COLETTE à la recherche de l'Amour | |
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| PRÉSENTATION
Titre original:
{ Meilleure vue de la première de couverture }
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Dédicace |
En ce début 1934, Madame Colette a soixante ans, et René Barjavel vingt-trois. Le jeune homme qui débute dans l'Écriture - dans un premier temps journaliste au "Progrès de l'Allier" avec sa rubrique d'actualité moulinoise et son Billet du matin qui préfigure ses Libres Propos au Journal du Dimanche quarante ans plus tard - s'est passionné depuis le collège pour la chose écrite. Curieux d'en savoir plus, il s'est de toute évidence attaché à Colette, tant pour son oeuvre que, semble-t-il, pour sa personne... Peut-être faut-il voir en elle l'égérie du jeune écrivain, davantage qu'une "passion" plus "physique", car alors, Colette est "une vieille dame de soixante ans... et Harold et Maud n'a pas encore été écrit...
Personnage bien en vue de l'activité littéraire d'alors, Colette débordait le cadre de l'écriture de romans autour de 1930 elle sillonnait la France pour y donner des conférences, et publiait de nombreux articles dans les pages littéraires de journaux. Certains de ses écrits ont ainsi été publiés en feuilletons avant leur parution en librairie, tel Le Blé en herbe dans "Le Matin" de juillet 1922 à mars 1923. En 1931 l'hebdomadaire Gringoire commence de publier « Ces Plaisirs... » après la parution des quatre premiers chapitres, Horace de Carbuccia, directeur du journal, décida d'interrompre cette publication qui avait fait l'objet de protestations des lecteurs, comme l'avait été Le Blé en herbe en 1923. Colette elle-même raconte, des années plus tard (dans Lettres de la vagabonde, paru en 1961)
Carbuccia a coupé, au milieu d'une phrase, mon feuilleton, et m'a fait tenir une lettre où il m'informait qu'il mettait FIN à « Ces Plaisirs... » parce que ce n'était pas l'affaire de son grand public (sic)
Le récit fut édité chez Férenczi en 1931 sous le même titre, bien que Colette, sous la suggestion de Maurice Goudeket
qui allait bientôt devenir son mari, lui ait alors prévu le titre « Le Pur et l'Impur » qui sera
celui de l'édition finale en 1941.
Cet ouvrage - récit ou roman, Colette elle-même semble hésiter à le qualifier... peut-être même faut-il y voir un "essai" -
constitue une sorte de prise de recul de l'écrivain par rapport à ses oeuvres antérieures, plus impliquées dans
l'action. Ici l'on trouve davantage de réflexions sur le thème global de l'amour, des sentiments, d'où le titre qui
prend son origine dans une citation de La Naissance du jour
« Ces plaisirs qu'on nomme, à la légère, physiques... »
Nul doute que ces considérations aient renforcé chez Barjavel l'intérêt pour Colette, au point de l'inciter à les expliciter publiquement par une causerie littéraire. Après tout, il était alors possible de croire qu'après cet ouvrage, ainsi que le dernier paru de Colette, La Chatte, la « vieille dame » avait atteint la fin de sa carrière, dans ce genre du moins, et qu'elle constituerait un excellent sujet d'étude littéraire...
Rechercher les événements entourant ces premières conférences de Barjavel m'a amené à explorer des archives
journalistiques du moment et, en à-côté du microcosme bourbonnais, à re-situer l'actualité plus générale.
Au tout début de janvier 1934 vient d'éclater le scandale du Crédit Municipal de Bayonne, qui va presque immédiatement
devenir l'Affaire Stavisky. Personnage étonnant, escroc flambeur et grand esbrouffeur, Stavisky était aussi un séducteur
mondain ayant sévi dans les salons parisiens sous le nom de Serge Alexandre. Colette elle-même, dont il était voisin à
l'hôtel Claridge en octobre 1933, n'avait pas été insensible à son allure lors d'une rencontre le 8 octobre à l'occasion
d'un dîner avec d'autres personnalités littéraires.
Colette le décrivit, sous le nom de X., dans un article du journal La République (1er-2 janvier 1934), puis, en
1937, elle écrivit un article plus explicite qui sera recueilli dans Mes Cahiers en 1941 sous la rubrique
« Monstres ».
L'Affaire, qui éclaboussera des membres du gouvernement et de la police, durera au moins jusqu'au printemps.
Le quotidien de Moulins ne manquait pas d'en faire ses grands titres, même si le chroniqueur qu'était le jeune
Barjavel omettait semble-t-il sciemment, de s'y appesantir dans ses billets, allant même, le 13 mars, jusqu'à
préférer développer un fait divers bien plus crapuleux qu'il semble avoir "découvert' et dont il déplorera l'horreur, et
qui allait devenir l'affaire Nathan-Malou
{ lire l'article complet }.
D'autres "faits divers" avaient intéressé les Français apparition du monstre du Loch Ness, suivie de celle d'un
pseudo-monstre de Vichy dans les eaux de l'Allier (il s'agissait d'une figurine en bois sculptée par l'artiste Paul Devaux,
qui apparaissait tous les matins près de la passerelle des Courses... canular monté de toutes pièces par le sculpteur et
ses amis (Robert Croquez et G. Frany), relayé par le Progrès de l'Allier à des fins publicitaires pour le bénéfice
du café Tinardon situé devant l'emplacement...)
Le 3 mars, échouage authentique d'un gros animal marin inconnu à Querqueville (Manche), qui a laissé des traces dans les annales zoologiques
(on pourra voir des présentations :
[ http://pagesperso-orange.fr/bernard.langellier/imgbiogra/normands.html ].
