Dans la DRÔME Provençale,
sur les traces de René BARJAVEL :

Les villages et les châteaux


La Drôme provençale, région intermédiaire entre les Alpes, la vallée du Rhône et la Provence, est riche en sites médiévaux qui témoignent d'un passé agité par les guerres entre seigneurs locaux, puis de religion.
Ces châteaux, souvent construits sur les crêtes à la base desquelles les villages se sont établis, sont maintenant pour la plupart en ruine, et leurs vieilles pierres se mêlent aux couleurs des rochers.
Parmi eux, la recherche des sources ayant inspiré Barjavel pour la "création" du château de Saint Sauveur le Désert s'avère une excellente occasion de découvrir des paysages et sites pittoresques et pleins d'histoire. La description de l'auteur reste présente à l'esprit comme une vision que chacun construit à partir de son imagination.

Nu, vertigineux, le Rocher Saint-Sauveur fend d'un bout à l'autre le dos de la montagne, et se dresse vers le ciel en crête de dragon.
Surgi en ce lieu au début des âges de la Terre, battu par les déluges, brûlé par les soleils, mordu par les vents et les gels, il coupe de sa lame éternelle les hordes de nuages et les vents clairs des saisons, l,a terre, à ses pieds, fut d'abord verte et brumeuse. D'énormes animaux frottaient contre lui leur cuir aussi dur que sa pierre. Des marais bouillaient sous la croûte des arbres, les monstres se sont couchés dans leur boue fumante, les forêts flétries se sont abattues sur leurs cadavres vastes comme des plaines, l'homme minuscule a commencé son travail, lies générations et les jours ont passé, le rocher n'a cédé au temps que des poussières, les siècles s'usent en vain sur lui, écrasent les hommes et leurs demeures. Ils ont crevé les murs du château, abattu les tours, ruiné le village. Adossé au bas du rocher, le château décapité rassemble son troupeau de maisons sans toits. Quand il était dans sa jeunesse, une fille l'habita, y vécut, y mourut, d'une vie et d'une mort telles que son souvenir, gardé de bouche à bouche, vit encore dans la mémoire quelques vieux, qui mélangent leur propre histoire à celles qu'ils racontent. Ils ne se rendent plus, aujourd'hui, veiller les uns chez les autres. Ils se sont trop souvent raconté les mêmes choses. Ils les connaissent trop. Ils ne trouvent plus d'oreilles neuves pour entendre, les jeunes sont tous descendus autour de la pompe à essence. Le chemin qui y conduit descend sept lacets sur la pente de la montagne. Qui descend n'aime pas remonter.

Pour nous guider dans cette région à l'écart des grands itinéraires touristiques, quelques conseils éclairés s'avèrent fort utiles. Le site de la Drôme provençale présente une liste des villages de la région (http://www.la-drome-provencale.com/fr/villes/bd_villes.html) particulièrement détaillée et permettant les recoupements qui vont nous conduire. Il est clair que même dans l'esprit de l'auteur, Saint-Sauveur est assez éloigné de Nyons, puisque lorsque Jean y rejoint Marie,

II a pris le train, changé à Millebranches. Il s'est impatienté pendant cinq heures dans le tortillard. De la dernière gare, il lui reste plus de trente kilomètres à faire avant d'atteindre Saint-Sauveur-Neuf.

(il est très probable que Millebranches du roman soit Montélimar).
Lorsqu'il l'accompagne pour son ultime voyage, venant de Milon les Tourdres (Nyons) conduit par son ami le peintre Bazalo :

Ils ont roulé toute la nuit. Bazalo fume cigarette sur cigarette pour se tenir éveillé au volant. Jean est assis sur le siège étroit, près de la couchette.


Autour de MARSANNE

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Les vestiges du donjon et de l'église Saint-Félix qui dominent le vieux village de Marsanne

Le vieux village de Marsanne se trouve dans au nord de la vallée de la Valdaine, au bord de la forêt qui couvre la colline qui clôt cette cuvette. (à mi-chemin entre Montélimar et Valence, à 8 kilomètres à l'est de l'axe du Rhône.

