Le "style Mucha" ou l'insoutenable légèreté de peindre.
Ernest PIGNON et Willy MUCHA
Le livre d'Or où les meilleurs amis de Willy Mucha ont laissé qui une aquarelle, qui un dessin, un poème, ou une simple dédicace, est bien plus qu'un simple témoignage du sens de l'amitié et de la convivialité qui caractérisaient cet artiste nomade tombé amoureux du soleil catalan. Car Willy Mucha est un capteur des formes et des couleurs, de l'air du temps, des émotions des autres. Aussi à l'aise sur le motif de la côte des Albères que celui des gratte-ciel de Pittsburgh, il y a, lorsqu'on examine attentivement l'œuvre de l'artiste, un " style Willy Mucha " fait de légèreté, de grâce, de recherche des atmosphères et des impressions instantanées traquées par un regard infaillible.
" La rencontre avec Dufy a été pour moi déterminante ", écrit-il, " auprès de lui j'ai découvert, non seulement la raison de la couleur mais surtout celle de la lumière ". L'influence de Dufy et de son graphisme si reconnaissable aura donc été essentielle dans l'élaboration de cette œuvre nourrie aussi au fil des rencontres avec Max Ernst, Jacques Villon, Picasso, Man-Ray, Bellmer, Dali, Lam, Arp et tous ceux qui ont apposé leur marque au livre d'Or de Willy.
Mucha traverse le vingtième siècle en goûtant à chaque source tel un voyageur gourmand et curieux de tout. Il y a du Vieira da Silva chez cet homme, mais aussi des soleils à la Miro, des brumes ensoleillées que le grand Turner n'aurait pas désavouées, sans oublier les immenses fresques murales abstraites dans la veine de Kandinsky.
L'œuvre picturale de Willy Mucha est plurielle. A ce titre, elle est singulière, difficilement classable dans les archétypes de la critique. Il s'agit au demeurant d'une posture particulière guidée par le souci de prendre ici et là le meilleur afin de capter au plus près les vibrations de lumière de ses sujets.
Willy MUCHA Feu d'artifice à Collioure
Le " style Mucha " est ainsi fait de ces synthèses inédites entre des esthétiques fort différentes les unes des autres, de ces fulgurances servies par une maîtrise technique et une virtuosité exceptionnelles de celui qui se targuait pourtant d'appartenir " à la race des accusés et non à celle des juges ".
Mucha, l'ami des autres était aussi un solitaire, comme le sont d'ailleurs tous les peintres dans le face à face singulier avec la toile ou la feuille de papier.

" La peinture de ce siècle est hybride " écrit-il, à l'image de son œuvre, en précisant : " J'ai pratiqué une peinture qui changea constamment, selon le lieu, l'inspiration et les périodes de sa conception ". Par exemple, le thème de la vieille femme Catalane, traitée comme une austère madone vêtue de noir, sert-il de prétexte aux variations les plus amples. Tantôt dans une veine expressionniste, dans un style européen du nord (n'oublions pas que Mucha est Polonais d'origine), tantôt dans un ordonnancement géométrique au hiératisme quasi abstrait.
Willy MUCHA Collioure
Willy MUCHA
Willy MUCHA
Willy MUCHA
Willy MUCHA Hommage à Max Ernst
Willy MUCHA sur sa terrasse à Collioure
Willy MUCHA Collioure
Willy Mucha balance entre les limites que peu d'artistes osent franchir.
Il revendique ce vagabondage, tout comme le nomadisme de sa vie et de son style.
Le " style Mucha " est celui de l'abeille qui butine de fleur en fleur. Les barques de Collioure - un autre thème emblématique de son œuvre - peuvent apparaître dans l'arabesque d'un trait de fusain tout comme dans l'à-plat d'une toile où seules, la couleur et la lumière sont traitées. L'intuition compte ainsi bien plus que la raison. Mucha de ce point de vue, et il le disait, est plus de l'Orient que de l'Occident. L'imaginaire compte plus que le réel. L'art de Mucha est d'essence médiative.
Capter l'air du temps et sa lumière -, traduire les fulgurances d'une forme saisie sur l'instant, comme seuls savaient le faire les grands maîtres de la peinture Zen ; amener les vibrations lumineuses sur la toile à la manière d'un Rothko : tout Willy Mucha est là et telles resteront les obsessions du peintre pour qui la question de la lumière et de son incandescence occupent une place centrale.
Willy MUCHA Rolande
Willy MUCHA New York
Cette quête permanente de la quintessence des choses, qu'on pourrait qualifier de nietzschéenne, car sous les apparences de la joie et de la futilité on sent aussi les accents désespérés de ceux qui recherchent l'absolu sans jamais l'atteindre tellement sont grandes leurs exigences, se traduira, au fil des années, par une technique de plus en plus aérienne, faite de suaves transparences, de lavis délicats de " sfumati " volatils. Comme si c'était dans le dépouillement et l'économie du trait et des couleurs que Willy Mucha cherchait ainsi à atteindre l'absolu de sa peinture.
Claire FRECHES-THORY,
Conservateur en Chef au Musée d'Orsay.
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