LES FLEURS,
L'AMOUR,
LA VIE

Le monde des Fleurs, tel que le voit René Barjavel, tel qu'il le raconte, tel qu'il l'imagine, c'est le monde de l'Amour. C'est le monde de la Vie.

Quand vous admirez une fleur, communiquez avec elle en prenant, en abondance, par vos yeux, par vos narines, ce qu'elle vous offre sans mesure. Parlez-lui, dites-lui qu'elle est belle, et, pour cela, remerciez-la.


  1. Présentation
  2. Genèse
  3. Extrait
  4. Personnages
  5. Étude linguistique
  6. Thématique
  7. Critiques parues à propos du livres
  8. Critiques des visiteurs
  9. Copyright


Bientôt des liens ici !

Avant de se poser sur la fleur mauve, ce papillon - mais est-ce bien un papillion ? - est allé choisir des ailes chez un grand couturier parisien


 Les Fleurs, l'amour, la vie... est :
Le meilleur livre que j'ai jamais lu
Le meilleur livre de Barjavel
Un livre exceptionnel
Un grand livre
Un bon livre
Un livre passable
Un mauvais livre
Un livre exécrable
 


PRÉSENTATION

Première de couverture de l'édition originale

Album de photographies
Textes et photographies
par René Barjavel
Titre original :
« Les Fleurs, l'amour, la vie »

© Éd. Presses de la Cité, 1978
83 pages (sans folio), 73 photographies couleurs.


GENÈSE

L'intérêt de Barjavel pour la Nature et la Vie est une constante de son oeuvre. À la fin des années 70, alors que ses activités d'écrivain ont fait de lui un auteur à succès, il a aussi approfondi sa passion pour la photographie.
Dans une interview à Gérard Guillot pour Le Figaro à l'occasion de la parution de Lettre ouverte aux vivants en février 1978, il confie :

René Barjavel, avez vous en route d'autres livres ?

Vous savez, j'ai très envie de ralentir mes activités d'écrivain pour me consacrer à ma passion : la photo. Je prépare actuellement un album de photos. Depuis deux ans j'ai photographié sans arrêt des plantes, des arbres et des fleurs. J'ai par exemple, 600 diapositives prises à partir du même pied de pétunia. Je vais donc choisir les meilleures photos et je les accompagnerai d'un texte écrit à la gloire du règne végétal. Mais je cherche un éditeur qui voudra bien, avec moi, se lancer dans cette aventure...

Le présent album en est donc la réalisation concrète.


EXTRAIT

L'extrait suivant se regarde autant qu'il se lit. La photo prise par l'auteur est la fenêtre, côté jardin, de son appartement parisien, 30, avenue Duquesne, sur le rebord de laquelle un véritable petit jardin se dispute la lumière. L'écrivain présente avec tendresse et complicité ses petites protégées, en même temps qu'il partage, au passage, quelques conseils d'amis.

N'importe qui, en n'importe quel lieu de la cité qui l'abrite, peut se fabriquer sa petite campagne personnelle.
Sur la fenêtre de ma cuisine j'avais semé, à droite, une cobée. Elle a grimpé comme une folle. Je lui ai tendu des ficelles attachées à des clous. Elle a fait le tour de la fenêtre, et est redescendue de l'autre côté. Aux premiers jours de l'automne, avec beaucoup de retard, elle m'a offert une fleur. Une seule. Plus courte et plus pâle que celles que j'avais reçues en abondance, quelques années plus tôt, sur un balcon au douzième étage...
La fleur de la cobée est une longue clochette d'un bleu violacé. Après la fécondation, au moment où la corolle va tomber, il faut la prendre entre les deux doigts, l'aider doucement à se libérer et la porter à ses lèvres. Par l'orifice, au fond du calice, on reçoit une goutte de nectar d'une douceur indicible.

