Le cercle de l'éternel déluge

par Lauric Guillaud,
maître de conférence à l'Université de Nantes


Mais dans le temps qui suivit, il y eut des tremblements de terre et des inondations extraordinaires, et, dans l'espace d'un seul jour et d'une seule nuit néfastes, tout ce que vous aviez, de combattants fut englouti d'un seul coup dans la terre, et l'île Atlantide, s'étant abîmée dans la mer, disparut de même.
Platon (Timée, IVème siècle av. J.-C.)

Défricher le maquis littéraire des continents disparus, et en particulier le mythe de l'Atlantide, " le plus populaire et le plus vénérable de la conjoncture rationnelle {1} ", semble relever de la gageure ; ne serait-ce que dénombrer la somme des ouvrages se rapportant à ce thème. Le fichier bibliographique de l'association " Atlantis " ne comportait pas moins de 3 600 numéros en 1959, bibliographie principalement centrée sur l'Atlantide de Platon, située à l'ouest de la Grèce antique {2}. On estime que sans tenir compte des ouvrages délibérément romanesques comme celui de Pierre Benoît (L'Atlantide), le mythe de l'Atlantide aurait suscité environ 40 000 volumes à prétentions scientifiques {3}. C'est dire l'énormité de la tâche qui attend l'historien de cette nouvelle discipline, qu'on a coutume d'appeler l'" atlantologie " et dont Olivier Boura retrace la généalogie {4}.

La fiction atlantidienne recoupe une large part du corpus relevant du thème populaire du " monde perdu {5} " : romans publiés des années 1870 jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, qui ont pour cadre un continent réputé disparu, l'Atlantide, Mu ou la Lémurie, ou qui décrivent des civilisations fabuleuses d'un passé prodigieux, l'éloignement dans l'espace faisant place à l'éloignement dans le temps. Parallèlement, des poèmes épiques {6}, des ouvrages de pseudo-science, des révélations à caractère religieux ou philosophique, des cosmogo-nies et des bibles, des exposés théosophiques ou d'inspiration médiumnique ont été consacrés à l'atlantologie. La frontière se révèle floue entre le didactique et le romanesque, et l'on constate une contamination de la fiction avec la croyance {7}" ; ainsi, la topographie est influencée par les diverses hypothèses relatives à l'emplacement du continent mythique (dans les Sargasses, en Amérique centrale, au fond des mers), aux théories fantastiques prônées par l'occultisme (Scott-Elliot) ou aux conjectures avancées par la pseudo-science (Bellamy).

Au moment où triomphe l'archéologie " romantique ", ou plutôt " fantastique " (deuxième moitié du XIXème siècle), l'inspiration de plusieurs romanciers fascinés par les mystères du passé se tourne vers ce que certains ont appelé " le plus grand mystère archéologique de tous les temps {8} ", " la plus célèbre terre engloutie du monde {9}" ou le " mythe suprême de l'humanité {10} ", c'est-à-dire l'Atlantide.

On peut classer les romans atlantidiens en deux rubriques : les romans atlantidiens " historiques ", ou plutôt " méta-historiques ", s'attachant à la reconstitution romancée des événements cataclysmiques dans le passé, et les ouvrages " contemporains ", plus nombreux et plus proches de la thématique des mondes perdus, évoquant des colonies atlantes ayant survécu à la catastrophe jusqu'à nos jours. Ces ouvrages étant nourris d'informations collectées au fil du temps, rappelons brièvement l'origine d'un mythe qui s'est manifesté de manière " cyclique " dans l'histoire.

I. Origines et résurgences du mythe atlantéen

Le récit le plus ancien que l'on ait au sujet de l'Atlantide est celui de Platon (IVème siècle av. J.-C.), qui la décrit dans deux célèbres dialogues, Timée et Critias. Dans le Timée, Platon ne fait qu'esquisser l'histoire de l'" île Atlantide ", sa guerre contre les Athéniens et sa disparition finale sous les eaux, tandis que le Critias, composé ultérieurement, revient en détail sur le " domaine de Poséidon ", ses rois, ses ressources et sa topographie, mais le récit s'achève brutalement, avant même le châtiment final infligé par les dieux. Ces récits ont donné naissance à une polémique qui, aujourd'hui, divise encore les lecteurs en deux camps : ceux qui perçoivent l'Atlantide comme une légende, et ceux qui, à ce nom, ont la vision d'un paradis terrestre, de cités dorées dormant au fond de l'océan, d'un continent s'affaissant dans un grand cataclysme naturel, de survivants colonisant d'autres parties du monde, afin de sauvegarder une culture qui est devenue la nôtre.

Selon Platon, l'océan occidental, plus de neuf mille ans avant son époque, contenait un archipel dont une île, située " à la bouche de l'Atlantique ", était nommée Atlantis. Les habitants de cet Eldorado avaient doté leur ville, éloignée de cinq milles de la mer, d'un grand port artificiel et d'un gigantesque temple consacré à Poséidon. Malheureusement, " ayant conquis la Libye jusqu'à l'Egypte et l'Europe jusqu'à la Tyrrhénie ". les Atlantes voulurent s'emparer d'Athènes et subirent la défaite. Poséidon décida de les châtier pour être sortis de leur royaume " atlantique " et " récompensa " tout l'art qui avait été mis en oeuvre pour son temple en provoquant des tremblements de terre et des inondations qui engloutirent l'Atlantide et toutes les autres îles {11}.

L'importance de ce mythe se mesure à l'aune des innombrables commentaires sur l'empire atlante, périodiquement réitérés dans l'histoire, comme nous le verrons. Mais la fiction moderne entretiendra elle aussi des rapports étroits avec les textes platoniciens, dont l'équivoque autorisera les interprétation les plus audacieuses, notament dans le domaine de la science-fiction. On observera en effet un processus de dilution d'un certain type de récit - le mythe - dans un genre littéraire - le roman -, entraînant une démythification radicale : " L'Atlantide n'est pas engloutie mais cachée, les Atlantes sont parfaits et non impurs, l'utopie exemplaire du châtiment devient le roman épique du salut ", remarque Chantal Foucrier {12}. Ce glissement progressif du mythe vers la littérature de mondes perdus est imputable au silence narratif sur lequel s'achève le Critias : la chute des Atlantes, évoquées sans être explicitée, leur métamorphose modale, leur défaite devant les Grecs, leur disparition sous les eaux, tels sont les rudiments romanesques que Platon ne fait qu'ébaucher.

L'unique indication avancée par l'auteur du Timée sur l'engloutissement de l'île alimentera les querelles érudites pendant plus de vingt siècles :

"  dans l'espace d'un seul jour et d'une seule nuit néfastes [...], l'île Atlantide, s'étant abîmée dans la mer, disparut de même. Voilà pourquoi, aujourd'hui encore, cette mer-là est impraticable et inexplorable, la navigation étant gênée par les bas-fonds vaseux que l'île a formés en s'affaissant. " (Timée, p.408)

Paradoxalement, la lecture du Timée est gommée par le Critias, où Platon évoque la splendeur de l'Atlantide, et non sa chute. Ainsi s'insine le doute dans l'esprit du lecteur qui a l'impression de retrouver une île qui vient de ressurgir après son engloutissement. Tel est le trouble dont s'est emparé la science-fiction, qui va profiter de l'ambiguïté platonicienne pour ressusciter un pays perdu, utilisant l'Atlantide de Platon comme un moteur narratif grâce auquel le roman peut ressortir à l'enquête scientifique et au suspense inhérant à l'aventure. Il peut ainsi librement chercher ses thèmes du côté de l'occultisme ou s'abaondonner à la fantaisie des " uchronies ", jouant à la fois des décors " futuristes " (cités de verre, machines volantes) et de moeurs " archaïques " (société hellénisante, communauté patriarcale).

Pour comprendre les développements romanesques du mythe atlantéen, il faut le mettre en perspective historique car ce mythe d'une cité idéale a de tous temps excité la curiosité des érudits : " Le plus prodigieux roman policier de l'histoire, puisqu'on en cherche la clé depuis 2 500 ans ", comme l'affirme Jacques Van Herp {13}. Et si l'île des Atlantes avait vraiment existé ? A partir de cette hypothèse, les théories " cataclysmiques " n'ont cessé de se succéder, alors que la science actuelle penche en faveur d'un mythe inventé par Platon d'une cité grecque habillée à la manière barbare pour donper corps à la " Cité de l'Homme {14} ", société idéale de type socialiste. Opposant le tableau d'une cité parfaite (l'Athènes archaïque) à celui d'une cité déchue (l'Atlantide), le texte de Platon, juxtaposant réalité et fiction, préparerait les utopies des siècles à venir. Il constituerait une allégorie didactique destinée à vanter les mérites de l'Empire athénien alors en décadence. Mais la cité idéale que décrit le philosophe est-elle purement imaginaire ?

Platon a-t-il recueilli, comme il le prétend, des traditions orales ou était-il un admirable fabulateur usant, dès l'Antiquité, du mode narratif de la rhétorique de la vraisemblance ? Un demi-siècle avant lui, Hérodote mentionne des Atlantes, population vivant en Afrique, vers l'Atlas et les côtes de l'océan Atlantique, mais Platon est le premier à évoquer une île appelée Atlantide. Certains auteurs grecs contemporains ou ultérieurs, comme Aristote, Posidonius, Strabon et Longin, ne virent là qu'un produit de l'imagination de l'auteur, mais quelques-uns reprirent l'histoire à leur compte, comme Diodore de Sicile qui, au 1er siècle avant notre ère, relate une guerre entre les Atlantes, établis à l'ouest du Sahara, et les Amazones, qu'il situe vers l'actuelle Tunisie {15}. De même, Elien cite l'historien Théopompe (IVème siècle av. J.-C.) qui rapporte un entretien de Midas et de Silène à propos d'une grande île belliqueuse, aussi riche et civilisée que l'Atlantide. Au Moyen Age, le récit de Platon eut peu d'écho, sans doute en raison de son désaccord avec la Bible et de l'influence toute-puissante de la philosophie d'Aristote. Néanmoins les traditions mythico-géographiques survécurent : l'océan Atlantique était toujours considéré comme une région mystérieuse où l'on plaça les îles Fortunées, l'île de saint Brandan, l'île des Sept Évêques, l'île Antilia, l'île des Sept Cités, l'île Brazil, tandis que les Celtes y localisaient aussi leur Pays des Morts ou Avalon.

Le mythe de l'Atlantide retrouve une vigueur nouvelle à la Renaissance grâce au renouveau du platonisme et à la découverte de l'Amérique. En 1553, l'Espagnol Gomora, dans son Histoire générale des Indes, a l'idée d'assimiler l'Atlantide au nouveau continent américain, et l'on rapproche philologiquement la légendaire " Atzian ", des Aztèques du nom du continent disparu. Une brèche s'ouvre, où vont s'engouffrer nombre d'écrivains et de scientifiques...

Sensibles à l'impact de l'aventure maritime et de la découverte du Nouveau Monde, les réformateurs intègrent l'enseignement des Grecs au nouvel idéal de la Renaissance. En 1516, Thomas More publie son Utopie, " réconciliation de la cité aux lois justes et de son ennemie l'Atlantide {16} ". Campanella décrit en 1611 une cité idéale, communiste et scientifique, la " Cité du Soleil " qui, avec ses sept cercles concentriques, rappelle fortement, sous un autre nom, la métropole atlantique de Platon {17}. Francis Bacon, qui identifie l'Atlantide platonicienne avec le continent américain, meurt en 1628 avant d'avoir terminé son ouvrage Nova lnsula Atlantis. La Nouvelle Atlantide marque l'émergence d'un rationalisme ordonné qui affirme la prééminence du savant. L'autarcie des Atlantes devient alors la concrétisation du rêve utopique d'instaurer les " lumières " à l'Ouest.

