Extraits de « Demain le Moyen-Âge »
de Roberto Vacca

(Albin Michel 1973)
(Chapitre 10 - La conjuration des systèmes urbains, pp.136 ss)

Cependant, la probabilité pour qu'une crise se produise est élevée et elle ne cesse de croître, tant à New York que dans toutes les agglomérations à forte densité. Voici une des façons dont pourrait se dérouler la catastrophe.
Tout pourra commencer avec la simple coïncidence d'une paralysie du trafic routier et du trafic ferroviaire. En conséquence, l'heure venue de la relève au service du contrôle de la navigation aérienne dans deux grands aéroports, le personnel frais n'arrive pas. Les contrôleurs) qui travaillaient déjà dix heures par jour six jours dans la semaine, continuent d'assurer le service, suivant deux appareils par minute sur les écrans radar, les guidant à l'arrivée et au départ en s'efforçant d'éviter les collisions. Vers la dix-neuvième heure d'un service presque continu, la capacité d'attention d'un « aiguilleur du ciel », à la tour de contrôle de l'aéroport O'Hare à Chicago, faiblit sans que l'homme, mort de fatigue, s'en aperçoive. Le contrôleur commet une faute grave.
Un quadriréacteur sur le point d'atterrir entre en collision avec un DC-9 qui vient de décoller et les deux appareils enchevêtrés atteignent en tombant une ligne électrique à haute tension.
La charge de la ligne coupée est instantanément répartie entre d'autres lignes déjà surchargées. Les sécurités fonctionnent automatiquement et, suivant un processus en chaîne, tout le réseau électrique de l'lllinois, du Michigan, de l'Ohio, de la Pennsylvanie, de l'Etat de New York, du Connecticut, du Massachusetts est mis hors service. Mais, cette fois, le black-out sera prolongé : il durera des jours et des jours.
C'est le mois de janvier. La température est de 15 degrés au-dessous de zéro. Il recommence à neiger et les chasse-neige ne peuvent entrer en service, car les rues et les routes sont bloquées. De nombreux automobilistes consomment toute leur essence en faisant tourner le moteur de leurs voitures à l'arrêt, prises dans l'embouteillage. Impossible de refaire le plein d'essence, car les moteurs électriques des pompes ne fonctionnent plus. Beaucoup de conducteurs abandonnent leurs voitures, contribuant ainsi à rendre les embouteillages plus inextricables encore.
Les trains ne circulent pas et de nombreux employés se voient obligés de camper dans leurs bureaux, où, pour se réchauffer, ils allument des feux. Des incendies éclatent, qu'on ne peut éteindre, car les auto-pompes des pompiers ne peuvent passer dans les rues engorgées par le trafic paralysé. Il se produit des scènes de panique et quelques milliers de personnes - les premières - perdent la vie.
L'aube glacée du lendemain trouve la situation inchangée. Cinquante millions de personnes sont abandonnées à elles-mêmes, sans approvisionnements et sans informations. Tout le monde essaie de téléphoner et le réseau entier du téléphone se bloque. Beaucoup de gens, tentant de rejoindre à pied leurs familles, entreprennent une marche de quelques dizaines de kilomètres qu'ils seront incapables de terminer : certains meuvent dans la neige, d'autres demandent asile à qui ne peut le donner et recourent à la violence, ou se heurtent à des réactions violentes. Quelques dizaines de milliers d'armes à feu parmi les dizaines de millions qui sont, aux Etats-Unis, dans la possession des pa.rticuliers, commencent à entrer en action.
Les mesures d'urgence et de remise en ordre ne peuvent être prises, en particulier parce que la paralysie des transports empêche le personnel compétent de se rendre sur les lieux de travail.
Le deuxième jour, l'état d'urgence est proclamé et les forces armées assument tous les pouvoirs civils. La paralysie des aéroports empêche de recourir aux ponts aériens pour suppléer les ravitaillements assurés d'ordinaire par le rail et par la route. On fait appel aux hélicoptères militaires, mais leur capacité se révèle vite bien inférieure aux besoins.
Le troisième jour, commence le pillage des supermarchés : la troupe tente de les réprimer et quelques centaines de personnes trouvent la mort dans ces troubles.
John Doe s'aperçoit qu'il est totalement impréparé à ce genre de situation. Ses deux bougies sont consumées et tous les appareils électriques dont la maison était remplie sont arrêtés et inutiles.
José Gutierrez, le Portoricain, se trouve beaucoup plus à son aise. Son niveau d'existence est plus bas et les nouvelles conditions ne sont pas particulièrement éprouvantes pour lui : il n'a jamais eu le téléphone et il est habitué à avoir l'électricité fréquemment ' coupée faute de paiement. Aussi, son logement est-il équipé pour fonctionner dans des conditions réduites et primitives. Depuis toujours, il est habitué à vivre dans une situation plus compétitive et plus violente. Ce sera José qui assommera John Doe pour s'assurer la possession de quelques bouteilles de gaz liquide. Ce sera José qui survivra. Le nombre des individus morts de froid et de faim sera cependant bien supérieur à celui des victimes d'actes de violence. Une contribution notable au bilan total sera fournie par le nombre des décès survenus dans les hôpitaux.
Au cours des deux semaines que durera la crise, quelques millions d'humains périront.
Puis les choses se remettront en mouvement, mais la reprise sera lente et les niveaux d'existence seront beaucoup plus bas que précédemment.
Le long arrêt des centrales thermiques, des industries et des moteurs à combustion interne a pour effet une brusque diminution de la pollution atmosphérique, mais l'impossibilité où l'on est de faire disparaître rapidement quelques millions de cadavres fait regretter les brouillards de smog. La détérioration des conditions hygiéniques favorise la diffusion d'épidémies qui causent de nouvelles pertes humaines.
L'apparition d'un ultime fléau est décisive : il s'agit de la peste bubonique, qui tue la moitié de la population restante.
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