Collioure
 
Willy Mucha



ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 10 JUILLET 1953
DANS LES ATELIERS DE DANIEL JACOMET & CIE
POUR LES PLANCHES
SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE « LA RUCHE »
POUR LE TEXTE
 
Cet ouvrage a été tiré à
300 exemplaires numérotés
de 1 à 300
30 exemplaires numérotés
de I à XXX
signés par l'Artiste.

exemplaire numéro 265

 

 La première condition de l'art est l'amour.
Le sculpteur, les mains plongées dans la glaise, ne sera qu'un
tas s'il n'aime cette terre qu'il traite comme mamelles, s'il n'aime la forme qu'il prétend en extraire, s'il n'aime l'homme - tous les hommes - pour la joie de qui il veut donner forme à l'informe, s'il n'aime même l'aveugle et le manchot qui ne la pourront voir ni caresser, s'il n'aime le caillou auquel elle ressemble, et le ciel dont elle est parcelle et la branche dans le vent, comme elle immobile et mobile.
 
      L'artiste qui n'aime pas est imposteur, théoricien peut-être, créateur jamais. L'œuvre d'art est un cri d'amour.
 
      Les dessins sont quelques-uns des enfants nés des amours de Mucha et de Collioure. Qu'est-ce que Collioure ? Une blessure faite par la mer au flanc du Roussillon, et par laquelle coule la lumière. Mucha s'est installé sur cette blessure, y boit le sang et s'en nourrit.
 
      Si vous tournez le dos à la mer de lumière fondue, vous trouvez à main droite une ruelle qui se glisse entre les maisons pelotonnées autour de leur fraîcheur interne et monte comme une aaaaaaa   


échelle vers la colline. Sur ces échelons de pierre vous rencontrerez trois chats noirs couchés, et, assises, les femmes des pêcheurs, noires aussi. En haut c'est le ciel. A mi-côte, la maison de Mucha. La porte est ouverte aux enfants, aux femmes noires, aux pêcheurs bleus et aux amis. Et vous êtes ami de Mucha si vous aimez Collioure. La maison est toujours pleine. Les plus grands peintres de notre temps ont passé par ici, se sont assis dans la cour grande comme un chapeau, hérissée d'épines de plantes grasses et par- fumée de l'odeur du figuier. Les plus grands peintres ont passé par ici, mais parmi eux le plus sage est resté. Il faut gravir une échelle de pierre pour parvenir à sa maison, il faut se hisser par une échelle de bois pour entrer en son atelier, en escalader une autre pour atteindre sa terrasse. Parvenu là-haut, on est au cœur du ciel. Il faut regarder en bas pour voir griller Collioure. Le grand feu de lumière s'abat sur la mer plate et les pierres dressées. Les maisons crépitent. Le bleu jaillit de l'eau et éclabousse les murs, les pavés, les barques rouges, les filets roux, les briques roses. Tout est mordu de bleu même le vermillon. La maison de Mucha est au foyer du miroir, et sa terrasse est le point d'incan- descence. Et dans ce point de feu une étincelle noire : l'œil du peintre. Cet œil voit.
      C'est extrêment rare, un œil qui voit. Les nôtres savent lire les nouvelles dans les journaux et nous conduire dans le métrobus, mais ont oublié cette merveilleuse évidence : que l'univers est harmonie de lumière, de couleurs et de mouvements. Demandez à vos yeux dermés sur un souvenir, de vous raconter ce souvenir : ils vous racontent une histoire grise, aux formes aaaaaaa   


molles se déplaçant comme ectoplasmes dans la brume. C'est parce que les hommes ne savent plus voir la lumière qui est joie qu'ils se laissent enliser dans la haine noire. Ils pleurent, ils grincent, ils se jettent les uns sur les autres, parce qu'ils ne savent plus se laisser pénétrer par la joie et nettoyer par la lumière. Leur âme devient grise, leur cœur noir, et leur chair pourrit sur leurs os. Celui qui aime et qui voit, n'a pas de temps à donner à la tris- tesse, à la peur, à la haine. Il n'a pas assez de toutes les secondes de sa vie pour accueillir les merveilles que lui apportent ses yeux. Il lui faudrait mille cœurs, mille intelligences et mille vies de mille siècles, et ce ne serait jamais assez, car le miracle de la beauté est permanent, sans cesse renouvelé par lui-même et infini dans le temps, dans l'espace et dans l'homme
 