Le premier auteur qui propose une hypothèse précise quant à l'emplacement de l'archipel mythique est le jésuite Kircher qui publie en 1665, dans Le Monde souterrain, une carte de l'Atlantique représentant l'Atlantide entre les deux continents, en y englobant les Canaries et les Açores.

On peut dire que le XVIIème siècle marque le départ véritable des fantaisies " scientifiques " engendrées par l'Atlantide, dont l'emplacement évolue au gré des plumes. Le Suédois Rudbeck prétend placer l'île mystérieuse dans son propre pays (1675), et l'Allemand Bock soutient le premier l'idée d'une Atlantide ouest-africaine (1685).

Au Siècle des lumières, les divagations géographiques se multiplient. Olivier de Marseille, Eurenius et Baër situent l'Atlantide en Palestine (1726, 1754, 1762), Bartoli le fait en Attique (1762), de Sales en Sardaigne (1779). Buffon émet l'idée qu'une partie de l'Amérique, et avec elle l'Islande et les Açores, constituent les restes d'une grande île de l'Atlantique, tandis que, selon J.S. Bailly, une île nordique, le Spitzberg, n'est autre que l'Atlantide (1779).

Si, au début du XIXème siècle, Alexandre de Humboldt nie toute valeur historique au récit de Platon, Bory de Saint-Vincent y souscrit, admettant à son tour que les îles Canaries et les Açores représentent les restes de l'Atlantide (Essai sur les îles Fortunées et l'Antique Atlantide, 1803).

Sur le plan littéraire, les romantiques allemands offrent du mythe atlantidien une lecture qui reflète les vues scientifiques des philosophes de la Nature. Le roman inachevé de Novalis, Henri d'Ofterdingen (l802) et le conte d'Hoffmann, Le Vase d'or (1814), renvoient à un paradis dont les hommes ont perdu la mémoire pour s'être abandonnés à la religion de la Raison, substituant à la vision d'un royaume disparu celle d'un monde régénéré. Le mythe de l'âge d'or renaît, tel le phénix.

A partir de la deuxième moitié du XIXème siècle va se développer une véritable littérature atlantidienne qui entretient la confusion entre science et imaginaire. Il faut arriver en 1855 pour voir reprise par Jacob Kruger l'opinion périmée qui identifiait l'Amérique avec l'Atlantide, ainsi que par le poète allemand Robert Prutz qui s'efforça en outre de démontrer que les Phéniciens avaient découvert l'Amérique...

L'ouvrage de E.F. Berlioux, Les Atlantes (1874), marque le point de départ des Atlantides africaines, en tentant de démontrer que le continent perdu se trouve dans l'Atlas. Léo Frobenius le situe dans la région de Bénin au Nigeria, Knotel en Afrique du Nord, Borchardt et Herrman en Tunisie. Le romancier Pierre Benoît s'inspire de la légende de l'ancêtre mythique des Touareg connue sous le nom de Tin-Hinan pour sa célèbre Atlantide (1919), perdue dans le Hoggar.

Paradoxalement, les ouvrages où le fantastique le dispute au légendaire éclipsent presque totalement les livres plus sérieux... et donc plus fastidieux. Les théories scientifiques sont mises sous l'éteignoir par des ouvrages de pseudo-science qui connaissent un grand succès populaire à l'aube du XXème siècle, en particulier ceux d'Ignatius Donnelly et d'Augustus Le Plongeon.

L'Atlantide s'est partagé avec d'autres " civilisations " tout aussi hypothétiques, comme Mu et la Lémurie, ou même historiques comme celle de l'Egypte, l'honneur d'être placée à l'origine de toutes les cultures humaines. Ce " diffusionnisme " atlantéen est inauguré par un Américain. Ignatius Donnelly, dont l'Atllantis, the Antediluvian World (1882) est constamment réimprimé {18}. Bien qu'il soit un tissu d'à-peu-près, l'ouvrage devient en quelque sorte la " bible de l'atlantisme ".

Selon cet auteur, l'Atlantide aurait été le point de départ de notre civilisation actuelle. Fasciné par la philologie, Donnelly croit pouvoir rapprocher l'alphabet maya de Landa, publié par l'abbé C.E. Brasseur de Bourbourg, des hiéroglyphes égyptiens, et se vante d'avoir découvert des similitudes de langage entre les Chinois et les Indiens Otomi de Mexico. Après avoir étudié la tradition universelle du Déluge et avoir exclu la possibilité d'une ressemblance de hasard, il avance une seule origine possible : l'Atlantide. Malgré son manque de rigueur scientifique, l'ouvrage de Donnelly se vendra pendant des années à des milliers d'exemplaires.

Sans le vouloir, et de façon primaire, Donnelly fait oeuvre de mythologue, recensant les plus anciennes traditions des peuples perdus afin d'en démontrer l'universalité. C'est cette quête maladroite des origines de la civilisation qui explique la surprenante adhésion des lecteurs de l'époque, avides de retrouver la voie perdue de la croyance, dans un monde en pleine mutation. Ainsi s'explique parallèlement le succès des romans de mondes perdus atlantidiens, marqués par un retour aux origines et aux mythés paradisiaques de l'âge d'or et influencés par la vague d'occultisme qui déferle alors sur l'Europe et l'Amérique.

Sous l'insolite égide de la science et de l'occultisme, l'on exhume d'autres civilisations englouties. L'invention de la Lémurie, continent de l'époque tertiaire qui se serait abîmé dans les eaux de l'océan Indien, date de 1830. Elle est due au zoologue anglais Philip Sclater qui forge son nom d'après les restes de primates - les " lémures " - découverts à Madagascar et en Malaisie. Des évolutionnistes comme Ernst Haeckel et A.R. Wallace avanceront l'hypothèse, vers 1870, d'un continent " lémurien ", berceau de l'humanité. La théosophie va se passionner pour ce continent perdu, avec à sa tête le médium russe Mme Blavatsky qui va faire des Lémuriens des géants pourvus de pouvoirs télépathiques. A l'en croire, la Lémurie aurait été engloutie bien avant l'Atlantide, il y a des millions d'années. D'autres disciples prolongeront ses travaux, comme W. Scott-Elliot avec The Story of Atlantis and the Lost Lemuria (1896) que l'on pourrait apparenter à \'heroic fantasy par ses extravagances (évolution excentrique, êtres hybrides, réincarnation, etc.).

Si la " Lémurie " est au départ d'origine scientifique, le nom de " Mu " est, lui, d'emploi purement ésotérique ; il désigne le continent englouti dans les profondeurs du Pacifique par un gigantesque effondrement, qui aurait été comme l'exacte compensation géologique au formidable soulèvement de la cordillère des Andes. En 1864, en tentant de traduire un texte maya, le Codex Troano, Brasseur de Bourbourg croit découvrir les symboles M et U et en déduit l'existence d'un ancien continent dénommé Mu. Un contemporain de Donnelly, Auguste Le Plongeon, est le premier archéologue à effectuer des fouilles dans les ruines maya du Yucatan. A l'aide de la " traduction " de Brasseur et de quelques dessins trouvés sur les murs de Chichén Itzâ, Le Plongeon reconstitue la chronique romanesque de Moo, reine de Mu, et se livre à des conjectures philologiques fort hasardeuses {19}. A sa suite, le colonel John Churchward, affirmant avoir été initié par des prêtres hindous aux secrets de Mu, datera de 13 000 ans la disparition de ce mystérieux continent qui s'étendait du détroit de Bering à l'Australie et de l'Inde à la Californie (Le Continent perdu de Mu, 1926). Ainsi " s'expliquent " les énigmes archéologiques de l'île de Pâques, archétype de l'île mystérieuse, et de Ponapé (Nan Matai), la ville en ruine des Îles Carolines, qui inspirent parallèlement la plume des romanciers de mondes perdus.

Le romantisme " archéologique " va aussi ranimer le souvenir d'un continent perdu sous les glaces arctiques, l'Hyperborée grecque qui aurait joui, à une période très reculée, d'une végétation et d'un climat tropicaux, " île flottant sur les glaces " qui se confond avec la Thulé romaine. On retrouve l'idée d'un continent édénien primitif abritant un peuple puissant de race nordique {20}. Derrière la science affleure la légende, voire l'imposture.

Après Donnelly et Le Plongeon vient un nouveau " prophète " de l'Atlantide, le docteur Paul Schliemann qui se prétend petit-fils du grand Henri Schliemann, le découvreur de Troie (1873). Adoptant la méthode de Donnelly et de Le Plongeon, ce mystificateur bâtit une sorte de mauvais roman contant l'histoire du continent englouti en se référant à un manuscrit vieux de 4 000 ans trouvé dans un temple au Tibet. A la lecture du " Rapport Schliemann ", on mesure l'étroite marge qui sépare le canular archéologique du roman d'aventurés. On y trouve en effet nombre d'ingrédients de la narration romanesque ; le secret transmis à un petit-fils par son grand-père mourant, le manuscrit à déchiffrer, l'inscription hiéroglyphique, les énigmes archéologiques (Tiahuanaco), la quête du trésor à travers le monde, l'exploration des pyramides, les thèmes associés du cataclysme et du " pays-Mu {22} ".

Quelques chercheurs sont renommés à leur époque : Pierre Termier qui émet l'hypothèse d'un " pont atlantique " entre l'Ancien et le Nouveau Continent : Herman Wirth, qui tient l'Atlantide pour un empire hautement civilisé du Nord, situé en Islande : le Dr Gidon qui localise l'île engloutie dans la Manche et rapproche les Atlantes des Celtes ; Adolf Schulten qui étudie la cité de Tartessos en Espagne, etc. {23}.

En outre, les découvertes archéologiques exercent une influence certaine sur la littérature atlantidienne du début du siècle, confirmant l'impact fabulateur des découvertes scientifiques sur l'imaginaire contemporain. Les archéologues pourraient bien découvrir des vestiges de l'Atlantide puisque les fouilles entreprises par Sir Arthur Evans en Crète aboutissent à l'exhumation de Cnossos en 1900. Le 19 février 1909, le Timex de Londres publie un article intitulé " Le continent perdu ". L'auteur, K.T. Frost, y suggère que l'Atlantide de Platon a pu avoir pour modèle la civilisation minoenne {24}. Le mythe du " continent perdu " s'insinue ainsi dans les esprits, une certaine confusion étant entretenue par les magazines de l'époque qui publient dans les mêmes fascicules des articles scientifiques et des histoires de mondes perdus, telles que Le Continent perdu (1899) de C.J.C. Hyne, traduit ici pour la première fois en français.

Loin de dissiper les ambiguïtés, les théories scientifiques viennent parfois encourager les investigations des " atlantomanes " : l'évolutionnisme darwinien, les travaux du géologue Lyell et du botaniste Kuntze, ou la dérive des continents avancée par Wegener (1915). Toutes les écoles de pensée atlantidiennes sont reflétées peu ou prou par la fiction, que ce soit les commentateurs rigoureux admettant la sincérité de Platon et essayant d'interpréter son récit comme une légende greffée sur des faits authéntiques, ou ceux admettant les précisions géographiques de Platon et les confirmant même par des considérations scientifiques, mais se réservant de discuter les enseignements historiques du philosophe.

Une autre école, mystique, prend à la lettre le récit traditionnel, attribue aux Atlantes un savoir scientifique et des idées philosophiques absents des dialogues platoniciens. Ces enseignements, oubliés depuis le cataclysme ou dissimulés dans certaines doctrines ésotériques, doivent être remis en lumière pour le plus grand bien de l'humanité. Un centre occulte de civilisation existerait à l'écart du monde, chargé de préserver les trésors culturels et scientifiques à l'abri du monde profane {25}. Les explorateurs ne retrouvent parfois que des trésors parmi les ruines d'Atlantis (A Submarine Tour, 1905, de F. Baich) ; parfois ne survit qu'un seul descendant du peuple atlante (A Bit ofAtlantis, 1900, de D. Erskine) ; mais, le plus souvent, c'est toute une colonie atlante qu'on retrouve intacte au milieu de ses splendeurs culturelles et scientifiques (A Child's Story of Atlantis, 1908, de W. Kingsland, The Ultimate lsland, 1925, de Lancelot de Giberne Sieveking, etc.).

