Travail sur la nuit des temps - S. Rafin
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Production de RAFIN Simon, élève de troisième au Lycée français de Madrid

(à partir d’un sujet donné en classe )
 
TRAVAIL SUR "LA NUIT DES TEMPS" DE RENE BARJAVEL

Faites une description de Brivaux, membre de l’expédition polaire internationale, lors d’une visite à son ami Simon, héros du livre qui se remet difficilement de sa mission en Antarctique. Le narrateur est le Docteur Simon, il est de retour à Paris .

 

Je recule et observe l'étendue de la mélasse humaine qui avance sous ma vitre. Leurs ombres sombres s'aplatissent peu à peu. Sur l'épaisse brume qui recouvre ces êtres absurdes, le soleil jette les rayons les plus chauds que sa position dans l'espace lui permette, réduisant l'espèce humaine à vivre dans la fournaise de l'ozone pollué se désagrégeant.

(Dring) Les passants, sur leurs minuscules trottoirs, se battent pour trouver une molécule d'air souillé pour entrer ou sortir des bus bondés, pour garder les êtres qui leurs sont chers auprès d'eux, pour ne pas les perdre dans la masse informe de la puissante "humanité".

(Dring) Des pompiers s'affairent pour éteindre le brasier d'une Cadillac Freefly ayant fauché un groupe scolaire qui essayait de traverser pour gagner l'annexe de l'école, en face même de l'hôpital principal du 15e arrondissement. Le personnel opère dans la rue les petits corps mutilés par les énormes réacteurs du véhicule. Les seuls lits disponibles dans l'hôpital sont attribués aux clients du petit restaurant italien dans lequel l'aéroglisseur est venu s'écraser, après cependant que celui ci a ravalé la façade d'un gigantesque immeuble adjacent au mien. Les pompiers, dirigeant le monstrueux canon du lance-flammes vers la voiture, projettent sur celle-ci un jet d'essence enflammée de 20 mètres de long. Le brasier entourant le véhicule s'éteint brusquement, asphyxié. La déferlante d'essence s'étrangle à la base et meurt à son tour. Les équipes de lutte contre les incendies décrivent un large périmètre de sécurité autour de la carcasse fumante et des corps calcinés bouillonnants de l'intérieur. Je me retourne, horrifié par la contemplation de la société humaine se détruisant sous l'action de la technologie qu'elle pousse à s'accélérer. Toujours sous le choc, je traverse la moitié de l'appartement en trottinant et ouvre la porte de titane de mon appartement. Brivaux se tient derrière affichant un demi-sourire triste. Je le laisse entrer, lui offre un verre whisky. Nous nous asseyons dans mes fauteuils en lins hérités d'une tante décédée deux générations auparavant, au temps des vaches herbivores. Nous n'échangeons que quelques mots. Les formalités d'usage. Brivaux pose ses doigts massifs sur un petit appareil qu'il porte sous le bras. Il me le remet. "Les résultats des analyses sur…Elle."

J'observe ce personnage, auparavant si jovial, qui maintenant m'adresse la parole d'un ton faible et chevrotant. Ses chaussures de cuirs sont mal lacées, les petits cordons s'entortillant piteusement autour des chevilles. Les surfaces rutilantes des chaussures sont striées de petites crevasses claires, au niveau des articulations. Le pantalon, très raccourci grâce à la généreuse aide d'une machine à laver trop automatique (elle aurait dû être emmenée depuis longtemps à la casse, mais le conducteur de la Cadillac responsable de la machine, a trouvé une activité plus intéressante que de reconduire ses clientes de ferraille au cimetière) s'arrête au niveau des mollets. Le spectaculaire amincissement musculaire de Brivaux ces derniers temps lui a cependant permis de rentrer dans ce pantalon de coton. Sa chemise de soie mal repassée laisse supposer qu'elle faisait partie d'une de celles qui sont tombées sur le marchepied du snowdog lorsque le véhicule avait fait une brusque embardée pour éviter un pic de glace de quelques dizaines de centimètres de haut qui était apparu subitement dans la tempête polaire. L'une des deux mains de Brivaux porte un épais gant de cuir, habituellement destiné aux pilotes de la Marine. Il l'enlève, et je ne peux réprimer un frisson de dégoût : sa main, littéralement brûlée par la morsure du froid, pend mollement au bout de son bras. Une blessure profonde. Le froid avait dû ronger le nerf principal. Brivaux, toujours silencieux, porte sa main valide à l'une des poches de son blouson à fermeture éclaire cassée. C'est un blouson ordinaire. Epais, à manches courtes, il peut se régler sur position été ou hiver, ce qui dans les conditions climatiques actuelles n'est pas un luxe. Je vois soudain surgir de la poche gauche du manteau une petite bille noire. Je repose alors violemment mon verre, au risque de voir ma table importée de Château Le Persier d'Anville, héritage de ma jeunesse, se fissurer. Ce que tient Brivaux entre ses doigts, c'est la Graine Noire, la mort. L'assassine de ma Perdue. Je suis pris d'une violente nausée. Comment ce…visage qui me sourit maladroitement peut-il me mettre cette abomination sous les yeux ? Le menton recouvert de barbe de Brivaux tremble, son nez, imposant surplombe une longue moustache qui recouvre ses lèvres. Ses petits yeux bleus, humides, me regardent fixement, cherchant peut-être l'esquisse du reflet de l'ombre de l'ébauche d'un pardon. Ses cheveux bruns retombe subitement sur son front.

