Le PROGRÈS de L'ALLIER

Billet du matin - Vendredi 24 octobre 1930

En passant, rue d'Allier, devant une des nombreuses devantures où les libraires affichent côte à côte la prose insipide d'Henri Bordeaux, les mortellement ennuyeuses soi-disant pornographies de Mme Machard et le dernier-né de la nombreuse famille Dekobra, un titre, ou, plutôt, un nom, m'a frappé :
« Magali ».
Peu m'importait de savoir quel auteur avait pu pondre les pages qui se cachaient derrière la couverture où flamboyait ce nom. Le livre ne m'intéressait pas, mais ces trois syllabes qui venaient de m'entrer dans l'oeil, firent vrombir en moi un essaim de souvenirs.
Car ce mot-là contient toute la Provence

  « O Magali, ma tant amado »

Entendez-vous le jouvent chanter ses amours à sa belle, sa chérie, sa « mignoto », comme on dit là-bas ?
L'entendez-vous ? Sur la flûte à trois trous, il module des airs simples et clairs comme le cristal de l'air qu'il respire.
Autour de lui bondissent les chèvres capricieuses et celle qu'il préfère vient de temps en temps se frôler à lui, comme une chatte. Elle porte sur le front, entre les deux oreilles noires, une étoile blanche.
Le soleil, qui est là le roi véritable, emplit de ses rayons le ciel et la terre. Les rochers blancs, où les chèvres se perchent, resplendissent. La lavande violette et le thym gris mêlent leurs parfums sauvages. A l'ombre d'une pierre, un aspic dort lové.
Lui chante les charmes de sa belle. Ecoutez-le :

  Le gai soleil l'avait éclose...
  « Son visage, à fleur de joues, avait deux petits trous.
  « ...Et sa poitrine rondelette
  « Etait une pêche double et pas encore bien mûre... »

Il chante en provençal, cette langue qui est au français ce que la poésie est à la prose.
Sa belle, elle est dans son cerveau et dans son coeur, peut-être n'existe-t-elle pas, mais il la connaît mieux que si elle était réelle.
Elle est moqueuse, elle est cruelle, mais n'est-il pas résolu à tout pour se faire aimer d'elle ?

  « O Magali, si tu te fais
  « La pauvre morte,
  « Moi, la terre je me ferai
  « Et je t'aurai. »

L'entendez-vous ? Il est assis à l'ombre d'un olivier tordu, au feuillage d'argent. Il chante parce qu'il fait chaud, parce qu'il est heureux de vivre, comme une cigale que le soleil cuit. Il chante. L'entendez-vous ?
Hélas, nous sommes à Moulins, et il pleut.

La chanson qu'évoque René Barjavel est bien connue, il s'agit de l'Air de Magali, écrit par Frédéric Mistral et mis en musique par Charles Gounod dans son opéra Mireille.
[ voir : http://membres.lycos.fr/andros/o/mireil.htm et http://tplantevin.free.fr/Provence/Cours/Analyses/Mistral/Mistral-musique.htm ]