Insensiblement, le mythe de l'Atlantide " passe dans le domaine public et, demeurant encore un objet de science, devient partie intégrante d'une certaine culture de masse {26} ". Le récit platonicien se mue en récit de science-fiction à la fin du XIXème siècle sous l'effet de la pseudo-science et de la vague de l'occultisme. La fiction littéraire se nourrit des rêveries atlantéennes qui se poursuivent à un rythme soutenu jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. Les théories cataclysmiques de Hoerbiger, Fauth, Bellamy et Zschaetzsch, souvent contaminées par l'idéologie raciste, trouveront un écho dans la fascination des auteurs de science-fiction pour les bouleversements à l'échelle cosmique.

Bien que nourris de spéculations scientifiques (au moins au niveau des hypothèses), les continents perdus n'en captivent pas moins les occultistes, qui se mettent à échafauder les histoires les plus extravagantes : les sept " races-racines " de Mme Blavatsky, la doctrine " anthroposophique " de Rudolf Steiner, les " Maîtres de la Flamme " de W. Scott-Elliot, les " sciences occultes " atlantidiennes de Lewis Spence {28}. La liste serait longue des auteurs qui mêlèrent allègrement occultisme et atlantologie (Crowley, Newbrough, Oliver, etc.). Ces théories pourraient être dédaignées si l'on ne se souvenait que bien des thèmes véhiculés par la littérature occultiste ont alimenté la littérature de science-fiction. Des auteurs tels que H.P. Lovecraft et E.R. Burroughs furent notamment influencés par la théosophie, de même que des écrivains orientalistes comme Talbot Mundy. Les descriptions de la prétendue civilisation atlante, par exemple chez Scott-Elliot, fournissent aux romanciers le cadre d'une société utopique et hyper-scientifique que l'on retrouve notamment dans Intermere (1901) de W.A. Taylor, The Scarlet Empire (1906) de D.M. Parry, ou La Ville du gouffre (1929) de Conan Doyie ; quant au " vril ", déjà emprunté à Bulwer Lytton dans La Race à venir, il réapparaît dans A Child's Story of Atlantis (1908).

Le thème de l'Atlantide patrie de la magie, suggéré par Spence, annonce d'une certaine manière l'univers mythique des écrivains de " sword and sorcery " comme Robert E. Howard et Clark Ashton Smith. La panoplie habituelle des techniques métapsychiques (visions, télépathie, etc.) apparaît dans des romans comme Poséidon 's Paradise (1892) de E.G. Birkmaier, Yermah the Dorado (1897) de F.E.Wait Colbum, ou The Sound of a Voice that is Still (1899) de A. Campbell.

Ce bref survol historique suggère une périodisation du mythe platonicien qui contiendrait potentiellement les germes de ses propres avatars littéraires et ressortirait ainsi à la proto-science-fiction. La " démythification " n'est peut-être que la mue d'un mythe en un autre, la fable du châtiment devenant l'histoire d'un renouveau. Symboliquement, le monde atlantidien est régi par le mythe égalitaire des Gémeaux {29}. Or, dans les œuvres du XVIème au XIXème siècle, on observe la permanence d'un cadre utopique, parfois dystopique, conforme à la tradition gémellique (The Scarlet Empire, 1906, de D.M. Parry, Geyserland, 1908, de R. Hatfield), ainsi que les constantes religieuses (le culte solaire) et cardinales (le monde perdu à l'Ouest) fidèles au récit primitif. La perte hypothétique du paradis atlante n'oblitère nullement la foi en une renaissance.

Le mythe atlantidien se manifesterait ainsi de manière cyclique, préservant son intégrité originelle mais se modelant au gré des époques.

II. Les romans atlantidiens " historiques "

Alla, de J.G. Smith, publié aux Etats-Unis, inaugure en 1886 le roman atlantidien anglo-saxon. Avant ou autour de 1900, les romanciers commencent par évoquer le passé d'Atlantis, reconstituant les événements qui précédèrent ou provoquèrent le cataclysme, et préservant le plus souvent un échantillon humain garant de la descendance atlante.

Les oeuvres qui abordent le thème fantastique de la survie des Atlantes, des Lémuriens ou des Muviens {30}, abondantes au XXème siècle, reprennent le motif habituel de l'isolat violé par l'irruption du " héros " civilisationniste et correspondent au schéma des mondes perdus victoriens : [exode]/survie-isolement/découverte/[destruction].

Les bouleversements du monde occidental conduiront peu à peu à une nouvelle dialectique : survie-isolement- découverte-surgissement-menace. La mue de la littérature atlantidienne, parallèle à celle des récits de mondes perdus, aboutit graduellement au climat irrationnel où baigne la société des années 1930.

Commençons par la première phase, l'évocation " historique " de l'Atlantide antique. Ici, la référence platonicienne ouvre un chapitre d'histoire ancienne et de culture classique. Ces romans pseudohistoriques, contrairement à l'oeuvre vernienne où l'Atlantide surgit de manière fugace (voir chapitre suivant), visent à détailler les événements précédant le drame : prétextes à une intrigue parfois conventionnelle entrecoupée d'idylles et de complots, qui débouche sur le spectaculaire paroxysme final et son épilogue.

Pourtant, même des " romances " les plus falotes se dégage une structure mythique et archétypale qu'on retrouve dans les légendes des peuples atlantiques et méditerranéens se rapportant au Déluge. Plusieurs romans épousent peu ou prou ce schéma, même si des nuances sont perceptibles, dues principalement aux exigences de la narration romanesque et à une volonté didactique de la part de certains auteurs atlantornanes. Ainsi, il est clair que Poseidon's Paradise (1892) de E.G. Birkmaier marque une volonté de transposer les idées de Donnelly ; Fugitive Anne (1902) de Mrs C. Praed celles de Le Plongeon ; Adam' s First Wife (1929) de J. et R. Speller celles de Scott-Elliot; The Monster of Mu (1932) d'O. Rutter celles de Churchward, et que l'ouvrage du scientifique écossais J.L. Mitchell, Three Go Back (1932) soutient la théorie diffusionniste.

De même, l'emplacement de l'Atlantide correspond chez certains auteurs à une influence des théories pseudo-scientifiques : l'Atlantide américaine dans Alla (1886) de J.G. Smith, dans Yermah the Dorado ( 1897) de F.E. Wait [Colbum], et dans Le Continent perdu ; Atlantide Cretoise et américaine dans Tapestry ofTime (1927) de J.C. Craw-ford ; Atlantide nord-africaine dans The Lost Garden (1930) de G.C. Foster ; Atlantide originellement basque dans Three Go Back ; colonies atlantes réfugiées jusqu'en Egypte dans Prince of Atlantis (1929) de L.E. Roy.

En greffant le thème du Déluge sur le mythe atlantidien, le romancier se livre à une opération de syncrétisme, qui rejoint d'ailleurs les préoccupations de la pseudo-science de l'époque, mais qui ne laisse pas d'étonner le lecteur moderne, les héros Deucalion et Noé se retrouvant les survivants du cataclysme de l'Atlantide dans Poseidon' s Paradise, Le Continent perdu et The Lost Garden. Ici le contenu de la mythologie est récupéré par la fiction.

Quant aux structures mythiques, elles transparaissent dans certains romans où un personnage de haute lignée, élu des dieux, est le héros de l'histoire : Deucalion dans Poséidon' s Paradise et Le Continent perdu, Yermah dans Yermah the Dorado, Astrellon dans The Tapestry ofTime, Atlan dans A Prince of Atlantis, et On-Ra dans The Lost Garden.

L'avertissement solennel lancé à la cité est toujours dédaigné, comme celui de Zaemon dénonçant les débauches de la reine Phorenice dans Le Continent perdu, ou. l ' inscription gravée sur le sphinx de La Fin d'Atlantis (Jean Carrère, 1926) qui prophétise : " Un grand soir viendra/Sans nouvelle aurore. " Ces diverses mises en garde s'adressent à des royaumes décadents ruinés par les complots (Alla, a Story ofthe Lost Island, de J.G. Smith) ouïes enlèvements (Poséidon's Paradise), mais fondamentallennent rongés par la dégradation de la foi (Atlantis, Book of Angels) ou l'adoration de faux dieux ( Yermah the Dorado. Prince of Atlantis, etc.). Conformément au texte de Platon qui évoque les dieux courroucés désireux de punir les Atlantes, " tout infectés qu'ils étaierit d'injustes convoitises et de l'orgueil de dominer {31} ", la cité s'abîme dans les flots, victime de l'ire divine. Les impératifs narratifs, de la science-fiction s'insinuent parfois dans la trame mythique, rnais sans l'oblitérer tout à fait : ainsi. dans Le Continent perdu et The Tapestry of Time, les Atlantes qui, en lisant de l'arme atomique, ont voulu jouer les apprentis sorciers, apprennent à leurs dépens que l'homrne doit se garder de défier la puissance divine. José Moselli, dans La Fin d'Illa (1925), décrit une civilisation totalitaire, moralement dégradée, qui finit par s'auto-détruire par la " pierre-zéro ", c'est-à-dire la désintégration nucléaire. Ici se fait jour une volonté de pédagogie pacifiste que partageront d'autres auteurs français. Dans La fin d'Atlantis, la lutte de deux factions s'achève tragiquement, une rnachine volante provoquant le cataclysme final. L'épigraphe de l'ouvrage résume la philosophie de Carrière : " Un grand peuple ne peut rnourir que de lui-même. "

La Fin d'Illa et La Fin d'Atlantis, deux tragédies qui correspondent à deux visions. Celle de Moselli est désespérée : après des millénaires, ce sont les restes de la civilisation d'Illa qui entraîneront la destruction de San Francisco. Pour Carrère, les mots humanisme et justice ont un sens, malgré les affres de l'histoire : avant de mourir, un Égyptien aura la vision de la Sainte Famille et du Dieu futur. Deux philosophies différentes, mais deux ouvrages importants qui ont leur place dans ce recueil.

Parfois, le vide narratif platonicien est comblé par un emprunt littéraire au mythe du Déluge et de l'Arche survivante. Le mythe se plaît à anéantir une première hurnanité pour mieux assurer aux hurnains un nouveau départ : le Déluge balaie les hommes de la surface de la Terre, mis à part Deucalion et sa compagne. Une nouvelle humanité naîtra, dont Hellen, ancêtre de tous les Grecs. Hellas, le survivant de La Fin d'Atlantis, est appelé à la même destinée. Quant au Deucalion du Continent perdu, il réalise la prophétie du prêtre Zaemon : engeridrer une nouvelle race qui recréera un " nouveau royaume ".

L'auteur, C.Hyne, module ainsi le rnythe originel, en lui adjoignant le motif biblique de l'Arche, le navire de Deucalion étant baptisé " l'Arche des Mystères ". George Foster.dans The Lost Garden, synthétisera les deux mythés en épargnant la vie de deux couples. Leur navire échouera sur les côtes d'Afrique du Nord, et On-Ra sera le premier à s'exprimer devant les indigènes qui déformeront son nom en No-ah, c'est-à-dire Noé, donnant ainsi naissance au mythe.

Le thème de " The Last King of Atlantis " (1896) de G.C. Wallis anticipe " L'Eternel Adam " de Verne d'une quinzaine d'années. Un ancien manuscrit contant la destruction d'Atlantis est retrouvé dans un monde utopique du futur (en 1963 !), qui découvre soudain ses antiques racines atlantidiennes... avec une certaine angoisse.