Dans les autres pots, à côté d'un géranium, j'avais semé diverses graines qui n'ont pas germé. Ce sont les graines folles contenues dans le terreau acheté chez le fleuriste qui ont gagné. A gauche, la plus haute plante, je ne sais pas ce que c'est. Elle s'est collée à la vitre pour boire la lumière. Elle a monté aussi haut qu'elle a pu. Elle a fleuri en fleurettes invisibles, puis s'est épanouie en graines vaporeuses. Ce que vous voyez ici, cette dentelle lumineuse, ce ne sont pas des fleurs, mais des graines.
Au milieu, j'ai appris ce que c'était en y mettant les doigts : c'est une ortie. Je l'ai coupée l'hiver, quand elle s'est fanée. Elle a repoussé au printemps, aussi puissante. Elle a empli le pot de ses racines et jeté, tout autour, des stolons baladeurs qui n'ont pas trouvé où s'accrocher, et sont retournés dans le pot. Quand on a la chance d'avoir un jardin, il faut y garder de l'ortie à l'ombre d'un arbre ou d'un mur. Sa puissance vitale est telle qu'elle la répand autour d'elle et aide les poireaux et les roses à pousser.

Au milieu, j'ai appris ce que c'était en y mettant les doigts : c'est une ortie.

Sur un coin de fenêtre, quelques feuilles, un peu de soleil, c'est un instant de bonheur. Le soleil tourne, la beauté change. Les jours sans soleil, la plante est toujours là.


PERSONNAGES

Le pistil féminin a dépassé les cinq mâles étamines, et se retrouve maintenant loin devant eux, inaccessible.

Les personnages sont, ici plus qu'ailleurs, les mille anonymes qui constituent notre entourage au quotidien. Pour cette raison, ils passent souvent inaperçus, sans que nous daignons jamais les regarder avec l'interêt qu'ils méritent. Ils ne sont pourtant ni personnages de fiction, ni réalités lointaines et interdites. Ici, photographiée par l'auteur, c'est le chèvrefeuille, que l'on trouve dans les sous-bois ou les jardins. C'est une fleur très répandue en France, qui est souvent très odorante. Ses feuilles sont lisses, ses fruits rouges, sa fleur danse avec une grâce immobile, comme suspendue dans le temps.

Plus loin Barjavel s'attarde encore sur de plus communs encore mais non moins merveilleux spécimens. Marguerites, Fougères, Carottes. Il n'est pas un végétal qui ne retienne son attention. Il confesse, heureux,

Je mets une heure pour parcourir cent mètres.

Personnages ? Non bien sûr, mais compagnons, assurément. L'on peut chérir une plante, l'aimer pour sa beauté et s'y attacher comme à un véritable ami en lui prodiguant les soins et l'attention qui sont le ciment des amours véritables. Une plante d'appartement n'est pas qu'un bibelot oublié sur un coin d'étagère, à valeur décorative seule. Ce n'est pas qu'un souvenir. Ce n'est pas qu'un objet qui remplit un angle. Il s'agit d'un véritable espoir de vie qui s'épanouit. Un esprit éveillé et attentif peut suivre l'évolution, chaque jour, sur le coin de sa fenêtre, d'une petite tige d'abord timide, qui flamboiera au printemps en une fleur sublime. Si des années d'indifférence ont appris à la plupart d'entre nous à ignorer, Barjavel en quelques pages nous rappelle aux joies indicibles et si simples de regarder. La beauté de la fleur n'est pas cette beauté abstraite des livres romantiques. C'est la chaleur, la joie de la vie, des jardins, de toutes les religions, de Dieu.


