Article de René Barjavel au Journal du Dimanche du 30 janvier 1977
 



Centre Beaubourg : Dieu que c'est laid !

 

L'opinion de René BARJAVEL sur le Centre Beaubourg

DIEU, QUE C'EST LAID !

Et l'intérieur, même s'il comporte deux merveilles,
est si triste !

Si on en faisait cadeau à Amin Dada ?

Une chaise de la bibliothèque
Je « teste » une chaise de la bibliothèque. Elle est juste
assez confortable pour travailler et juste pas assez pour
ne pas s'endormir...

Ce n'est pas toujours drôle d'être président de la République. M. Giscard d'Estaing vient d'avoir une semaine accablante: pour assurer l'approvisionnement de la France en énergie, il est allé en Arabie goûter le pétrole, il a voyagé dans le désert, s'est assis par terre pour manger avec les doigts les fastueux repas de l'hospitalité arabe, a assisté à des courses de chameaux dans une chaleur inhabituelle à l'Elysée et, tandis que le soleil et l'air sec le déshydrataient de l'extérieur, il était déshydraté de l'intérieur par les éruptions parisiennes de l'astre Chirac, qui chauffe dur en ce moment.

À peine revenu il essaya de provoquer une éclipse de ce soleil auvergnat, dut se rendre ensuite rapidement à Strasbourg pour inaugurer le Palais de l'Europe, et revenir aussitôt pour recevoir le vice-président des Etats-Unis d'Amérique, qui lui demanda gentiment : « Que se passe-t-il chez vous, cher ami ? Vous avez l'air fatigué... »

L'Arabie, l'Europe, les Etats-Unis et l'Auvergne dans la même semaine, il y a en effet de quoi se sentir moulu. Et ce n'est pas fini : demain soir, M. Giscard d'Estaing se rend au plateau Beaubourg pour inaugurer la cathédrale des temps modernes : le Centre National d'Art et de Culture, plus connu sous le nom de Musée Pompidou.

Ce ne sera pas sa moindre épreuve. Nous lui devons, et nous lui en sommes reconnaissants, d'avoir arrêté la prolifération des tours, sauvé la rive gauche de la Seine, étranglé dans l'œuf divers hideux projets pour le trou des Halles, mais il n'a pas pu empêcher l'achèvement du Musée Pompidou, qui était trop avancé. Et il devra, demain soir, faire semblant d'être ravi de découvrir dans la capitale ce surgissement bizarre, poussé dans ce vieux quartier comme un champignon sur un mur humide.

II sera accompagné, en la circonstance, par le roi Baudoin et la reine Fabiola, par le Président de la République du Sénégal, par Mme Pompidou, un grand nombre de personnalités et trois mille invités qui pourront se répandre et regarder partout. Que verront-ils ? Des expositions, des tableaux, des sculptures, des livres, une grande diversité d'objets et d'inventions illustrées mais ils verront surtout, ils verront partout DES TUYAUX. Plus précisément des tuyaux et des plafonds, des plafonds parcourus par des tuyaux, des foules de tuvaux traversant d'interminables plafonds. Quoi qu'on en fasse et qu'on y montre, en plus, le Musée Pompidou, à l'intérieur et à l'extérieur, est avant tout le musée des tuyaux.

Le saugrenu

Je veux m'exprimer avec modération à propos de ce monument. Je n'écris pas un article de parti pris, je n'ai aucun parti à prendre pour ou contre lui. Il existe, je l'ai regardé avec les yeux de l'innocence et je veux dire avec naïveté ce que j'ai vu et ce que j'ai appris.

Quand on débouche d'une des rues du vieux Paris sur le plateau Beaubourg et qu'on se trouve brusquement nez a nez avec cet objet gigantesque et multicolore, on est d'abord frappé de stupeur. Je ne suis pas contre les chocs. Ils détartrent le cerveau des habitudes de pensée qui risquent de la transformer en casserole qui a trop servi. Et le choc crée immédiatement l'interrogation : « Qu'est-ce que c'est ? ».