Venant par la plaine qui est la vallée du Roubion, on arrive d'abord au nouveau Marsanne, qui s'est construit il y a un siècle. Le vieux village est encore au-dessus, et lui est relié par "la Côte" (rue du Comte de Poitiers) qui débouche sur la porte du Lachard contrôlant l'accès au village médiéval entouré de ses murailles. Enfin, au dessus d'un labyrinthe de chemins, ruelles couvertes, petites places et jardins intérieurs, les ruines de l'église Saint-Félix et du donjon dominent le panorama. Louis XI alors Dauphin y séjourna en 1449. Au village, la chapelle Notre Dame de Fresneau accueille un pélerinage et une communauté religieuse, et bénéficie d'une longue tradition de l'endroit qui entoure de légende la fontaine miraculeuse
Marsanne a donné son nom à un cépage (blanc) viticole de diffusion "confidentielle" mais particulièrement réputé.

La coïncidence est tentante pour imaginer en cet endroit la Chapelle du Chevalier et le Donjon... Y retrouve-t-on la légende du Chevalier et de sa belle ? Y a-t-il un gouffre auquel la tradition donnerait une réputation quasi magique ? Cela ne semble pas être le cas, mais une visite érudite du site permettrait de lever le mystère...

Mais laissons celui-ci dans son merveilleux, et continuons de rêver aux paysages maintenant paisibles qui virent les drames d'un passé pas très lointain (la dernière guerre y laissa des ruines désolées qui se relèvent petit à petit maintenant sous l'impulsion de nouveaux habitants amoureux des sites), et l'histoire de Jean et Marie.

Un peu au sud, le village de La Laupie a lui aussi bénéficié d'une restauration de très haute qualité, en fait un reconstruction totale car le village médiéval fut complètement détruit en 1944.

Puygiron mérite un détour, car ce village à vocation défensive offre une vue sur le magnifique panorama de la vallée. Un château commencé au XIIIème siècle et la chapelle de St-Bonnet, plus ancienne, marquent la dignité du lieu.

En se dirigeant vers Montélimar, Sauzet offre à la découverte les ruines couvertes de lierre du pittoresque vieux château qui fut aussi une résidence du roi Louis XI.

Dans la plaine, au nord de Montélimar, le village de La Coucourde, abrite le château des Comtes de Valentinois et sa Tour de Leyne ; le lieu est attaché à la Légende d'Hélène la Lépreuse, qui y fut enfermée.


La vallée du Jabron

Cette rivière rejoint le Roubion à Montélimar où elles se jettent ensemble dans le Rhône. Sa vallée, qui remonte vers l'est jusqu'à Comps où se trouve sa source, est particulièrement pittoresque tant par ses sites naturels que par les hauts-lieux et villages qui parsèment son cours.

Parmi eux, nous y trouverons :

  • La Bégude de Mazenc : bien après un site gallo-romain, une place-forte des Templiers s'y établit et fut ruinée en 1320. ELle fut ensuite une halte pour les diligences, et un guide local nous apprend que s'y trouvait... une auberge qui a donné son nom au village qui signifie : endroit où l’on boit ! Comment ne pas penser à la suite du passage de Tarendol cité plus haut :

    Saint-Sauveur-Neuf est au bas de la montagne, à l'endroit où le chemin, au bout de ses sept lacets atteint la route qui va des villes vers les neiges. Au carrefour, une auberge étalait les bâtiments bas de ses écuries. Les voyageurs la nommaient La Bégude-Saint-Sauveur. La Bégude signifie le lieu où l'on trouve à boire, et Saint-Sauveur indiquait que c'était bien un endroit béni. Depuis un demi-siècle, des maisons neuves ont surgi autour d'elle. Tout ce qui restait de jeune à Saint-Sauveur-le-Désert est descendu se grouper avec le curé et l'instituteur, dans le village plus bas. Les écuries à chevaux de l'auberge se sont transformées en garages, et une pompe à essence rouge a poussé devant sa porte.