ÉTUDE LINGUISTIQUE

Sans surprise, le vocabulaire est consacré en majeure partie au monde végétal. Le nom le plus cité est, comme l'on pouvait s'y attendre, le mot « fleur », qui apparaît sous cette forme trente-quatre fois, dans un texte très court (4926 mots). Il faut lui ajouter les nombreux dérivés : fleurettes (3), fleuri (2), floraison (1), fleurit (1), fleuriste (1), fleurir (1). La fleur tient ainsi le haut du pavé, tout naturellement, puisque, du monde végétal--que l'album célèbre dans son entier--c'est la fleur qui en est son représentant le plus noble, le plus harmonieux, le plus abouti tant en esthétique qu'en fonctionnalité : il est le vivant laborieux et méritant. On pourrait s'étonner que le « fruit », à l'inverse, n'apparaît que très peu dans le texte. Il n'y est mentionné que trois fois seulement. La raison de cet interêt second chez Barjavel pour ce qui est, pour nombre d'auteurs, un autre symbole de félicité et de volupté, apparaît clairement dans le Grand Secret. Le fruit, c'est la chute, affirme Barjavel, c'est la mort. La mort de la fleur. Ce que, peut-être, Barjavel ne lui pardonne pas. La fleur est donc, du monde végétal, la figure de choix pour réjouir l'oeil et l'âme. Elle est parfaite, complète, se suffit à elle même, comme le premier homme de la Genèse, tel que l'imagine Barjavel dans l'Enchanteur. Dans la bouche de Monseigneur Myriel--l'homme d'église qui cultive l'amour des fleurs autant que le dialoguiste des Misérables--Barjavel n'a pas de mal à placer les répliques qui lui tiennent à coeur [laissez moi vérifiez quelques détails]. Cette prédominance de la fleur sur le reste des composants du monde végétal se reflète d'ailleurs dans le titre. L'album ne se consacre pas pour autant aux fleurs seules, et si le titre trahit une préférence, il dissimule une vision plus large, dont la perspective embrasse feuilles (16), graines (15), herbe (10), terre (8), tiges  (7) et autres plantes (8). Il n'y a pas de végétaux sans importance pour l'auteur. Mais, bien sûr, il a ses préférences. Pourtant, si les fleurs dans leur ensemble restent prédominantes, c'est le marronnier qui comme caractère isolé jouit de la plus grande attention, et que l'auteur semble affectionner le plus. Il est, en écho, explicitement nommé par sept fois (c'est toutefois encore moins que le pétunia, huit fois), ce qui reste un nombre important pour un texte aussi court. La plupart du temps, il est d'ailleurs honoré d'un article défini. Il s'agit de l'arbre qui fait face à la fenêtre de l'auteur, qui reconnaît avec circonvolutions que l'arbre "est à son voisin", mais qui n'hésite pas pour autant à parler de « son marronier ». Il ne se l'approprie que du regard et dans un sens qui n'implique que félicité et réjouissance. Mais n'est-ce pas le vrai sens de la propriété ? Barjavel le croit en effet. L'arbre (18) dans son ensemble, reste donc peu mentionné, si l'on exclut l'histoire toute personnelle qui lie l'auteur à son voisin qui le regarde par la fenêtre. Les éspèces explicitées le plus par ailleurs sont le pétunia (8 fois), le coquelicot (5), à qui est également dévolu une attention toute particulière pour son nom, sa couleur, sa fragilité, et sa specificité française. N'oublions pas des plantes si communes qu'elles pourraient passer pour vulgaires, mais certainement pas chez l'auteur : la marguerite (4) ou l'ortie (3), qui recueille d'ailleurs plus d'attention que les plus raffinées géraniums (3), cobée (2), oeillet (1), lilas (1) ou lichen (1). L'olive et l'olivier (une fois chacun) ne sont point mis à l'honneur en dépit de l'enfance provençale de l'écrivain. Fougère (1) et salsepareille  (1) font une timide apparition au pieds des arbres que l'on retrouve, sauf l'exception que l'on a vue, mentionnés sans réel entrain. L'on rencontre le platane (2), le chêne (2), le tilleul  (1), le séquoia (1) ou le sapin (1). La vie plus élaborée apparaît elle aussi, principalement du fait des insectes (7), et surtout le papillon (3), l'abeille (3), la guêpe (2), le bourdon (2), ou encore la punaise (1) ou la luciole (1). Plus haut dans l'échelle du vivant, l'on retrouve, chez les mollusques, une mention furtive de l'escargot (2) quit doit sa place dans le texte au point commun qu'il partage, presque, avec la fleur, et qui captive l'auteur : l'escargot est hermaphrodite. Mais il n'est pas complet, souligne l'auteur. L'escargot est deux fois une moitié incompatible avec elle même. Dans l'ensemble, il ne se dégage donc point de direction lexicale privilégiée au sein même d'un vocabulaire sans surprise. Agrave; noter néanmoins l'emploi de mots relativement érudits dans le domaine floral pour les besoins du sujet : pistil (4), pétiole (1), corolle (3), étamine (3), spores (1), etc... ceci à côté de termes plus courants : végétal (10, avec dérivés), brin (5), brindilles (2), pétales (3), etc... Une place plus restreinte qu'à l'accoutumée est laissée à l'homme, qui totalise quatorze occurences, comme toujours, principalement masculine (11 « homme(s) » pour 1 « femme »). Dans le domaine animal ou végétal, cette distinction s'efface cependant, ce qui n'est pas pour combattre l'image de l'auteur misogyne. Sur ce terrain en effet, la femelle (6 fois) n'apparaît que pour balancer le mâle (6 fois également).

