ROLAND, LE CHEVALIER
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Pas de dédicace, mais en guise de préface :
Ou plutôt:
Avec le moyen-âge naquit notre littérature occidentale. On peut certainement considérer Chrétien de Troyes comme le premier des romanciers français. Cet auteur médiéval des romans de la Table Ronde relate dans de véritables feuilletons les aventures des Chevaliers à la recherche du Graal. Troyes, déjà bien établi dans une tradition écrite, succède tout juste aux premiers « écrivains » qui couchent sur manuscrits les textes jusque là chantés ou narrés en public. Les trouvères ou troubadours qui s'exécutent à cette tâche circulent de cités en cités, et récitent des textes en vers, ballades ou complaintes, sur fond musical basique mais codifié, instituant le spectacle avec des règles que n'ont guère conservé aujourd'hui que le théatre et les musiques orchestrales.
À ces premières heures de la littérature naissante, bien loin encore des premières intrigues romanesques qu'inaugurera la comtesse de Lafayette, avec la Princesse de Clèves, l'histoire est invariablement consacrée à la description des faits d'armes de héros nationaux. Le schéma est simpliste, et le partage des rôles manichéen. Investi d'un devoir sacré, des héros de toutes vertus servent Dieu et les valeurs chevaleresques contre des païens barbares, ignorants des vérités spirituelles et entachés de tous les péchés. Le Dieu des autres étant le diable, la tâche des justes est d'anéantir ou de convertir. Point de place donc n'est laissée à l'acceptation de l'autre. Cette vision intolérante est de nos jours, si l'on exclut quelques récupérations politiques par ailleurs assez rares, remisée aux musées qui conservent ces textes d'antan, que leur âge excuse.
De ces textes réputés, l'un est à la frontière entre la chanson et le texte. Il s'agit de la Chanson de Roland, texte écrit mais encore destiné aux vocalises des troubadours, qui rompt avec la tradition orale pure et parviendra jusqu'à nous sous sa seule forme livresque. Signé d'un mystérieux baladin, Turold, dont on ne sait s'il en est véritablement l'auteur, le texte est officiellement d'auteur inconnu, rédigé à une époque mal déterminée que les spécialistes situent entre les XIème et XVème siècles. Avec le temps, de ciment national le parchemin est devenu une poutre trop vieille qui n'est plus capable de supporter la société. L'époque n'est pas loin où à l'école les enfants découvraient l'histoire de ce preux chevalier trahi qui, pris au piège à Roncevaux, y mourrait d'y trop sonner de l'olifant, ne voyant revenir les armées de Charlemagne. Maintenant dans une société plus cosmopolite, chaque jour plus ouverte sur le monde, où les frontières deviennent, comme le reste, virtuelles, Roland l'impérialiste et sa rage à combattre ce qui ne fait pas encore partie de son royaume, ne trouvent plus ailleurs que chez les spécialistes de contexte favorable à sa lecture. Pour se remettre dans l'ambiance, il faut reconsidérer le climat de l'époque. Les idées de fraternité, de tolérance, de partage qui semblent à tous naturelles et justes aujourd'hui, étaient nourries par les traîtres et les lâches à l'époque où Roland chevauchait en terres étrangères pour uniformiser son empire de la Chrétientè. La lecture de ces textes, surtout ceux excessifs comme la Chanson de Roland, demande au lecteur un effort pour traverser les âges. Il y a la difficulté de la langue qui a fortement évolué depuis, mais surtout la difficulté des moeurs qu'ont bouleversées les siècles et les technologies. Aux heures d'aujourd'hui où la communication s'est établie entre les peuples, non une communication diplomatique entre leurs dirigeants mais une véritable communication sans intermédiaire entre les peuples eux-mêmes, les entreprises de Roland semblent et sont bien absurdes et déplorables. Excusons-le de n'avoir pas eu des siècles d'avance, et fasse que chaque lecteur puis arrèter un temps sa course et contempler le récit du chevalier trahi dans son contexte historique, car celui qui n'arrivera pas à pleurer Roland n'aura aucun plaisir à la lecture de la Chanson qui geint depuis des siècles de la douleur de sa perte sous les coups de l'infâmie et de la trahison. Cette difficulté n'est qu'un pas que chacun pourra franchir aisément s'il le souhaite. Il ne demande qu'humilité pour le passé et pour soi, et l'effort de ne pas juger. De lire simplement. L'autre de la langue, bien que le texte soit rédigé en Français, est plus délicat. Peut-être même trouvera-t-on plus difficile d'accompagner le héros dans sa langue que dans sa lutte injuste et tyrannique.
