Le Musée Imaginaire
de RENÉ BARJAVEL

dans Les Nouvelles Littéraires
n° 1930 - 27 août 1964

Pour René Barjavel, l'Art - quelle que soit sa discipline - n'a de sens que s'il est utile. Plus exactement si son produit, l'œuvre d'art, sert à quelque chose. Cela ne signifie pas que l'Art "gratuit" n'a pas de raison d'être, bien au contraire, mais que la réception d'une œuvre ne vaut que par le service qu'elle apporte à qui entre en contact avec elle. Sinon l'exercice est vain, voire pire, comme Barjavel le qualifiera en 1970 pour des mouvements du milieu du XXème siècle, le surréalisme et le Nouveau Roman, dans son interview pour le fanzine Mal d'Aurore. Mais lisons ce qu'il écrit sur le sujet dans son Journal d'un homme simple (p 219 de l'édition de 1951 Frédéric Chambriand / Denoël) :

Le numéro 1930 des Nouvelles Littéraires
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Les arts sont en train de mourir parce qu'ils se sont vidés de toute signification. Ils périssent d'inutilité. Les architectes ne savent plus bâtir que d'horribles églises parce qu'ils ont perdu le sens de l'universel et ne savent plus comment toucher Dieu au coeur avec une pierre. Une cathédrale était une construction utile. Elle ne pouvait pas être construite n'importe comment. Il fallait connaître les lignes efficaces. C'était une usine à prières. Chaque élément de la chaîne devait se trouver bien à sa place pour que la production fût bonne... Posez un violon à côté d'un poste de T.S.F. Pourquoi le premier est-il si beau et l'autre si affreux? Parce que les formes du violon sont nécessaires. Chacune de ses courbes est exactement à la place qu'il faut pour que naisse et s'enfle le son. Le luthier a sculpté l'air, moulé les vibrations, étreint la forme même du son dans un minimum de matière presque impondérable. Si la forme du violon changeait, ce ne serait plus un violon. Tandis que le poste de radio peut avoir mille formes sans que ses qualifiés de son soient modifiées. Le son qu'il émet n'a rien à voir avec sa forme. C'est pourquoi on le bâtit n'importe comment. Sans nécessité. C'est pourquoi il est laid.
Quand l'architecte doit résoudre un problème strict, quand il se trouve devant des nécessités, quand il doit tout calculer, mesurer pour servir ces nécessités, il bâtit de nouveau les monuments qui peuvent être grandioses. Ainsi les barrages. Ils sont les cathédrales de notre temps. Au lieu de faire du surnaturel avec de la ferveur endiguée, ils fabriquent de l'électricité avec de la flotte. Il est vrai que nous sommes au siècle de la lumière et que le moyen âge était "ténébreux". Nous avons remplacé l'âme par une quarante bougies. Au moins ça, ça se voit.

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  Sauf pour de riches mécènes, se créer un environnement ou un patrimoine artistique selon ses goûts et ses besoins n'est pas à la portée de tous. Mais le superflu n'est-il pas plus indispensable que le nécessaire ? Il reste alors l'imagination ou plutôt la création mentale d'un tel univers personnel, que la plume permet de faire partager à un plus vaste public. Là aussi, peut-être acte gratuit, car finalement au delà de l'aspect esthétique, le lecteur pourra très bien se trouver étrangerà l'œuvre ainsi élaborée, à sa dynamique spatiale et aux résonnances personnelles qui ont amené l'auteur à ses choix.
Quelques décennies plus tard, la création d'un tel musée - dont le concept avait été lancé par André Malraux en 1947 - aurait été élaborée sous forme de montage cinématographique, puis de multimédia, et aujourd'hui de réalité virtuelle en attendant le Cinéma Total qui ferait partager la quasi-totalité de l'expérience... Le défi est ouvert, et s'il se trouve un maître créateur des nouveaux médias qui se sente inspiré par un tel projet, qu'il n'hésite pas à me contacter...
Mais laissons donc l'auteur nous présenter sa maison, son jardin qui s'étend à toute la planète, opportunément refaçonnée par des transformations géométriques dignes de la science-fiction, et ses promenades dans son musée iumaginaire, monde d'images, d'odeurs, de sons et de silences...



