Critique de « La Nuit des temps » dans Les Cahiers Bourbonnais, n°39

« Ils ont repeuplé le monde, et ils sont aussi cons qu'avant,
et prêts à faire de nouveau sauter la baraque. C'est pas beau,
ça ? C'est l'homme ! »
René BARJAVEL          

Nombre de Bourbonnais gardent un souvenir sympathique et parfois amusé de René Barjavel, ancien rédacteur au « Progrès de l'Allier ». Il a confirmé son nom dans le cinéma et le roman -(deux de ses oeuvres ont paru en « Livre de Poche » : « Ravage » et « Tarendol ») et il excelle dans la science-fiction comme il le prouva avec « Le voyageur imprudent ».
Aujourd'hui, avec « La Nuit du Temps », il nous offre un chef-d'oeuvre du genre Non seulement son imagination donne apparence d'authenticité à la fiction la plus invraisemblable : la résurrection d'un couple congelé voici 900.000 ans, mais ce thème lui permet de construire il la fols un merveilleux roman d'amour et une oeuvre philosophique claire. Le roman d'amour, dans la ligne de Roméo et Juliette, au moins pour le final, est shakespearien. L'oeuvre philosophique retentit des échos de Cassandre que reprend Estein, prévoyant les lance-pierres pour la quatrième guerre mondiale.

Un couple merveilleux physiquement a traversé le temps dans le froid absolu : 273,15 degrés centigrades au-dessous de zéro. Il témoigne de l'existence d'une civilisation évoluée, disparue sous les coups d'armes terrifiantes et révèle à l'humanité contemporaine combien elle est ancienne et lasse. Barjavel éclaire alors la légende de la mandragore, critique notre civilisation dans sa presse, ses savants, ses militaires, sa foule banalisée. les tractations secrètes, l'Europe entre l'URSS et les USA, les problèmes posés par la science que pourrait enseigner les « décongelés » - Coban a maintenu en vie depuiS 545 jours des mouches dont l'existence ne dépassait pas d'ordinaire 42 jours - les éternels désirs de paix (Gardez la paix, rien ne justifie la guerre, jamais) -la soif d'immortalité, tout crée une solidarité constante entre les êtres des mondes disparus et nous-mêmes l'érotisme parfois violent, le mystère de l'équation de Zoran .. Ce qui n'existe pas existe... le choix entre la conquête de l'espace et la recherche de la victoire sur la mort,l'étrange amour de Simon pour Eléa - elle-même amoureuse de Paikan et se refusant à Coban dans un drame racinien - la menace d'une guerre atomique - (un tel conflit voici 900.000 ans dura une heure et fit 800 millions de morts)  - les militaires, ces monstres qui, ayant construit l'armée, ont envie de la voir fonctionner ... L'utilisation de l'ordinateur même en amour, l'évocation de la civilisation mécanisée qui nous attend demain, voilà autant de visions où le passé et l'avenir se superposent.

Où sont les prés fleuris de la Lune, les Bergers Noirs des troupeaux de Mars ! (Déjà la ségrégation !). Barjavel nous donne un poème-fiction homérique et romantique où sont mises en valeur les beautés physiques et morales et le lecteur, loin de sortir effrayé de ce livre, trouve de nouvelles raisons d'avoir confiance en son destin, des raisons aussi d'agir pour qu'un jour, il ne saute pas avec la planète.

Jean-Charles VARENNES