Beaucoup moins importantes, mais présent néanmoins et à hauteur du second champ lexical, les notions de vie et de mort. La vie reste prédominante, avec treize nominations. Mais la survie (2), et des couples « vivant » (7), « mort » (5), ce dernier encore accompagné de verbes tels « tuer » (2) ou « tue » (2), trahissent des parenthèses qui ne sont pas vouées à la seule célébration de la vie, dans sa gloire et sa splendeur. Cela se retrouve dans le champ lexical des saisons et du temps, tout aussi important mais qui ne caractérise pas une préoccupation aussi majeure que celle, profonde, de la vie et de la mort. Si en majorité il est question de soleil (13), d'été (12) ou de printemps (7), avec nombreuses mentions de lumière (10), il vient aussi inéluctablement l'automne (5). Et après lui, l'hiver (7). Il est alors question de froid (1) et de nuit (3). Cette même prédominance de la célébration, avec des mentions fugaces mais bien présentes au niveau lexical, de la mort, se traduit au niveau des couleurs, dans un rapport pratiquement identique. C'est le bleu (7) qui est le plus mentionné. Couleur froide, il apparaît cependant dans le texte toujours dans un contexte de couleur claire, de couleur de vie : « bleu du ciel », « bleu comme la lumière », « bleu pâle dans une fleur saphir », « longue clochette d'un bleu violacé », etc... Le rouge (6) vient ensuite, à l'instar du bleu, comme une couleur de vie. Il qualifie d'ailleurs la plupart du temps le coquelicot. Avec le rouge s'associent le roux, le rose et le rosé. Vient ensuite la couleur que l'on aurait pu attendre en première position, le vert (5). Les coloris des fleurs expliquent le rang décevant pour cette couleur phare du théatre végétal. Le jaune  (2) est peu important, mais illustre toujours chaleur et spectacle, même si ce dernier est déjà la prémice de l'hiver (le spectacle est celui des couleurs de l'automne). D'autres couleurs entrent dans ce contexte : l'or (2), ou le mauve (4). Enfin, l'intrusion des couleurs grises (2) nous rappelle à cette préoccupation de l'hiver, sur lequel l'auteur passe rapidement.

Quelques thèmes secondaires se dégagent encore du vocabulaire. Les questions philosophiques et spirituelles se traduisent par l'emploi des mots Dieu (3), Jésus (2) ou Bouddah (1). Le texte se termine sur une gratitude appuyée. On y décompte trois « merci » successifs, qui saluent l'amour (5) qui traverse le texte, celui-là que nous offre le monde des fleurs. Un mot inclassable mais sans surprise, qui apparaît avec une nette importance sur les autres substantifs communs du texte, le mot « fenêtre » (10), est une invitation continue à vivre l'univers activement, à observer sans cesse, même depuis son chez-soi qu'il n'est donné qu'au plus petit nombre de quitter, pour son jardin ou l'autre bout du monde. Depuis sa fenêtre, il est possible d'embrasser l'essentiel des délices de la création. Pourquoi s'en priver?