    Certes le nom "bégude" semble commun dans la région, mais le rapprochement est intéressant, compte-tenu également des autres caractéristiques du lieu. (château Loubet du XVIIème siècle, qui devint propriété du président Émile Loubet en 1905), église St-Pierre du XIIème siècle, et la Chapelle Notre Dame)
     

  • Le Poët Laval : nous y retrouvons les Chevaliers - cette fois il s'agit de l’ordre de St Jean de Jérusalem (devenu ensuite l'ordre de Malte) - qui y tenaient une riche commanderie au XIIIème siècle. Le château est maintenant restauré ; ses murs d'enceinte englobent aussi sa chapelle dont les murs qui subsistent gardent un certain mystère.
    "Fief" protestant, s'y trouve aussi, plus récent, le Musée du protestantisme dauphinois. ( voir la page sur le site de la Drôme Provençale
    Des Chevaliers des croisades, une chapelle qui laisse perplexe les archéologues... Mais continuons.
     
  • Dieulefit est presque une ville, avec un peu moins de 3000 habitants. Mais elle abrite aussi un château et une église anciens (Château de Réjaubert, XIIème siècle), ainsi que des restes antiques (poteries romaines et phéniciennes).

En fait, les anciens villages des montagnes de la Drôme provençale présentent pour la plupart ces caractéristiques. La promenade peut se faire de manière moins organisée, au fil de l'intuition et des charmes que les sites produiront sur le visiteur. On pourra donc encore signaler, sans suivre d'initéraire précis :

  • À Rochefourchat le minuscule village est un nid d'aigle au dessus d'un précipice.
  • Roussas changea de mains au cours de ces époques médiévales troublées, et fut même un repaire de brigands au XVIème siècle. L'ancien village, en ruine, constitue en fait le château autour de son donjon, et de sa vieille chapelle.

Revenons près de Nyons :

  • Le château Ratier à Venterol fut un relais des Chevaliers de Saint Jean (de Jérusalem) : on retrouve ici aussi ce thème du Chevalier. Ses ruines dominent le village aux pierres ocres ; la tradition attribue-t-elle à leurs changements de couleurs des significations de prévisions météorologiques ?

    Il regarde le haut du rocher pour savoir le temps qu'il fera. Si le Trou du Chevalier est tout illuminé de rouge des reflets du rubis, il fera beau. Si le soleil est jaune ou blanc sur la pierre, il pleuvra. Mais il ne pleut pas. Et Maluret, et tous les vieux du Désert et de Saint-Sauveur-Neuf, et ceux des autres villages et des fermes de la vallée continuent de regarder chaque matin si le rocher indique la pluie ou le beau temps. Et même quand il indique la pluie, il fait beau. Un jour viendra où il aura indiqué la pluie, et la pluie tombera. Et les vieux seront satisfaits.

  • La Motte Chalanvon offre le charme d'un village ancien avec de nombreuses ruelles aux vieilles façades, passages voûtés, calades, agrémentés de fontaines. Il est dominé par les ruines du château de la Charce. ( voir le site qui lui est consacré (http://www.lamottechalancon.com/)

    Enfin, nous terminerons cet aperçu de la région par Saint Nazaire le Désert, au nord-est de Nyons. En plus de la ressemblance de son nom, ce village eut une destinée voisine de celle du Saint Sauveur du roman, qui, ville de foire importante autrefois, périclité et devint ce hameau presque désert où Marie attend Jean : en effet, après avoir été fief des évêques de Die au XIIème siècle, il devint en 1790 chef-lieu de canton puis simple commune pendant la révolution.