      Collioure est un de ces lieux où la beauté se forge au rouge. Mucha y est chaque jour témoin de cet incroyable combat : la lumière, née dans le ciel et dans la mer, monte à l'assaut des formes, les révèlent à elles-mêmes, puis les dévorent et s'installe à leur place, multitude, coquille, drap d'or, feu figé, volumes de braises et d'azur.
 
      Témoin ? Non, Mucha est l'acteur et le metteur en scène de ce drame, non point le spectateur. Le monde n'est ainsi que par ce qu'il le monte ainsi à lui-même, et depuis le grain de sable jus- qu'à la montagne. L'œuvre de Mucha, c'est cette bataille.
 
      Nous voyons dans ses dessins, la lumière de Collioure, la lumière informée, dévorante et acide, cerner chaque forme, l'atta- quer de tous côtés, lui ôter tout ce qui n'est pas l'essence dure, architecture essentielle, la laisser simple et nue comme à la naissance du monde. La lumière fut.
 


      La barque, la maison, la colline, le pêcheur, le visage et la main de la remmailleuse, les remmailleuses araignées au centre de leur filet, sont entrés dans l'œil de Mucha, y ont rencontré la flamme et sont sortis purifiés à la pointe du crayon. Purifiés et rendus à leur vérité.
 
      Faire œuvre d'art, c'est recréer le monde non comme il apparaît, mais tel qu'il est.

RENÉ BARJAVEL



   Il est temps de prévenir les amateurs, les esthètes, les collectionneurs, les critiques et les marchands, que la peinture a cessé depuis longtemps d'être un Art.
 
      La peinture est un langage, une construction, un rebus, une combinaison de chifffres, une grille, un code secret à l'usage exclusif de ceux qui sont mystérieusement au courant des affaires d'arbres, de ciel, d'eau, de soleil et de lumière.
 
      Les peintres sont des agents secrets qui inlassablement font « du renseignement », déjouant toutes les polices officielles, les services artistiques et les chasseurs d'espions.
 
      Mucha est un agent secret.
 
      Une sorte de troisième homme qui travaille pour le soleil, son patron.
 
      Mucha se promène sur la planète en écrivant au jour le jour le journal intime du soleil.
 
      Parce que Mucha ne peint pas. Il vit ses formes et ses couleurs.
 
      Entre nous, peindre n'est pas un métier, c'est un plaisir , un luxe, une façon de faire l'amour avec toutes les choses vivantes.



      De son Collioure de feu, qui est le théatre le plus achevé qui soit au monde, Mucha me fait penser au joueur de guitare. Au vrai, celui pour lequel le flamenco est le seul langage possible.
 
      Il me fait penser à ces gitans de tous les horizons qui plongent des heures durant, sans respirer, dans l'extase de la musique et qui se racontent en silence de merveilleuses histoires de nuit,de lune, de joie et de mort.
 
      Chez Mucha, le dessin et la couleur participent du chant profond.
 
      Rien ne s'explique plus lorsque l'œuvre achevée apparaît. Plus de technique, plus de trucs, plus de secrets d'artisan.
 
      La toile crie. Et son cri vous cloue sur place. La toile vous saute au visage et vous renverse et s'impose.
      C'est comme la plainte de la chanteuse de flamenco, c'est comme les yeux des gitans, comme le soleil qui devient noir lorsqu'il appuie de tout son poids sur la mer harassée de lumière? C'est comme l'amitié et le très grand amour, come le corps des filles et le rire des mêmes, le galop d'un cheval libre et la tran- quillité orgueilleuse de la mer.


HENRI-FRANÇOIS REY 



Table des dessins