THÉMATIQUE

     Dans la Thématique des Fleurs, l'amour, la vie...
  1. Mariage Royal sur une Fleur de Carotte
  2. Vivre avec l'Abeille et le Marronnier
  3. La Faim du tigre

     Ou plutôt :

~THÉMATIQUE~
Mariage Royal sur une Fleur de Carotte

À première vue, les Fleurs, l'amour, la vie... n'est qu'un album ordinaire de photographies quelconques, sans esthétiques particulières. La plupart même sont si communes et anodines que l'on serait tenté de croire que l'artiste a photographié n'importe quoi. On trouve ici un rebord de fenêtre, là des feuilles, mauvaises herbes ou simples tiges, ici encore des insectes repoussants voutés sur une fleur sans attrait. Le secret du livre commence à se révèler lorsque l'on réalise que ce n'est point un artiste, au sens attendu de ce mot, mais René Barjavel, qui a promené son « gros oeil de verre » sur ces banalités de bords de routes. La révélation est totale lorsque ces simples photos de fleurs des rues ou des champs prises sans trop d'ingéniosité technique, sans jeu de lumière, sans effet de perspective, sont baignées d'un texte signé de l'auteur qui déferle autour de ces banalités pour les gonfler de magie et de beauté, leur insuffler une vie nouvelle, un mystère inapercu, les rendre vivantes et superbes. Barjavel ouvre les yeux d'un lecteur blasé par toutes les beautés sans joie qu'on lui présente partout, et qui nous laissent indifférent. Il n'a pas cherché à révéler une fleur inconnue des pays lointains, il n'a pas voulu agencer un parterre de couleurs, assembler des bouquets, marier des couples improbables de fleurs rares, en un mot, fabriquer de l'esthétique. Il se contente de regarder ce qui est existe déjà, naturellement, et qui porte en soi la véritable beauté, pleine de questions et de mystères, de réponses et de ressources. Il a cueilli, avec les yeux, ce qui est à sa portée, sur le balcon ou le bord du chemin. Il a voulu montrer les simples oeillets, marguerites, chèvrefeuille, coquelicots, ou simplement orties ou fleur de carotte sauvage. Cette dernière est d'abord photographiée misérable, rude, sans fleur, entourée de minces feuilles pointues qui se hérissent autour d'un coeur non éclos. Barjavel vole à sa rescousse et nous présente le végétal sans noblesse sous un jour attendrisant et prometteur.

Sévère, timide, une jeune vierge, close comme une main sur ses trésors intérieurs, hérissée de défenses qui ne sont pas plus terribles que des moustaches de petit chat, surgit au-dessus de l'herbe.

L'auteur surveille l'évolution de la fleur. Elle est, à côté ou un peu plus tard, déjà un bouquet, que quelques mots de l'enchanteur suffisent à embellir à sa juste mesure.

Très vite, elle s'ouvre, étale ses richesses innombrables, continue de s'étendre et de s'embellir en chacun de ses minuscules détails. Elle devient drap de dentelle pour le lit d'une fée. Et ce drap va servir pour des noces...

Très vite, elle s'ouvre, étale ses richesses innombrables, continue de s'étendre et de s'embellir en chacun de ses minuscules détails. En effet, sur ces centaines de petites fleurs blanches agrandies par l'objectif et qui s'entremêlent en une nappe de soie blanche, se déroule un véritable roman, que l'auteur commente minutieusement. C'est une histoire d'amour. Dans ce décor de fée où le sol est un parterre de fleurs d'une lueur éclatante, deux insectes se rencontrent. Barjavel observe captivé la course folle du couple sur le lit blanc qu'ils dévorent en même temps qu'ils consument leur amour. Piétinant les fleurettes, buvant les calices, toujours frénétiquement accouplés, ils s'adonnent à des joies presques indécentes, au sein d'un univers tout entier en émoi, où chaque recoin de feuille, chaque parcelle de forêt est le lieu d'un amour sans honte et sans limite, qui s'accomplit avec ardeur, fureur, rage et appétit. L'auteur prend grand plaisir à dévoiler au monde des hommes qui croient que seul eux, dans leur ennui continu, ont le privilège d'être heureux, cette immense liesse des sens, que les orgies les plus décadentes n'approchent que de très loins en intensité et dans l'excès des plaisirs mélés et partagés. L'étreinte silencieuse du petit couple isolé sur son coin de fleurs blanches finit par prendre fin.