Est-ce un morceau du France, qu'on a écorcé comme une langouste et qui a perdu ici la salle de ses machines ? Est-ce une raffinerie destinée à récupérer les boues de la Seine pour en faire de l'essence ? Est-ce une niveleuse qui va se mettre en marche et percer des autoroutes à travers les quartiers ? Est-ce une presse géante à moulinettes ? Est-ce un silo à betteraves-distillerie-sucrerie, un moule à pétroliers, un aspirateur des fumées de Paris, une centrale fonctionnant à l'eau de pluie ?...

Bien entendu, on sait de quoi il s'agit, mais on cherche des analogies, on en trouve cent, et en s'aperçoit qu'elles ont toutes un point commun : le saugrenu. Et quand on a ôté les comparaisons c'est tout ce qui reste. Ce serait une très belle perceuse d'autoroute, une superbe centrale pluvieuse, une surprenante fabrique de morceaux de sucre, ce n'est qu'un hangar saugrenu.

Car ce monument du siècle n'est rien d'autre qu'un hangar, ou plutôt plusieurs hangars superposés et reliés par des tuyaux. Il a fallu beaucoup de génie pour rendre laide avec autant de complications, une chose aussi simple qu'un hangar.

Car, après le choc et les comparaisons, vient le temps de la réflexion, qui aboutit à cette conclusion :

« Dieu que c'est laid... »

C'est une conclusion innocente à laquelle est parvenue une multitude de Parisiens, sans avoir eu besoin de réfléchir beaucoup. Moi je me suis dit : « si tu trouves ça laid, c'est que tu es un vieux machin, une momie bourgeoise ratatinée, un minable Ramsès réactionnaire et mangé aux mites... » Je suis donc revenu plusieurs fois à Beaubourg, toujours avec la même innocence, j'ai vu la carcasse changer de couleur, je me suis étonné, comme tout le monde, de ne pas voir partir « les échafaudages » avant d'apprendre qu'ils faisaient partie du monument lui-même, et fatalement je suis alllé regarder à l'intérieur ce que cachait ce treillis. Peut-être était-ce ainsi dehors pour surprendre encore, pour créer un nouveau choc, quand on entrait, devant la beauté architecturale incluse. Voici la conclusion à laquelle je suis arrivé après cette visite et tout ce temps de réflexion : c'est laid à l'intérieur et à l'extérieur et de tous les côtés. Mais à l'intérieur, en plus, c'est triste. C'est laid dehors et triste et laid dedans.

Les tripes dehors

Les tripes dehors
Les tuyaux verticaux de la « façade-rue ». Ce n'est pas un chantier, c'est le bâtiment définitif

II faut maintenant que vous sachiez pourquoi ce « Centre de Culture » a l'air à la fois d'un chantier définitivement inachevé, d'un paquet de macaronis maintenus debout par des fils de fer et d'une exposition de manches à air à la Foire de Paris.

Pour gagner de l'espace, les architectes ont décide de mettre à l'extérieur tout ce qui d'habitude mange tant de place à l'interieur d'un bâtiment : les ascenseurs, les escaliers, les couloirs, tous les dégagements et toutes les conduites d'air et d'eau, tout ce qui sert au fonctionnement de l'édifice et à l'entrée et la sortie de ce qui le traverse. C'est-à-dire, très exactement, l'équivalent des organes d'un corps vivant. Les macaronis en couleur, debout ou couchés, tous les tuyaux verticaux, horizontaux ou en en zig-zag, c'est cela, c'est les tripes qu'on a mises dehors.

Prenez une jolie femme et mettez-lui, par l'imagination, les tripes en dehors de la peau... Vous voyez ce que ça pourra donner. Vous savez maintenant pourquoi, physiologiquement et inévitablement, Beaubourg est laid.

