire d'amour. Dans ce décor de fée où le sol est un
parterre de fleurs d'une lueur éclatante, deux insectes se rencontrent. Barjavel observe
captivé la course folle du couple sur le lit blanc qu'ils dévorent en même temps qu'ils
consument leur amour. Piétinant les fleurettes, buvant les calices, toujours frénétiquement
accouplés, ils s'adonnent à des joies presques indécentes, au sein d'un univers tout entier
en émoi, où chaque recoin de feuille, chaque parcelle de forêt est le lieu d'un amour sans
honte et sans limite, qui s'accomplit avec ardeur, fureur, rage et appétit. L'auteur prend
grand plaisir à dévoiler au monde des hommes qui croient que seul eux, dans leur ennui
continu, ont le privilège d'être heureux, cette immense liesse des sens, que les orgies les
plus décadentes n'approchent que de très loins en intensité et dans l'excès des plaisirs mélés
et partagés. L'étreinte silencieuse du petit couple isolé sur son coin de fleurs blanches finit
par prendre fin.
L'observateur curieux et sans gêne remarque encore deux autres L'association du merveilleux et du réel, la fusion de cette furieuse cavalcade amoureuse et
féérique dans un univers enchanteresque--vision comme sortie d'un rêve--avec des photographies
de simples fleurs, la description fantastique utilisant des mots ordinaires, comme insectes ou
carotte, dans un décor de conte de fée, tout cela constitue le regard Barjavelien sur le monde.
Un regard qui ne transforme pas la réalité, qui ne crée pas une illusion, n'invente pas des
mondes lointains. Mais un regard qui révèle à sa manière les banalités de notre entourage
comme de prodigieux, continus, infinis miracles. Un regard qui semble d'abord paradoxal, mais
qui, à celui qui veut faire l'effort de comprendre ce qu'il voit, apparaît très vite
harmonieux et naturel.
Plus loin, il photographie les tiges de coquelicot qui ont perdu leur robe rouge et fragile,
et devant ces simples pédoncules poilus, il s'émerveille. Il commence une allégorie sur la
beauté et la nécessité, nous parle de la fragilité des choses que l'on veut étreindre,
observe enchanté l'immortalité et l'invincibilité aux tempêtes et aux pesticides de ces
délicats quatuors de soie rouge qu'un coup de vent suffit à ravager. Il réitère ces
observations maintes fois encore. La leçon est toujours la même, mais n'est pas
facile à retenir. Et chacune des illustrations de ce simple message,
est la démonstration magistrale d'un maitre rompu à l'exercice.
Et si la beauté est partout, elle est aussi dans la ville. Les citadins défendront leur
droit à la morosité en rappelant ô combien dans leur univers de béton et de gaz
d'échappements ils sont loin de ces simples merveilles, surprises sur une feuille de pétunia
ou à l'ombre d'un olivier. Barjavel objecte :
Et l'auteur raconte. Il raconte comment il vit avec le monde qui l'entoure, même depuis son
appartement, et en ne faisant que l'effort d'en prendre conscience. Il se rappelle ainsi la
guêpe qu'il avait apprivoisée et qui se régalait avec lui des côtelettes d'agneau.
Il explique comment, avec un peu de miel, faire de même avec un bourdon. Il rassure, ils
sont inoffensifs. La guêpe, dit-il, ne pique que si on lui fait du mal accidentellement.
L'auteur ne pense même plus que l'homme peut tuer parce qu'il est importuné, ou seulement
par ennui ou plaisir. Il raconte encore sa vie avec le marronnier, qu'il voit de sa fenêtre,
qui n'est pas à lui mais qui est là. C'est suffisant.
Et si cela ne suffisait pas, l'auteur tourne son objectif sur la ville, et la révèle belle,
vivante, et belle parce que vivante. L'auteur des villes détruites et désertées immortalise
la ville de nuit, certes, mais c'est pour ses lumières, quand les trains sont encore là et
que les bureaux ne sont pas encore « éteints ». La ville, malgré tout, malgré la
pollution, malgré la nature, les animaux ou les fleurs qui n'ont pas droit de cité, ou trop
peu, la ville, elle aussi, est belle, avec ses monuments, son architecture, ses lumières.
L'auteur est un Parisien convaincu, un Parisien qui fait le marché, choisit lui même ses
poireaux, a des fleurs sur son balcon et le nez depuis là planté dans les nuages, mais un
citadin résolu, qui a quitté la campagne de sa jeunesse, avec ses parfums et ses innombrables
curiosités à pattes ou à feuilles, et qui n'y reviendra que pour y reposer à jamais.
Au fond, quel que soit l'endroit où l'on vive, bordure de ruisseau ou bord de route, il y a
pour l'esprit curieux et éveillé mille raisons de s'en réjouir. Le monde n'est pas le paradis,
nul n'a jamais autour de lui tout ce dont il entend parler ou tout ce que son imagination
frustrée aimerait lui voire trouver. Mais ce qui s'y trouve déjà, et que l'on ignore, est
suffisant. Pour Barjavel, les mille objets qui nous entourent, les mille détails sans
importance, les mille banalités éternelles ou éphèmères, sont tout ce dont un homme a besoin,
s'il sait s'en contenter, pour assurer le bonheur de son quotidien. Ce sont les fleurs des
alpages ou du petit square, les chemins de montagne ou avenues de grande cité, les petits
ruisseaux ou les fontaines du centre-ville. Ce sont ce qui est, et que l'on ne voit pas.
