La série télévisée "Commando spatial"

par Guy Allombert

Revue Fiction no 162 - mai 1967

Nous connaissons mal la science-fiction allemande : ce que nous avons pu lire des aventures de Perry Rhodan, l'immense feuilleton de Karl Scneer, publié au Fleuve Noir, rejoint, dans le space opéra populaire, l'opinion que l'on peut se faire après avoir vu les sept épisodes de Cominando spatial, série télévisée aliamande, réalisée avec d'évidents moyens matériels par Michael Braun et Théo Mezger. Les lieux et las dates de l'action, seuls, nous indiquent qu'il s'agit de science-fiction : en fait, te roman d'aventures à épisodes a gardé la même trame, les mêmes stéréotypes, le même manque d'imagination que les mauvais romans d'aventures du début de ce siècle. Au lieu simplement de se dérouler dans les iles inexplorées du Pacifique, les jungles de Birmanie, de Bornéo, les déserts de Gobi, il emmène ses héros dans les espaces sidéraux où, sur les mêmes thèmes, ils vivront les mêmes aventures : rencontres avec des peuplades inconnues, guerrières, racistes, sauvetage in extremis du camp (ici, la Terre), châtiment du traitre terrien, robots en révoltes au lieu d'esclaves...
Tout ceci n'a guère à voir avec la science-fiction telle que nous la concevons : ici, nous sommes dans le domaine récréatif, un domaine où il n'est pas question d'effrayer le téléspectateur moyen, monstre anonyme, apte à comprendre le Palmarès des chansons, mais réfractaire au fantastique, si léger soit-il. De fait, dans cette aventure, les seuls à faire preuve de quelque imagination sont iss deux architectes. Sans extrapoler outre mesure, ils ont rendu visuels, parfois avec bonheur, engins et matériels de demain. Rien à voir cependant avec Metaluna, de Russel Gaussman, Julia Héron, Alexandre Golitzen et Richard Riedel : mais le cinéma n'a rien à voir avec le petit écran de la télévision.
Malgré toutes ses imperfections, et je vais y revenir. Commando spatial a au moins le mérite de faire entrer réellement la science-fiction à la télévision. Et peut-être est-ce un bien de commencer par un feuilleton élémentaire : la goût peut venir au téléspectateur de voir mieux.

PRECAUTIONS ET LEXIQUE

C'est à René Barjavel que l'O.R.T.F. a confié l'adaptation française et la présentation de la sérié. L'auteur de Ravage, avant le premier épisode, a dit à peu près ceci :

« II nous est désormais possible d'entrevoir une partie de l'avenir : un jour viendra où le voyage sur la Lune ou sur Mars ne nous étonnera pas plus que la traversée de la Manche en bateau. Un jour viendra où toutes les tensions entre l'Est et l'Ouest, entre le monde blanc et le monde noir auront disparu, pour faire place, peut-être à de nouvelles querelles entre le gouvernement central et les autorités spatiales. Un jour viendra où le fond de la mer sera habité, où les sommets de Mercure seront devenus autant, de Stations touristiques en vogue. Un jour... Un jour ? Quand ? Disons : en l'an 3000. Existerons-nous encore ? Quel sera notre mode de vie ? Serons-nous gouvernés par des machines ? Un coucher de soleil aura-t-il encore de quoi nous émouvoir ? L'infidélité nous fera-t-elle encore souffrir ? Le steack aura-t-il conservé pour nous sa saveur ? Notre Terre sera-t-elle dominée par des êtres venus d'autres galaxies ou bien nous faudra-t-il envoyer de l'aide aux mondes extra-terrestres en voie de développement ?
» Les milieux scientifiques cherchent la réponse, mais notre imagination en invente déjà mille. Les histoires de science-fiction sont autant de contes de fées où il était une fois laisse la place à un jour viendra... »

Nous sommes, on le voit, à quelques parsecs de van Vogt, de Simak, d'Asimov ou de Williarnson et Pohi, mais il fallait bien cette précaution oratoire face à un public nullement préparé à la S.F., ou même au fantastique (témoin l'échec regrettable de la série La 4ème dimension l'année passée).
Barjavel fait mieux : il a écrit un petit lexique à l'usage des téléspectateurs néophytes, reproduit en partie par nos confrères de la presse télévision, lexique élémentaire et dont certaines définitions demanderaient à être soigneusement révisées (androïdes, hydroponiques, laser), tandis que d'autres sont purement accordées à ce feuilleton (Frog, Overkill).