Après celui de l'Atlantide et celui du Déluge, un nouveau mythe se dégage des œuvres précitées, celui d'Adam. Mais ici la faute est collective, l'Atlantide pécheresse se substituant à Adam, séduit par le serpent, qui finit par goûter le fruit de " l'Arbre de la Connaissance ". C'est la morale qu'expriment des œuvres telles que Le Continent perdu ou The Tapestry of Time, et où les dieux châtient les Atlantes coupables d'avoir utilisé l'" arme suprême ", que Deucalion, dans Le Continent perdu, nomme " le grand Secret de la Vie et de la Mort ".

L'irruption de l'heroic fantasy, dans les années 30, donne libre cours au mythe : l'Atlantide, la Lémurie ou Mu sont vidés de leur contenu " archéologique " ; ce ne sont qu'espaces fabuleux qui doivent plus au poète qu'au géographe. C'est ainsi que ces continents " perdus " sont intégrés à une histoire et une géographie " perdues " : voici les royaumes d'Ophir, de Cimmérie, d'Aquilonie et d'Hyperborée, aussi " réels " que Poictesme, Oz, Tormance, Barsoom, Narnia ou Zothique. La science et la vraisemblance sont reléguées au profit de la légende.

L'explorateur cède la place au " super-héros ", souvent celte ou Scandinave, qui affronte les forces du mal dans les endroits et les époques les plus reculés. Grâce à son énergie vitale, il parvient à défier les adorateurs des ténèbres mais il s'agit, le plus souvent, d'un aventurier solitaire et errant, marqué par le destin. Si Conan est le héros le plus célèbre de R.E. Howard, Kull semble son frère jumeau : tous deux sont des barbares confrontés à une civilisation décadente au sein de laquelle seule la force vitale l'emporte. Kull, " l'exilé d'Atlantis ", qui s'est emparé du trône de Valusie, fait le dur apprentissage du pouvoir; finalement, tout n'est qu'illusion... Il préfère voler vers l'aventure pour affronter l'ancien peuple-serpent, menace perpétuelle pour l'humanité. La méditation du roi Kull sur le devenir et le pourquoi du monde renvoie aux propres interrogations pessimistes de Howard sur la mort des civilisations et les chimères de la vie. Le " tout est illusion " de Kuthulos dans " Le Crâne du Silence " annonce le " Tout n'est que vanité " de Turlogh dans " Les Dieux de Bal-Sagoth" (1931), Les empires du monde ne sont que " rêves, ombres et fumée... ". Chez Clark Ashton Smith, le désenchantement est patent, les Atlantides de rêve devenant très vite des terres de cauchemar. Transgression, châtiment, fatalité - trois concepts qui traversent mélancoliquement les continents maudits de C.A. Smith, avec l'idée de cycles inexorables qui vouent les mondes humains à une décrépitude inéluctable (Poséidonis, Hyperborée, Zothique). Deux cycles recueillis dans ce volume (Poséidonis, La Lémurie) feront apparaître la magie évocatrice d'un auteur digne de Dunsany.

Toutes les nouvelles s'articulent autour de ce concept qui se répercute en redondances successives : Poséidonis est la " dernière " île de l'Atlantide ; sur cette île survit le " dernier " magicien, qui prononcera la " dernière " invocation, et ainsi de suite. Cette terre " première " où s'élabora une science interdite est vouée à être la " dernière ", sans aucun espoir de salut. Un sort funeste guette les explorateurs occidentaux de " La Racine d'Ampoï " et " La Vénus d'Azombéii " (1931). Dans " Cap sur Sfanomoë " (1931), deux frères atlantes, " derniers " représentants des savants du continent décident de bâtir un vaisseau spatial afin d'atteindre Sfanomoë (Vénus), sans se douter que leur futur paradis va devenir leur enfer.

Au monde moralement décadent de Platon répond chez Smith l'obsession de la dissolution totale, toujours vécue sur un mode angoissé. Cette quasi-nécrophilie pourrait être perçue comme un signe de désespoir si l'on ne constatait chez l'auteur la volonté de souligner l'immortalité d'un savoir perdu qui survit aux continents engloutis. Rien ne meurt jamais tout à fait, comme le montre symboliquement la figure ophidienne récurrente (serpent de Malygris, hommes-serpents de Mu, déesses lunaires, motif de l'ombre) qui nous rappelle ;que l'" Ophis primigenius " est avant tout métamorphique, donc immortel.

A l'instar de Howard et de Lovecraft, Clark Ashton Smith trace la courbe de l'éternel retour d'une plume angoissée et tourmentée. Les continents mélancoliques de Poséidonis et d'Hyperborée ont été engloutis par le même destin cyclique qui ronge irrésistiblement les rivages condamnés de Zothique. Quand le " dernier continent " terrestre aura lui aussi succombé à la morsure du Temps, il subsistera malgré tout l'inscription initiale sur le livre des dieux, un " dernier hiéroglyphe ", brûlé par le soleil, qui sera un jour découvert par une nouvelle humanité. Alors, l'oubli, véritable tourment de l'artiste, cédera la place à l'anamnèse de l'écriture, seul espoir pathétique d'ici-bas.

" Un grand cru d'Atlantide " ou " Offrande à la lune " de C.A. Smith montrent que le passé des continents disparus, sous sa forme la plus maléfique, continue de contaminer le présent et le futur, les terres mythiques menaçant d'" engloutir " les voyageurs imprudents en une sorte de revanche " post-historique ". Les ouvrages atlantidiens " historiques ", malgré leur effort de vraisemblance, basculent aisément dans le mythe. On peut y déceler les prolongements romanesques des anciennes traditions selon lesquelles " le Monde a une histoire : sa création par les Êtres surnaturels et tout ce qui a suivi, à savoir l'arrivée du Héros civilisateur ou de l'Ancêtre mythique, leurs activités culturelles, leurs aventures démiurgiques, enfin leur disparition {33}". Le roman atlantidien est une excroissance de la mythologie : tous deux sont exemplaires et racontent " comment les choses sont venues à l'être ", pour employer le vocabulaire de Mircea Eliade.

Pour retrouver ce " temps mythique ", les romanciers utilisent souvent le procédé commode du manuscrit contant les derniers jours du continent (" The Last King of Atlantis ", Le Continent perdu, etc.), mais parfois le surnaturel l'emporte : le héros de The Dream Wornan (1901), de K. Wylwynne, revit par le rêve le passé d'Atlantis au contact psychométrique de ruines sous-marines, une faille temporelle précipite un matelot dans les splendeurs passées de Mu (La Cité dorée, 1933, de R.M. Farley), et les trois héros de Three Go Back, lors d'un voyage aérien au-dessus de l'Atlantique, se retrouvent soudain ramenés vingt-cinq mille ans en arrière dans une Atlantide primitive digne de Rosny.

Sans forcer notre parallèle, il apparaît que les romans atlantidiens " historiques ", par leurs emprunts à la mythologie ou à la légende, s'enracinent dans un " monde de l'origine ", exprimant la vision d'une histoire fabuleuse à jamais recommencée, cadre mythique qu'ils partagent avec les œuvres d'heroicfantasy.

III. Les mondes perdus atlantidiens " contemporains " : les " nouvelles Atlantides "

DE LA MYTHOLOGIE AU FANTASTIQUE

Les romans évoquant la survie du peuple ou d'une partie de la population d'Atlantis constituent la majorité de la littérature atlantidienne (une cinquantaine d'ouvrages de langue anglaise, une dizaine en français, s'échelonnant de 1891 à 1936). La différence essentielle avec les romans atlantidiens " historiques " réside dans le postulat imaginaire de la survivance atlante, fondé sur le non-dit du mythe platonicien.

A la fin du XIXème et au début du XXème siècle, l'Atlantide est redécouverte par des explorateurs qui rencontrent les ultimes rescapés du continent mythique. La quasi-inaccessibilité du pays perdu (fond des mers, poches souterraines, île non portée sur les cartes) va de pair avec la perfection du monde atlante qui sut sauver l'élite intellectuelle et mettre le peuple à l'abri de la convoitise humaine en rebâtissant la cité originelle dans un espace clos, protégé des intempéries et de l'humanité extérieure, parfois rnême hors de la Terre (Aélita d'Alexis Tolstoï, 1923).

La puissance technique est le seul point commun des Atlantides modernes et de leur antique modèle. Mais là où l'auteur du Critias parlait de perfection architecturale, les romanciers parlent de pouvoirs scientifiques préservés du cataclysme, ce qui trahit le sens du récit initial, Platon n'ayant bâti sa fable du progrès matériel que pour en déplorer les conséquences funestes. Le mythe infiltré par la science-fiction cède la place à une apologie déguisée de la science.

Le texte platonicien fournit donc à la littérature moderne une sorte de relais idéologique que peuvent utiliser les utopistes. L'accent est souvent mis sur la supériorité morale et sociale des Atlantes, ainsi que sur les outils qui ont valu à l'antique civilisation une survie exceptionnelle. Le roman peut même se muer en propagande procapitaliste dans The Hidden Cify (1891) de W.H. Mc Dougall, en eutopie pro-socialiste dans Atlantis (1902) de L.H. Morrow (1906) et Geyserland (1908) de R. Hatfield, en satire de la vie américaine dans The Sunken World (1928) de S.A. Coblentz, ou enfin en dystopic antisocialiste dans The Marble City (1895) de R.D. Chetwode et The Scarlet Empire (1906) de D.M. Parry.

Il arrive que science-fiction et utopie fassent bon ménage lorsqu'il s'agit de dresser un décor futuriste soulignant le haut niveau scientifique des Atlantes. Ceux-ci ont ainsi édifié des dômes sous-marins (Atlantis d'André Laurie, The Gréai Secret de H. Nisbet, The Scarlel Empire, The Sunken World), ou des cités sous terre (Intermere, The Light in the Sky de Clock et Boetzel), et disposent de techniques ultra-perfectionnées(The Hidden City, Atlantis, The Ultimate Island, Les Pacifiques de Han Ryner).

Mais si l'écrivain brosse un tableau euphorique de l'utopie, c'est pour mieux la subvertir, en introduisant le chaos au sein d'un ordre apparemment immuable, fragilisé par l'intrusion des hommes d'aujourd'hui. Par là même, le roman renvoie au mythe platonicien qui s'inscrivait, selon le philosophe, dans la chaîne des fléaux naturels cycliques : " II y a eu souvent et il y aura encore souvent des destructions d'hommes causées par le feu et par l'eau, et d'autres moindres par mille autres choses ", disait le vieux prêtre égyptien {34}.

Ainsi la fatalité frappe l'Atlantide pour la seconde fois : celle de The Scarlet Empire est détruite par la fuite du visiteur, celle de The Ultimate lsland s'abîme dans les mers avant l'invasion, celle de The Sunken World s'abandonne à un quasi-suicide collectif, celle de The Light in the Sky est victime de ses propres armes d'anéantissement {35}.

Monde des technologies futuristes, l'Atlantide porte toutefois l'empreinte des mystérieux pouvoirs ancestraux légués à l'élite survivante. Au progressisme scientiste se substitue le régressisme magique de l' " antique sagesse " et de la puissance occulte, symbole numineux de la splendeur divine de l'Atlantide étemelle. Ainsi s'expliquent les pouvoirs hypnotiques des descendantes atlantes dans The Power of Ula, la " force universelle " dans A Child's Story of Atlantis, l'étrange force antigravitationnelle héritée des Atlantes dans Jimgrim (1930) de T. Mundy, les esprits gardiens de l'antique civilisation dans The Turning Wheel (1928) de P. Creswick, ou les étonnantes facultés paranormales du nain survivant d'Atlantis dans The Marbled Catskin.