D'une voix peu assurée, il prend la parole :

- "Ecoute, je sais que tu ne dois pas apprécier cette intrusion clandestine sur ton territoire, mais, je suis sûr que ceci pourrait t'intéresser…"

Il dépose la Graine dans mon cendrier vide. Elle décrit une trajectoire elliptique dans la petite écuelle de verre avant de s'arrêter, tournoyante, au centre de celle-ci.

- "Te souviens-tu du chimiste qui était avec nous dans la salle ?

- Oui, bien sûr ?!

- Il avait prélevé du sang sur Eléa, après son… suicide. Le fait est que Lebeau, à l'insu de tout le monde, a pris la Graine Noire dans la bague de Paikan, car c'était lui n'est-ce pas ? Curieusement, sa première réaction quand il est arrivé a été de m'en parler. Alors en cachette de tous, dans la nuit, nous avons fait une ou deux analyses… Je doute de la fiabilité du résultat, aussi j'aimerais que tu y jettes un œil. Vas-y, c'est sur l'ordinateur."

Je regarde, avec une haine incommensurable la petite Graine au pouvoir terrifiant.

Presque à regret, j'ouvre le petit ordinateur qui se met aussitôt à chanter des notes joyeuses. J'ouvre le fichier de résultats des analyses. Six petites courbes se dessinent lentement, montant et descendant.

- "Les courbes rouges symbolisent les résultats de l'analyse du sang d'Eléa. Les vertes symbolisent nos résultats d'expériences sur la graine. Comme tu peux le constater; il y a trois repères distincts, ils symbolisent des produits que tu as sans doute reconnus … Certains de ces produits étaient dans une partie profonde de la Graine, en son noyau…"

Je regarde un moment l'écran plasma, incrédule. Le temps se ralentit soudain. Mon cœur fait un bond. Les petites courbes continuent leur progression, confirmant mes souhaits les plus profonds. Un sourire se dessine sue mes lèvres.

- "Elle…

- J'y ai longtemps pensé, Simon. La traductrice est loin d'être infaillible, elle l'a confirmé elle-même quand elle a avoué ne pas savoir comment traduire ce que nous nommons à tort "Amour". Mais j'ai pensé que la mort, elle-même, pouvait contenir des terminologies différentes dans la langue Gonda. Peut-être était-ce une simple nuance. La traductrice cherche des équivalences en considérant les différences de puissances des mots. Sil elle avait été plus optimiste, elle aurait sans doute dit "Coma" au lieu de prononcer ce mot respecté par les humains. Comme tu le vois, les analyses montrent que l'extérieur de la Graine contient un sédatif monstrueusement puissant, et pourtant, selon nos calculs, merveilleusement dosé, qui plonge l'utilisateur dans une phase terminale de coma cérébral. Dans la couche intermédiaire, on peut trouver un produit chimique qui conserve la couche la plus profonde de la Graine, cette couche protectrice contient un produit qui nous est inconnu mais qui, testé sur un chat, nous a permis de constater qu'il ralentissait les battements de cœur de l'être vivant jusqu'à arrêt total de l'activité coronaire et de toutes les créations d'hormones ou de protéines. De plus cette couche est très compacte et fait office de minuteur. Simon, selon les calculs échantillonnaires, ce produit arrête de se propager dans le corps deux mois après l'absorption de la Graine. La dernière couche de la Graine, le noyau, est sans doute le plus complexe, nous n'avons pu faire qu'une analyse basique. Les ordinateurs déclaraient forfait à chaque essai, trop de paramètres.…… C'est un réanimateur, Simon, la dose qu'il y a dans cette Graine suffirait à réveiller une cafetière.

- Alors, cette mort n'était que … simulée ?…

- Une civilisation comme celle des Gondas n 'était pas fanatique. Leurs esprits calculateurs n'auraient pas pu se permettre de se suicider. Coban savait que Enisoraï allait attaquer. Son peuple allait mourir de toute façon. Alors, il a inventé cette petite merveille. Elle permettait aux Gondas de se donner la mort pour 2 mois seulement. Un temps suffisant pour que, le cas échéant, Enisoraï se retire. Les gens se donnaient la "mort", Enisoraï ne s'acharnait pas sur des corps, donc les Gondas survivaient. La Graine leurs a donné ensuite la satisfaction d'une mort réelle celle-là, douce. Les nerfs étant totalement déconnectés, ils n'ont pas senti le pouvoir de l'Arme s'abattre sur eux. Dans le cas où l'Arme avait seulement détruit Enisoraï, les Gondas se seraient réveillés, trouvant les Ennemis dispersés ou soumis…

- Effrayant…

- Eléa et Païkan sont vivants. Si on les réveille un jour, ils mettront deux mois pour revenir à la vie.

- Mais… pourquoi ?

- Elle a voulu s'isoler de nous, ou bien, plus logiquement, du monde absurde que nous représentions…

- Elle savait que Païkan était monté dans la sphère ? …

- Le sérum universel fait que le corps de l'être qui l'habite n'a automatiquement pas besoin de surplus de sang, du moment qu'il est correctement alimenté. Sachant que l'homme était en manque de ce liquide, Elle en a déduit que cela ne pouvait être que Païkan…Le reste ne nécessite pas d'explications particulières."

Je referme l'écran de l'ordinateur en plastique. Apres le départ de Brivaux, je m'assois dans un coin de la pièce, contre le mur, bois une gorgée d'alcool qui réchauffe ma langue, puis la chaleur irradie en moi, je ferme les yeux et pense aux deux corps qui, au loin, brillent de la même intensité, palpitant comme deux cœurs fantômes, se perdant dans la pénombre de la sphère…