Du côté des spectacles, détail à signaler pour expliquer une allusion d'une critique, l'acteur-chanteur Henry Garat séduisait - à l'écran - toutes les femmes...
En février et mars, une émeute le 6 février 1934 avait fait reporter le Bal des Petits Lits
Blancs au 20 mars Colette y lut un texte puis se rendit à sa villa de Saint-Tropez La Treille Muscate
et revint à Paris pour le 15 mai où elle participe au jury du Grand Prix du disque...
C'est pendant ce temps qu'a lieu la première apparition publique de l'auteur pour sa conférence sur Colette. La presse locale,
et Le Progrès de l'Allier bien sûr, firent de l'événement une importante promotion comme le montrent les annonces rapportées ci-après.
Au Cercle Littéraire et Artistique.
Rappelons que notre collaborateur fera demain soir mercredi à Vichy et jeudi à Cusset, une conférence sur le sujet
suivant « Colette à la recherche de l'amour ».
Les Conférences du Cercle Littéraire et Artistique.
C'est ce soir mercredi que René Barjavel rédacteur au « Progrès » fera au bar de la Source de l'Hôpital
une conférence sur le sujet « Colette à la recherche de l'amour ». La même conférence sera répétée
demain soir jeudi à Cusset.
Les conférences
« Colette à la recherche de l'amour »
Tel est le titre de la conférence que René Barjavel fera le jeudi 13 mars à 21 heures salle de l'Artistic Cinéma.
Nous donnerons demain la liste des libraires chez qui on pourra se procurer des cartes.
On trouvera des cartes aux adresses suivantes
Librairie Paquet, rue d'Allier ; Librairie du Progrès, rue d'Allier ; Librairie Renaud, rue des
Couteliers ; M. Perrot, marchand de journaux, rue d'Allier.
Rappelons que René Barjavel traitera du sujet suivant « Colette à la recherche de l'amour ». Le
13 mars à 21 heures salle de l'Artistic.
« Colette à la recherche de l'amour »
C'est ce soir que notre collaborateur donnera, salle de l'Artistic, sa conférence sur Colette.
Colette est l'auteur préféré de toutes les femmes et de quelques hommes. Tous ceux qui ont pris un plaisir délicat à
lire ses oeuvres sont certains d'éprouver ce soir un plaisir de même nature en écoutant Barjavel. Car celui-ci a voué à
Colette une admiration profonde. Et on parle toujours bien de ceux qu'on aime...
Le prix d'entrée est de quatre francs. Rappelons que des cartes sont en vente aux adresses suivantes
Librairie Paquet, rue d'Allier ; Librairie du Progrès, rue d'Allier ; Librairie Renaud, rue des
Couteliers ; M. Perrot, marchand de journaux, rue d'Allier. La conférence commencera à 21 heures précises.
Il ressort de ces articles qu'une troisième conférence était annoncée 22 février à Cusset, mais pour une raison non
À part l'article ci-après de Barjavel lui-même qui dit l'avoir faite, les chroniques suivantes ne la mentionnent pas.
C'est que dès la conférence de Vichy le public semble avoir été étonné de la jeunesse du conférencier compte-tenu du sujet traité.
Et ce qui deviendra un point important del a conclusion du texte édité est déjà précautionneusement expliqué par l'auteur dans son article
du 9 mars : « Parler d'amour » :
Après les conférences, dont les témoignages critiques dans le journal et ses confrères se firent les échos élogieux
(voir la section critiques), l'auteur entreprit de mettre par écrit son étude en reprenant le
texte de son exposé pour le compléter, comme l'annonce le sous-titre, de citations et d'une lettre.
Si la lettre et son commentaire qui concluent l'ouvrage se trouvent bien localisés, il est difficile de déterminer
la part des citations ajoutées. Il semble clair que la lecture du texte in extenso soit quelque peu "longue"
pour une présentation en public (cela prend, à haute voix et un rythme raisonnable, au moins une heure et demie). D'autre part, on peut se demander si Barjavel a vraiment lu devant les jeunes
filles du Bourbonnais le passage quelque peu torride de Minne (qui allait devenir plus tard L'Ingénue Libertine), qui sera retenu en 1974 par
Jean-Jacques Pauvert pour figurer dans son Anthologie des lectures érotiques du XXème siècle...
L'ouvrage est donc le résultat d'un travail soigné de finalisation, que les citations enrichissent
effectivement en complétant et explicitant l'exposé (pour être précis, le texte complet est redevable "statistiquement"
de 43% à Colette et 57% à Barjavel).
Le livre fut imprimé et publié fin mai, comme le montre son colophon
Colette dans une "pose plastique" photographiée par Reutlinger en 1909 |
Sidonie Gabrielle Colette naît en 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans le Morvan. Elle vit une enfance heureuse malgré des revers de fortune familiaux,
et épouse à vingt ans Henry Gauthier-Villars, dit Willy, de quatorze ans son aîné. Fils de l'éditeur Gauthier-Villars, journaliste bien installé,
Willy est un homme de façade. Il n'écrit pas lui même ses articles, mène une vie précieuse et mondaine en Parisien exacerbé,
se complait dans les mots d'esprit et calembours - dont maintenant Le Canard Enchaîné et L'Almanach Vermot ne voudraient même pas -
et les salons littéraires. Il trompe ouvertement sa femme, sur laquelle il exerce une grande influence. Elle devient le
plus talentueux de ses nègres et écrit pour lui une série de grands succès littéraires, les Claudine, véritables
miroirs psychologiques de la jeune femme que Willy retouche pour leur donner une orientation plus sulfureuse et qu'il
fait publier sous son seul nom. Colette, méconnue comme auteur, rallie la scène et devient actrice-danseuse de
pantomime, élève puis partenaire de Georges Wague. Elle partage un temps la vie d'une autre femme, Mathilde de Morny (dite Missy), fait scandale dans des numéros osés - pour
l'époque - au Moulin Rouge. Le scandale déplait à Willy et ils divorcent en 1906. Colette écrit deux classiques qui reflètent cette période de sa vie La Vagabonde et L'Envers du music-hall.