La Chanson de Roland, & traduction Vers CXXVI |
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O VEIT TIERRIS, QUE EL VIS EST FERUT, THIERRY voit qu'il est blessé au visage.
LI SANCS TUZ CLERS EN CHIET EL PRED HERBUS.
FIERT PINABEL SUR L'ELME D ACER BRUN,
JUSQU AL NASEL LI AD FAIT E FENDUT,
DEL CHEF LI AD LE CERVEL ESPANDUT,
BRANDIT SUN COLP, SI L'AD MORT ABATUT.
A ICEST COLP EST LI ESTURS VENCUT.
ESCRIENT FRANC, "DEUS I AD FAIT VERTUT.
ASEZ EST DREIZ, QUE GUENES SEIT PENDUT
E SI PARENT, KI PLAIDET UNT PUR LUI,"
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Comme on le voit, la traduction du manuscrit d'Oxford original n'est pas un luxe superflu... La littérature compte de nombreuses adaptations, dont la plus connue est celle de Joseph Bédier (1937) qui a nourri des générations de collégiens {voir une édition}. Quelques décennies avant l'adaptation de Barjavel, une édition pour la jeunesse de la librairie Larousse (collection "Contes héroïques de Douce France", 1911), « Roland, le Vaillant Paladin », adaptée par Marie Butts et illustrée par Roland Fau, est très étonnament similaire à celle de notre auteur. {voir cette édition}. Barjavel, malgré la renommée acquise par sa carrière d'écrivain, ne figure pas dans ces anthologies, bien que sa version soit de toute qualité. Il y a plusieurs raisons à cela.
La Chanson de Roland telle qu'adaptée par Barjavel a une place doublement particulière dans son oeuvre. C'est son premier roman édité, aussi loin que je sois remonté, et c'est un titre totalement occulté de sa bibliographie officielle. Certainement l'auteur a regretté ce roman dont certains passages n'ont pas su vieillir. Alors qu'il déclare lui-même avoir brûlé des textes non édités qui ne lui plaisaient pas, il n'avait peut-être d'autres solutions que de se désintéresser de ce premier ouvrage déjà paru, qui sera certes réédité avec exactement le même texte en 1972, mais sans qu'on le surprenne jamais à le commenter. Il restera très fier de Ravage qui prendra petit à petit la place de la Chanson réécrite. Il en parlera beaucoup mais semble avoir lui même oublié son véritable premier pas en compagnie des armées Françaises, parties en guerre contre les Sarrazins musulmans. Les éditeurs, tacitement, omettent le titre dans sa bibliographie.
Qu'est-ce donc qui pousse Barjavel, en 1942, à réécrire un texte où il ne manquera pas de mettre en exergue le sentiment de nation, le sens de l'honneur et du patriotisme. D'abord une attirance certaine pour le médiéval. Il écrira plus tard une version plus personnelle d'une période cousine de celle du règne de Charlemagne, où il mettra de nouveau en avant ces mêmes fières valeurs de la chevalerie, mais empreintes de naïveté et de tendresse, enrobées de poésie, adoucies d'amour et de bonté, en un mot bien loin des rudes et violentes batailles du présent roman. Ensuite son goût à côtoyer ou réécrire les textes sacrés ou fondateurs. Adaptant sa propre version du premier livre de l'humanité, la Bible, il n'est point étonnant, sachant l'attachement de l'auteur pour son pays, qu'il eût désiré également adapter le premier livre de sa propre langue. Enfin, et c'est ici que s'insinue le malaise, n'est pas étranger à ce choix le climat d'une époque de guerre où ressurgissent avec violence et férocité les cultes des nations et de leurs peuples, unis derrière elles, chacun défendant l'humanité des autres, les barbares, barbares nazis ou communistes, honnis des héros aryens ou soviétiques. En France, vite vaincue, résistants ou collaborateurs ont tous le mot patrie à la bouche. Les uns dans le triptyque Vichyiste, les autres parlant de France Libre. Barjavel, soldat démobilisé d'une armée vaincue, sans prendre parti ni pour ceux que l'histoire a fait héros ni pour les autres qu'elle a couvert d'ignominies, vit néanmoins au quotidien dans ce climat de surrenchère politique, et, auteur très réactif à son environnement, sans jamais commettre l'erreur fatale de prendre part aux mortelles disputes idéologiques d'alors, il se réfugie dans les textes historiques pour assouvir son besoin de hurler dans un monde hérissé de nationalisme les évènements qui se déroulent sous ses yeux. Déferlent alors sous la plume de l'écrivain une horde de glorieux chevaliers Français, invincibles et héroïques, partis anéantir une fois pour toute l'ennemi et mettre un point final à ces disparités qui, croit-on à l'époque, sont responsables des guerres intermittentes qui frappent toutes les générations. Ces guerres, de trente ou cent ans pour les âges médiévaux, sont devenues les guerres à deux chiffres. 