Le PROGRÈS de L'ALLIER

À ma fantaisie - Vendredi 6 avril 1934 :
Un heureux pays

Barjavel revient d'un séjour printanier à Nyons, sa ville natale.

Je viens de passer dans une petite ville de ma chère Provence quelques jours parfumés par les premières fleurs du printemps, fleurs d'amandiers et de pêchers, fleurs plus humbles des bords des ruisseaux.
Un tortillard paresseux comme un vrai méridional relie la petite ville au reste du monde. Il court dans les descentes comme un gosse qui dévale un talus, avec une joie étonnée de se voir aller si vite. Aux montées, il souffle comme un vieux qui grimpe un escalier et les voyageurs interpellent les gens qui travaillent dans leurs champs, le long de la voie.
Il serpente d'une gorge à l'autre, enjambe un ravin, traverse une montagne, fait frémir ça et là les ruines d'un vieux château et finit par débarquer, tout essouflé, trois personnes à son terminus.
Là-bas on est très loin de Paris et les journées de février n'y ont trouvé qu'un bien vague écho. Les journaux ne se vendent guère. On y lit surtout les feuilletons.
« La Mafia », les policiers louches et les gangsters, Jo-la-Terreur, le Baron, l'homme-au-pardessus-mastic, tout cela forme un autre feuilleton qu'on lit moins, parce qu'il est trop ridicule.
Il est même des gens qui n'ont jamais entendu parler de Stavisky ou de Prince.
On se soucie, mon Dieu, surtout de la vie quotidienne, de la santé des siens, et de savoir si on aura une bonne récolte d'olives et de lavande.
En vérité, c'est un pays où règne la sagesse.

René BARJAVEL