Pierre LECOMTE DU NOÜY

NOTICE BIOGRAPHIQUE

Pierre Lecomte du Noüy naquit à Paris en 1883. Il fit ses études supérieures à la Sorbonne et à la Faculté de Droit. En 1915 (il était alors officier), il rencontra le D" Alexis Carrel, biologiste et philosophe des sciences de la Vie, à qui on doit l'ouvrage "L'Homme, cet inconnu" (193x), dans lequel il rapporte le résultat de ses expériences sur la croissance in vitro de tissus vivants (il réalisa une culture de muscle de poulet dans un liquide nutritif approprié, ce qui indéniablement inspira à Barjavel les cultures de viandes dans Ravage). Au contact d'A.Carrel, Lecomte de Noüy se passionna pour certains problèmes profonds, apparemment insolubles. Un ouvrage original, conçu à l'époque où il dirigeait le laboratoire d'un hôpital de guerre (en 1917), le désigna à l'attention de l'Institut Rockefeller de New-York. Pierre Lecomte du Noûy était parvenu à résoudre un problème qui déjouait depuis fort longtemps les efforts des physiologistes : l'expression mathématique du processus de guérison des blessures. En d'autres termes, il avait établi une équation qui permettait de suivre la marche de la cicatrisation et de calculer à l'avance le temps nécessaire à la complète guérison d'une plaie. Sa formule tenait compte de l'âge du malade et permettait de déduire son âge physiologique réel de la cadence de cicatrisation. Ceci conduisit, par la suite, Lecomte du Noûy à une conception absolument nouvelle du « Temps biologique », distinct du temps physique de la matière inerte, s'écoulant à un rythme différent et suivant une loi différente (logarithmique et non plus arithmétique). D'où cette conséquence philosophique essentielle : le temps n'a pas la même valeur pour l'enfant que pour l'adulte. Cet ouvrage révolutionnaire fut publié en France en 1936 sous le titre Le Temps et la Vie, à Londres et à New-York en 1937.
De 1930 à 1937, Lecomte du Noûy, comme membre associé de l'Institut Rockefeller, continua ses recherches, et s'attacha à l'étude des propriétés du sang et particulièrement aux problèmes fondamentaux de l'immunité. Il découvrit un certain nombre de phénomènes nouveaux dont tiennent compte aujourd'hui les laboratoires médicaux et industriels. Accessoirement, l'un des nombreux instruments qu'il avait inventés pour ses investigations lui permit de mesurer, pour la première fois, les trois dimensions de certaines molécules et de donner une détermination directe à l'une des constantes fondamentales de la chimie biologique (Constante d'Avogadro). Cet instrument (Balance de Tension de Surface) reçut une récompense de l'Institut Frankiin de Philadelphie en 1923; il est encore en usage dans beaucoup de pays. En 1936 il écrivit Le Temps et la vie (Gallimard) dans lequel il détaille les résultats de ses recherches sur la cicatrisation. En 1937, Lecomte du Noüy revint à Paris et, jusqu'à 1937, dirigea une importante section de Bio-Physique à l'Institut Pasteur. En 1937, il fut nommé directeur à l'École des Hautes Etudes, à la Sorbonne.
Il avait épousé en 1933 une Américaine, Mary Bishop Harriman, qui fut l'inlassable collaboratrice de ses travaux. Il était à Paris lors des débuts de la guerre et de l'occupation allemande. Mais en août 19.13 il réussit à quitter la France pour les États-Unis, où il put continuer son oeuvre.
En 1944 et 1945, il y fit, sous le patronage de l'Y.M.C.A. (Départe- ment de l'Armée et de la Marine), d'importantes tournées de confé- rences, traita dans des camps militaires et des clubs d'officiers de questions internationales et parla de sa propre expérience des Nazis. Il mourut à New-York le 23 septembre 1947, après une longue maladie.
Dans sa jeunesse, Pierre Lecomte du Noûy travailla aux côtés de Sir William Ramsay, de Pierre Curie et de Mme Curie. Sans parler de quelque deux cents articles, pour la plupart hautement techniques, il a donné dans ses livres les conclusions de ses recherches et sa philosophie de la science. L'un d'eux, L'Avenir de l'Esprit, connut sous l'occupation, en 1942, vingt-deux éditions en huit mois et fut couronné par l'Académie française. En 1944, l'Université de Lausanne décerna le Prix Raymond-Prize à trois de ses livres : Le Temps et la Vie, L'Homme devant la Science et L'Avertir de l'Esprit, comme à la plus importante contribution apportée à la philosophie scientifique au cours des dix dernières années.