Insidieusement, l'utopie originelle de Platon est contaminée par le fantastique, le récit allégorique est gonflé par le fabuleux, et l'Atlantide devient le lieu fictionnel des retrouvailles mythologiques, encouragée en cela par les théories occultistes. Par un étrange retournement, l'Atlantide pécheresse et décadente est idéalisée en une sorte d'éden miraculeux où le temps, et donc la mort, sont en suspens. La déesse-reine Glorian possède le secret de l'immortalité dans Polaris and The Immortals (1917) de C. Stilson, de même que les initiés d'Aztlan la souterraine dans The Vampires of the Andes (1925) de H. Carew, les gouvernements de l'empire de Mo dans " The Boneless Horror " (1929) de D.H. Keller, les Atlanto-Aztèques de The Light in the Sky, les " demi-dieux " de la trilogie de Ch. Magué (Les Survivants de l'Atlantide, La Cuve aux monstres, L'Archipel des Demi-Dieux, 1929-1931) et les Atlantes du Visage dans l'abîme (1931) d'Abraham Merritt, ouvrage qui se distingue des autres par sa peinture originale, poétique, voire humaniste, de l'altérité.

La littérature atlantidienne propose ainsi des variantes de la légende grecque de la " fontaine de jouvence " et fait rnême une incursion du côté du conte de fées en introduisant un thème associé, celui de l'" animation suspendue ", utilisé ici dans un but bien précis : remédier à l'extinction de la race et transmettre le message des Atlantes aux générations futures. Au motif légendaire de la Belle au Bois Dormant correspond celui de l'isolation immémoriale et quasi divine des Atlantes au sein de la Terre, en attendant le jour de la résurrection.

Des explorateurs modernes, tels des démiurges, parviennent ainsi à ramener à la vie de lointains témoins des splendeurs atlantes dans The Divine Seal (1909) de E.L. Orcutt, Le jour où la Terre trembla (1918) de R. Haggard, Tlavatli (1926) de O. Schulz, ou The Treasure Vault of Atlantis et Troyana ( 1932) de S.P. Meek. Étroitement associé à ce motif du réveil magique intra-terrestre, le trésor caché est lui-même symbole d'immortalité et de connaissance, que seule une quête périlleuse permet d'atteindre. Les merveilleuses reliques mises au jour par les découvreurs, héritage spirituel des Atlantes, assureront un renouveau éventuel à l'humanité. Le glissement du mythe platonicien vers le roman fantastique débouche ici sur une thématique du salut, confirmée dans le roman de Meek, par la proposition des Atlantes ressuscites de mettre un terme aux conflits terrestres grâce à leurs pouvoirs secrets. Mais ce changement radical nécessite chez l'Occidental une véritable prise de conscience spirituelle, affirment les survivants atlantes, messies et pacifistes des temps nouveaux. II faut replacer cet avatar atlantidien dans le contexte histoneque de l'époque (1925), alors qu'une inquiétude réelle s'exprimait sous la plume de certains romanciers, anticipant les rnenaces de la guerre future ou exorcisant leur peur à travers des discours teintés de spiritualisme ou d'humanisme. Aux abords d'une époque troublée, la " Nouvelle Atlantide " prônée par la littérature de l'imaginaire est la transposition consolatrice d'un vœu pathétique : la venue d'un nouvel âge humanitaire et, pour tout dire, l'appel à l'âge d'or adressé aux dépositaires du secret perdu depuis Virgile.

L'atmosphère fantastique est souvent soulignée par nombre de références mythiques qui se mêlent parfois anachroniquernent aux éléments du décor futuriste, soulignant la dualité profonde d'une Atlantide tournée à la fois vers l'avenir et vers le passé. Cette particularité renforce l'aspect eschatologique d'un mythe marqué par les schémas de destruction et de renaissance.

Revenons au mythe du Déluge, toujours suivi d'une nouvelle humanité et d'une nouvelle histoire. Le Déluge, qui purifie et régénère comme le baptême, évoque l'idée de résorption de l'humanité dans l'eau, d'où les transpositions romanesques d"A.tlantides gisant au fond des océans, abritant en leur sein une élite survivante (The Great Secret, A Child's Story of Atlantis, La Ville dw Gouffre, etc.), iriais inéluctablement condamnée à disparaître à nouveau. L'Atlantide est frappée du sceau d'une malédiction divine, suggérant que " les hommes finissent toujours, parce qu'ils ont laissé perdre les. plus beaux des 'faens les plus précieux, par être chassés du paradis qui s'engloutit avec eux  {36} ".

Zeus, qui a châtié l'Atlantide originelle, ne sauvera pas davantage la Nouvelle Atlantide qui s'enfonce dans une décadence fatale. Conformément à la chute originelle, le peuple atlante s'étiole, décrépit et stérile. Miraculés et maudits à la fois, les Atlantes sont décrits au gré des fantasmes évolutionnistes des romanciers. Les étranges mutations biologiques des Atlantes, emblématiques de leur déchéance morale, les renvoient parfois à une sous-humanité de type animal, comme les hommes-grenouilles de H.G. Wells (" Dans l 'abîme ", 1896 {37}), les êtres aux pieds palmés de F. Ash dans " The Sunken Island " (1904), les créatures dégénérées de Visiak dans lledu-sa (1929), les divers êtres hybrides de Merritt dans Le Visage dans l'abîme, et les mutants amphibies de N. Schachner dans " City Under the Sea " (1939).

De même, la dégénérescence frappe les habitants de la Nouvelle Atlantide décrite par R.H. Bolton dans In the Heart of the Silent Sea ( 1909), l'antique cité d'Opar évoquée par E.R. Burroughs dans Les aventures de Tarzan  {38} et le royaume de Yu-Atlanchi du Visage dans l'abîme. La cité maléfique de Negari, seul vestige d'Atlantis et de Mu, dans " La Lune des Crânes " (1930) de Howard, a aussi sombré dans une décadence qui a changé les hommes en démons. Solomon Kane, vengeur solitaire, aussi mélancolique que Kull, traque ces avatars de Satan au cœur des ténèbres africaines, dans une nouvelle échevelée, digne d'une bande dessinée.

Le monde atlante a parfois préservé ses créatures légendaires : " hommes-fleurs " dans A Queen of Atlantis (1899) de F. Aubrey, amazones fabuleuses dans The Power of Ula, jardin des Hespérides dans The Great Secret, réactualisation du mythe de Méduse dans Medusa, a Story of Mystery, découverte du corps d'Atlas, dernier roi d'Atlantis, dans A Bit of Atlantis de D. Erskine (John Buchan ?), Polaris et Minos de Sardanes dans Polaris and the Immortals, cité atlante d'Athénsi au cœur de l'Atlas dans Radio Boys Seek Lost Atlantis (19.23) de G. Breckenridge, ou cité gréco-atlante de Troyana dans The Drums of Tapajos et Troyana (1930-1932) de S.P. Meek.

Monde primordial et harmonieux, mais fragile, l'Atlantide est le plus souvent secouée par une crise profonde que provoque l'arrivée d'un visiteur. Dans ce monde manichéen où les forces de la lumière luttent contre celle des ténèbres, le représentant de la civilisation occidentale se porte instinctivement vers les victimes de l'injustice, le triomphe du héros devant coïncider avec l'annihilation des puissances du mal.

En termes romanesques, l'éternelle Atlantis, fidèle au culte solaire, est menacée par un dieu ou une déesse sataniques, liés en général à la figure du serpent, symbole récurrent de la fiction atlantidienne (The Treasure of Atlantis, The Power of Ula, Médusa, The Light in the Sky, The Face in the Abyss, etc.). Selon un schéma fréquent dans ce genre de fiction, les forces du mal qui ont usurpé le pouvoir sont combattues et finalement terrassées par le visiteur de l'extérieur qui se mue en héros solaire.

La guerre civile prend un tour allégorique dans La Ville du gouffre de Conan Doyie. Le professeur Maracot va affronter " Baal-Seepa ", dont le nom rappelle à la fois le terrible dieu phénicien (Baal), le Serpent lié à Satan et le dieu hindou de la destruction, Siva (Seepa). L'Atlantide et l'humanité ne seront sauvées que parce que le professeur Maracot se trouve possédé par une entité non humaine, l'esprit d'un saint homme d'Atlantis qui va lui octroyer les pouvoirs psychiques qui triompheront du " Seigneur à la Sombre Face ". Ironiquement, Conan Doyle, apôtre du spiritisme, métamorphose son héros en porte-parole de l'irrationnel. Nouveau héros des temps modernes, le savant quitte sa défroque matérialiste pour endosser un habit de lumière mythique. Maracot ne fait que répéter la geste de Polaris, sorte de Tarzan des glaces, qui parvient à débarrasser la cité d'Adlaz de l'esprit du rnal. La quête de Polaris au pays des Immortels ne fait elle-même que réitérer l'épopée de Gilgamesh parti, vers les confins de la Terre, à la recherche du légendaire Outnapishtim, le seul mortel au monde qui ait jamais pu échapper à la mort. Le désir de retrouver l'ancêtre mythique, survivant du Déluge, est réactivé dans les héros modernes en quête d'Atlantides survivantes ayant préservé leur magie. Mais comme Gilgamesh, nos héros n'ont droit qu'au seul privilège accordé par les dieux de jouir provisoirement du " paradis perdu ", car celui-ci est voué à la destruction prochaine. .L'immortalité est un monopole divin…

Le combat contre les forces du mal prend souvent la forme d'une joute violente opposant le héros à la déesse demoniaque et tentatrice. L'Épopée de Gilgamesh nous rappelle qu'Ishtar, ennemie déclarée du héros, le poursuit de sa rancune, comme Héra poursuivra Héraclès, pour s'être offerte à lui sans succès. Or, plusieurs romans atlantidiens conservent le souvenir mythique de cette opposition, notairinnent les quatre histoires de Tarzan où E.R. Burroughs évoque la " Cité d'Or " d'Opar, colonie abandonnée d'Atlantis, où règne une grande prêtresse du nom de La, qui menace de sacrifier Tarzan aux dieux oubliés. Ainsi se dessine la figure inquiétante d'une femme orgueilleuse, déesse de mort et de sang, et grande dévoreuse d'hommes. Sous ses visages multiples, on la reconnaît derrière Tor Ymmothe, la reine bestiale de The Last Lemurian (1898, G.F. Scott), la sorcière naine à la tête de ses hommes-lézards dans The Marbled Catskin, la Méduse dévoreuse et paralysante du roman de Visiak, Medusa, ou les terribles " lamies ", femmes-serpents recréées parClark Ashton Smith.

Presque toujours, le héros accorde ses faveurs à une sorte de vierge solaire qui contraste avec l'image de la femme fatale. Dans " La lune des Crânes ", Solomon Kane retrouve l'innocente Marylin sur le point d'être sacrifiée aux divinités de la cité diabolique de Negari. Prisonnier d'êtres bestiaux qui ont anéanti le peuple et les cultes atlantes, Kane est présenté à la reine Nakari en qui il reconnaît la légendaire Lilith, nymphe vampirique qui tenta de séduire Adam et engendra des créatures fantomatiques.

Les Liliths atlantidiennes symbolisent les passions ténébreuses et: malfaisantes, ainsi que les forces démoniaques et castratrices ; c'est par exemple la " grande déesse " Mudra dans Mukara (1930) de Muriel Bruce, mais ce sont aussi Ula, Gloriari, Rliana, Nakari ou Médusa. Antinéa, dans L'Atlantide de Pierre Benoît, incarne l'archétype le plus connu de la femme dévorante. On connaît l'histoire de cette ultime souveraine de l'Atlantide dont le charme conduit un officier à tuer son compagnon, intrigue popularisée rnaintes fois par le cinéma. Sous son aspect positif, on reconnaît la Lilith éprise d'absolu, initiatrice et médiatrice, déesse de la connaissance, chez la " géniale " Melléna dont l'ambition précipite la fin d'Atlantis (Jean Carrère), chez la Mère-Serpent qui sauvera finalement Graydon, lui permettant de s'enfuir avec la douée Suarra dans Le Visage dans l'abîme (Merritt), ou chez Aélita dans le roman d'Alexis Tolstoï. Salomés atlantidiennes ou Liliths des édens africains de Haggard (.Ayesha, Stella, Juanna, etc.), elles sont les multiples avatars de la " Grande Déesse ", la " Déesse Blanche ", dont Robert Graves conte la renaissance {39}.