SEPT AVENTURES

Sur une Terre dont nous savons qu'elle vit en paix sous un gouvernement mondial, on a institué des patroullles de surveillance spatiale : Si apparemment les planètes du système solaire sont aux mains des Terriens, on semble ne rien savoir au-delà de ce système. Nous suivons un des croiseurs da surveillance, l'Orion, au cours de sept patrouilles. Son équipage comprend le commandant Mac Lane [américain ? «  risque-tout expérimenté, mais obstiné et rebelle à la discipline militaire » (1)], le commandant en second Mario de Monti (italien ? « type plutôt comique qui se prend pour un irrésistible Don Juan »), l'astronavigateur Atau Shubashi (japonais? « petit homme renfermé et comme les autres entièrement dévoué à son commandant »), Masso Sigbjornson (suédois ? « père de famille »), Tamara Jagellovsk (russe ? « appartient au peu populaire service de sécurité »), Helga Legreile (? « jeune, jolte, extrêmement capable, constante (?) mais secrètement amoureuse de son commandant, amour sans espoir, semble-t-il »).
  (1) Les commentaires sont extraits d'une brochure des producteurs.

Tel est l'équipage de l'Orion, sorti tout animé d'un roman-photo : il nous apprend déjà qu'en l'an 3000 les descendants d'Italiens sont toujours des don juans et les descendants de Russes toujours dans la police secrète ! Passons, comme nous passerons sur le fait que les militaires sont sortis (les généraux, évidemment) du train de 8 h. 47. Leur réunion d'état-major dans le second épisode n'a rien de rassurant quant à la possibilité d'évolution de la race humaine, dans ce secteur particulier, en tout cas. Terminons en soulignant que nous ignorons tout de la vie à ta surface de la Terre : les militaires vivent en vase clos au fond des mers... Et sur la donnée rebattue des méchants extra-terrestres (ici. les Frogs, astucieusement présentés derrière, apparemment, des glaces martelées, ce qui donne des silhouettes vaguement humaines mais fourmillantes !), partons avec les invincibles defenseurs d'une Terre décidément paradis pour tous ceux d'ailleurs et de nulle part.

  1. L'attaque de l'espace

    Une station spatiale ne répondant plus, l'Orion se rend sur les lieux. Les occupants sont morts et la base est envahie par des extra-terrestres que les rayons laser laissent indifférents. Deux des hommes de l'Orion tentent de découvrir pourquoi tout est arrêté sur la base tandis que le croiseur est attaqué. Il fuit vers la Terre abandonnant ses hommes : ceux-ci découvrent à temps l'arme absolue contre les Frogs, l'oxygène.
     

  2. Planète en dérive

    Une puissance inconnue est parvenue à lancer, sur l'orbite de ta Terre, une planète en état de fusion. Mac Lane et. l'Orion sont lancés pour tenter de dévier la trajectoire du missile nouveau genre. En vain. Abandonnant son appareil, il le bourre d'énergie négative et le lance sur le bolide. Avec ses hommes, il rejoint un autrs vaisseau cosmique. Sauvés !
     

  3. Les gardiens de la loi

    Sur Pallas, riche planète minière, les colons en sont venus à l'émeute. Drame chez les robots, programmés pour préserver la vie humaine. Ces mécaniques ont résolu le problème qui risquait de faire sauter leurs circuits : ils ont pris le pouvoir afin d'empêcher les hommes de se détruire entre eux. Mac Lane, venu aux nouvelles, est prisonnier. Il réussit à isoler deux robots et à les reprogrammer pour être libéré et armé. Après un violent combat avec les autres robots, l'équipage de l'Orion et les colons sont libérés.
     

  4. Les déserteurs

    C'est la panique au Haut Etat-Major ds l'Espace : on a juste réussi à empêcher ie commandant Pietra d'aller livrer son croiseur aux Frogs. Sa conduite est inexplicable. Mac Lane est chargé de rejoindre la station M 8/8, la plus proche des Frogs, où des cas similaires de « fièvre spatiale » sont signalés. Dès leur arrivée, certains membres de l'équipage sont atteints : états de transes hallucinatoires qui conduisent à des actes caractérisés de sabotage. Le professeur Sherkoff découvre que les Frogs réussissent à agir sur les cerveaux humains et électroniques par téléiiose. Mac Lane feint d'être atteint et dirige l'Orion sur la base frog qu'il réussit à détruire à l'aide de l'arme Overkill.
     