Les époux épuisés se laissent retomber sur le drap.

L'observateur curieux et sans gêne remarque encore deux autres
insectes, qui suivent l'évènement à distance. Il ne lui en faut pas plus pour basculer définitivement dans le fantastique.

Comme les mariages royaux, celui-ci s'est passé en présence de témoins : deux petits insectes noirs ont accompagné le couple dans sa course sur la carotte.

L'association du merveilleux et du réel, la fusion de cette furieuse cavalcade amoureuse et féérique dans un univers enchanteresque--vision comme sortie d'un rêve--avec des photographies de simples fleurs, la description fantastique utilisant des mots ordinaires, comme insectes ou carotte, dans un décor de conte de fée, tout cela constitue le regard Barjavelien sur le monde. Un regard qui ne transforme pas la réalité, qui ne crée pas une illusion, n'invente pas des mondes lointains. Mais un regard qui révèle à sa manière les banalités de notre entourage comme de prodigieux, continus, infinis miracles. Un regard qui semble d'abord paradoxal, mais qui, à celui qui veut faire l'effort de comprendre ce qu'il voit, apparaît très vite harmonieux et naturel.

Plus loin, il photographie les tiges de coquelicot qui ont perdu leur robe rouge et fragile, et devant ces simples pédoncules poilus, il s'émerveille. Il commence une allégorie sur la beauté et la nécessité, nous parle de la fragilité des choses que l'on veut étreindre, observe enchanté l'immortalité et l'invincibilité aux tempêtes et aux pesticides de ces délicats quatuors de soie rouge qu'un coup de vent suffit à ravager. Il réitère ces observations maintes fois encore. La leçon est toujours la même, mais n'est pas facile à retenir. Et chacune des illustrations de ce simple message,

la beauté est partout

est la démonstration magistrale d'un maitre rompu à l'exercice.

~THÉMATIQUE~
Vivre avec l'Abeille et le Marronnier

Et si la beauté est partout, elle est aussi dans la ville. Les citadins défendront leur droit à la morosité en rappelant ô combien dans leur univers de béton et de gaz d'échappements ils sont loin de ces simples merveilles, surprises sur une feuille de pétunia ou à l'ombre d'un olivier. Barjavel objecte :

pour nous offrir l'amitié des plantes, il n'est pas indispensable de vivre à la campagne, ou d'avoir sous nos fenêtres un parc où poussent les légumes de Gargantua. Quelques pots de terre suffisent...

Et l'auteur raconte. Il raconte comment il vit avec le monde qui l'entoure, même depuis son appartement, et en ne faisant que l'effort d'en prendre conscience. Il se rappelle ainsi la guêpe qu'il avait apprivoisée et qui se régalait avec lui des côtelettes d'agneau. Il explique comment, avec un peu de miel, faire de même avec un bourdon. Il rassure, ils sont inoffensifs. La guêpe, dit-il, ne pique que si on lui fait du mal accidentellement. L'auteur ne pense même plus que l'homme peut tuer parce qu'il est importuné, ou seulement par ennui ou plaisir. Il raconte encore sa vie avec le marronnier, qu'il voit de sa fenêtre, qui n'est pas à lui mais qui est là. C'est suffisant.

Quand la fatigue, les soucis répétés, tentent de me décourager, je viens vers lui et, debout, face à lui, dans l'espace de la fenêtre, je rejoins son calme et son silence vert. Il m'enseigne qu'il faut continuer, sans arrêt, de faire effort pour se hisser vers un peu plus de lumière, chaque jour et à chaque heure, même si on a l'impression qu'on ne parviendra jamais à grandir.
Je le vois vert l'été, roux en automne, gris l'hiver. Comment me voit-il ? Bleu dans les moments de tranquillité ? rouge au travail ? noir d'angoisse ? jaune d'espoir ? transparent comme une crevette ?