Mais mes recherches n'ont pas (encore ?) abouti à identifier de quelle foire Barjavel s'est inspiré pour décrire ces évènements d'antan hauts en couleurs, tradition ayant duré "jusqu'à la guerre" :

L'auberge est restée vide même pour la fête du pays. C'était, avant la guerre, la plus grande foire de la région, une des plus anciennes de France. Tous les habitants de la montagne y venaient faire des achats qu'ils réservaient pendant l'année pour ce jour-là, régler des affaires avec des partenaires lointains qu'ils n'avaient pas d'autre occasion de rencontrer. Les préparatifs commençaient deux semaines à l'avance. Les ménagères astiquaient leurs meubles, tuaient lapins et volailles, saignaient le veau, écorchaient les chevreaux de lait, portaient à cuire chez le boulanger d'immenses tartes au potiron, dressaient des lits dans les cuisines ou les chambres inoccupées.

(...) Le long des sept lacets du chemin du Désert, et sur près d'un kilomètre de la route au fond de la vallée, hommes et femmes, en multitude dense, défilaient lentement devant les boutiques de toile où s'étalaient vêtements, chaussures, vaisselle, sandwiches, outils, enclumes, nougats, cuisinières, jouets, moteurs, bananes, citrons, machines agricoles, melons, limonades, postes de radio, charcuterie d'Alsace et andouilles de Vire, pralines, loteries, casquettes, lampes, et même des livres et bien d'autres choses.

Des souvenirs d'un autre temps... la Drôme provençale conserve ses trésors, ses vieilles pierres, ses champs arrachés aux pierres arides. Et vit maintenant aussi un modernisme dynamique que Barjavel préssentait et appréciait. Et n'est-ce pas sur un hymne à la Vie, et à l'espoir qu'elle apporte, que finit le roman :

Le Rocher ruisselle d'or, la neige s'émeut, la terre en ses profondeurs sait que le soleil qui s'était détourné d'elle lui revient. D'innombrables peuples de germes, encore emprisonnés dans les écorces dures, arrondissent les muscles qui les feront craquer. Les vieux amandiers tors, au bout de leurs lointaines racines, sentent se préparer le prochain printemps. La neige sera devenue rosée, les grillons enfouis jailliront de leurs trous en chantant. Les hommes mûrs, les hommes las, iront à leur tâche avec les joyaux et les lames et les cendres de leur jeunesse bien secrètement enfermés en eux. Des adolescents bouleversés embrasseront leur première fille. Des fleurs montera l'odeur de l'amour.



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AVIS DES VISITEURS


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  • "Aujourd'hui 9 septembre 1944,zéro heure trente..."
    Je commence à peine mon dixième roman de l'auteur merveilleux et romantique qu'est Barjavel : TARENDOL ! Et quelle est ma surprise lorsque, par hasard, tombant sur un écran déjà allumé, je découvre entre les nombreuses lignes le nom de "Barjavel" accompagné de celui de "Tarendol". Je n'avais, je l'avoue, jamais pris le temps de chercher moi-même. Il semble qu'une bonne étoile veillait sur moi aujourd'hui ! Rien de plus émouvant que de reprendre (même virtuellement !) le parcours de cet auteur fascinant et encore trop peu connu à mon goût. Merci pour cette charmante balade fort bien guidée !

    Blandine, 18 ans - 30 novembre 2001
     


COPYRIGHTS


  • Le texte du roman « Tarendol » est © Éd Denoël, 1946.
  • Cette page contient en elle-même actuellement peu de photographies. En effet, mon premier séjour dans la Drôme ayant permis de visiter Nyons et Tarendol a été trop court pour explorer complètement les lieux mentionnés. Le site de la Drôme Provençale mentionné plus haut est d'un grand secours et plein d'excellents conseils pour avoir une première vue de la région, je ne peux que recommander sa visite approfondie. Une prochaine visite personnelle me permettra je l'espère de compléter cette page de promenade, tant du point de vue iconographique que de l'analyse des lieux en regard de l'oeuvre de l'auteur.
  • Tout ce qui n'est pas mentionné ci-avant est © G.M. Loup.