Elle épouse en 1912 Henry de Jouvenel (rédacteur en chef du journal Le Matin dont Colette devint alors la directrice littéraire), donne naissance l'année suivante
à sa fille, Colette de Jouvenel, surnommée Bel-Gazou, et commence à s'établir une renommée littéraire.
En 1928 elle est décorée de la Légion d'Honneur pour ses mérites d'auteur durant la guerre.
Entre-deux guerres, ayant divorcé d'Henry de Jouvenel en 1924, elle devient en 1935, et restera jusqu'à sa mort, Madame Maurice Goudeket.
Élue à l'académie Goncourt en 1945, elle en devient la présidente en 1949.
Elle meurt le 3 Août 1954 avec les honneurs nationaux, mais l'Église lui refuse un enterrement religieux, malgré la demande de son mari et l'intervention de Graham Greene.
Elle repose au cimetière du Père Lachaise.
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Colette et Willy |
Colette et Henry de Jouvenel vers 1910 |
Pour de plus amples informations biographiques on se référera avec le plus grand profit aux références et liens cités dans la section liens pour en savoir plus.
Il ne m'appartient pas de juger la pertinence de l'analyse de Barjavel car l'oeuvre de Colette constitue un monde très riche dont l'exploration requiert une étude approfondie. En 1934, Barjavel possédait une maîtrise de son sujet, jusqu'à en réciter de mémoire des fragments entiers. S'il se trouve quelque expert qui soit parvenu jusqu'ici, je l'invite à me contacter pour se faire juge de l'essai de celui qui n'était encore qu'un tout jeune journaliste provincial (Barjavel a en effet 23 ans en 1934), pour le compte des autres lecteurs, et de moi même.
Cependant, ainsi que tout autre, il m'est ouvert de contempler ses talents techniques et son pouvoir de persuasion,
au moins aussi importants dans l'exercice de critique que la justesse de l'argumentation.
Barjavel fait balancer efficacement son sujet entre hypothèses certaines et évidences probables.
On y voit ainsi un critique hardi qui n'hésite pas à pénétrer et extrapoler les pensées de l'auteur, dans
une atmosphère proche de la familiarité qui ressemble à une intimité de coeur...
Comme extrait je propose ce passage du chapitre "Vagabonde" où Barjavel s'illustre comme critique prolifique et persuasif, et j'y inclus l'extrait qu'il présente comme son préféré. Ainsi dans cette page dédiée à Barjavel et à son auteur fétiche, j'aime à les penser réunis au travers de cette âme littéraire qui les voyait si proches, et explique à n'en pas douter cette communion entre l'oeuvre mûrie du grand auteur et celle pas encore écrite de son biographe. De plus, cette étude présente le grand intérêt de montrer la démarche d'un homme - jeune qui entreprend d'appréhender la compréhension du coeur féminin, sur la base des récits d'une femme même. Élément déclenchant de ce qui sera pour lui une quête de toute sa vie, perceptible à travers l'ensemble de son oeuvre, et dont on peut penser que ce point de départ et la compréhension qu'il s'en est fait, et qui apparait peut-être quelque peu biaisée, fournit un éclairage de sa psychologie. |
Qu’est-ce que tu as ? ... Ne prends pas la peine, en me répondant « Rien », de remonter courageusement tous les traits de ton visage ;
l’instant d’après, les coins de ta bouche retombent, tes sourcils pèsent sur tes yeux et ton menton me fait pitié. Je le sais, moi, ce que tu as.
Tu as que c’est dimanche et qu’il pleut. Si tu étais une femme, tu
fondrais en larmes, parce qu’il pleut et que c’est dimanche, mais tu
es un homme, et tu n’oses pas. Tu tends l’oreille vers le bruit de la
pluie fine - un bruit fourmillant de sable qui boit - tu regardes
malgré toi la rue miroitante et les funèbres magasins fermés, et tu
raidis tes pauvres nerfs d’homme, tu fredonnes un petit air, tu
allumes une cigarette que tu oublies et qui refroidit entre tes doigts
pendants...
J’ai bien envie d’attendre que tu n’en puisses plus, et
que tu quêtes mon secours... Je suis méchante, dis ? Non, mais c’est
que j’aime tant ton geste enfantin de jeter les bras vers moi et de
laisser rouler ta tête sur mon épaule, comme si tu me la donnais une
fois pour toutes. Mais aujourd’hui il pleut si noir, et c’est
tellement dimanche que je fais, avant que tu l’aies demandé, les trois
signes magiques: clore les rideaux - allumer la lampe - disposer, sur
le divan, parmi les coussins que tu préfères, mon épaule creusée pour
ta joue, et mon bras prêt à se refermer sur ta nuque...
Est-ce bien ainsi ? Pas encore ? Ne dis rien, attends que notre chaleur de bêtes
fraternelles ait gagné les coussins. Lentement, lentement, la soie
tiédit sous ma joue, sous mes reins, et ta tête s’abandonne peu à peu
à mon épaule, et tout ton corps, à mon côté, se fait lourd et souple
et répandu comme si tu fondais...
Ne parle pas j’entends, mieux que tes paroles, tes grands soupirs tremblants... Tu retiens ton
souffle, tu crains d’achever le soupir en sanglot. Ah ! si tu osais...
