Article de René Barjavel au Journal du Dimanche du 12 octobre 1980
 



Les trois coquilles de René Barjavel

 

Une série de trois coquilles a donné à mon article de la semaine dernière, consacré au salon de l'automobile, une allure bizarre et une fin singulière. La coquille est, pour le journaliste et l'écrivain, un ennemi perfide qui le frappe de loin et dans le dos, en ricanant. La victime ne peut rien faire, sinon rectifier. Mais cela ne sert pas à grand-chose : quand le lecteur lit la rectification, il a déjà oublié l'article, ou bien ce ne sont pas les mêmes lecteurs qui lisent le texte déformé, parfois stupéfiant, et le texte tardivement rétabli.
La plus belle coquille, la plus effarante, célèbre dans notre métier, fut infligée à un journaliste très connu, dans un grand journal. Il avait été constamment victime de ce petit démon malfaisant qui, déjouant l'attention des compositeurs et la vigilance des correcteurs, se plaît à semer le burlesque ou l'odieux dans les proses innocentes. Il avait noté ses méfaits, tout au long de sa carrière, et il décida, un jour, d'en faire une sorte d'exposition vengeresse, en leur consacrant un grand article, qui apparut sous le titre : « Mes coquilles ».
L'affreux petit démon ne pouvait pas manquer une occasion pareille : Et le mot « coquilles » fut imprimé, en belles lettres bien grasses, à des centaines de milliers d'exemplaires, sans la lettre Q… Voyez vous-même ce que cela donne…
J'ai été victime, en tant qu'écrivain, d'un incident du même genre. Dans un de mes livres, je terminai un chapitre par les deux phrases suivantes : « Je sais que je ne sais rien. Et merci à Dieu d'en savoir si long. »
Cette affirmation manquait d'originalité, mais une coquille vint lui donner un relief inattendu. Ce fut la première lettre du verbe savoir, la lettre s, qui disparut à l'impression...
Le résultat était une exclamation pour le moins prétentieuse... Deux correcteurs et moi avions vu les épreuves sans voir la coquille, et ce ne fut que des années plus tard, au cours d'une relecture de mon livre, que je la dénichai, satisfaite, bien grasse et ronde, épanouie en haut de la page comme une fleur empoisonnée…
Pour en revenir à mon article de la semaine dernière, je ne relèverai pas les deux premières perles, qui n'introduisaient que des modifications sans grande importance, mais seulement la troisième, qui est assez ahurissante.
J'avais écrit :
  « … les monstrueux et absurdes éclairs du terrorisme et du pétrole flambant. »
Et cela est devenu :
  « … les monstrueux et absurdes éclairs du tourisme et du pétrole flambant. »
Il n'y a rien à dire. C'est d'une stupidité innocente et parfaite. Qu'a pu penser le lecteur, étonné, de ces monstrueux éclairs du tourisme flambant ? Sans doute que les journalistes sont parfois bien obscurs dans l'expression de leur pensée. Si pensée ils ont…
Il est toujours trop tard pour remettre les lettres et les idées en place. Mais il fallait le faire. C'est fait. J'espère qu'aucune nouvelle coquille n'est venue jeter la perturbation dans les explications de ma rectification…

* Notre ami RB sera récompensé de son amour des animaux samedi prochain 18 octobre dans le salon Bienvenue de l'hôtel Sheraton (19, rue du Commandant-Mouchotte, Paris-14ème) : la S.P.A. lui remettra sa médaille d'or afin de le remercier de son action et de son dévouement en faveur des bêtes.

12 octobre 1980