Grossi par le folklore ou la légende, contaminé par d'autres croyances, le mythe originel est parfois perverti par l'exotérisme romanesque, mais, fondamentalement, il est à l'image même de l'archétype atlantidien : en perpétuelle renaissance. A cet égard, la topologie des mondes perdus atlantidiens manifeste une certaine cohérence par rapport au mythe platonicien (la cardinalité) car la majorité des oeuvres évoquées se situe à l'Ouest, fidèlement à l'axe défini par Platon : Atlas/Atlantide/Atlantique. Cette constatation prend toute son importance à la lumière des innombrables théories pseudoscientifiques s'évertuant à placer le siège d'Atlantis dans les lieux les plus surprenants de la planète, sans oublier le délire imaginatif de romanciers en mal d'inspiration.

Cette dernière défaillance tient souvent à la contamination des nnythés brassés par les romanciers de mondes perdus. Ainsi s'expliquent par exemple les trois Atlantides polaires de R. Hattield (Gey-serland), E.L. Orcutt (The Divine Seul) et C. Stilson (Polaris and the lrnmortals), réactivations romanesques du mythe de Thulé ; les quatre A-tlantides asiatiques de E.C. Vivian (People of the Darkness, 1924), T. Mundy (The Nine Unknown, 1924. Jimgrim, 1930) et D.H. Keller (" The BonelessHorror "), liées aux mythés du " savoir perdu " et de Shambhala ; les Atlantides africaines de Burroughs, G. Breckenridge (Radio Boys Seek the Lost Atlantis), C.H. Gibbons (The Marbled Catskin), R.E. Howard (" La Lune des Crânes ") et J. Mann (Coulson Groes South, 1933), qui doivent autant au potentiel fabulateur de l' " Afrique fantôme " qu'au mythe du continent englouti. L'un des syncrétismes les plus insolites de la science-fiction, celui de la légende de saint Brandan et du mythe de Thulé, nous est offert par Jean Ray dans Le Formidable Secret du Pôle (1936), ce qui justifie sa place dans ce volume. Au terme de ses " navigations ", Brandan découvre les secrets de la civilisation de Thulé, païenne et dépravée, enfermés dans une sphère de métal, poursuivant une ronde éternelle dans les eaux polaires. Cette arche sous-marine émerge parfois, libérant de leur léthargie d'étranges créatures à l'allure de robots.

Plus d'une trentaine de romans du genre s'inspirent de la tradition topologique proposée par Platon, douze d'entre eux prolongeant directement l'orientation platonicienne en plaçant leurs Nouvelles Atlantides sur le continent américain. En outre, deux topologies sont directement liées au thème du continent perdu.

La première, le motif insulaire, concerne des îles dans l'Atlantique où survivent des colonies atlantes et se confond parfois avec les mythés de la mer des Sargasses {40}. Le deuxième sous- thérme, qui s'enracine dans les légendes de l'" autre monde " celtique, est celui de la cité subaquatique, construction fantasmatique fondée sur l'engloutissement de l'Atlantide originelle (plongée répressive), mais tournée parallèlement vers l'avenir que représente l'arcliitecture futuriste du dôme sous la mer (utopie progressiste). Plusieurs ceuvres répondent à ce schéma original issu du conte et de la légendle, mais qui bifurque vers la science-fiction, de l'Atlantis d'André Lauric à " The City Under the Sea " (1939) de N. Schachner {41}.

Les profondeurs sous-marines continuent d 'exercer une fascination chez le poète qui se laisse griser par l'ivresse du monde du silence, celle du monde des origines. En bâtissant leurs utopies sous-marines, les romanciers atlantidiens pressentent corifusernent la conquête future du milieu océanique, source de vie pour une humanité menacée. La technologie actuelle laisse entrevoir la possibilité de construire des cités sous-marines perfectionnées, où se réfugierait l'humanité survivante après quelque apocalypse. Alors tout recommencerait…

L'ATLANTIDE MENAÇANTE ET RENAISSANTE

Jules Verne fait oeuvre de précurseur, mente pour le thême de l'Atlantide, car, à notre connaissance, le premier rornan atlantidien anglo-saxon remonte à 1886, bien après les premières oeuvres de Verne se référant peu ou prou au mythe platonicien. En outre, les Atlantides verniennes, au nombre de sept, reflètent l'évolution même de notre thème.

Des Aventures du capitaine Hatteras (1866), où la présence de l'Atlantide est limitée à une hypothèse géographique, à " L'Eternel Adam " (1910), publication posthume parfois attribuée à son fils, où elle est le fil conducteur du récit, l'image mythique s'inverse, passant par deux étapes intermédiaires (Vingt Mille Lieues sous les rner.s, 1870, et L'Ile mystérieuse, 1874). En quarante années de création romanesque, l'Atlantide, initialement associée au Jardin des Hespérides, quitte son statut de pays merveilleux pour devenir " l'île-épave, lieu prosaïque par excellence, où les rescapés du déluge luttent contre la faim, les intempéries et la perte du langage {43}".

A l'instar du pôle atteint par Hatteras, véritable " terre prûnrïise ", l'Atlantide immergée, dont Nemo traverse les vestiges, représente un de ces " points suprêmes " qui permettent aux héros verniens de fouler le sol primordial : " Je marchais là mêrne où avaient marché les contemporains du premier homme ! {44}" Quant à Arronax, il suppose qu'" un jour, peut-être, quelque phénomène éruptif les ramènera à la surface des flots, ces ruines englouties ! " (id.). Le désastre atlantidien, prototype poétique des bouleversements telluriques, deviendra peu à peu un réfèrent mythique contribuant " à donner une dimension eschatologique à l'oeuvre de Jules Verne, la figure sinusoïdale des surgissements et des engloutissements venant illustrer la très ancienne théorie de l'éternel retour {45} ".

Cette parenthèse s'imposait, d'une part parce que Vingt Mille Lieues sous les mers, traduit en 1873, connut un grand succès littéraire dans les pays anglo-saxons et introduisit le motif atlantidien dans le roman d'aventures, et d'autre part parce que l'évolution même de l'oeuvre atlantidienne de Verne correspond à celle du mythe dans la fiction romanesque : dans un premier temps, le voyageur explore les ruines majestueuses du continent disparu (1870), puis on observe une transition vers une vision sombre du mythe (L'Ile mystérieuse, 1874), le motif " arcadien " s'inversant en motif " diluvien ", jusqu'au " Nouvel Adam " qui se conclut sur le choc pathétique de la révélation des cycles de l'humanité ; ce que Valéry traduira à sa façon : " Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. "

De la quête à la conquête, il n'y a qu'un pas : au temps de la grande expansion européenne, l'explorateur a vocation à devenir colonisateur - au grand dam de toutes les Atlantides comme de tous les mondes perdus. Dans The Hidden City, le héros colonisateur devient conseiller financier de la cité d'AtzIan, après avoir évalué les quantités d'or à exploiter et ouvert le pays aux pionniers du monde extérieur. Encore plus tragique est le dénouement d'Atlantis, lorsque le reste du monde se coalise pour détruire le paradis utopique de la Nouvelle Atlantide. Enfin, le " héros " de The Scarlet Empire s'échappe en provoquant la mort de cinq millions d'Atlantes.

En revanche, d'autres oeuvres, plus nombreuses, mettent l'accent sur la menace pesant non seulement sur les visiteurs, mais sur la civilisation qui les envoie (renversement de la dialectique). Déjà, dans A Bit of Atlantis, Erskine montrait que le viol du sanctuaire atlante avait pour corollaire impitoyable la destruction finale de l'île. Dans " Le Temple " de H.P. Lovecraft, un sous-marinier allemand, prisonnier des profondeurs, est témoin de la survivance du peuple atlante. Mais ici, point de merveilles, seul subsiste le choc fatal de " ce secret silencieux des flots insondés, des siècles innombrables {46}". Dès lors, la révélation équivaut au chaos mental et à la mort.

La dialectique sous-tendant le thème atlantidien (isolement/résurgence/menace) peut-être envisagée comme le reflet du climat irrationnel qui baigne l'Occident prénazi. Si la terreur réside dans l'indicible chez Lovecraft, elle prend un aspect mythique, sinon religieux, chez A. Merritt et A.C. Doyle. Le Visage dans l'abîme (1923) décrit le voyage de Nicholas Graydon dans une vallée inconnue proche du prestigieux site de MachuPicchu, et la découverte d'un monde perdu, " Yu Atlanchi ". Dans un premier temps, Graydon s'éprend d'une jeune femme, Suarra, puis ses acolytes sont éliminés par Nimir, " le Seigneur du Mal " : Graydon, épargné, jure de revenir pour retrouver sa compagne. Dans un deuxième temps, il s'agira de la lutte acharnée entre Nimir (qui fut jadis condamné par les Anciens à. être enfermé dans un monstrueux visage de pierre sculpté dans la muraille d'une caverne), et Adana, la Mère-Serpent, l'un de ses juges. Graydon, ne voulant, pas abandonner son corps à Nimir, s'oppose farolichennent à sa puissance diabolique, aidé par la Mère-Serpent et son amour pour Suarra.

La lutte contre Nimir " à la Face Sombre ", " image d'un titan luciférien, enchaîné et brûlant de reconquérir son royaume {47} ", évoque celle de Maracot contre Baal-Seepa, le " Seigneur à la Sombre Face ", dans La Ville du gouffre de C. Doyle. Nimir et Baal-Seepa, deux figures sataniques qui anticipent dans la fiction, le tragique avènement de l'Ordre Noir...

Si Doyle emprunte sa figure du mal à la mythologie babylonienne, si Howard emprunte à la fureur combattante, des Germains et des Scandinaves le " berserkir " dont il va doter ses surhommes, Merritt multiplie les allusions aux Ases, Loki et au Ragnarok, qui prennent un relief tout particulier dans le contexte idéoloque des années 1920-1930 (retour de l'irrationnel, éloge de l"aryanisme, etc.). Il est significatif que l'avant-dernier chapitre du Visage dans l'abîrne s'intitule " Ragnarok à Yu-Atlanchi ". A la têtes des Ases, Graydlon engage la bataille finale contre Nimir-Loki, " sous un ciel d'où tomberont des ombres glacées qui se battront contre des ombres de feu ", conformément à l'eschatologie nordique. On ne peut s'empécher alors de faire un parallèle entre le " Ragnarok " littéraire de Merritt et le Crépuscule des dieux musical de Wagner, dont les maîtres du IIIème Reich ne cesseront de faire l'éloge.

Seule concession à la fiction, le " Destin des Puissances " s'accompagne de la seule destruction des force du mal. Toutefois subsistent dans l'esprit du lecteur la menace lancée au monde par Nimir, ainsi que l'avertissement de la Mère-Serpent à une mumanité pervertie par le matérialisme.

Il est dangereux, sinon fatal, de troubler le repos éternel des Atlantes, ces dieux prirnitifs qui gisent enfouis dans leur royaume souterrain ; telle semble être la morale de plusieurs romans de l'époque. Les explorateurs que décrit Haggard dans Le Jour où la Terre trembla (1919) transgressent les interdits d'une population indigène insulaire et, ce faisant, provoquent le réveil des dieux assoupis, Oro et Yva, qui avaient déjà noyé l'humanité 250 000 ans auparavant. Voyant l'étendue du mal qui ronge le monde, les dieux décident de procéder à un nouveau Déluge purificateur qui renvoie le lecteur aux thèmes du réveil cyclique des dieux et du cataclysme potentiel qu'il implique.