EXTRAIT de "L'Homme et sa destinée" (conclusion)

Tant qu'il n'y aura pas de conscience collective qui rende les nations - c'est-à-dire les citoyens, non les gouvernements - responsables toutes ensemble des engagements pris par leurs représentants, les traités constitueront une comédie tragique, et on s'étonne qu'ils puissent encore faire des dupes. Pourtant, le jeu continue et les ci-dessus mentionnés messieurs-qui-se- prennent-très-au-sérieux, dictent et signent des actes qui sont supposés assurer la paix du monde. Pour combien de temps ?
Le problème de la paix est beaucoup trop grave et trop complexe pour se résoudre par des méthodes aussi superficielles. Il implique une action systématique sur l'esprit des enfants et l'établissement de structures morales rigides qui, en l'absence de la véritable conscience, plus lente à se former, rendront certains actes odieux. Si le sens de la dignité humaine s'étendait universellement, il suffirait à garantir le respect de la parole donnée, de l'engagement signé, et conférerait donc une valeur véritable à tous les actes et à tous les traités. Il serait facile d'assurer la paix, puisque chaque citoyen se sentirait moralement responsable de l'exécution des engagements pris. En attendant, il est permis .de penser qu'une forte éducation morale, centrée sur l'obligation absolue de respecter un engagement, quel qu'il soit, préparerait le terrain dans lequel semer la graine, avec l'espoir de la voir non seulement germer, mais fleurir et porter fruit. Préparer l'avenir en substituant à la conscience individuelle des structures qui ignorent cette conscience, c'est se vouer à l'échec et perdre son temps.
Si l'on pouvait se fier à la majorité des hommes, ce serait un avantage dont le monde entier a le sentiment. Il y a là-dessus une unanimité de pensée, telle qu'on ne la rencontre nulle part ailleurs qu'à propos des dix commandements; mais l'effort accompli pour imprimer cette idée de façon indélébile dans l'esprit des enfants, sous forme de réflexes conditionnés automatiques, est tellement insignifiant qu'on en demeure épouvanté. L'équilibre du monde entier - non seulement la paix, mais la justice, le commerce, l'industrie, la science - repose sur la confiance en l'intégrité et en la parole des hommes : et tout l'enseignement moral donné à la jeunesse au cours de dix ou quinze années d'éducation et d'instruction ne représente certainement pas plus de quelques heures et, dans certains cas, quelques jours. On bourre les enfants de maints détails inutiles, et l'essentiel est passé sous silence. Autant enseigner aux fermiers la culture des fleurs en plate-bande et non pas celle du champ, ou l'art du maquillage aux petites filles sans leur apprendre à se laver. Les examens portent sur une quantité de faits qui seront oubliés en trois mois ou qui sont purement techniques; les enfants sont dressés à se conduire décemment en public, mais personne ne songe à leur faire répéter quotidiennement, comme une prière : « Toute promesse est sacrée. Personne n'est obligé d'engager sa parole, mais celui qui manque à la parole donnée se déshonore. Il commet un crime impardonnable contre sa dignité, il trahit. Il se couvre de honte et s'exclut de la communauté humaine. »
Ceci n'est peut-être pas une prière, mais c'est un credo, un credo qui, en exprimant la foi en la dignité de l'Homme, s'adresse, au-delà de lui-même, à Dieu qui nous l'a départi.