Par contrecoup, la laideur extérieure a créé la laideur intérieure. Dedans, tout est devenu vide. Les prolongements et les subdivisions des tuyaux extérieurs ont été placés aux plafonds et entre les sols et les plafonds il n'y a pas ua mur, sauf un seul, imposé par la sécurité, aux deux tiers du bâtiment, le sol étant occupé soit par des étagères à roulettes, soit par des cloisons mobiles qui, ni les unes ni les autres, ne montent jusqu'aux plafonds, ceux-ci sont visibles dans leur entier et constituent la seule perspective dégagée. On est surplombé partout par leurs immenses surfaces rectangulaires parcourues à angle droit par des tuyaux, des poutres et des luminaires rectilignes. C'est une présence pointue, agressive, omniprésente, implacable. On n'oserait plus aujourd'hui, nulle part en France, CONSTRUIRE UNE USINE COMME CELA, par égard pour le système nerveux des ouvriers. À l'intérieur comme à l'extérieur, c'est d'ailleurs le triomphe d'une architecture périmée : celle de la ligne droite. L'être humain, qui est fait de courbes, dont les mouvements sont courbes, dont le regard se déplace en courbes, et qui se souvient des courbes maternelles et de celles de la caverne ancestrale, a été condamné pendant des millénaires à construire en lignes droites parce qu'il ne pouvait faire autre chose qu'aligner et superposer des briques ou des pierres. Mais aujourd'hui le béton, matière plastique par excellence, permet enfin de construire l'espace en courbes exquises ou puissantes, avec toutes les audaces. Et le père Eiffel, avec la Tour, a démontré, il y a presque un siècle, avec quelle puissance et quelle légèreté, que c'était possible même avec du fer. Les architectes de Beaubourg n'ont construit, pour un prix atroce, qu'une boîte carrée, laide, périmée, et inutile.

Quand j'écris inutile, je ne pense pas à ce qu'elle contient, dont nous allons parler, mais au fait que lorsqu'on la visite on se rend compte qu'elle n'est rien de plus que quelques tristes halls d'usines superposés, tels qu'on les construisait, il y a cent ans, avec toutes les poutrelles et les tuyaux visibles, sans le moindre souci de blesser le regard des travailleurs : ils n'avaient qu'à ne pas regarder. Aujourd'hui, on embellit les usines. Mais deux architectes, venus du XIXème siècle, construisent Beaubourg, malgré leurs prouesses techniques, comme on a construit Citroën au début de l'industrie automobile. Alors, pourquoi ne pas avoir installé le Centre, justement, chez Citroën, qui va être désaffecté ? Les halls du Quai de Javel ne peuvent pas être plus laids que ceux de Beaubourg. Leur aménagement aurait certainement coûté beaucoup moins cher. Et il y aurait eu assez de place pour mettre les tripes à l'intérieur.

À Beaubourg, alors, on aurait pu faire un jardin...

Cactus multicolore

Que vous trouviez belles ou laides les couleurs dont est peint le bâtiment, vous croyez sans doute qu'elles ont été choisies pour des raisons esthétiques. C'est beaucoup plus simple. Les couleurs des tuyaux de la « façade » sont celles qui sont attribuées dans le monde entier aux diverses « circulations » par le Code International d'Identification des fluides. Les tuyaux verts, c'est l'eau ; les bleus, c'est de l'air ; les jaunes, de l'électricité ; les rouges, des humains ou des marchandises. « C'est beau parce que c'est fonctionnel », disent les admirateurs de Beaubourg, comme ils le disent aussi de son architecture. Ce n'est pas beau, ce n'est pas fonctionnel, c'est utilitaire. Un violon est fonctionnel, une boîte est utilitaire.

Ces couleurs se retrouvent à l'intérieur, sur les tuyaux collés au plafond. Sauf aux étages du musée proprement dit, où ils ont été uniformément peints en gris par crainte, sans doute, qu'ils ne fassent concurrence aux tableaux exposés.

Il y aura, dans ce cactus multicolore, bien des choses curieuses, pas mal d'horreurs et au moins deux merveilles : la bibliothèque et l'Atelier des enfants.

La bibliothèque ne sera pas comme notre précieuse et bien-aimée Nationale, une bibliothèque de conservation et d'archives, mais de documentation. Elle comprendra, quand elle sera complète, non seulement des centaines de milliers de volumes qui seront renouvelés constamment, mais aussi des diapositives, des films et des documents sonores. Si vous voulez tout savoir sur l'art khmer, les chemins de fer australiens, le couronnement de Charlemagne ou la vitesse des particules atomiques, vous entrerez ici. vous consulterez un catalogue qui vous indiquera où se trouve le livre que vous désirez, vous irez le chercher vous-même dans son rayonnage, vous vous assiérez à une table et, en partant, y laisserez votre livre qui sera rangé ultérieurement. Si vous essayez de l'emporter, quand vous franchirez le seuil de la salle, une sonnette retentira et vous désignera comme voleur, car la reliure de chaque volume comporte une pastille magnétique qui sera décelée par un champ invisible.