  5. La lutte pour le soleil

    On vient de découvrir que le rayonnement solaire augmente dans de notables proportions. Au train calculé, il ne faudra guère plus de quelques décennies pour réduire la Terre en steppes brûlées. Lorsque l'Orion, retour de mission, signale qu'un astéroïde jusqu'alors dépourvu de toute vie organique présente des signes évidents de végétation les soupçons se précisent : le rayonnement du soleil est intensifié artificiellement. Mac Lane, reparti, découvre sur Chroma les descendants de colons jadis émigrés de la Terre et qui avaient rompu tout contact. Il faudra, pour éviter une guerre, de longues négociations car cette énergie solaira est nécessaire à Chroma autant que mortelle pour la Terre. Mais comme sur la planète règne le matriarcat, Mac Lane parvient à ses fins, encore qu'il y éprouve une certaine surprise.
     

  6. Le piège de l'espace

    Alors que de mauvais gré, l'Orion a embarqué le célèbre auteur de science-fiction Pieter Paül Ibsan, celui-ci, parti sur une vedette, est attiré par une force mystérieuse sur une planète d'où il est contraint d'appeler Mac Lane à son secours. Sur Mura, on a exilé tous les rebuts de l'humanité. A leur tête, un savant mégalomane, Tourenne, qui a inventé un rayon paralysant. Mac Lane et l'équipage sont capturés : l'Orion intéresse les exilés qui voient en lui le moyen de fuir la planète-prison. Tourenne, lui, veut aller chez les Frogs. Da Monti et Sjbjornson réussissent à rejoindre l'Orion, mais le vaisseau est captif sous une cloche d'énergie. Mac Lane réussit à découvrir le secret de Tourenne et à quitter Mura avec tout son équipage.
     

  7. L'invasion

    Les Frogs ont une nouvelle fois réussi à influencer des fonctionnaires du Service de l'Espace et sans que personne ne s'en doute, à envahir la Terra. Mac Lane tente d'atteindre la base qui ravitaille la flotte ennemie en énergie; mais Tamara est prisonnière des renégats. Elle réussit à brancher une table d'écoute qui permet aux autorités de découvrir que le chef du service secret, le colonel Villa, est à la tête du complot. On l'arrête, mais il a eu le temps de passer à un de ses hommes le commandement de l'Orion. Le général Warnsler donne l'ordre d'attaquer le vaisseau, ce dont Mac Lane profite pour reprendre le commandement. Il ira détruire la base ennemie...

DECORS ET EFFETS SPECIAUX INTERESSANTS

Sur la durée totale de l'émission, 20 % environ du temps de projection est consacré aux effets spéciaux : sortie du vaisseau de la mer, tempêtes photoniques, écran de télévision gigantesque qui visualise entre 150 m et plusieurs années-lumière, planètes, météroïdes, créatures extra-terrestres, robots, explosions de vaisseaux ou de planètes, etc...
La plupart d'entre eux sont fort correctement réalisés, certains (les Frogs, la planète ardente, les robots) avec suffisamment d'astuce pour intriguer un moment. On y a consacré des moyens matériels importants, moyens qui se retrouvent dans les décors de Rolf Zehetbauer et WernerAchmann.
Si le poste de commande de l'Orion avec ses 28 mètres réels de diamètre est impressionnant, il semble que la maquette grandeur nature du vaisseau (150 mètres de diamètre et 32 mètres de hauteur) ait donné quelque mal aux techniciens de la Bavaria: plusieurs mois d'efforts, 50.000 heures de travail, 10.000 câbles et relais électriques, des milliers d'ampoules... Tout cela nous vaut les meilleurs moments du feuilleton, vingt minutes environ par épisode, le reste étant rempli par d'abondants dialogues. L'ensemble, décors et effets spéciaux, mérite l'attention : il est suffisamment spectaculaire pour faire la majeure part du succès public de Commando spatial.

UN EFFORT

Indéniablement, Commando spatial représente un effort : puisqu'il fallait commencer par de simples aventures, admettons le côté primaire, enfantin, des péripéties, l'apport de chances inouïes chaque fois (on n'ose plus écrire invraisemblances), le manque absolu de réel humain de tous les personnages et l'absence d'un grain de fantastique.
Car tout ce merveilleux décor n'est que très rarement fantastique : il est de demain, un demain proche, alors qu'il eût fallu qu'il fût d'après-demain. Et les deux réalisateurs n'ont jamais cherché à manifester une quelconque ambition : ils enregistrent des dialogues dans un studio futuriste et intercalent les séquences d'effets spéciaux. Le doublage n'arange rien, pas plus que la musique...
Et pourtant, Commando spatial existe et le public l'a bien reçu. Cela permettra peut-être à la S.F. adulte d'arriver un jour sur notre écran. Qui sait...