Va, j’ai jeté sur la lampe mon écharpe bleutée ; tu vois à peine, à travers les tiges d’un haut bouquet de chrysanthèmes,
le feu dansant ; reste là, dans l’ombre, oublie que je suis ton amie, oublie ton âge et même que je suis une femme,
savoure l’humiliation et la douceur de redevenir, parce que c’est un désolant dimanche de novembre, parce qu’il fait froid
et qu'il pleut noir, un enfant nerveux qui retourne invinciblement, innocemment, à la féminine chaleur, qui
ne souhaite rien hormis l’abri et l’immobile caresse de deux bras fermés.
Barjavel, que l'on connait comme âpre pourfendeur de la littérature réaliste, se rebellant contre son patrimoine le plus noble avec des attaques
sévères sur des noms aussi prestigieux que Balzac ou Zola, se fait ici le chantre d'un écrivain du genre, Colette.
Certes le jeune journaliste en est à ses débuts et il ne s'autorisera des verdicts vindicatifs
contre la littérature romanesque du siècle précédent qu'après avoir assis une confortable réputation d'auteur de
science-fiction. Pourtant on ne peut douter, à la lecture de ce texte et à l'écoute des échos qu'il a suscité,
du véritable interêt que Barjavel nourrissait pour l'oeuvre de Colette. Lui-même, avec des
titres comme Tarendol, a témoigné d'un certain attachement, même subreptice, à la littérature réaliste.
Si l'on examine les critiques formulées par Barjavel à l'intention de ce style, si l'on approfondit ses textes
qui sont le plus en rapport avec cette tradition littéraire et surtout, si l'on s'attarde sur l'ensemble de
l'oeuvre de l'auteur, on arrive à trouver le point de rupture.
C'est que la littérature purement réaliste est, justement, trop en rapport avec une réalité historique, sociale et
politique, à laquelle elle se confine. Elle en fournit une caricature directe, oubliant les imperceptibles brins de folie
et d'espoir, brins de lueurs qui ne font pas partie de la réalité brute mais qui habitent le quotidien de chacun,
tapis dans les méandres insondables de l'inconscient humain, et qu'il appartient à la littérature, selon
l'avis de l'auteur, de faire prédominer sur la triste réalité autrement bien trop connue du quotidien
celle d'un monde injuste et cruel, sans magie et sans espoir. Même si cet espoir est damné. C'est bien cela qu'un
auteur comme Colette n'a pas manqué d'apporter à ses récits, elle la femme intelligente bien trop avisée
de la situation, mais en laquelle vit encore, quelque part, la fillette romantique et rêveuse, qui connait,
au moins dans ses rêves, le visage du prince charmant. Pour Barjavel, la narration des seuls faits n'est rien
si elle ne s'accompagne d'un souffle d'espoir qui est le souffle de la vie. Celui qui n'apporte pas cette
dimension dans son récit n'est pas crédible, il oubli le principal. Voilà pourquoi les portraits si fidèles de Zola, par
exemple, paraissent vulgaires, ou du moins trop "bruts", à l'idéaliste tourmenté qu'est Barjavel, pourquoi un monument littéraire tel que
la Condition Humaine lui semble anémique ; il lui manque l'Idéal humain, sans lequel le réalisme sombre
dans le caricatural. Il ne suffit pas de présenter la réalité.
Il faut surtout la confronter à l'idéal que
l'on s'en fait. Colette, qui n'oublie pas cette dimension essentielle pour l'auteur, celle des
lui apparaît donc comme particulièrement vraisemblable et se démarquant du reste du genre Les deux écrivains, Colette au terme de sa carrière et Barjavel qui ne l'a pas encore débutée, ont de nombreux points communs. Le plus marquant est peut-être que bien que tous les deux appelés très rapidement à affronter la rudesse de l'existence, ont eu une enfance heureuse, qui nourrit leur vie adulte de souvenirs éthérés et leur sert de point d'ancrage Sur cette base, les points de convergences abondent. Barjavel parle de Colette comme on pourrait parler de lui aujourd'hui, conscience exacerbée qui embrasse le merveilleux et l'atroce en une seule exaltation littéraire Plus loin, encore ou cette autre formule, que n'importe lequel de ses lecteurs n'hésiterait pas à reprendre pour le compte de Barjavel lui même ainsi que ou encore ce qualificatif, évoquant qui d'autre sinon l'auteur de la Faim du tigre ? | Colette se montrant à demie-nue au côté de Georges Wague sur la scène du Moulin-Rouge en 1908 dans « La Chair » scandale !... |
Il s'agit, à chaque fois, des expressions choisies par Barjavel pour évoquer Colette. On voit donc que si l'un est si réceptif à l'oeuvre de l'autre, c'est parce que tout deux se ressemblent tant. Il appartiennent à deux époques différentes, qui se succèdent, et on peut peut-être le regretter tant leurs affinités sont tangibles. Ils eussent formé un couple littéraire bien plus retentissant que celui qui accouchera des récits pourtant remarquables du cycle de la licorne. Il n'est pas à exclure que l'oeuvre de Colette que Barjavel a absorbé complètement ait eu une influence notable sur le style ou la thématique de l'auteur en devenir. On y retrouve des traits communs, une richesse de l'expression, une exactitude dans la description, une subtilité du regard, une cruauté dans le détail, une puissance de la narration, une intonation similaires, et cet air d'espoir persistant derrière le souffle incessant de la résignation, surtout. Barjavel qui entame la grande carrière qu'on lui connait aujourd'hui, prépare alors qu'il donne cette conférence un roman dans ce genre de l'époque, François-le-Fayot ; et Tarendol, dans le même ton, germe déjà dans sa tête. On devine que raisonnent dans sa tête textes et situations de Colette, que son admiration pousse jusqu'à inspiration. Mais François-le-Fayot sera détruit et Tarendol récrit de nombreuses fois. Ce n'est pas le style naturel de Barjavel à qui il faudra toute la liberté de la science-fiction pour s'épanouir pleinement et faire dominer sur le récit la pleine force de sa thématique. Barjavel, en ce sens, est le plus réaliste des écrivains de S.-F., en même temps que le romancier le plus en marge de la littérature réaliste.