14-18, ou 39-45. Et bien que le second chiffre ne soit pas encore arrété à l'heure où Roland re-boute sa selle pour partir au combat, ces guerres mondiales qui semblent devoir s'enchaîner interminablement traquent l'auteur et le contraignent, lui qui pourtant abhorre l'armée, à se situer dans les récits guerriers. Les raisons précédemment avancées expliquent que son choix se soit dévolu sur la Chanson de Roland. Par la suite, il ne se positionnera jamais plus sur le seul terrain militaire, et l'on sait que cette première tentative ne l'aura pas accompagné de son souhait. Toujours omnubilé par l'hégémonie des nations et les velléités des peuples, l'atmosphère et le ton de la guerre transpirent au travers de ses romans de l'époque, comme l'illustrent parfaitement Ravage ou Le Diable l'emporte. Roland reste pour lui la seule occasion d'écrire un roman entièrement versé dans la guerre, avec la pleine brutalité du parti pris et la rage presque palpable qui accompagne ses descriptions.
Charlemagne, roi des Français, c'est à dire des Francs de l'époque, et empereur
d'Occident (il ne fut en fait couronné empereur par le pape Léon III qu'en l'an 800,
c'est à dire ... 22 ans après la bataille de Ronceveaux), a vaincu tous ses ennemis à
l'exception de Marsile, un roi musulman vaillant mais sans honneur,
qui a fait pendre les deux messagers de paix du noble empereur.
Celui-ci décide alors d'exterminer les païens et leurs chefs.
Déployant le meilleur de ses troupes, il accule les infidèles à
Saragosse, dernier de leurs bastions qu'il s'apprête à faire tomber.
Mais c'est Marsile qui envoie à son tour des messagers pour conclure
un pacte de paix avec l'empereur. Ceux-ci vils et fourbes viennent
dans l'espoir de tromper Charlemagne et de retarder son attaque en
lui promettant l'inféodalité, qu'ils n'ont pas l'intention de tenir.
L'empereur, désireux d'éviter que ne coule davantage de sang, décide, non
sans les réticences de certains chevaliers, de dépécher un messager
auprès de Marsile pour lui faire savoir son accord. Sur la
proposition de son neveu Roland, il y envoit Ganelon, son
beau-frère. Celui-ci, certain d'y trouver la mort, prend Roland en
haine et se jure vengeance. Délivrant les injonctions de l'empereur
au roi païen, ce dernier insoumis et furieux décide de tuer le
messager. Ganelon trouve son salut en trahissant les siens et promet
à Marsile de convaincre l'empereur de regagner son royaume en ne
laissant en territoire occupé qu'un petit détachement qu'il sera
facile de vaincre, et dont il s'arrangera pour qu'il soit commandé
par Roland. La mort de celui-ci, pur d'entre les purs, sera un
tournant de la guerre pour l'hérétique, et une vengeance pour le
traître. Ayant accompli ses basses oeuvres, Ganelon raccompagne Charlemagne avec
le gros de ses troupes en son pays de France. Seuls derrière, Roland
et vingt-mille hommes sont restés. C'est alors que Marsile attaque
en surnombre les Français, piégés à Roncevaux. Roland plus fier que
le lion refuse de sonner de l'olifant et enjoint ses compagnons à se
battre pour l'honneur seuls contre tous. Les Français résistent mais
après de multiples assauts de l'ennemi en surnombre ils sont sur le
point de céder. Ayant donnés tous leurs coups, les Français décident
qu'ils peuvent appeller l'empereur au secours sans crainte du
déshonneur. Roland souffle dans l'olifant, et sa plainte est si
forte pour rappeller à lui l'empereur trahi qu'il y perd ses
dernières forces, et mourra de cet appel désespéré. Une fois revenu
sur les lieux du combat, Charlemagne comprend le complot dont il
fût la victime et fait écarteler Ganelon. Il découvre mort son fier
neveu, dont la perte irremplaçable sonne le glas de l'avancée de
l'empire.