Je suis persuadé que bien des « amateurs » de livres pensent déjà aux moyens de franchir cet obstacle. Restent les caméras de TV qui, nichées au plafond parmi les tuyaux, surveillent tout le bâtiment. Malgré elles et malgré les pastilles il y aura certainement des vols. Ce n'est pas grave en regard des services que va rendre cet extraordinaire instrument de travail et de connaissance mis à la disposition de tous les Parisiens.

La bibliothèque pour les adultes sera complétée par une bibliothèque à l'usage des enfants où ils trouveront tous les livres d'images du monde et pourront les prendre et les feuilleter à leur aise.

Des nids

Mais les enfants seront encore plus heureux dans l'atelier conçu par eux. Ils se déchausseront avant d'entrer, pour avoir la joie de marcher pieds nus sur une épaisse moquette verte. On n'a pas pu y mettre un vrai gazon, et c'est dommage... Ils trouveront des murs à peindre, devant lesquels courra un léger filet d'eau pour y rincer les pinceaux, les feutres... et les mains. Ils trouveront des adultes souriants et bienveillants qui leur montreront les gestes de leurs métiers, et d'autres qui leur apprendront, en jouant à mieux voir, entendre, toucher, goûter, sentir, qui leur enseigneront à se servir de leurs cinq sens, ce qu'en général nous ne savons pas faire. Ils trouveront même des nids pour s'y blottir ! Enfin, des lignes courbes... Ce sont les enfants eux-mêmes qui les ont réclamées... Cet atelier qui, dans ses intentions. me paraît être le Palais des Merveilles, sera prolongé au dehors par un chapiteau de cirque. C'est un monde des enfants éblouis qui s'ouvre. Il est bien dommage que nous ayons, déjà depuis longtemps, grandi...

J'attends avec beaucoup de curiosité les manifestations du Centre de création industrielle. Malgré tout ce que j'ai pu lire à son sujet, je n'ai pas encore pu comprendre ce que c'était. Va-t-on y exposer la moulinette ou lui chercher un fonctionnement hélicoïdal ? On a écrit que c'était un nid de contestataires. Tant mieux. S'il y a un domaine dans lequel il faut contester, casser les habitudes, et innover, c'est bien celui de la création industrielle, qui a toujours vingt ans de retard sur la technique. Voyez le temps qu'il a fallu pour donner aux automobiles une forme différente de celle des voitures à chevaux... Et comme la montre électronique, qui n'a pas de mécanisme, a peine à s'arracher à l'aspect qui était imposé à la montre mécanique par ses rouages rigides... Si Lip avait eu à sa disposition le Centre de création industrielle sa marque aurait peut-être conquis le monde au lieu d'aboutir à la faillite.

Il y a bien d'autres choses dans cette immense boîte, et au-dessous : en particulier une exposition « d'archéologie future ». Je crois... Est-ce bien cela ?.. Le passé de la ville vu depuis l'an 3000...

Cela me paraît séduisant. Faudra voir pour se rendre compte.

Il y a aussi une salle de spectacle, et, bien entendu, le fameux « Institut de Recherche et de coordination acoustique-musique », dirigé par Pierre Boulez. Ce qu'on y fera, là non plus, je n'ai pas bien compris. Peut-être espère-t-on, grâce à l'électronique, aux moyens les plus sophistiqués de création et de dissection des sons, trouver l'inspiration nouvelle pour la musique contemporaine qui n'a rien fait jusqu'à maintenant que se passer elle-même à la moulinette ? (encore la moulinette ! c'est ici une obsession constante...). On verra bien... Ou plutôt on entendra. Un instrument fabuleux a été créé. Si le génie n'y tombe pas, foudroyant, on n'y moudra que du zinzin.