Une oeuvre similaire, La Sphère d'or (1925), dynamise ce thème en introduisant des éléments raciaux prémonitoires. Erle Cox y décrit la découverte d'une sphère intra-terrestre, véritable musée technologique d'un passé immémorial, qui recèle une femme en état d'hibernation. Son réveil, une fois encore, entraîne une menace directe sur l'humanité, car la belle endormie veut procéder à un génocide systématique des races inférieures, grâce aux moyens technologiques avancés dont elle dispose.

Dans The Vampires of the Andes (1925) de Henry Carew, un explorateur atteint un sanctuaire atlante après un véritable parcours initiatique. C'est pour apprendre que le jour est désormais proche où les oiseaux sacrés boiront le sang de sept jeunes vierges, ressuscitant ainsi les formes gigantesques des sept grands dieux. Le retour des dieux coïncide une fois de plus avec le châtiment d'une humanité coupable d'avoir sombré dans le mal et d'avoir inventé des outils de destruction.

La menace de destruction est également associée au thème du " savoir perdu " que tentent de récupérer aventuriers et autres savants fous. T. Mundy l'esquisse dans The Nine Unknown (1924) et le développe dans Jimgrim (1931) où il conte le combat à mort de Jimgrim et de Dorje, qui a dérobé le secret d'une énergie redoutable à une cité atlante dans le désert de Gobi.

Les Atlantes possèdent d'ailleurs l'arme suprême, explicitée plus tard par I.C. Crawford dans The Tapestry of Time. La destruction d'Atlantis par l'arme atomique renvoie aux craintes d'une génération inquiète des progrès de la science. Grâce à leur connaissance de la matière, les Atlantes, dans The Drums of Tapajos de S.P. Meek, observent le monde entier à son insu, mais les " Big Brothérs " d'Atlantis peuvent s'avérer encore plus dangereux : dans The Light in the Sky, la civilisation ultra-scientifique d'Atzlan utilise les pouvoirs de la lumière. Le grand-prêtre contrôle cette arme suprême qu'il nomme la " huitième couleur " et qui risque de devenir un moyen d'anéantir le monde extérieur. Nouvel exemple de renversement mythique, la lumière est ici principe de destruction. Pour les prêtres, la fin du cycle doit coïncider avec l'avènement d'une nouvelle ère qui nécessitera la purification de l'humanité par le feu. Cette résurrection du dieu solaire, imposée en ses symboles par le nazisme avec les conséquences funestes que l'on sait, va de pair avec l'idéologie véhiculée par une certaine littérature atlantidienne, florissante à cette époque, qui insiste sur l'origine " aryenne " du peuple atlante (Yermah the Dorado, The Divine Seal, The Prince of Atlantis).

Les cités atlantidiennes sous-marines trahissent elles aussi une angoisse devant l'avenir. Deux oeuvres de science-fiction américaines publiées en 1930 s'inscrivent dans une perspective de bouleversement. La première, " The Green Girl ", nouvelle de Jack Williamson, commence le 4 mai 1999 par la disparition du soleil. Grâce à une machine amphibie, le héros et son beau-père atteignent une cité sous marine gouvernée par une pricesse à la peau verte. Ce petit monde subaquatique est menacé par le " Seigneur de la Flamme " qui a réduit la princesse en esclavage. Le combat s'engagera alors entre le héros et la créature satanique.

L'action de The Sea Girl de R. Cullings se situe en 1990, alors que se manifeste une série de cataclysmes marins qui terrorise l'humanité. Une sirène suide un groupe d'amis vers les profondeurs sous-marines, expliquant qu'une race appelés les " Gians ", menée par la terrible reine Rhana, menace de conquérir le monde en provoquant artificiellement une sorte de peste chimique - proche des armes bactériologiques - projet finalement contrecarré par les héros.

Alors que Williamson et Cummings projettent leurs fantasmes de guerre et leur angoisse de l'avenir sur des prototypes fictionnels (le méchant, le diable, le savant fou), certains utilisent la science-fiction et ses archétypes atlantidiens pour expliciter leur démarche littéraire dans un cadre historique ccontemporain qui ne laisse subsister aucun doute. C'est le cas du britannique Joseph Delmont qui décrit dans The Submarine City (1930) une gigantesque cité sous-marine abritant des sous-marins allemands qui s'apprêtent à conquérir le monde. Ce roman s'inscrit dans la lignée des ouvrages de science-fiction idéologique (City of Endless Night, 1919 de M. Hastings ; The New Race of Devils, 1921, de J. Bernard) qui décrivent les Allemands fourbissant des armes de plus en plus sophistiquées pour satisfaire leur désir de revanche. Le thème de la cité-bulle subocéanique sera définitivement laminé par l'idéologie prénazie dans World D (1935) de H.P. Trevarthen qui donte le projet d'un savant fou, consistant à peupler sa cité d'échantillon humains hypersolecitonnés, le monde extérieur étant condamné à la destruction {48}.

De même que l'imaginaire et la pseudo-science contaminent le thème atlantidien dans le pays anglo-saxons, un phénomène semblable se manifeste en AAllemagnedans les œuvres doctrinales des théoriciens du nazisme (Lanz, Hoerbiger, Rosenberg, Zschaetzsch) et les romans de science-fiction atlantidiens, fortement imprégnés d'idéologie raciste (œuvres de Kiss, Mueller, Hauser, Dominik, Schulz, Mader, Bessmertnu, etc.) {49}.

Ainsi le continent mythique a survécu au déluge, mais cette renaissance peut à nouveau s'achver dans la tragédie, comme le laissent entendre de nouvelles prophéies… qui ne font que perpétuer les premières (The Treasure of Atlantis, Yermah the Dorado, Le Continent perdu, etc.).

Une sorte de balancier cosmique semble régir la destinée de l'Atlantide. Celle-ci disparaît dans les flots lorsque triomphe le monde profane, tandis que sa résurgence correspond à une menace cataclysmique sur la Terre, ce que confirme The Divie Seal de E.L. Orcutt, publié dès 1909. Le surgissement quasi magique du continent atlantidien, au moment même où l'Angleterre sombre dans les flots, procède de la même fatalité dans le roman de O. Creswick, The Turning Wheel, (1928), dont le titre est à lui seul révélateur de l'essence même du symbole atlantidien. La forme circulaire de la cité d'Atlantis, même sous son avatar sous-marin (la bulle, le dôme, etc.) correspond au modèle platonicien (trois enceintes circulaires concentriques). A l'idée de perfection est adjointe celle du temps, proche du symbole solaire de la roue qui figuree le cycle continu du renouveau. Le schème de la circularité induit celui du cycle et de la réapparition périodique de l'Atlantide (résurgence, reconnaissance, réveil ou menace), qu'on pourrait rapprocher de l'éternel circuit de l'arche de Thulé dans Le Formidable Secret du Pôle. C'est ainsi qu'il convient d'interpréter le symbole régénérateur de l'" oeuf de salamandre " qui est à l'origine du surgissement de l'Atlantide (Le réveil d'Atlantide, 1923, de Paul Féval fils et Magog), la violente [ré-]émergence de tout un continent dans la mer des Sargasses, au moment où la Grande-Bretagne risque d'être rayée de la carte (The Survivors, 1932, de F.H. Sibson), et la soudaine aspiration des héros dans la spirale du temps, dans Three Go Back de James L. Mitchell, alors que leur avion survole un séisme marin dans l'Atlantique.

Par leur régression historique, les personnages de Mitchell découvrent la bestialité originelle et les perpétuels bouleversements qui modèlent la Terre depuis le début des temps. Comme les héros de Jules Verne, analysés par Michel Serres, ils observent que " le temps monte et le temps descend, selon les volcans et le feu de la terre. Le temps est circulaire, et l'histoire est un autre cercle{50} ". Comme l'île de l'Île mystérieuse, qui a émergé par un volcan et qui sera immerée par un volcan, la résurgence atlantidienne est une " récapitulation de l'histoire des hommes, mais seulement sur un segment partiel de l'éternel retour ". De même que " le monde est un cercle de cercles ", l'Atlantide trace le cercle de l'éternel déluge{51} ".

L'idée de compensation cosmique est apparue dans " L'Éternel Adam " de Jules (ou Michel) Verne (1910), texte fondamental qui met en parallèle le naufrage de notre propre civilisation fondée sur la science, et la surrection simultanée du continent mythique, l'engloutissement de l'Amérique coïncidant avec la réapparition de l'Atlantide dont le destin est l'image passé de ce que l'avenir nous réserve. Ursula Le Guin se souviendra peut-être de Verne en contant la réémergence d'une Atlantide symbolique et la disparition dans les eaux d'une Amérique dystopique (" La Nouvelle Atlantide ", 1975).

Cette renaissance cyclique nous renvoie à notre propre précarité, comme le montre aussi Noëlle Roger, dont les héros sont miraculeusement témoins de la nouvelle émergence de la patrie des Atlantes et de leurs trésors merveilleux. " Pour eux, dit le héros du roman, le monde invisible était une réalité. Notre époque désagrégée aurait besoin de leur force {52} ". La décadence et le matérialisme renvoient ainsi à la nostalgie d'un âge d'or aboli, le paradis atlante, et l'on constate que la corruption des notions de science positive et de progrès dans l'entre-deux-guerres coïncide avec l'essor de la science-fiction atlantidienne qui nous rappelle la permanence des anciens archétypes, de l'homme ancestral, de ses croyances et de ses dieux. Mais de même que dans l'histoire, le regain d'irrationnel a eu pour corollaire le déferlement des hordes nazies, la résurgence d'Atlantis dans la fiction équivaut à une " onde " de chocs : ceux du cataclysme et du réveil menaçant des dieux, ainsi que le choc pathétique de la révélation des cycles de l'humanité dans " l'Eternel Adam ".

Lovecraft avait déjà pressenti cette effervescence irrationnelle en évoquant, sur le mode de la terreur, le surgissement volcanique d'un îlot renfermant un monolithe antique couvert de sculptures et de bas-reliefs inspirant la plus vive terreur. Cette parcelle de continent perdu est en fait l'antre de l'horrible dieu-poisson Dagon. Ici, verticalité et circularité se mêlent pour exprimer un augure d'angoisse et de cataclysme.

" Mon rêve étrange se poursuit et je vois le jour où [ces êtres sans nom] s'élèveront au-dessus des flots pour engloutir l'humanité affaiblie par les guerres. Ce jour-là, les terres s'enfonceront, et le fond des sombres océans se dressera au-dessus des eaux pour envahir l'univers. " (Op. cit., vol. l, p. 23).

Dans " L'appel de Cthulhu " (1928), Lovecraft reprend ce thème, décrivant la réémergence de la sinistre cité sous-marine de R'lyeh et de son dieu monstrueux. L'humanité n'est plus à l'abri car elle sait désormais l'impitoyable loi des continents perdus : " Ce qui s'est soulevé peut s'enfoncer et ce qui s'est enfoncé peut se soulever " (Ibid., p. 88).

Fidèle à sa destinée cyclique, la vague atlantéenne a connu des crues et des creux. Après 1945, quelques auteurs ont tenté de maintenir le mythe en survie artificielle : J. Prieur  {Navires pour l'Atlantide, 1947), F. Ashton (The Breaking of the Seals et Alas, That Great City, 1946-1948), P. Groom (The Purple Twilight,1948), J.C. Powys (Atoll, 1954), etc. Mais, visiblement, le thème est exsangue, et la science-fiction a les yeux tournés plutôt vers les étoiles du futur que vers les édens du passé. Certes, le cinéma use parfois du théine (Atlantis. The Lost Continent, 1961 ; Warlords of Atlantis, 1978), ou même la télévision (L'Homme d'Atlantis, 1977), mais c'est l'essor de l'heroic fantasy qui va redorer le blason des Atlantides littéraires. Cija, la trilogie atlantidienne de Jane Gaskell (The Serpent, Atlan et The City, 1963-1966) popularise de nouveau le thème en le teintant d'érotisme et de magie. Paradoxalement, le mythe se ressource grâce aux recettes du passé : The Romance ofAtlantis (1975) de T. Caldwell réactive le motif de la réincarnation. La Chute d'Atlantis (The F ail of Atlantis, 1985) de Manon Z. Bradiey retrouve le charme des affrontements manichéens d'antan, et The Last Guardian (1989) de David Gemmel ressuscite... Noé, étemel rescapé du Déluge.