Il m'a paru intéressant de regrouper quelques autres points de similitude entre Colette et Barjavel ;
on pourra voir { cette mise en parallèle souriante }
Mais laissons là ces spéculations et revenons à la thématique sur laquelle l'auteur a choisit de se concentrer. Sans surprise, il s'agit de l'Amour, ou plus précisément, de la recherche de l'Amour. Colette est un auteur voué à ce thème, et y contribue selon Barjavel avec
Pour Barjavel, Colette est avant tout une femme. Ne l'oublions pas, prévient-il, avant de lui prêter tous les excès qui seront les caractéristiques de ses personnages féminins
Il s'agit de l'amour, bien sûr. Barjavel voit donc Colette comme il voit chacune de ses héroïne, Éléa, Jeanne, Griselda ou Judith, chacune guidée par un instinct et une férocité amoureuse, mais aussi une noblesse d'âme, un sens des responsabilités qui ne leur appartient qu'à elles
C'est aussi et sans surprise l'image qu'il se forme de la femme de façon générale, n'hésitant pas à s'adresser à elles
directement au cours de sa conférence, "Voyons, Mesdames, soyez sincères" tance-t-il à son assemblée.
S'il l'admire aussi pour son style, on le surprend très sensible à sa sensualité. La décrivant dans la fraîcheur de
ses vingt ans, on retrouve en termes presque identiques la description qu'il fera de l'héroïne de Tarendol.
Renaud, l'amant idéal de Colette, revêt quant à lui les allures de Jean du même roman avec ses délicatesses et ses
attentions de collégiens. Comme Jeanne du Grand Secret, Colette vivra un destin tragique, celui de cet idéalisme trahi
par la dure réalité des choses.
C'est ici que le réalisme rattrape l'auteur, et ses rêves. Il en profite pour rappeller encore une fois qu'à travers Colette, qu'au delà des personnages de fictions qui vont naître bientôt sous sa plume, c'est le sort de la plupart des femmes dont il est question
Mais à son habitude, s'il marque des différences que la bienséance préfère garder sous silence, il sait aussi après les avoir établies, les relativiser
Et, peut-être par convenance, surtout par conviction, il contraste son argumentation en expliquant que l'homme, s'il est bien différent, n'est pas plus enviable.
Il s'interroge en mots choisis sur la période trouble de l'écrivain, se satisfait que rien n'en ait transparu au grand public, et la béatifiant se convainc de sa pureté intérieure restée intacte à travers les épreuves
Ne pouvant ignorer ou falsifier les faits, bien sûr, lorsqu'il faut aborder les liaisons homosexuelles de la jeune artiste, il se hasarde sur une interprétation qui peut-être ne lui appartient pas, la jugeant comme une aventure qui est la seule conséquence d'une errance amoureuse
Dans une conclusion proche de l'intonation du Voyageur imprudent, parlant de sens et de passion pour oublier qu'il s'agit d'amour, il trouve pour elle le réconfort le plus amène pour une femme qui n'a pas pu s'épanouir dans sa quête tumultueuse de la communion de corps et d'esprit avec l'amant idéal
On retiendra donc de ce petit récit, en plus que le portrait hommage très particulier rendu à cet écrivain majeur, la thématique de l'Amour. L'Amour confère ce rôle salvateur et essentiel pour l'individu, la femme en particulier, du seul remède pour l'extirper de la masse aveugle et meurtrie et lui donner les joies simples et uniques de l'existence
même si à l'heure de ses jeunes débuts, et comme il transparaîtra dans toute la première partie de son oeuvre, c'est le pessimisme qui accueille ce but qui, au moins, est clairement identifié.
Oeuvre confidentielle d'un jeune homme alors inconnu en dehors du cercle local, la conférence et le texte publié n'ont pratiquement pu être commentés qu'à l'époque même de l'événement. Parmi les documents récents, seul un ouvrage consacré à Colette mentionne et commente Barjavel, un autre ne fait que citer l'opuscule dans sa bibliographie (ce qui n'est déjà pas si mal...)
Immédiatement après chaque conférence, des critiques signées par des collègues assez proches de l'auteur, et donc sans surprise très favorables à sa prestation, parurent dans le Progrès de l'Allier des mois de Février et Mars 1934. On y trouve ainsi rapportés les propos de Louis Aufauvre
Barjavel, vraiment, en Colette, aime l'écrivain et le caractère. Il nous montra comment cette femme, si intuitive, si passionnée, si tendre, ne rencontra que déceptions dans la vie au point de vue sentiment. Peut-être voulait-elle trop. Celui qui cherche le bonheur - et qui s'est fait du bonheur une grande idée, risque fort de n'être pas heureux [...] Barjavel a fait des débuts remarquables comme conférencier. J'ai retrouvé toute la fraîcheur, toute la sincérité, toute la fougue du journaliste de race qu'il est. Il a parlé de Colette avec une ardeur juvénile. Il existe, de nos jours, trop de jeunes déjà vieux. Barjavel est un homme vraiment jeune.
