Le PROGRÈS de L'ALLIER

À ma fantaisie - Mercredi 3 janvier 1934 :
Vichy a son monstre

Vous voyez que la somnambule dont je vous transmettais hier les prédictions ne s'était guère trompée. En somme, quelques mois et quelques kilomètres, qu'est-ce que c'est dans l'immensité du temps et de l'espace !
Et le monstre qu'elle voyait à Moulins au mois de décembre, c'est Vichy qui l'a, et illico. Les historiens se trompent bien souvent quand ils parlent du passé. A plus forte raison peut-on commettre une légère erreur lorsqu'il s'agit de l'avenir. Ne croyez-vous pas ?
Cependant, au nom des Moulinois, je tiens à protester. Une fois encore, Vichy tire à elle la couverture de la célébrité et de l'extraordinaire. Il n'y en a vraiment que pour elle. Elle avait déjà eu Glozel, elle a ses sources et ses pastilles, elle a chaque saison Clément Vautel, Cécile Sorel et René Gerbert. Que lui faut-il encore ? Vraiment, ce monstre-là, elle aurait bien pu nous le laisser.
Reconnaissons, cependant que, comme toujours, Vichy a bien fait les choses. Fi d'un monstre uniquement aquatique, dont on n'aperçoit qu'un bout de tête et des bosses multiples. Le nôtre, messieurs, est batracien.
Ce n'est pas le modèle vulgaire du serpent de mer que tout navigateur qui se respecte a vu au moins une fois. C'est un animal qui vit dans l'air et dans l'eau, et qui bien poli, comme il se doit à un hôte de la Reine des Villes d'eaux, se montre à heure fixe.
C'est peut-être un crocodile, messieurs, ou bien un castor, ou un rat d'eau, ou une grenouille. En tout cas, c'est un garçon qui sait nager et soigner sa publicité. Il commence par se montrer à Paul Devaux ! Cela donnerait un peu à réfléchir à un esprit méfiant, car notre ami le « chapouteux » est un farceur terrible. Mais d'autres l'ont vu. Attendons qu'un photographe courageux aille le « croquer » dans son île. A moins que le contraire se produise...
Quant aux Moulinois, pour peu que Rouillé s'en mêle, ils auront bientôt leur revanche.

René BARJAVEL