Et si cela ne suffisait pas, l'auteur tourne son objectif sur la ville, et la révèle belle, vivante, et belle parce que vivante. L'auteur des villes détruites et désertées immortalise la ville de nuit, certes, mais c'est pour ses lumières, quand les trains sont encore là et que les bureaux ne sont pas encore « éteints ». La ville, malgré tout, malgré la pollution, malgré la nature, les animaux ou les fleurs qui n'ont pas droit de cité, ou trop peu, la ville, elle aussi, est belle, avec ses monuments, son architecture, ses lumières. L'auteur est un Parisien convaincu, un Parisien qui fait le marché, choisit lui même ses poireaux, a des fleurs sur son balcon et le nez depuis là planté dans les nuages, mais un citadin résolu, qui a quitté la campagne de sa jeunesse, avec ses parfums et ses innombrables curiosités à pattes ou à feuilles, et qui n'y reviendra que pour y reposer à jamais. Au fond, quel que soit l'endroit où l'on vive, bordure de ruisseau ou bord de route, il y a pour l'esprit curieux et éveillé mille raisons de s'en réjouir. Le monde n'est pas le paradis, nul n'a jamais autour de lui tout ce dont il entend parler ou tout ce que son imagination frustrée aimerait lui voire trouver. Mais ce qui s'y trouve déjà, et que l'on ignore, est suffisant. Pour Barjavel, les mille objets qui nous entourent, les mille détails sans importance, les mille banalités éternelles ou éphèmères, sont tout ce dont un homme a besoin, s'il sait s'en contenter, pour assurer le bonheur de son quotidien. Ce sont les fleurs des alpages ou du petit square, les chemins de montagne ou avenues de grande cité, les petits ruisseaux ou les fontaines du centre-ville. Ce sont ce qui est, et que l'on ne voit pas.

Oui, je me "contente". Je me réjouis. Je ne m'en lasse pas. Je les regarde avec mes deux yeux d'homme et mon oeil de verre. Celui-ci m'apprend à mieux les voir. A mieux voir. M'enseigne que rien n'est banal. Et que la beauté nous appelle partout.

~THÉMATIQUE~
La Faim du Tigre

 C'est par leurs feuilles d'automne, jaunes, rousses, d'or, que les platanes participent au grand concert végétal des couleurs.

Quand on la regarde de près, on aperçoit grossièrement le plan de son organisation de travailleuse : une ville industrielle vue de satellite.

À côté de l'émerveillement, il ne faut pas négliger la curiosité et la compréhension. Barjavel écrit un texte qui fait montre d'une grande érudition, dans plusieurs domaines. Il s'intéresse par exemple de près à la reproduction des fleurs, raconte comment le pistil est fécondé par les étamines, établissant ainsi le lien avec les insectes. Il fait des comparaisons avec la reproduction animale, puis exhibe des exemples, il établit des classements, dissèque des processus. Il nomme de nombreuses espèces qu'il a photographié, raconte d'où vient le nom du coquelicot, ou fait l'exegèse de nombreuses coutumes en rapport avec les saisons. Curieux, il cherche à appronfondir cette connaissance, à élargir ses horizons. Mais il se bute vite à une science sans grand interêt, qui ne lui apprend plus rien.

Un livre savant me dit que le pétunia est une solanacée-salpiglossée à corolle infundibuliforme...

Bloqué, il lui reste l'opportunité d'une appréhension toute personnelle. S'il est hélas plus facile de se réjouir de ce que l'on voit que de le comprendre. À défaut du second, ne surtout pas sacrifier le premier. D'autant plus que c'est peut-être même la véritable façon de comprendre.

J'en sais bien plus en m'approchant de ma fenêtre... Le soir, quand l'après-midi a été chaud et tranquille, dans la fraîcheur qui remonte du sol, le pétunia rose, extasié, exhale un parfum léger, exquis, vers lequel il faut se pencher pour le touver et le boire...