Il y a l'administration... Les malheureux fonctionnaires du centre sont installés entre ce qu'on nomme des cloisons mobiles. En réalité, ce sont des paravents, disposés en labyrinthe et où les usagers ne peuvent retrouver leur bureau et leur chaise qu'à la boussole. J'ai été reçu très courtoisement par M. Gilbert Paris, directeur des relations extérieures, entre trois paravents. Il avait l'air d'avoir été installé momentanément dans un coin, à l'abri du chantier. Mais c'était du définitif. On le changera peut-être de place, mais il ne fera que changer de paravents. Il n'avait pas l'air gai. Mme Bellaigue, qui m'a aimablement piloté d'étage-plafond-tuyau en étage-tuyau-plafond, n'avait pas l'air réjouie, elle non plus. On les comprend. Nous ne ferons que traverser la boîte. Eux y restent.

Antimusée et non-public

Enfin il y a, sommet-des-sommets, le Musée proprement dit, le Musée dit d'Art Moderne. C'est, appuyé sur l'alibi de quelques grands maîtres comme Van Dongen, Matisse, Derain, une tentative de mise en place définitive, dans la puissance et la gloire, de la peinture non-figurative. On nous dit sérieusement qu'on a voulu faire un anti-musée pour attirer un non-public. Ajoutons qu'il y verra de la non-peinture. Toute cette immense supercherie « artistique » n'aboutit jamais qu'à fabriquer des mètres carrés de juxtapositions de couleurs qui dans leurs meilleures réussites pourraient servir de maquette à du linoléum ou de fond de vitrine à un grand magasin. C'est du « décoratif », parfois agréable, souvent hideux, mais ça ne va pas, et ça ne peut pas aller plus haut, malgré toute la littérature délirante et incompréhensible que ça inspire aux esprits compliqués, ou intéressés. Les tenants de cette gigantesque fumisterie, solidement installés au cœur d'un complexe de snobisme, de jobardisme et de commece, nous accusent d'être rétrogrades et de ne pas les comprendre. « Il en a toujours été ainsi », disent-ils. Voyez Van Gogh, voyez Modigliani.

II y a une petite différence : personne ne connaissait Van Gogh et Modigliani, qui crevaient de faim et de désespoir. Eux sont bien connus et pas du tout « maudits », merveilleusement défendus par les marchands et les critiques. Ils roulent sur l'or et voyagent en Concorde pour aller voir leurs clients américains. Il y a sans doute aujourd'hui un nouveau Van Gogh, un nouveau Modigliani, qui sont en train de crever de faim quelque part. Ils ne leur permettront jamais de réussir. Ils sont les nouveaux « académiques » bien plus intransigeants, féroces et prospères que ceux de la fin du XIXème siècle. Le Musée Pompidou prétend être un piédestal ; ce n'est que la caserne des pompiers.

100 Milliards

Les architectes du Centre sont italien et anglais, c'est Krupp qui en a fabriqué le squelette d'acier, et naturellement c'est le manœuvre nord-africain qui en a assuré l'assemblage. Voilà une cathédrale bien française... Dieu sait si je suis pour l'entente internationale ! Mais pas pour la disparition des caractères nationaux. Or ce qui caractérise avant tout une nation et la civilisation qui y pousse, c'est son architecture. Nous pouvons dire en contemplant Beaubourg, que nous sommes bien caractérisés...

Sa construction a coûté 100 milliards anciens... Son fonctionnement coûtera au minimum 13 milliards par an. C'est-à-dire de quoi construire cinquante collèges ou bibliothèques CHAQUE ANNEE !

Qui paiera ? NOUS, bien sûr. Mais quel ministère ? Mme Françoise Giroud pousse déjà des cris. La boîte va drainer tout son budget. C'est un sacré caillou pointu dans la chaussure du gouvernement. Tout le monde en est consterné et obsédé. Comme les jambes du cadavre d'Ionesco, ses tuyaux grandissent chaque jour. « Il » est là, il est laid, il est ruineux, comment s'en débarrasser ?

Curieusement, c'est par la représentation de « L'Impromptu », d'Ionesco, que se terminera l'inauguration. M. Giscard d'Estaing trouvera sûrement ce choix symbolique. S'il réfléchit un peu, il pourrait...

Il pourrait, dans un geste de géniale générosité, en faire cadeau à Amin Dada...

Mais le sacré grand diable serait capable de le refuser...

30 janvier 1977