La lettre de G.M.Loup d'avril 2005, consacrée principalement à
la présentation de l'article de René Barjavel aux Nouvelles Littéraires en hommage à Jules Verne, comportait une
référence à l'actualité immédiate puisque celle-ci se trouvait alors intensément focalisée sur la disparition du Pape
Jean-Paul II, au terme d'un long pontificat.
Cette lettre m'ayant valu quelques réactions de lecteurs à ce qui a pu apparaître comme une allégeance à l'actualité
dans ce qu'elle peut avoir de spectaculaire (sur ce point il suffisait d'attendre quelque jours pour voir l'"Actualité"
sembler oublier totalement le sujet...), ou, curieusement, à des idées religieuses ou autres qui ne regardent que
l'individu mais n'ont pas lieu de faire l'objet de prosélytisme sur le barjaweb,
ni dans un sens ni dans l'autre. Parmi celles-ci ce message qui me servira de synthèse et de support pour réfuter les critiques qu'elles formulent, s'il en était besoin.
----- Message d'origine -----
De : "Lupi Nicolas" <moukoko85hotmail.com>
Envoyé : lundi 18 avril 2005 12:42
Objet : RE: La lettre de G.M.Loup no 50 - avril 2005 : Voyages extraordinaires et grands passages de la vie
Cher monsieur Loup
Sans remettre nullement en cause la richesse du travail que vous avez
entrepris avec le barjaweb, sans remettre en cause non plus le talent de
l'auteur, vous faites parfois preuve d'une partialité qui pourrait être mal
interprétée.
Imaginez une jeune personne influençable lisant votre newsletter, lisant
même certaines de vos analyses critiques sur les romans de Barjavel... des
faits ne sont pas clairement dits, me semble-t-il (je n'ai évidemment pas lu
l'intégralité des informations que vous mettez avec bienveillance à notre
disposition), et la dernière lettre (n°50) m'a paru vraiment trop engagée
dans un des plus mauvais aspects de Barjavel pour ne pas réagir.
En effet, il ne faut pas omettre, dans la carrière de cet écrivain, un
paradoxe certain au sujet de ses convictions : parfois visionnaire, grand
romancier, il a su aussi se révéler très conservateur dans sa manière de
penser, pour ne pas dire réactionnaire (voir le très énervant Journal d'un
homme simple, ouvrage qui m'a énormément surpris car, justement, je pensais
Barjavel "le penseur" détaché de stupides considérations ethniques, sociales
et politiques comme il en fait étalage). Et votre lettre, dont les trois
quarts sont consacrés au pape, paraissent suivre la même voie d'occultisme
des faits : vous omettez de dire que le spectacle offert par la télévision
était obscène ; qu'il s'agit là d'information monopolistique qui permet de
détourner l'attention d'autres faits qui fâchent ou qui "n'intéressent
pas" (tremblement de terre en Thaïlande : 2000 morts ; temps d'antenne : 0) ;
que cela permet de rassembler une certaine catégorie de population autour
d'une même "ferveur", totalement illusoire d'ailleurs car vous n'êtes sans
doute pas assez naïf pour ne pas voir que le catholicisme est devenu un
vaste business ; que c'est précisément sous Jean-Paul II que l'église a
récupéré le capitalisme (ou a été récupérée par lui), avec toutes les
injustices que cela peut impliquer ; qu'il s'agit là de la mort d'un homme,
non d'un dieu ou d'un demi-dieu, et que des comme lui (je veux dire de la
même espèce : humaine) meurrent, chaque jour, dans des conditions bien plus
atroces ; et enfin, chose non négligeable que personne ne semble décidé à
dire : ce pape fut un souverain catastrophique : quel rapprochement des
ethnies ? Ses voyages étaient des campagnes publicitaires. Quelles autres
qualités? Contre l'avortement, contre le préservatif, et pas pour le bonheur
des petits embryons croyez-moi, mais pour multiplier cyniquement les
populations de fidèles en Amérique du Sud et en Afrique, sans tenir compte
de la menace du SIDA (qui s'est propagé à certains endroits pour cette
précise raison religieuse). Du reste l'église catholique a été,
historiquement, de tous les mauvais coups (monarchie totalitaire, croisades,
inquisition et, n'en doutons pas, nazisme plus récemment), et cela me fait
toujours sourire (c'est aussi le cas de toutes les autres religions) de
constater que les fervents croyants (catholique en l'occurence) se basent
sur un livre mille fois corrigé et adapté, dont le succès se base uniquement
que le grand talent littéraire de Paul (qui, rappelons-le, était palestinien
et s'appelait Saül, et n'a jamais connu le Christ, ni bien sur sa prétendue
résurrection), ainsi que sur les belles paroles d'une secte juive (eh oui,
au départ, mais je suppose que je ne vous apprend rien) dont le leader était
particulièrement charismatique.