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 Le texte qui suit est la retranscription intégrale et fidèle de cet article des Nouvelles Littéraires du 27 août 1964, laissant intactes de menues coquilles typographiques. La culture et la sensibilité artistique personnelles de l'auteur étant très diversifiées, certaines allusions et éléments présentés peuvent apparaître obscurs au lecteur, a fortiori contemporain car en 1964 certaines de ces œuvres étaient de découverte ou de mise en valeur récentes.
Par ailleurs l'appréhension du monde visuel qui est offert ici à notre imagination peut difficilement se passer d'images des œuvres évoquées .Pour ces raisons, le texte est discrètement étoffé de notes et renvois selon deux modalités :

Ces choix permettent une lisibilité et une évenuelle impression du texte non altérées par ces ajoûts discrets ; pour la même raison les présentes explications n'apparaitront pas à l'impression)
Les illustrations dans le cadre du texte lui-même sont issues du document original, éventuellement re-produites pour une meilleure visibilité.
 


Le Christ de Vezelay

« Quand je sens
monter l'angoisse... »
le musée
imaginaire
de
  Dans les cerisiers
quelques Picasso
pour faire peur aux moineaux

RENÉ BARJAVEL

A la question « Quel est votre musée imaginaire ? », Maurice Druon, Michel Déon, Maurice Genevoix, André Pieyre de Mandiargues, Claude Roy, Marc Bernard, Jean Cayrol, Gaétan Picon et François Nourissier avaient répondu l'été dernier. Nous avons posé la même question à d'autres écrivains : après Pierre Gascar, André Chamson et Pierre Moinot, René Barjavel nous invite à le suivre dans la maison où il a rassemblé des chefs-d'œuvre selon son cœur.



La dame de Toulouse

Cousine ou sœur de la Dame à la Licorne

La maison m'attend, elle est prête. La troupe joyeuse de mes arrière et arrière-petits-enfants entre et sort sans cesse par ses ouvertures, comme des abeilles d'une ruche. Chacun se fabrique ses palais intimes à sa convenance, c'est pourquoi je ne me suis entouré ici que d'enfants, qui ne discuteront pas mes choix : ils s'en moquent. Ce sont des enfants calmes, qui ne pleurent que quand ils ont mal, qui ne crient pas, qui rient doucement et viennent, quand je les appelle, se rouler dans ma barbe avec affection.

Elle est située à , mon pays natal. C'est une petite ville provençale, entre le Ventoux et les premières Alpes. Trois montagnes familières la protègent contre les vents : Vaux, Gardegrosse et Essaillon. Pour connaître les montagnes de Nyons, imaginez-vous les flancs et l'échine d'une chèvre, avec ses poils, et agrandissez. C'est un peu rude, escarpé, mais pas du tout sauvage.

Elle est en grès de Souvigny, un peu rose, un peu doré, selon l'heure du soleil. Elle a la forme d'un rectangle dont on a ôté un des grands côtés pour l'ouvrir vers le sud. Elle n'a qu'un étage. Ses dimensions sont considérables et familières. Il faut beaucoup, beaucoup de chambres fraîches pour tous ces enfants. Elle tourne le dos à Vaux, la montagne du nord, et s'appuie contre elle à mi-chemin de l'Eygues. L'Eygues, c'est la rivière qui passe au fond de la vallée. Son nom signifie « l'eau ». Mais il n'y a d'eau que dans son nom.

J'ai abaissé la montagne Gardegrosse, qui bornait la vue vers le midi, et j'ai rapproché la Méditerranée pour garder sous les yeux une , où naviguent des voiles pointues. Sur le rivage sommeille un village de pêcheurs yougoslave, aux toits blancs. Dans un vallon proche, j'ai posé . Elle est basse, un peu grise, un peu jaune; bien ramassée autour de sa fonction interne. On dirait, vue de la maison, une brebis couchée. De l'autre côté du golfe, dans le lointain, s'esquisse le Vésuve, avec une île grecque à ses pieds.

A l'ouest, j'ai apporté un beau morceau de , où j'ai lâché . Le samedi après-midi, parfois, je traverse avec quelques enfants la pointe de la forêt, et nous allons, du haut du , voir couler l'énorme Rhin et passer les bateaux qui, sans arrêt, lui labourent le dos et disparaissent avec lui dans la brume au tournant d'un château pointu.