Restant fidèle au texte, Barjavel n'a guère dans le déroulement de
l'histoire que le style et quelques passages flous de la Chanson
pour marquer le récit de sa personnalité et de son caractère. Il
trouve quelques fenêtres de liberté dans les courts préambules qu'il
ajoute au texte original et qui lui servent à le rythmer. Une
baronne reçoit le trouvère Turold qui chante l'aventure de Roland,
pendant que Barjavel peint à sa guise un château un peu fantastique
qui préfigure les décors de l'enchanteur, qu'habite une noble dame où
s'animent fébrilement les sentiments qui exploseront plus tard chez
ses héros féminins. Ces apartés divisent l'ouvrage en cinq
chapitres, chacun consacrant une séance de narration du troubadour.
Cette division est, par ailleurs, typique pour un tel texte. Le
court extrait suivant est le premier d'entre eux et commence le
roman.
Dans l'étude des personnages de Roland, le Chevalier plus fier que le lion :
Les personnages de Roland, le Chevalier plus fier que le lion, se
répartissent simplement--fait rare chez Barjavel--autour d'une ligne
qui sépare les « bons » des « méchants ». Et si l'un d'eux peut, à
l'occasion, passer d'un camp à l'autre, on n'a pas le loisir
d'observer quelque égaré sur la frontière et voir le romancier
s'intéresser à ses états d'âmes de personnage trouble ou troublé.
Roland, le personnage éponyme, est omniprésent dans le roman, où
son nom apparaît à hauteur d'une fois pour cent autres mots du
texte. Il incarne toutes les vertus chevaleresques : honneur,
fidélité, courage et dextérité au combat; et par delà elles, il
épouse les qualités du prince charmant. Il est jeune, beau,
souriant, gentil avec les siens, durs avec ses ennemis. Il est
fier mais même cet attribut n'apparaît pas clairement comme un
défaut, et moins chez Barjavel qu'ailleurs où tout n'est que
louanges pour le héros. Il est le neveu de Charlemagne et
tacitement promis à sa succession. Destiné à guerroyer, il
accompagne l'empereur depuis sa plus jeune enfance et lui a déjà
sauvé la vie. Il trouve compagnie auprès d'Olivier, un autre baron
qu'illustre sa vaillance et sa force, et à la soeur duquel il est
promis comme époux. Lors de la terrible bataille de Roncevaux, sa
mort est chèrement payée de ses mains, et le sera plus encore par
ses vengeurs. Il succombe non vaincu mais dans un dernier effort
pour apporter une ultime victoire à son oncle. C'est un personnage
de légende, presque un saint, qui est accueilli directement au Paradis.
Son épée Durandal est elle aussi figure de légende, elle
est sainte et incassable, et rouge du sang impur des infidèles.
Les cieux pleurent la mort du héros en multipliant les déluges sur
Terre. La princesse promise à son mariage meure de savoir sa
perte, une clameur s'élève parmis les chevaliers et barons qui tous
déplorent la perte de leur meilleur compagnon. Ses reliques sont
rapatriées en France, son coeur est embaumé et chéri.
Charlemagne, héros à son heure, est dans le roman sur ses dernières
années. Il a deux-cent ans slon la légende (en fait historiquement 36 ans !),
et poussé par l'appétit de son neveu à lui offrir un empire toujours plus grand,
poursuit ses invasions des territoires ennemis. Mais la fatigue et la lassitude
l'assaillent, il confie qu'il lui tarde de trouver le repos. Le
personnage apparaît comme influençable et incertain, même si son
autorité n'est par personne contestée et que ses barons le
chérissent et le vénèrent. Il fait en plus montre d'une faiblesse
sentimentale à l'égard de Roland, qui lui fera prendre des
décisions d'abord injustes à l'égard de Ganelon, puis cruelles.
