Le PROGRÈS de L'ALLIER

Rubrique "Moulins" - Mardi 23 janvier 1934 :
Charles-Louis Philippe

Article non signé mais probablement de Barjavel, faisant le compte-rendu d'une conférence de M. Guitton sur C.L. Philippe.

La Conférence Bourbonnaise, consacrée à l'oeuvre de Charles-Louis Philippe, considérée au point de vue bourbonnais, a obtenu, devant un public très nombreux, un vif succès dû à la fois au mérite d'un écrivain né à Cérilly en 1874, et au talent de conférencier de M. Guitton, dont l'éloge n'est plus à faire.
M. Guitton s'est attaché à montrer combien l'enfance et l'adolescence de Philippe, affligé de bonne heure d'un abcès qui le défigure, ont été pénibles en raison de la souffrance morale qu'il éprouve. Sa sensibilité, très vive, en est encore accrue ; son esprit, très fin, se tourne vers la raillerie. Mais si les rieurs sont de son côté, il souffre au fond, car sa nature est bonne.
Cette difformité l'a vraisemblablement prédisposé à se tourner du côté des humbles, de tous ceux qu'il a vus dans la boutique de sabotier de son père, de tous les « gagne-petit » nombreux à cette époque sur ce coin de terre bourbonnaise. Son oeuvre sera le reflet de ses sentiments.
Refusé à l'examen médical pour l'Ecole Polytechnique, à laquelle il préparait au lycée Banville, après avoir fait de brillantes études au lycée de Montluçon, Philippe devient employé de la Ville de Paris. Et alors il écrit. Doué d'un esprit d'observation profond, mis au service d'idées généreuses, il laisse tantôt déborder son amertume, presque sa révolte, pour bientôt en venir à l'apaisement, à la sérénité, à une sorte de philosphie à la fois pratique et élevée.
Le Bourbonnais lui doit ces croquis de gens qu'il a connus et observés, croquis malicieux parfois, pleins de vie et de vérité. Il lui doit les meilleures pages de « La Mère et l'Enfant », de « Charles Blanchard ».
M. Guitton, par la lecture très expressive de passages caractéristiques, met mieux en relief encore le talent de Philippe. Notre compatriote, mort à 35 ans, au moment où s'affirmaient sa personnalité et ses mérites qui le classent parmi les écrivains de marque, avait montré ce que peut faire, d'une façon simple, en racontant des choses simples, un romancier. Philippe aurait certainement donné une sorte d'épopée complète, qui aurait mis en lumière ce que tout le monde doit rechercher, s'il est sage : le goût du travail, de la bonté, de la beauté.
Très applaudi, M. Guitton a su montrer qu'un véritable écrivain doit une grande partie de ses qualités au terroir qui l'a vu naître, et dans lequel il a vécu, car Philippe, tout en séjournant à Paris, n'a pas été un déraciné, ce qu'il faut encore retenir.
Remercions M. Guitton d'avoir fait revivre un instant l'homme et l'écrivain, un de ceux dont le Bourbonnais peut le mieux s'enorgueillir, et qui mérite d'être encore plus connu et goûté.