Au sud-ouest, j'ai disposé une colline florentine, calmement vêtue de cyprès, de villas blanches et de fontaines. Au pied de la colline, incongrue mais bien acceptée, , dont j'ai remplacé l'intérieur par un bouillonnement de baroque catalan, rien que des anges d'or.

A l'est, je me suis contenté de poser sur le Dévès, la colline de rocher sec au pied de laquelle Nyons s'est bâtie, . Les soirs de très beau temps on peut apercevoir entre les colonnes, très loin, l'immensité des neiges de l'Himalaya reflétant le soleil couchant.

Aux quatre points cardinaux, j'ai installé quatre nids furieux de bazookas automatiques, avec mission d'anéantir tous les véhicules à deux roues ou à moteur Diesel qui tenteraient de s'introduire dans le paysage. Je ne veux pas parler, bien sûr, de la douce bicyclette, mais de ses cousins à pétrole qui déplacent avec eux, dans les silences ruraux, des cercles d'horreur de dix kilomètres de rayon.

Entre la maison et la forêt, jusqu'au ras des fenêtres, j'ai fait pousser des tilleuls centenaires, qui fleurissent toute l'année, pour nourrir les abeilles et endormir les enfants. Au milieu des tilleuls, une source sourd de terre, transparente et silencieuse, à peine gonflée, comme un sein de douze ans, et se perd nulle part après avoir nourri un tapis de mousse épaisse et fleurie de fleurs qu'on ne peut voir que si on veut les voir. Quand vous me rendrez visite, vous serez reçu au bord de la source par .

Vous ne la connaissez pas ? Elle n'a pas encore fait ses débuts officiels dans le monde. Je l'ai rencontrée pour ma part au cours d'un voyage à Toulouse, il y a quelques mois. On m'avait dit : « N'oubliez pas de visiter le musée des Augustins. Il contient la plus belle collection de sculptures romanes qu'on puisse rencontrer. » J'y fus, et j'y trouvai une assemblée tragique de cadavres de pierre en train de pourrir, la peau entièrement recouverte par une lèpre noire qui, par endroits, se soulève et éclate en pustules pulvérulentes. Parmi ces fantômes ténébreux, une vivante m'accueillit, une jeune femme exquise, un peu mélancolique, que la maladie n'avait pas encore atteinte parce qu'elle était depuis peu en ce lieu funèbre. Je m'arrêtai longuement devant elle, retrouvant la même émotion qui m'avait étreint lorsque j'avais rencontré pour la première fois . Elle est sûrement sa cousine ou sa sœur.

Elle est de pierre blonde, récouverte d'un enduit blanc qui s'écaille et l'a peut-être protégée contre la peste. Je me permets ici de prier la municipalité de Toulouse, ou M. Malraux, de prendre des mesures urgentes pour sauver ce chef-d'œuvre avant que ne l'atteigne le mal qui est en train de détruire les splendeurs entassées en cet endroit funeste. D'ailleurs, elle n'a rien à faire dans ce musée roman. C'est une Dame de la Renaissance, il faudrait la débarrasser de cet enduit livide, qui lui donne l'air d'avoir besoin d'être débarbouillée, et la placer en pleine vie, dans un de ces beaux lieux publics qui ne manque pas à Toulouse Pourquoi pas au Capitole ? A se sentir entourée, frôlée par les vivants, elle revivra comme une perle portée.

Quand elle sera sous mes tilleuls, je lui donnerai pour compagnon , de Reims. De la forêt proche, les biches viendront la nuit s'endormir à leurs pieds, et, le jour, les enfants leur jetteront des poignées de feuilles d'automne.


 
 
 Au pied
du géant
de Tronçay

Il y a des jours d'été pleins de certitude, où la terre et le ciel sont parfaitement à leur place dans le paysage bien équilibré. Ces après-midi-là, celui qui ose dépasser l'aimable clairière de la soirée et s'enfoncer dans la forêt de chênes entend peu à peu les bruits s'éteindre autour de lui. Les oiseaux, les cerfs, les arbres, le vent se taisent et écoutent. Au pied du géant de Tronçay, un chêne qui avait vu bâtir les cathédrales, qu'on a tué l'an dernier, et dont les dépouilles ont empli trois trains exténués, le bouddha d'Angkor, connu sous le nom de sourit dans la paix. A quelques pas de lui, le , de Michel-Ange, à peine descendu du Sinaï, fait des efforts effrayants pour enpêcher ce qu'il vient d'apprendre de faire sauter sa calotte crânienne. Il a l'air d'une pile atomique sur le point de s'emballer. Il doit se taire, se taire, se taire ! Aux hommes qui attendent le message, il donnera un réglement et des contraventions.