Ganelon est le beau-frêre de Charlemagne. Sa femme Berthe est
l'épouse de l'empereur. Aux plaintes de celui-ci de ne plus revoir
son fils après le dépêchement en territoire ennemi que lui commande
l'empereur, ce dernier ne s'émeut pas et lui reproche d'avoir le
coeur trop tendre, alors même qu'il vient de refuser d'y envoyer
Roland par le caractère trop dangereux de la mission. Ganelon jure
publiquement d'attirer le malheur sur Roland. Jusque là dévoué et
droit, il complote avec l'ennemi pour assouvir sa vengeance. En
accompagnant Charlemagne sur le chemin du retour, il le dissuade
de revenir sur ses pas alors que raisonne la clameur de l'olifant
de Roland qui meurt. Démasqué, il est condamné à périr. Ganelon
déclarant qu'il n'a fait qu'accomplir sa promesse de précipiter le
mal sur Roland, nie sa trahison. Bien que les juges demandent sa
grâce, l'empereur obtient satisfaction en le faisant écarteler vif,
ainsi que les siens qui l'ont défendu.
Marsile est le vaillant roi maure qui tient tête aux armées de
Charlemagne. Il est sauvage mais résolu, féroce, typé et
craint. Il est encore coléreux, sans coeur, orgueilleux et prudent. Il se
barricade avec vingt mille hommes à Saragosse, sur une montagne,
d'où il cherche à éviter un assaut final de Charlemagne. Roland
qui pourfend toutes ses défenses arrive jusqu'à lui et lui coupe le
poignet droit, qui le tuera un peu plus tard. Toute son armée est
vaincue par Roland et ses hommes, et c'est le renfort de son oncle
le Calife, qui apporte le martyr aux troupes Françaises.
Peu d'éléments dans ce roman sont caractéristiques du style de Barjavel, qu'il s'est évertué à
adapter pour lui donner des consonnances médiévales. On retrouve en particulier un
vocabulaire riche de mots aujourd'hui désuets--« olifant », « hennin »,
« hanap », « gonfanon », « sermort », etc...--ou des
constructions grammaticales qui rappellent celles du texte original :
Des adjectifs choisis creusent le fossé du bien
Il ne faudrait pas s'obnubiler sur cet extrait, ni plus qu'on ne cherchera à invoquer ironie
ou effet particulier de l'auteur. L'exergue des traits maléfiques et terrifiants des hordes
ennemies est propre à ce genre littéraire, et les années quarante sont un tournant dans la
société et la littérature où des mots populaires tels ceux-ci sont peu à peu bannis. Orwell,
par exemple, a vu pour l'édition Américaine de son classique Nineteen Eighty Four
l'expression « lèvres négroïdes » refusée par le censeur américain, bien que
conservée (aujourd'hui encore) dans les éditions Anglaises, et les traductions en Français.
Pour Barjavel, ce seul passage dans l'oeuvre toute entière aurait mérité de son auteur qu'il
réactualise le texte de 1972 en évitant des tournures aussi choquantes et directes. L'auteur
peut-être non disposé à toucher à un texte qu'il aurait préféré réecrire tout entier n'en a
pas décidé ainsi. Il est maintenant impossible pour quiconque sans qu'il s'entende crier à
l'imposture de prendre cette responsabilité à sa place. Le texte par ailleurs joliment rédigé
et de grande qualité est-il ainsi destiné à choquer les oreilles les plus sensibles, ou à
l'oubli où il s'est pour l'instant réfugié.
Dans le champ lexical, après les personnages qui sont au centre d'un
récit qui ne laisse que peu de place aux descriptions ou
discussions de l'auteur, c'est bien sûr le vocabulaire de la guerre
et de la chevalerie qui est prédominant. La hiérarchie, qui dans ce
type de contes destinés à renforcer chez le public l'idée de l'ordre
et de l'autorité, se voit établie par de nombreuses citations, en
nombre fonction du rang. Ainsi, c'est le titre de l'empereur qui
intervient le plus (62 fois). Viennent ensuite le titre royal (56
fois), celui de baron (48), de chevalier (29), et, plus généraux, de noble (17), de
pairs (13), de comte (10), et enfin de simple guerrier (5).
