D'un point de vue optique, couleur et lumière sont bien évidemment intimement liées. Et L'Enchanteur est une efflorescence de couleurs, qui font corps avec le texte et le parsèment de touches multicolores. Barjavel a introduit des détails propres au XXème siècle et à la conception occidentale moderne des couleurs. Eles participent à une mise en scène poétique du conte, mais elles ne sont pas qu'ornemantales. L'auteur les agence selon son propre code chromatique, à partir duquel nous pouvons lire l'histoire et en faire une des clés du conte. Libéré des contraintes du genre romanesque, il peut imaginer ses personnages et leurs univers comme des taches colorées, chacune constituant une image symbolique en relation avec les autres.
Le terme même de « couleurs » est employé 76 fois dans le texte. L'ampleur de leur utilisation est donc significative, et rares sont les pages qui n'en comprennent pas. On est ainsi amené à relever un "code chromatique" sur la base d'une gamme insoupçonnée en première lecture.
Fondé sur ces trois couleurs, ce code diffère quelque peu de celui du Moyen-Âge, pour lequel l'ordre de précédence était plutôt rouge, blanc et vert ou noir. Les couleurs auxiliaires contribuent par leur diversité à l'irisation du monde évoqué, avec une mention particulière pour le rose, mentionné 24 fois en tant que couleur et 48 fois comme nom de la fleur. Importance relative qui peut étonner dans un récit où se mèlent les guerres, les afrontements chevalersques et les inerventions de la force diabolique, car elle connote la douceur, l'enfance et l'innocence, mais ce sont là aussi des thèmes essentiels du roman. Et il ne faut pas oublier cette affinité prononcée de Barjavel pour le rose, et les roses, le mot étant effectivement récurrent dans son oeuvre plus que de raison, y compris dans les titres (Une Rose au paradis), et parfois sous forme cryptée comme le nom d'un des continents perdus de La Nuit des temps { explication }. Les couleurs voient leurs évocations déclinées, harmonisées et enrichies par des échelonnement de qualificatifs complémentaires
ou de périphrases imagées : par exemple le blanc est "blanc, blanc, blanc", ou "blanc-bleu de l'acier", ou encore "blanc mousseux" !
D'autres oppositions similaires complètent celle-ci sur les bases brillant/mat, vif/terne, clair/foncé et, plus moderne, chaud/froid. À côté de ces grandeurs mesurables au sens physique, une "non-couleur" apparait avec un rôle tout particulier, le transparent qui, étymologiquement, "laisse passer la lumière et paraître ce qui est derrière". Les peintres gothiques l'employaient comme symbole de chasteté matérialisé par un accessoire cristallin disposé dans leurs compositions. Cette propriété rappelle curieusement le chat du Cheshire et son sourire dans Alice au Pays des merveilles de Lewis Caroll, autre monde fabuleux et initiatique [ extrait ]... Est aussi transparente la maison de Bénie, mais dans un seul sens, comme certains matériaux optiques de haute technologie Le château que le Diable offre à Morgane, quant à lui, s'il est fait aussi de verre, n'en est que plus obsur car ce sont des glaces qui ne font que refléter les plantes vertes qui en ornent l'intérieur.
Comme on l'a vu, l'auteur complémente la nomination factuelle des couleurs par une qualification associée à des éléments de la Nature, appliquant en retour à celle-ci une coloration qui, selon les experts, n'était pas perçue par la Moyen-Âge. Selon le spécialiste Michel Pastoureau, la Nature était vue alors "en noir et blanc". L'innovation qu'apporte l'auteur est un rajeunissement du conte, mais il conserve néanmoins aux scènes et éléments "d'époque" une partie de cette vision en leur attribuant des effets lumineux tranchés. Les armes brillent au soleil : et Les hommes en armes portent des couleurs, qui approtent la lumière : Finalement, l'auteur bouscule volontairement la convention par certains attributs symboliques, montrant ainsi son indépendance d'esprit mais aussi sa grande connaissance des cultures et traditions religieuses du monde, et par là même son détachement vis-à-vis des dogmes : et Le code chromatique de L'Enchanteur se fonde sur trois couleurs fondamentales : le blanc, le rouge et le noir. Une multitude de couleurs gravite autour de celles-ci, qu'elles soient introduites par un adjectif qualificatif, une comparaison, une périphrase ou encore par le pouvoir évocateur de certains mots. Les nuances apportées par la lumière ajoutent du sens à la couleur à laquelle elle se rapporte et la situe soit du côté du bien, soit du côté du mal. Grâce à ce code, la couleur est un signal pour le lecteur ; elle déclenche des correspondances entre le support, le sens et la symbolique. Deux concepts gouvernent le texte et par-là même les couleurs, le bien et le mal, et la prééminence de la Naure. Celle-ci est à la base de nombreuses compositions colorées. Les couleurs ne sont pas toutes porteuses de symbolique et dans ce cas elles ne relèvent pas du sens de l'oeuvre. Néanmoins, ces couleurs à valeur descriptive ornent le texte et participent à l'ancrage du récit à la fois dans une tradition et dans un temps présent.
Il ressort que cet emploi des couleurs à des fins descriptives se complète, par la création des codes chromatiques récités, de références symboliques. Celles-ci s'appliquent différement selon le monde considéré. Ces mondes sont des familles de lieux, au delà de la cartographie humaine, et leur géographie même est la base du cadre symbolique. L'Ailleurs est au delà des terres connues. Les héros qui se déplacent entre les mondes utilisent un moyen
de transport maritime, désigné par l'auteur sous le terme un peu archaïque « les nefs ».
Le Monde céleste est le royaume de Dieu : c'est celui de la lumière pure,, ce qui le rend indescriptible. Les personnages qui y sont rattachés, même temporairement, portent sur eux cet aspect lumineux, même dans leur vie terrestre. Ainsi Galaad lorsque le voit Bénigne : Le Monde Mystique, ou plutôt comme on l'a vu initiatique : c'est le Château Aventureux du roi Pellès, qui abrite le Graal. C'est le monde des métaux précieux, de l'or en particulier. Les perceptions visuelles qu'en ont les chevaliers se déclinent selon des gradations de valeurs et d'aspects qui différencient la valeur des chevaliers eux-mêmes : Lancelot voit le roi retirer de l'eau alors que pour Galaad L'intérieur du château révèle sous les yeux du lecteurs qui accompagne Galaad dans son Initiation qui commence dès la description visuelle : la richesse visible des couleurs matérialise la richesse spirituelle dont ce lieu est le réceptacle, comme la piste que je propose dans la section les Lieux en est la marque. Le Monde subaquatique : l'eau qui en baigne les paysages, palais et habitants, n'est pas celle de notre monde ! Sa lumineuse transparence, qui surpasse semble-t-il celle duciel, contraste avec les caractéristiques habituelles de cet élément.
La littérature fantastique donne aux mondes de l'eau des dominantes bleues, ou bien plus courament vertes - au mieux celles de l'émeraude, mais souvent celle d'un glauque, adjectif dont on a presque oublié qu'il désigne une couleur.
Le Monde Souterrain : j'ai présenté dans la section les Lieux Mythiques que cet univers ne s'oppose pas au notre sur le plan mainichéen, aussi ce ne sont pas les couleurs associées à l'idée du Mal qui le représentent.
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