A la troisième pointe du triangle, le , d'Histtiaea, nu dans sa majesté, sa barbe aiguë comme un ciseau d'acier, ses cuisses écartées assurant l'équilibre du monde, étend les bras dans le geste d'une Croix sans blessures. Tous les trois savent et se taisent. Au milieu d'eux, , attentif, prêt à noter sans défaillance, attend depuis les commencements qu'ils veuillent bien se mettre à parler. Il écoute, la forêt écoute. Les hommes écoutent. Silence... Sans doute il ne suffit pas d'attendre et d'écouter.

Devant la maison, entre ses bras, dominant l'horizon florentin et le village aux toits de craie, un miroir d'eau reflète , de Maillol, posée en son centre sur un court piédestal. Il suffit de le désirer sans même l'exprimer pour que la surface de l'eau monte jusqu'à effleurer la statue, la plaçant au ras de son reflet, enre deux ciels. Il suffit d'ôter ses chaussures, comme dans un temple, pour s'approcher de la statue, la voir de prés et la toucher. J'ai passé un après-midi autour d'elle, dans la cour de la préfecture de Perpignan, à la photographier sous tous les angles, debout, accroupi, perché, penché, couché. Et toujours, et de partout, elle était belle. Elle est achevée, parfaite, totale. Heureux préfet...

Dans le jardin de l'est, symétrique aux tilleuls, j'ai fait dresser un mur de briques anciennes crépi de blanc et blanchi à la chaux.Il capte l'ardeur du soleil et la renvoie aux qui sont ici deux fois plus hauts qu'en Espagne et qui ouvrent leurs fruits saignants en même temps que leurs fleurs brûlantes. Et dans leur ombre verte et rouge, , de Maillol, ouvre les bras au superbe et vaillant . A deux pas, ses sœurs, et attendent, paisibles et blanches, parmi les figuiers.

Dans les cerisiers, pendus par le cou, . Un peu peur, pas trop, juste le temps des cerises. Après, même les oiseaux s'habituent.

Toutes les fenêtres de l'intérieur du rectangle donnent sur le patio où se repose en sa perfection. Les fenêtres extérieures de l'est et de l'ouest s'ouvrent sur les grenadiers ou les tilleuls. Il n'y a pas de fenêtres vers le nord. Les chambres du nord sont pour les amis nostalgiques qui trainent avec eux, partout, la chaîne d'un souvenir. Chacun trouvera dans une de ces chambres l'évocation de son regret : d'Utrillo, une femme solaire de Renoir, ou la lunaire , de Gustave Moreau ou la nostalgie de la mort sur les lèvres apaisées de . Pour les femmes qui ont besoin de frémir de peur au bord de l'amour, , d'Odilon Redon.

C'est au nord également que se trouve la Cabinet de punition. Il est entièrement tapissé de . Tout enfant qui pleure sans raison y est aussitôt enfermé par les autres. Devant tant de tristesse inutile et glacée, son instinct de conservation réagit. Il jaillit hors du Cabinet comme on se tire de l'eau après avoir failli se noyer, il se jette au soleil, suffocant et riant de soulagement. Il ne recommencera plus.

Les chambres des enfants sont peintes par eux-mêmes. Ils ont une piscine dont les parois, sous l'eau transparente, sont recouvertes de céramiques de Miro. Ils se frictionnent avec des serviettes-éponges non figuratives.

A la cuisine, , réduite à des proportions plus raisonnables, sert de rape à fromage.

La cave est la grotte d'Altamira.


 
 
 Le soleil
dans
la maison

Dans mon cabinet de travail m'attend , du monastère du 5ème roi, de Bangkok. Il m'attend et ne me voit pas venir tous les jours...Et quand je viens, je me contente souvent de le regarder. Il est l'image même de la pensée en mouvement, de l'univers en mouvement. En le regardant longuement, il arrive qu'on ait parfois, en un éclair, la certitude de l'accompagner. Mais on se retrouve aussitôt, pesant, écroulé sur la chaise, en marche seulement vers la décomposition. Alors je regarde , du vieux père Bruegel. Cette paire de jambes dérisoires qui s'agite un dernier instant avant de disparaître et que tout le monde ignore. Icare a voulu ateindre le soleil, Icare est mort, personne n'en sait rien et le monde continue. Le soleil est toujours là...