Notons bien que si le titre de l'empereur est largement plus employé que le titre
de pairs ou de chevalier qui est celui de Roland, ce dernier en tant que personnage
intervient (avec 111 nominations) beaucoup plus que Charlemagne, cité cinquante-cinq
fois par son nom (11 fois comme « Charlemagne » et 44 fois comme
« Charles »), après Ganelon (61) et à peine plus que Marsile
(48). Cela rencontre l'idée de l'empereur retiré ou en arrière plan
des évènements, que seul son illustre nom réussit à maintenir parmi
les protagonistes. L'Église a un rôle certes important mais en deça
de celui des militaires. L'archevêque Turpin est aussi un chevalier,
qui se bat contre l'ennemi. Pour le vocabulaire guerrier, on notera
d'abord une nette prédominance de la mort (59 interventions
diverses). L'issue des combats est fatale aux soldats. Ceux qui en
réchappent meurent un peu plus loin ; les blessures ne sont guères
entrevues que par sept fois. Les évocations du combat parsèment de
leur conjuguaison le texte : on trouve les mots « frappe », « frappent »,
« frapper », « frapperai », « frappez », intervenant avec les « coups » et
autres tentatives de mettre hors de combat (comme la mise à mort,
« tue », « tuer », « tuerez », « tuerie », « tuerons ») sur un total dépassant
de peu la centaine d'interventions. Le mot « bataille » à lui
seul intervient vingt cinq fois, le mot guerre » dix fois. Le
« sang » (16) est omniprésent dans les descriptions. Le matériel
ou les institutions militaires ont aussi une place naturellement importante
à côté des termes évoquant les combats. L'« armée » intervient
quarante fois. Le mot « épée » presque autant (38), et plus encore si
l'on dénombre les appellations de ces armes par leur nom
propre. Ainsi, Durandal est nommée par seize fois dans le texte (et
le célèbre olifant, quatorze fois). Les lances interviennent par
seize fois, le mot « arme » est utilisé six fois, et autre arme s'il
en est, le cheval fait trente et une apparitions (excluant encore
les noms propres), dont beaucoup lui seront fatales. À côté de
l'atrocité des combats enragés, la paix (4) n'a que peu d'occasion de se manifester.
Les acteurs de cette lutte sont les Français (36), qui se battent
pour l'empereur mais aussi pour la France (30). Cependant pour
donner l'impression d'une présence en surnombre de l'ennemi, ce
dernier est sans cesse évoqué. Le mot « païen » et
ses dérivés intervient par cinquante fois. Il faut encore y ajouter
les mots équivalents pour les désigner : « sarrasins » (8), « nègres »
(6), « infidèles » (3), etc...
Enfin, moteur de l'histoire, la trahison. Plus d'une vingtaine de nominations de mots dérivés.
Parmi les mots n'intervenant qu'une seule fois, notons comme
occurences intéressantes « Jésus » et le « diable ». « Dieu »
par ailleurs dénombre vingt-sept apparitions, en majorité comme Dieu des Chrétiens.
« Mahomet » intervient par quatre fois.
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et vos analyses de Roland, le chevalier plus fort que le lion.
RÉSUMÉ
EXTRAIT
PERSONNAGES
ROLANDLe Chevalier plus Fier que le Lion
~ PERSONNAGES ~
CharlemagneL'empereur à la barbe fleurie
~ PERSONNAGES ~
GANELONLe Traître
~ PERSONNAGES ~
MARSILELe roi païen
ÉTUDE LINGUISTIQUE
et du mal en modulant des sentiments
identiques chez les différents personnages mais en jouant sur une fibre louable chez l'un,
condamnable chez l'autre. Par exemple, les colères de Charlemagne sont « saintes ».
Marsile lui « tremble de rage ». Si les deux armées sont toutes les deux vaillantes
et courageuses, c'est pour ne pas dévaloriser l'armée de l'empereur qui a ainsi des adversaires
sérieux à combattre. Néanmoins, la beauté, la grâce et la réussite est du côté des Français,
la laideur, la bestialité et la puissance du nombre chez leur ennemi. Sur ces passages où il
rapporte le caractère repoussant des armées adverses, Barjavel exagère et laisse échapper
sans retenue quelques phrases regrettables. Vocabulaire bien que sans complaisance mais encore
courant à l'époque où Barjavel rédige ce texte, le mot « nègres » employé à quelques
reprises (six fois, toujours au pluriel) pour qualifier les armées du Calife est, avec le
sens très fortement péjoratif d'aujourd'hui, un qualificatif maladroit qui déprecie et
entache le roman de connotations racistes. Avec l'insistance sur les traits physionomiques du
peuple noir (qui se trouvent moins caricaturés dans le texte original), l'auteur ne fait
qu'accentuer la gêne du lecteur contemporain :
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