Il n'y a plus pour vous de « Voyages extraordinaires », tout vous est ordinaire.
Parce que les merveilles sont quotidiennes dans le monde où vous êtes née,
vous avez perdu l'émerveillement.
C'est ce qui vous manque, cette petite flamme,
cette étincelle dans l'oeil, cette bouche un peu ouverte...

Mes chers Amis,

La mort du Pape tourne une page de l'histoire, que les spécialistes et historiens retiendront comme marquée par l'action, l'ouverture et le dynamisme, mais qui touchera sans doute plus notre monde contemporain, toutes confessions et convictions confondues, par la longévité de son pontificat. Celui-ci est encore plus symbolique pour s'être terminé par un véritable chemin de croix, les derniers mètres de souffrance parcourus, tel Job, dans une agonie qui, aussi douloureuse fût-elle, n'aura jamais entamé la foi et le sens du devoir du supplicié de Dieu. Ces valeurs bien Barjavéliennes, l'abnégation, le sens du devoir, la persévérance au mépris de la douleur physique, nous les retrouvons peut-être de façon plus marquée chez ces héros portés par leurs convictions Chrétiennes : exacerbées chez Roland de Roncevaux, épiques chez les chevaliers du Graal, romantiques chez Hugh O'Farran, le jeune révolutionnaire Irlandais des Dames à la licorne, aveugles et refoulées chez Olof, le scientifique de la Tempête, au dépit amoureux si fort qu'il veut entraîner dans sa chute l'humanité toute entière. Ce dernier entame un discours avec un pape dont le dynamisme et l'action ne sont pas sans évoquer Jean-Paul II dans ses jeunes années, pape athlétique, bouillonnant, rebelle et, d'aucuns jugeraient, radical :

“ - Olof ! cria une voix, ici le Pape !
Olof fut secoué comme par une décharge électrique.
“Olof, tu es polonais, tu dois être catholique ? Réponds-moi !
- Oui, souffla Olof.
- Es-tu croyant ?
- OUI, dit Olof.
- Regarde-moi !... Ne peux-tu avoir le courage de me regarder, et de me montrer ton visage ? Montre-toi ! Et regarde-moi !
OUI ", dit Olof.

Barjavel s'était lui-même adressé au Pape dans son article au Journal du Dimanche du 19 octobre 1980, aini que dans sa réponse au courrier de ses lecteurs le 9 novembre suivant. Ces articles sont archivés depuis quelques temps déjà sur le barjaweb On pourra les retrouver sur les pages

http://barjaweb.free.fr/SITE/ecrits/JDD/art_jdd.php?jma=191080

et

http://barjaweb.free.fr/SITE/ecrits/JDD/art_jdd.php?jma=091180

Le Pape est mort, et quelques jours après lui, le Prince de Monaco, pendant qu'au nord de l'Europe, les noces princières enjambaient le calendrier en écho. Nous avons retrouvé ces dernières semaines cette atmosphère de sensationnalisme où l'histoire et le spectacle entament une danse un peu ambiguë. Considérant un tel phénomène et notamment son extension à des icônes s'appuyant sur les valeurs de notre temps, Barjavel commentait déjà avec justesse et précision le 11 octobre 1970 :

Il n'y a pas si longtemps, deux morts seulement étaient capables d'émouvoir une nation entière : celle du Pape et celle du Roi. Encore étaient-ils des entités sacrées et inconnues plutôt que des êtres. Chaque citoyen s'inquiétait seulement de la santé de son voisin, parce qu'il ne connaissait pas plus loin. En notre temps, le voisin est devenu anonyme, mais nous voyons, dans notre propre salle à manger, mourir assassiné un président de l'autre côté de la Terre.

Nous voilà avec les événements récents en quelque sorte revenus aux sources ! Et qui d'entre nous n'a pas été, face à ces événements historiques, d'abord un spectateur ? Mais l'histoire continue, nous balaye comme des vagues de l'océan qui s'écrasent sur les rochers qui, eux, demeurent. L'une de ces grandes figures au regard du temps et qui était une référence pour Barjavel fête cette année un anniversaire, lui aussi obituaire. Il s'agit de Jules Verne, pionnier au XIXème siècle du roman d'anticipation, comme le sera Barjavel au XXème siècle pour ce qu'il sera alors convenu d'appeler "la science-fiction". Cette appellation ne plaisait pas beaucoup à notre auteur, qui dans un style d'interview qu'il semblait affectionner, répond à son interlocuteur :

- Monsieur Barjavel, vous qui êtes un spécialiste de la science-fiquecheûne...
- Pardon, vous dites ? la science-fi-quoi ?

Cet article issu des Nouvelles Littéraires de 1966 et intitulé « Sans lui, notre siècle serait stupide » est un hommage au grand auteur dont nous commémorons cette année le 100ème anniversaire de la disparition. On trouvera une retranscription ainsi que quelques commentaires ajoutés par mes soins à l'adresse suivante :

http://barjaweb.free.fr/SITE/documents/NL_240366.html

La jeune journaliste - virtuelle comme vous le découvrirez - n'est pas ménagée, le style est chahuteur, les métaphores toujours aussi cinglantes ou profondes, mais surtout, Barjavel parle de l'un de ses pères spirituels, qui l'aura inspiré jusqu'à l'intitulé de ses premiers romans comme extraordinaires. Ce témoignage d'admiration, d'amour et de respect d'un précurseur à un autre est le bienvenu pour cette année symbolique ; j'en recommande à tout le monde la lecture afin d'exorciser la citation qui ouvre la présente lettre et en vue d'une guérison totale, avant de se replonger dans ces aventures du siècle passé, voyages en ballon, sous les mers, autour du monde, qui n'auraient pas déplu au Pape et que de nombreuses manifestations vont rappeler durant toute la présente “Année Jules Verne”...
Et nous verrons à l'automne si de semblables commémorations viennent aussi honorer le souvenir du père d'Éléa, Olof et Zoran...

Pary sur Arche, le 14 avril 2005

G.M. Loup.