Le soleil est dans la maison, en bas, dans la grande salle horizontale, séjour, carrefour, fauteuils, escaliers. Pas de grande cheminée, mais plusieurs petites. Je ne veux pas faire assassiner des arbres pour les brûler. Nous ne brûlons que le bois mort, et des brassées de buissons secs, d'herbes de toutes odeurs, chaque odeur, chaque feu, groupant autour de lui ceux qui l'aiment. Et le feu des feux : , de Lurçat, brûlant les murs. Son soleil, son coq, ses arbres, ses animaux, son soleil encore, partout, empêchant les ténèbres d'entrer dans la maison, même au noir des plus noires nuits. Au milieu de la pièce, sur une table ronde de noyer ciré, les de Van Gogh, dans un vase bleu de Nevers. A terre, une vraie tortue, d'une demi-tonne, et des tapis chinois, de minces tapis de soie à travers lesquels le pied nu sent le grain de l'unique dalle de grès de Souvigny dont le sol est fait. A l'aube, le coq chante et la tortue s'éveille.

Je m'éveille beaucoup plus tard. J'ouvre les yeux pour voir, occupant tout le plafond, un dessin de Rémy Hétreau qui me dit que le monde est harmonieux, lumineux, équilibré, et que l'homme y a sa place comme dans une danse.
 


Dessin de Rémy Hétreau
« Harmonieux, lumineux, équilibré »

Rassuré, je me lève, je suis accueilli par le doux visage de du Maître de Moulins, qui se penche hors de sa gloire pour me tendre son enfant. Je l'embrasse, avant d'aller embrasser tous les miens. Le soir, quand je reviens, je passe par une petite pièce nue et blanche où l'Enfant l'attend. Il a grandi. Il a pris le visage terrible, le corps déchiré, du de Perpignan. Je passe, vite, vite, il faut pouvoir dormir... Faut-il ?

Bien sûr, il y a une pièce pour Elle, bien entendu, rien que pour Elle, pour . Elle est tout à fait en haut de la maison, difficile à trouver, difficile à atteindre. On n'y parvient qu'après avoir grimpé, couru. Exténué. Pour recevoir tout à fait le choc de la perfection qui par sa seule présence autour de soi, sur les murs qui ont acquis la profondeur, fait disparaître à l'instant, totalement, le doute, la fatigue, l'ennui, suintés par notre médiocrité. On la quitte apaisé et nostalgique, sachant que ne se rencontreont jamais plus, dans notre monde, les circonstances, les génies et les métiers dont la conjonction a permis la naissance de la Dame : celui qui la conçut, celuit qui la peignit, ceux qui tissèrent, ceux qui baignirent les laines, celles qui les filèrent, ceux qui firent les teintures. Et la Dame ? Et la licorne ? C'est la pointe exquise d'une civilisation. La fin. Il n'est resté que les brebis.

Voilà à peu près quelle est la maison. J'ai oublié quelques pièces, secrètes ou vides. Condamnées ou en attente.

Quand je trouve la Méditerranée trop belle, l'horizon trop proche, quand je sens le poids du soleil et cherche en vain, au-dessus de la fumée du Vésuve, les ailes d'Icare, quand, malgré tous ces trésors réunis et cette lumière et ces enfants, je sens monter l'angoisse, je fait le tour de la maison. Je m'adosse au mur du nord, ce mur sans fenêtres, et lève les yeux. Devant moi, , le Christ tourbillonnaire, m'invite à passer le portail. Derrière, a nef a disparu. A sa place, escalier géant brûlé par trois mille ans de soleil grec, envoie ses gradins vides à l'assaut de la montagne déserte. Au-dessus de la montagne, la fumée d'un avion dessine et que le vent emporte et dilue. Icare ? Il faut monter à pied...
 
 

Notes

Les index correspondent aux notes de renvoi dans le texte. Elles visent à compléter et clarifier les allusions qui pourraient le nécessiter.
 



Notes éditoriales

La présente page a été créée en mai 2005 et présentée par la Lettre de G.M.Loup de cette date.