Aperçu de l'article Article de René BARJAVEL
à propos de
son ami Charles Moulin

 
De tout cœur
avec

Charles MOULIN
R. BARJAVEL
R.BARJAVEL

 

Je ne veux pas vous présenter Charles Moulin, vous le connaissez bien, et vous allez le voir et l'entendre... mais je voudrais vous dire comment nous nous sommes connus, lui et moi... C'était en 1954 pendant l'hiver, un hiver particulièrement froid, il y avait de la neige un peu partout sur le France et particulièrement dans les rues de Paris. Un soir apparut sur les écrans de télévision un visage déchirant, celui d'un petit curé maigre, édenté, pathétique, qui s'adressa à nous et nous fit honte de l'écouter tranquillement, au chaud, alors que des miséreux étaient en train de mourir de froid dehors.

Ce fut un élan de solidarité extraordinaire : les Parisiens sortirent, prirent leur voiture, allèrent ramasser les clochards glacés, les nourrirent, les transportèrent dans les mairies, dans les écoles, dans les hôpitaux, parfois même chez eux... C'est ainsi qu'on apprit l'existence des chiffonniers d'Emmaüs, l'œuvre créée par l'Abbé Pierre pour le Sauvetage des hommes perdus, par le travail et par l'amour.

Très vite il fut question de faire un film sur les Chiffonniers d'après le livre que leur avait déjà consacré notre ami Simon.

Robert Darène fut chargé de la mise en scène, et moi de l'adaptation et des dialogues. Quand on en arriva au choix des comédiens, un problème se posa : il fallait trouver des acteurs qui n'avaient pas l'air d'être des acteurs, qui collent parfaitement avec leur personnage, qui soient vrais. Et c'est ainsi que Darène et moi choisîmes sans hésitation, dès que nous le vîmes pour le rôle de Kangourou l'ancien boxeur Charles Moulin. Il avait la tête du personnage, et sa grande gueule, et son regard et ses gestes. Il était lui... et par la suite il devait prouver qu'il était non seulement un bon comédien mais aussi et surtout un homme bon car, tandis que, une fois le film terminé, nous nous dispersions tous vers d'autres travaux, lui ne quittait pas l'abbé Pierre, et il a depuis, jamais cessé de l'aider.

Un peu plus tard, faisant avec Darène un autre film, Goubbiah, je demandais de nouveau Charles Moulin pour le rôle de Jao, le chef gitan. Le producteur, qui avait ses raisons, ses mauvaises raisons, m'en opposa un autre. Je m'entêtai, je me battis, et ce fut Charles Moulin qui joua le film, à côté de Jean Marais. Quand le film fut terminé, le producteur me remercia...

Depuis, depuis, le temps a passé, nous avons suivi chacun notre route mais de temps en temps, elles se croisent et nous nous saluons alors avec joie : « Alors, Charles, comment ça va ? » « Alors René qu'est-ce que tu deviens ? »

On devient vieux, c'est ce que nous devenons tous... Il n'y a que l'amitié qui ne vieillit pas.

R.BARJAVEL - 8.1.77


 

Notes :

A propos de Charles Moulin :