On retiendra également l'article écrit par Abel Boisselier, principal du collège de Cusset et bienfaiteur de l'auteur, qui rapporte dans Le Bourbonnais Républicain que re-cite le Progrès de l'Allier
Barjavel, entré sous de favorables auspices dans la carrière du journalisme, vient de faire, à Vichy, ses débuts dans l'art oratoire. Il a pleinement réussi. Comme Rodrigue, dont il a l'âge, il peut maintenant s'écrier
Mes pareils à deux fois ne se font point connaître
Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître.
Le sujet qu'il avait choisi était du reste alléchant ,; « Colette à la recherche de l'amour ». Colette est une admirable écrivain, une harpe éolienne qui vibre au moindre souffle. Les rythmes de sa prose sont souples comme des lianes, mais surtout elle a porté à un haut degré l'art de rendre la sensation.
Le conférencier se préoccupe de montrer en Colette une femme en quête d'un amour qui la satisfasse entièrement. Les diverses expériences qu'elle tente la découvrent. Tel autrefois Don Juan aspirait à la passion totale et ne l'obtenait jamais. C'est pourquoi, il allait de femme en femme, avide de découvrir le trésor qu'il espérait.
Une existence aussi mouvementée ne peut se clore que par le couvent ou le désespoir. Si Colette avait vécu au 17ème siècle, sans doute, aurait-elle, comme toutes les grandes âmes de l'époque, trouvé une consolation dans l'amour divin et terminé ses jours dans la paix du cloître.
Mais le surnaturel lui est étranger, vraisemblablement elle n'aura jamais la foi, aussi restera-t-elle inquiète et tourmentée, recherchant jusqu'au bout une consolation impossible.
Il est manifeste que Barjavel a voué à son héroïne un culte fervent. Il possède à fond toute son oeuvre. Il est homme à en réciter de mémoire des fragments entiers. Heureuse Colette d'avoir suscité de telles adorations !
Voila qu'elle participe à la nature des Dieux, qui est de réconforter et d'exhalter leurs fidèles. Il arrive en effet, quelquefois que Barjavel soit morose, tout comme le ciel de l'Allier. Ne voir que des nuages, quelle tristesse !
Que faire pour se dégourdir l'esprit, ou mieux, pour s'accorder quelques instants d'enchantement ,; Il prend un livre de Colette, et l'ouvre au hasard.
« Viens que je te dise tout bas le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose. Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs, qu'un fruit mûrit on ne sait où, là-bas, ici, tout près, un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines... »
Il lui semble alors que le soleil brille de tout son éclat dans un ciel radieux, la joie de vivre l'a ressaisi et il s'achemine avec ardeur vers les besognes obscures du journal quotidien.
Enfin, le lendemain de la conférence à Moulins, un collègue proche de l'auteur, Jacques Dussourd, présentait ses impressions avec humour sous le titre
« A la recherche de Barjavel »
Toutes les Moulinoises lisent le billet de Barjavel. Les plus jeunes sont séduites par sa vivacité d'esprit et sa
fraîcheur de sentiment. Les plus âgées
Mais si toutes le lisent, combien le connaissent ?
S'il manque en effet quelque chose à Barjavel, ce sont des défauts. Il ne va jamais au café et presque jamais au cinéma.
Il ignore le bal et a horreur des banquets, pour lesquels un autre de nos collaborateurs consent à se dévouer. Et quand
il assiste aux fêtes, il le fait par devoir professionnel et sans y prendre part.
Comment l'approcher ? Comment le voir ? se désolent ses admiratrices. Pensez quelle aubaine ce fut pour
elles d'apprendre qu'il allait se produire en public et qu'on pourrait enfin le considérer à loisir, non pas même sur
l'écran, comme Henry Garat, mais à la place de l'écran, en chair et en os et au feu de la rampe !
Barjavel aurait traité de la « Politique tirée de l'Écriture Sainte » ou des
« Oraisons funèbres » de Bossuet, que pas une de nos gracieuses compatriotes n'auraient voulu y
manquer.
Et il avait annoncé qu'il parlerait de « Colette à la recherche de l'amour » - c'est à
dire en même temps que de la plus femme des femmes, de l'éternel féminin, puisque jamais femme en somme n'a recherché
autre chose.
L'« Artistic » était donc assiégé mardi soir et la carrure impressionnante d'Emile Favre,
promu chef du service d'ordre, ne fut pas de trop pour résister à la ruée des charmantes auditrices qui avaient consenti
à se laisser accompagner - pour ce premier contact.
Barjavel prit la parole au milieu d'un murmure flatteur. Il la prit au sens propre car il n'avait chargé personne de
la lui donner, étant trop bon pour imposer cette corvée à quiconque et estimant en outre qu'on est jamais mieux présenté
que par soi-même.
Et du premier coup, il détrompa les âmes élégiaques qui, parce qu'« il ne sort pas », croyait
le voir timide, effacé, blême et pour tout dire d'un mot affreux mais cher aux femmes
« émotionné ».
Il fallut bien constater qu'il s'exprimait avec un aplomb et une aisance, révélant la plus tranquille audace, voire
une désinvolture certaine.
Ce fut la seule désillusion qu'éprouvèrent les fidèles lectrices de Barjavel, au cours de cette soirée passée en sa
compagnie.
Il était bien à part cela, tel qu'elles se l'étaient dépeint jeune jusqu'au défi, l'oeil enflammé et tout
juste assez noyé de mélancolie, la chevelure sombre et rebelle, la voix chaude, la parole inspirée...
Comme disait l'une d'elle à la sortie
- Il a l'air d'y tenir à cette Colette... Ce n'est vraiment pas de veine.