Dans l'émerveillement, il y a, pour partie, celui de l'intelligence qui prend conscience de la réalité qu'elle observe, qui imagine, qui conçoit l'alchimie miraculeuse du vivant :

dans le moindre brin d'herbe, des millions de formidables usines sont au travail. Minutieuses, précises, compliquées, efficaces, les cellules végétales accomplissent une tâche magique dont la science humaine est incapable. Elles font la synthèse du matériel et de l'immatériel, de la lumière et de la terre, de l'eau et de l'air, réunissent les quatre éléments inanimés pour en faire leur propre chair vivante. La caillou, le vent, la pluie, le rayon de soleil, dans le brin d'herbe, sont devenus vie.

Et cette ingéniosité parfaite nous ramène aux questions métaphysiques de la faim du Tigre. Pourquoi ? Pour qui ? Ainsi qu'à ses conclusions et ses préoccupations.

Par un atroce mystère, quand le vivant est devenu ambulant, il a dû, pour continuder de vivre, tuer. Le vivant enraciné ne tue pas.

Mais cette angoisse du cycle de l'assassinat, du meurtre programmé dans la création, n'intervient que plus tard, bien après avoir pris le temps de célébrer le spectacle, qu'il soit visuel ou intellectuel. Cette remarque de l'association incongrue et abominable du meurtre à la vie, qui était inévitable, est cependant, dans ce texte, très courte, quelques phrases seulement. Elle n'intervient qu'alors que la nature elle même entre dans une période mortuaire, l'hiver. Barjavel ne semble pas vouloir s'attarder ici sur cette question qu'il n'arrive pas à placer dans sa philosophie. L'hiver et la mort semblent lui aussi le faire douter, l'attrister.

C'est la saison des douleurs et des doutes. La neige est tombée sur l'arbre de la ville, et sur celui de la forêt. On commence à oublier qu'il y a eu des feuilles, des fleurs, l'été...

C'est l'écueil récurrent sur lequel semble devoir s'échouer toujours la pensée de l'auteur. Inévitablement, en parcourant son oeuvre, on en revient à ces passages où il desespère de comprendre pourquoi, comment le merveilleux, la prodigieuse harmonie du monde, de l'univers, peut s'appuyer sur sa propre destruction. Il réussit à comprendre la mort, à la penser naturelle. Dans le Grand Secret, il la juge déjà nécessaire. Dans Demain le Paradis, il a fini par la trouver juste, et l'attend avec quiétude. Mais la violence, la souffrance, il ne leur trouve aucune excuse, aucune justification, aucune place dans la création. S'il réussit parfois à passer outre, c'est au prix d'un excès qui, bien sûr, ne le satisfait pas. Dans le Voyageur imprudent, ce sont des hommes sans humanité sur une terre sans géographie qui réussissent à établir une société débarrassée de la lutte des espèces. Ici, il n'insiste pas sur la « solution » trouvée par les végétaux, qui ne vivent que de terre et de lumière, qui projettent et étendent leur règne au détriment d'aucun autre. Il esquisse néanmoins une vision à peine exagérée d'une harmonie du vivant, qui progresse sans tuerie, et comme, il aimerait le voir étendue à toutes les espèces :

les fleurs et les insectes échangent leurs joies et leurs services, les unes offrant aux autres des nourritures délicates, les autres, dans la satisfaction bourrue de leur appétit, aidant les premières à accomplir leur devoir exquis de fécondation.

Alors que faire de plus que ces rêveries de romancier, auxquelles il ne s'abandonnera jamais totalement ? Ne pas s'omnubiler sur la mort, qui fait, certes, partie du cycle. Ne pas mourir avec l'hiver. Le marronnier s'endort avec lui mais se réveille vite après. Le printemps fini toujours par revenir. Les graines se répandent à nouveau. Les bourgeons germent. Les fleurs seront bientôt de retour.
Ne pas mourir avec l'hiver, ou alors mourir heureux du printemps passé. Le printemps reviendra au moins pour les autres.


CRITIQUES PARUES À PROPOS DU LIVRE

Le livre fut publié assez discrètement, mais fut salué par son éditeur par un prière d'insérer que j'ai eu la chance de trouver dans un exemplaire du service de presse , que l'on pourra lire { ici }.


CRITIQUES de VISITEURS


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