La boucle est bouclée. De même que les mythés ne cessent de muer, la fiction des continents perdus confirme que toute " production " littéraire n'est que " reproduction ". Tout thème archaïque englouti par l'histoire peut un jour " refaire surface ". D'ailleurs, la croyance est bien établie, en Bretagne, que la ville d'Ys n'est qu' " endormie " sous les flots, et qu'elle peut resurgir un jour. L'Atlantide, ou l'éternel retour...


NOTES

  1. P. Versins, Encyclopédie de l'utopie et de la science-fiction, L'Age d'Homme, Lausanne, 1972, p. 76.
  2. J. Gattefossé, Deux siècles de publications atlantologiques, Supplément à la revue Atlante 1959, p. 3.
  3. L. et C. Sprague de Camp, Les Énigmes de l'archéologie, Ed. Planète, Paris, s.d., p. 30.
  4. Olivier Boura, Les Atlantides, généalogie d'un mythe, Arléa, Paris, 1993
  5. Voir notre présentation de l'anthologie Mondes perdus (Omnibus, Presses de la Cité, Paris, 1993).
  6. Syphylis ( 1530) de Fracastor, L 'Atlantide ou la théogonie newtonienne ( 1812) de N. Lemercier, L'Atlantide (1877), poème catalan de J. Verdaguer, The Lost Island (1889) de E.T. Fletcher, The Lost Atlantis (1897) de E.N. Beecher, The Ancient of Atlantis (1915) de A.A. Manship, Atlantide Sommersea (1952) de G. Ferrucci, etc.
  7. Ainsi, relèvent de l'occultisme Dweller on Two Planets (1894) de F.S. Oliver, Stone Giant (1898) de C.C. Dail, Her Bungalow (1898) de N. Me Kay Cordon, Mysteries of Earth, Continents and Man Revealed ( 1899) de LC. Fullei, The Sin of Atlantis (1900) de R. Homiman, Story of the Amulet (1906) de E. Nesbit, ou bien Message from the Gods (1910) de M. Mc Bride. Relèvent de la pseudo-science Atlantis ( 1894) de N.W. Hoskins, Tales of the Enchanted Islands of the Atlantic ( î 898) de T.W. Higginson, ou Recreations of a Psychologist (1920) de G.S. Hall. Voir Atlantean Chronicles de Henry M. Eichner (Fantasy Publ. Comp., Alhambra, CA, 1971).
  8. G. Rachet, L'Atlantide et les Continents disparus. La Grande Aventure de l'Archéologie. Robert Laffont. 1982. n 7
  9. S. Bertino, Guide de la mer mystérieuse, Tchou-Princesse, Paris, 1977, p. 43.
  10. G. Poisson, cité par P. Aziz, L'Atlantide, continent disparu. Livre de Poche, 1980, p. 10.
  11. Platon, Timée et Critias, Flammarion, 1969, pp. 379-409, et pp. 475-493.
  12. Ch. Foucrier, " Mythe et Roman, L'Atlantide de Platon dans la littérature de science-fiction ", Mythe, symbole, roman, Univ. de Picardie, P.U.F., 1980, p. 87.
  13. J. Van Herp, Panorama de la science-fiction, Verviers, Marabout, 1975, p. 85.
  14. J. Servier, Histoire de l'utopie, Gallimard, Paris, 1967, p. 46.
  15. L. Sprague de Camp, Lost Continents, Dover, New York, 1970, p. 14.
  16. J. Servier, Histoire de l'utopie, op. cit., p. 134.
  17. L'Utopie de More et la Cité du soleil de Campanella sont disponibles dans Voyages aux pays de nulle part (" Bouquins ", Robert Laffont, Paris, 1990).
  18. I. Donnelly, Atlantis, théAntediluvian World, Harpers, New York, 1882.
  19. A. Le Plongeon, Queen Moo and the Egyptian Sphinx, Kegan, Paul, Trench, Trübner.London. 1896.
  20. L'île de Pâques apparaît dans He, a Companion to She ( 1887) de J. de Morgan, The Armada Gold (1908) d'E. Tumer et R. Hodder, " Offrande à la lune " (1930) de C.A. Smith et The Monster of Mu (1932) d'O. Rutter. Les ruines de Nan Matai vont inspirer A. Merritt pour son Gouffre de la Lune (1918).
  21. Le mythe de Thulé sera pillé par la fiction de mondes perdus. Citons par exemple The Paradise of the North (1890) de D.L.Johnstone, Valdmer the Viking ( 1893) de H. Nisbet, Princess Thora ( 1904) de J.B. Burland ou The Smoky God ( 1908) de W.G. Emerson, sans oublier Le Formidable Secret du Pôle (1936) de Jean Ray. En 1919, le mythe sera détourné dans un sens politico-ésotérique par une secte prénazie, le Groupe Thulé.
  22. Voir G. Rachet, " Un canular, le rapport Schliemann ", L'Atlantide et les Continents disparus, op. cit., pp. 249-257.
  23. Ibid., pp. 36-37.
  24. Voir Les Lieux énigmatiques. Éd. Time-Life, Amsterdam, 1988, p. 35.
  25. Voir par exemple A. Tomas, Shambhala, oasis de lumière. Le Hiérarch, Paris, 1988, pp. 53-54.
  26. Olivier Boura, Les Atlantides, généalogie d'un mythe, op. cit., p. 22. 28. Voir L. Sprague de Camp, Lost Continents, op. cit., pp. 45-58, et H.M. Eichner, Atlantean Chronicles, op. cit., p. 102.
  27. J.-C. Pichon, Histoire des mythés, Payot, Paris, 1971, pp. 34-43. (Contrairement à l'Atlantide solaire. Mu et la Lémurie sont des mondes nocturnes et lunaires].
  28. Les romanciers vont privilégier massivement l'Atlantide au détriment de la Lémurie et de Mu, évoquées seulement dans une trentaine d'œuvres de langue anglaise. En ce qui concerne la Lémurie, citons The Last Lemurian ( 1898) de G.F. Scott, The Daughter ofthe Dawn (1903) de W.R. Hodder et The City ofWonder (1922) d'E.C. Vivian ; quant à Mu, citons l^e Gouffre de la lune (1919) de Merritt, Fugitive Anne (1902) de Mrs C. Praed, Le jour où la Terre trembla (1918) de Haggard, Mukara ( 1930) de M. Bruce, Jan ofthe Jungle (l 931) d'O. A. Kline, The Monster ofMu ( 1932) d'O. Rutter et La Cité dorée (1933) de R.M. Farley.
  29. Platon, Critias, op. cit., p. 493.
  30. Han Ryner (Les Pacifiques, 1914) et Marcelle Flach (Allons-nous encore une fois faire sauter la Terre ?, 1945).
  31. Mircea Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes, Gallimard, Paris, 1976, p. 13.
  32. Platon, Timée, op. cit., p. 405.
  33. Plusieurs ouvrages atlantidiens relèvent de la science-fiction, sans pour autant prôner un message utopique. L'influence vernienne est ainsi manifeste dans A Mystery of the Pacifie de O. Smeaton, A Submarine Tour et. La Ville du gouffre. Les explorateurs extasiés ne se lassent pas d'admirer les merveilles scientifiques des Atlantes dans A Queen ofAtlantis de F. Aubrey, The Power of Ula de M.S. Williams, The Treasure of Atlantis de J.A. Dunn, et The Treasure Vault ofAtlantis de O.W. Andersen.
  34. J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont, Paris, 1982, p. 83.
  35. Disponible dans Mondes perdus, op. cit.
  36. Le Retour de Tarzan (1913), Tarzan et les Joyaux d'Opar (1916), Tarzan et le Lion d'or ( 1922) et Tarzan l'invincible ( 1931 ).
  37. R. Graves, La Déesse blanche, éd. du Rocher, Paris, 1979, pp. 67-81.
  38. Voir The Marble City (1895) de R.D. Chetwode, A Bit of Atlantis, Atlantis, The Ultimate lsland, The Turning Wheel et "Light of Atlantis" (1932), une nouvelle de Sax Rohmer. Le mythe de la mer des Sargasses apparaît dans A Queen of Atlantis, " The Sunken Island " (1904) de F. Ash, In the Heart ofthe Silent Sea (1909) de R.H. Bolton, The Survivors (1933) de F.H. Sibson, sans oublier La Mer des Sargasses (1923) de Chollier et Lesbros et Le Secret des Sargasses (1940) de Jean Ray. Les îles atlantidiennes sont également enclines à l'utopie (The Marble City, Atlantis, The Ultimate Island).
  39. Voir The Great Secret, " Dans l'Abîme ", A Submarine Tour, The Scarlet Empire, A Child's Story of Atlantis, " Le Temple " (1920) de Lovecraft, Capillaria (Budapest, 1921 ) de F. Karinthy. Buck Rogers in the City Beneath the Sea ( 1924) de Caikins et Nowlan, La Cité des Ténèbres (1926) de L. Groc, Il Tunnel sottomarino (Milan, 1927) de L. Motta, The Sunken World. La Ville du Gouffre, " The Green Girl " (1930) de J. Williamson et The Sea Girl (1930) de R. Cummings, " World D " (1935) de H.P. Trevarthén, La Découverte de l'Atlantide (1936) de D. Wheatley, et Le Formidable Secret du Pôle de Jean Ray.
  40. Les Aventures du capitaine Hatteras (1866), Vingt Mille Lieues sous les mers (1870), L'Île mystérieuse (1874), Kéraban-le-têtu (1883), L'Invasion de la mer (1905), L'Agence Thompson et Cie (1907) et " L'Éternel Adam " (1910).
  41. Ch. Foucrier, " Jules Verne et l'Atlantide ", Actes du colloque d'Amiens, P.U.F., Paris, 1977. p. 100.
  42. Jules Verne, Vingt Mille Lieues sous les mers. Livre de Poche, Paris, 1966, p. 423.
  43. Ibid..p.99.
  44. H.P. Lovecraft, " Le Temple ", Lovecraft, " Bouquins ", Robert Laffont, vol. 2, p.45.
  45. J. Van Herp, " A. Merritt ou le voyage au pays des dieux ", Fiction, n° 52, mars 1958, Paris, p. 121.
  46. Cette contagion historique ne concerne pas que les Atlantides " contemporaines ". " A croire que certains ont la faveur de soulever le voile masquant les événements à venir ", écrit J. Van Herp (José Moselli et la SF, Ides et autres, Bruxelles, 1984. p. 187) à propos de l'ouvrage de José Moselli, La Fin d'Illa (1925). Cette civilisation de type atlantidien, quoique située dans le passé le plus lointain, prend un relief tragique par sa prescience du totalitarisme. La fin d'" Illa la Glorieuse ", dont les machines sont nourries avec du sang humain, semble inéluctable. Les noms mêmes du dictateur et de son chef de la police secrète, Rair et Lim, semblent prophétiser les noms sinistres d'Hitler et d'HimmIer...
  47. Voir notre ouvrage Le Cauchemar de fer. Ides et autres, Bruxelles, 1993 (en collaboration avec J.-P. Debenat et J.-C. Pichon).
  48. M. Serres, Jouvences sur Jules Verne, Ed. de Minuit, Paris, 1974, p. 160.
  49. lbid.,p. 127.
  50. N.Roger, Le Soleil enseveli, Calmann-Lévy,1928, p. l9.