Le lendemain, en post-scriptum de sa chronique, Barjavel lui fait une réponse non moins teintée d'humour
PS Vous avez peut-être lu dans le « Progrès » d'hier le compte-rendu que Jacques Dussourd a fait de ma conférence sous le titre « A la recherche de Barjavel ». Jacques Dussourd était, quand il l'écrivit, sous l'influence du premier rayon de soleil printanier. Mais aux dernières nouvelles, il va beaucoup mieux, et son état n'inspire plus aucune inquiétude.
Parmi les critiques à chaud, il en est une qui se détache particulièrement des autres et fait contraste avec celles exprimées par les journalistes, celle qu'une auditrice a communiquée à l'auteur par courrier et qu'il a choisi d'inclure au texte, en conclusion de sa propre analyse
Mon enfant,
Je peux me permettre de vous appeler ainsi, car j’ai soixante-six ans et pourrais être votre grand-mère.
Je vous écoutais dans votre conférence de ces jours derniers. J’avais tenu à vous entendre par
curiosité. Comment alliez-vous vous tirer, vous, si jeune, d’une dissertation sur un sentiment que vous ne
connaissez pas. [...]
L'auteur, selon cette critique, péchait d'être trop jeune pour apprécier la pleine étendue des sentiments qu'il ambitionnait de comprendre chez celle qui qui les avait vécus à l'extrême. Barjavel qui ne s'en défend pas, met en avant sa volonté d'apporter un hommage à sa façon à celle qu'il qualifie de plus grand écrivain du moment.
On voit bien là encore qu'au delà d'un effacement de l'auteur pour mettre en lumière l'oeuvre de Colette, il faut voir plutôt les thèmes qu'ils avaient en résonance et dans lesquels Barjavel s'est retrouvé, et peut-être inspiré. Ainsi même s'il n'est pas un biographe ou analyste notoire de Colette, les fins connaisseurs apprécieront certainement combien il aura su prendre la relève d'une certaine thématique prolifique dans les mains de l'impétueuse romancière.
D'autres pourront peut-être se voir tentés de considérer que finalement, le jeune Barjavel a eu du mal à appréhender finement la profondeur de la psychologie féminine, considérant de manière peu tranchée que l"amour et la sensualité sont indissociables de la jeunesse physique, et cette vision peut sembler confirmée par la thématique générale de ses oeuvres ultérieures. Et concernant Colette, cette perception peut certes être infirmée a posteriori par la biographie de l'écrivain, puisque son mariage l'année suivant les conférences avec Maurice Goudeket sera selon ses biographes un des plus heureux et des plus sensuels...
L'opuscle rédigé par Barjavel et imprimé fin mai parut mi-juin. Une série d'annonces publicitaires dans Le Progès de l'Allier,
qui en était rappelons le l'éditeur sous le nom "La Nouvelle Province Littéraire", le proposait pour « 4,50 francs, envoi franco contre 4,75 F ».
De telles publicités parurent les 19, 21, 22, 24, 25, 26 et 30 juin, puis les 13, 19, 21, 22, 25, 29 et 30 juillet, tantôt sous la rubrique locale de Moulins,
ou à la suite des chroniques de l'auteur lui-même comme ce fut le cas le 21 juin et 19 juillet. Elles complétaient
le titre par "... à la recherche de l'impossible".
C'est le 25 juin qu'une critique détaillée fut publiée sous la plume d'Abel Boisselier
Les éditions de la Nouvelle Province Littéraire viennent de s'enrichir d'un nouvel opuscule. La couverture est
d'un joli blanc glacé, les filets qui encadrent le titre sont bleus, le nom de l'auteur s'inscrit en noir.
L'ensemble donne une impression d'innocence et de pureté. L'auteur se présente à nous tel que le patriarche
Booz vétu de candité probide et de lin blanc.
Il sied de mettre en garde contre les premiers sentiments qui ne sont pas toujours les meilleurs. Ce n'est
pas aussi innocent que pourrait le faire croire l'apparence virginale de l'ouvrage. René Barjavel entreprend de
nous montrer Colette à la recherche de l'amour.
Tout le monde connait Colette. Son existence passe pour avoir été agitée. Je ne serais pas étonné que de pieuses
gens ne se signent dévotement en entendant son nom, aussi abhorré que celui de Belzébuth. N'a-t-elle pas
employé sa vie et son talent à chanter l'amour, et dans l'amour, ce qu'il y a de plus matériel, la sensation,
ou pour parler comme Raymonde Machard, la possession ?
Carlyle disait que toute l'affaire de l'amour est une si misérable futilité qu'à une époque héroïque, personne
ne se donnait la peine d'y penser.
Le vieil historien fait preuve d'un détachement bien singulier. « Si vous n'en voulez pas, n'en
dégoutez pas les autres ».
Colette pense que la nature entière n'a d'autre but que de jeter les êtres dans les bras l'un de l'autre et de
leur faire goûter l'ivresse éphémère du baiser.
Elle estime également avec une grande dame du 17ème siècle « qu'il faut cent fois plus d'esprit
pour faire l'amour que pour commander des armées ».
Dès lors, l'objet de notre jeune biographe sera de montrer une femme en quête d'un amour qui la satisfasse
complètement, d'un émoi qui la laisse défaillante, froissée comme une étoffe soyeuse, ou encore moirée de
frissons comme un étang où l'on vient de jeter une pierre.
Elle tente diverses expériences, qui naturellement, la déçoivent ; je dis naturellement, il y a en effet
beau temps que l'on a constaté que la volupté s'en va quand on l'approche.
« Plus je cherche et moins je trouve, écrit Saint Augustin. Je désire. De là, je n'ai jamais fini
de chercher. »
Le sujet était délicat. Barjavel l'a traité avec art, en se gardant de la fausse pudeur comme de la trop
grande liberté de langage. Il est resté dans les limites de la discrétion et de la bonne compagnie.