À côté de l'émerveillement, il ne faut pas négliger la curiosité et la compréhension.
Barjavel écrit un texte qui fait montre d'une grande érudition, dans plusieurs domaines.
Il s'intéresse par exemple de près à la reproduction des fleurs, raconte comment le pistil
est fécondé par les étamines, établissant ainsi le lien avec les insectes. Il fait des
comparaisons avec la reproduction animale, puis exhibe des exemples, il établit des
classements, dissèque des processus. Il nomme de nombreuses espèces qu'il a photographié,
raconte d'où vient le nom du coquelicot, ou fait l'exegèse de nombreuses coutumes en rapport
avec les saisons. Curieux, il cherche à appronfondir cette connaissance, à élargir ses
horizons. Mais il se bute vite à une science sans grand interêt, qui ne lui apprend plus rien.
Bloqué, il lui reste l'opportunité d'une appréhension toute personnelle. S'il est hélas plus
facile de se réjouir de ce que l'on voit que de le comprendre. À défaut du second, ne surtout
pas sacrifier le premier. D'autant plus que c'est peut-être même la véritable façon
de comprendre.
Dans l'émerveillement, il y a, pour partie, celui de l'intelligence qui prend conscience de
la réalité qu'elle observe, qui imagine, qui conçoit l'alchimie miraculeuse du vivant :
Et cette ingéniosité parfaite nous ramène aux questions métaphysiques de la faim du Tigre.
Pourquoi ? Pour qui ? Ainsi qu'à ses conclusions et ses préoccupations.
Mais cette angoisse du cycle de l'assassinat, du meurtre programmé dans la création,
n'intervient que plus tard, bien après avoir pris le temps de célébrer le spectacle,
qu'il soit visuel ou intellectuel. Cette remarque de l'association incongrue et
abominable du meurtre à la vie, qui était inévitable, est cependant, dans ce texte, très
courte, quelques phrases seulement. Elle n'intervient qu'alors que la nature elle même entre
dans une période mortuaire, l'hiver. Barjavel ne semble pas vouloir s'attarder ici sur cette
question qu'il n'arrive pas à placer dans sa philosophie. L'hiver et la mort semblent lui
aussi le faire douter, l'attrister.
C'est l'écueil récurrent sur lequel semble devoir s'échouer toujours la pensée de l'auteur.
Inévitablement, en parcourant son oeuvre, on en revient à ces passages où il desespère de
comprendre pourquoi, comment le merveilleux, la prodigieuse harmonie du monde, de l'univers,
peut s'appuyer sur sa propre destruction. Il réussit à comprendre la mort, à la penser
naturelle. Dans le Grand Secret, il la juge déjà nécessaire. Dans Demain le Paradis, il a
fini par la trouver juste, et l'attend avec quiétude. Mais la violence, la souffrance, il
ne leur trouve aucune excuse, aucune justification, aucune place dans la création. S'il
réussit parfois à passer outre, c'est au prix d'un excès qui, bien sûr, ne le satisfait pas.
Dans le Voyageur imprudent, ce sont des hommes sans humanité sur une terre sans géographie
qui réussissent à établir une société débarrassée de la lutte des espèces. Ici, il n'insiste
pas sur la « solution » trouvée par les végétaux, qui ne vivent que de terre et
de lumière, qui projettent et étendent leur règne au détriment d'aucun autre. Il esquisse
néanmoins une vision à peine exagérée d'une harmonie du vivant, qui progresse sans tuerie,
et comme, il aimerait le voir étendue à toutes les espèces :
Alors que faire de plus que ces rêveries de romancier, auxquelles il ne s'abandonnera jamais
totalement ? Ne pas s'omnubiler sur la mort, qui fait, certes, partie du cycle. Ne pas
mourir avec l'hiver. Le marronnier s'endort avec lui mais se réveille vite après. Le
printemps fini toujours par revenir. Les graines se répandent à nouveau. Les bourgeons
germent. Les fleurs seront bientôt de retour.
Le livre fut publié assez discrètement, mais fut salué par son éditeur par un prière d'insérer
que j'ai eu la chance de trouver dans un exemplaire du service de presse , que l'on pourra lire
{ ici }.
EXTRAIT
PERSONNAGES
ÉTUDE LINGUISTIQUE
Dans la Thématique des Fleurs, l'amour, la vie...
THÉMATIQUE
Mariage Royal sur une Fleur de Carotte
insectes, qui suivent l'évènement à distance.
Il ne lui en faut pas plus pour basculer définitivement dans le fantastique.
Vivre avec l'Abeille et le Marronnier
La Faim du Tigre
Ne pas mourir avec l'hiver, ou alors mourir heureux du printemps
passé. Le printemps reviendra au moins pour les autres.
CRITIQUES PARUES À PROPOS DU LIVRE
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