Dans un proche avenir, le monde aura par-dessus tout à souffrir de la méfiance. Nous en sommes tous persuadés, mais que fait-on pour dissiper cet état de choses ou empêcher qu'il se perpétue ? Peu de personnes en ont souci. Les gouvernements ne pensent qu'à maintenir des armées, hélas ! nécessaires, et toutes sortes de barrières qui augmentent simplement la suspicion. Ne pouvons-nous trouver, parmi ceux dont la voix est écoutée, quelques hommes capables de voir au-delà du terme de leur activité, au-delà de la misérable durée de la vie humaine, et soucieux de façonner l'avenir en préparant une nouvelle génération clairvoyante, imbue du respect de soi et dégagée des superstitions qui entravent l'essor du progrès intégral ? Ne pouvons-nous trouver des chefs dont la vision soit assez vaste pour concevoir, au lieu de plans économiques de cinq ans, un plan international de développe ment moral qui s'étendrait sur plusieurs générations ? Ce serait une tâche magnifique, trop magnifique peut-être pour nos chétives ambitions. Les problèmes immédiats réclament des solutions temporaires, et leurs résultats, bien que modestes, sont moins incertains et moins éloignés. Dieu nous garde de juger. L'humanité n'a pas atteint l'âge de raison et ses efforts sont encore à l'échelle de la tribu.
L'amertume des lignes précédentes ne doit pas ébranler la foi du lecteur en la rayonnante destinée de l'Homme. Il doit, au contraire, puiser un stimulant dans la tristesse de certaines heures et être d'autant plus résolu à remplir la tâche qu'on attend de lui.
L'homme évolué a atteint un stade de développement de sa conscience qui lui permet d'élargir sa perspective et de se rendre pleinement compte du rôle magnifique qu'il peut jouer comme acteur responsable dans l'Évolution. Contrairement au polype qui, au fond de la mer, lutte aveuglément pour sa vie et ne saura jamais qu'il pose les fondations d'un atoll de corail destiné, au cours des siècles, à devenir une île fertile, fourmillante de formes vivantes plus élevées, l'homme sait qu'il est l'avant-coureur d'une race plus belle et plus parfaite qui sera, pour une part, son oeuvre. Il devrait être fier de la formidable responsabilité qui lui est dévolue, et sa fierté devrait être assez forte pour rejeter dans l'ombre les déceptions et les privations inévitables mais passagères. Si seulement les hommes étaient plus nombreux à comprendre cette réalité, s'ils se faisaient gloire de leur tâche et en tiraient joie, le monde deviendrait bientôt, un monde meilleur, bien avant que le but spirituel ne soit atteint.
Puisse chaque homme se souvenir que la destinée de l'humanité est incomparable et dépend en grande partie de sa volonté de collaborer à l'oeuvre transcendante. Puisse-t-il se souvenir que la Loi est, a toujours été, de lutter, et que le combat n'a rien perdu de sa violence, en passant du plan matériel au plan spirituel. Puisse-t-il se souvenir que sa propre dignité, sa noblesse en tant qu'être humain, doivent se dégager des efforts qu'il fera pour se libérer de son esclavage et. pour obéir à ses aspirations les plus profondes. Puisse-t-il surtout ne pas oublier que l'étincelle divine est en lui, en lui seul, et qu'il est libre de la mépriser, de l'éloufïer ou de se rapprocher de Dieu, par son ardeur à travailler avec Lut et pour Lui.

On ne peut que reconnaître dans ces lignes des idées qui se retrouvent chez Barjavel, aussi n'est-ce nullement étonnant que le Prix Lecomte de Noüy ait été décerné à La Faim du tigre en 1970.




Le Prix Lecomte de Noüy

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