Mais surtout, il manifeste tant de juvénile enthousiasme dans le culte qu'il rend à son héroïne que le lecteur
est touché, séduit, entraîné.
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez. Pour me faire admirer un auteur, il faut que vous soyez
sincèrement ravi. Or Colette est une idole pour son biographe, il tombe en extase devant elle.
Tel autrefois Polyeucte prêchant les infidèles, il proclame sa foi et sa dévotion à l'égard de cette nouvelle
divinité. Il l'élève au dessus des communes faiblesses de l'humanité.
En la plaçant sur les autels, il la condamne à la retraite sentimentale. Il estime qu'à soixante ans, une
femme n'a plus qu'à songer sinon au ciel, du moins au repos et à la sagesse.
Il oublie Ninon de Lenclos. Les nouvellistes du 18ème siècle assurent qu'elle faisait à quatre-vingts ans le
bonheur de l'abbé de Châteauneuf. Celui-ci préferait les femmes d'expérience aux tendrons sans malice. C'était un sage.
Une telle ferveur se justifie par le talent de Colette qui est immense. Songez que le sévère Criticus a loué
son style sans aucune réserve, qu'elle est à peu près la seule de tous les écrivains contemporains à qui l'on
ne puisse reprocher le moindre solécisme.
Il sied donc de complimenter Barjavel pour son choix et l'agrément de son esprit.
Un des gentilhommes d'une des comédies de Shaekespare dit en parlant des livres qu'il conserve
« Je veux qu'ils soient bien reliés et qu'ils parlent d'amour. »
Changez le mot « reliés » par « imprimés » et l'opuscule de
Barjavel aura les qualités requises pour figurer en bonne place dans la bibliothèque de l'homme de goût.
A. BOISSELIER
On le voit donc y renouveler ses félicitations envers son "protégé", en les complétant d'une pointe de rectification allant dans le même sens que la "grand-mère de soixante ans", rappelant avec érudition le souvenir de Ninon de Lenclos... Mais ses commentaires anticipent aussi les parallèles - qui ne pouvaient pas encore être établis - entre Colette et les oeuvres bien ultérieures de Barjavel
la nature entière n'a d'autre but que de jeter les êtres dans les bras l'un de l'autre et de leur faire goûter l'ivresse éphémère du baiser.
ne laisse-t-il pas pressentir La Faim du tigre ?
Le monde bien-pensant a quant à lui perçu assez négativement la conférence, le petit livre, son auteur et son sujet ! De façon presque désopilante, La revue des lectures de l'abbé Louis Bethléem, publiait sa critique dans la rubrique "Livres mauvais, dangereux ou inutiles" le 15 septembre 1934 :
René BARJAVEL, Colette à la recherche de l'amour, conférence faite en 1934, à Vichy et à Moulins, à La Nouvelle Province Littéraire, à Moulins.
Combien d'auditeurs ont écouté à Vichy et à Moulins cet hymne enflammé à la passion ? Publié, combien trouvera-t-il de lecteurs ?
Nous ne savons pas, mais nous n'hésitons pas à écrire que conférence et brochure constituent une mauvaise action.
L'auteur a pris à tâché de montrer Colette « à la recherche de l'amour ». Pour ce faire, il n'a eu qu'à choisir dans l'œuvre
de l'écrivain les pages les plus caractéristiques, c'est-à-dire les plus sensuelles dans lesquelles elle a raconté ses expériences
amoureuses par le truchement de Claudine, de Maugis, de Renaud, de Léa, héros et héroïnes de ses romans.
Les commentaires qui "encadrent" ces citations ainsi que la lettre d'une auditrice de 66 ans qui termine le volume, sont plus répugnants encore.
Ils trahissent chez leur auteur, qui est un tout jeune homme, une singulière perversion.
Il y a, dit celui-ci, deux catégories de gens : ceux qui aiment Colette et ceux qui ne l'aiment pas. Et il ajoute : « Croyez-moi, c'est un critérium » (p. 8).
Oui, Monsieur, c'est un critérium. Il distingue les gens qui ont perdu tout sens moral et font du désir le souverain bien d'avec ceux qui respectent en eux-mêmes
et chez autrui l'image de Dieu.
P. S. Il faut regretter qu'une maison d'éditions de Paris, généralement considérée comme catholique et, apostolique, ait accepté le dépôt de ce volume répugnant,
malfaisant, abominable.
(recueil année 1934, p. 1262)
On pourra découvrir ou approfondir la connaissance de Colette et de son oeuvre par la sélection de liens
et de références bibliographiques ci-après, qui ne se veut nullement exhaustive.
Personnage phare de la littérature du début du XXème siècle, Colette a en effet été l'objet de nombreuses
études, ouvrages, thèses, s'efforçant d'en mettre en lumière les différents aspects y compris parfois les plus intimes.
Chaque document présente par ailleurs le plus souvent une riche bibliographie le sujet est donc presque inépuisable...
CRITIQUES DES VISITEURS
Photographie © Walter Limot, 1934.
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Références bibliographiques
Autres documents
En 1950, Yannick Bellon filme Colette en toute simplicité, chez elle. Où l'on voit la romancière devant sa table de travail, inspectant les
courses rapportées par sa fidèle gouvernante Pauline, discutant avec son mari et Jean Cocteau... Un très beau film, un document exceptionnel qui vient d'être superbement restauré par les Archives du film.
Colette s'abandonne, au soir de sa vie, à un voyage intime autour de ses souvenirs, recueillis par
René-Maurice Picard. Évocations souriantes, confidences désabusées, et considérations indignées (diffusé sur la Chaîne Nationale en 1948)
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