Enfin, monsieur Loup, je tiens à vous préciser que tout ceci n'est qu'une
remarque d'ordre général sur ce qui m'a gêné, à la fois dans certains de vos
propos et, fatalement, dans le personnage de René Barjavel, qui fut
indispensable cependant à mon ouverture d'esprit. Et c'est un "jeune" de 20
ans qui vous dit ça.
Respectueuses salutations
Nicolas LUPI
moukoko85@hotmail.com
Ce message soulève des points intéressants, et la politesse de son argumentation est appréciable et assez rare à notre
époque, surtout par le biais d'Internet.
Concernant la partialité, ou plutôt le manque d'impartialité reproché aux présentations et analyses du barjaweb,
il semble au contraire que s'y trouvent présentées avec autant de "zèle" les périodes "sombres" de Barjavel que
celles "glorieuses". En guise d'exemple sa publication dans des journaux collaborationistes (Je Suis Partout),
nullement occultée et même présentée clairement lors du moulin littéraire
des Journées Barjavel 2004, son vocabulaire, certes d'époque, mais parfois malséant (ainsi dans Roland le chevalier plus fort
que le lion ses "horribles nègres, qui sont plus noirs que l'encre est noire"), l'influence vichyste dans la thématique
de Ravage (voir), son opinion parfois tranchante
du genre féminin et diverses autres positions, souvent moins à contrepied des sensibilités communes et actuelles, mais qui
peuvent avoir leurs adversaires. Au point qu'une page
du site est justement consacrée à
Loin donc de faire un quelconque "prosélytisme" vis-à-vis des opinions de Barjavel, quelles qu'elles aient pu être -
et leur analyse plus précise montre d'ailleurs qu'elles ont considérablement évolué au long de sa vie - le
barjaweb présente donc des faits et analyses (certains
affectionnent le terme "exégèse"...) laissant chacun libre de se faire une opinion. Une règle cependant s'impose, tant
pour les auteurs du site que ses visiteurs : “si vous n'aimez pas, n'en dégoûtez pas les autres”.
Concernant l'évocation de l'actualité, et la saturation médiatique ont la mot du pape a fait l'objet (là encore, il
ne peut s'agir que d'une opinion personnelle), G.M.Loup n'est nullement responsable de ce qui est montré à la télévision !
La Lettre évoque l'actualité quand elle est significative, un point salué par sondage. La mort du pape est un de ces
événements significatifs, s'il en est. La relation avec le monde de Barjavel, exprimée par les citations et références à
quelques articles resitue cette actualité dans ce contexte.
Quant à l'accusation d'occultation d'autres événements eux aussi significatifs, qu'en dire ? cet argument est
assez typique, et d'ailleurs
serait-ce parce que l'on ne parlera pas [du Pape] que les petits enfants du Cambodge seront plus heureux ? (article sur les animaux)
Aussi, et concernant plus généralement les aspects liés à la religion, La lettre invite, avec Barjavel, à la réflexion
sur cet état de fait : la mort d'un roi et la mort du pape, seules capable d'émouvoir un peuple : n'avons nous pas
été spectateurs, parfois voyeurs ? Et sur les positions, parfois divergentes d'ailleurs, des collaborateurs de
G.M.Loup concernant le pontificat de Jean-Paul II (ou tout autre sujet), ce n'est pas l'objet de la Lettre d'en faire état.
Ce genre de débats a opposé en privé des collaborateurs de G.M. Loup, qui sont partagés sur la question.
Mais de toute évidence les avis personnels n'ont pas à s'exprimer, seule une vision neutre et
impartiale le peut, celle que nous avons rapportée dans la lettre.
Enfin les autres remarques, d'une certaine "éruditition", sur les considérations bibliques et religieuse, me
semblent définitivement hors sujet. Mais pour rajouter un peu à cette érudition, je signalerai que Pierre s'appelait
Shimoun et Jacques Jacob. Cela apporte-t-il quelque chose ?
Enfin pour rendre la parole à Barjavel, je ne peux que citer son avis de protestant sur les Églises (toutes confessions confondues),
exprimé dans son article du 24 août 1969 (rapporté dans Les Années de la Lune) qui ne doit pourant pas être interprété comme une déclaration d'anticléricalisme "primaire" :
HONTE, HONTE, HONTE AUX EGLISES ET A LEURS SERVITEURS
Je suis protestant. Et j'ai honte.
Je regarde mes mains : elles sont rouges du sang et du feu de Belfast.
Je pense à mes ancêtres, paysans de la Drôme, qui se sont fait hacher, génération après
génération, pour la liberté et l'égalité des droits. Et voici leur descendant, mon frère : le
pasteur Paisley, de Belfast.
Vous l'avez vu et entendu. Son visage de pierre, fermé comme un poing. Sa parole ininterrompue,
jaillissante de violence et de haine. Un pasteur, un homme de Dieu, organisateur de milices
d'assassins, un pasteur incendiaire prêchant la chasse à l'homme et la justifiant. Un
pasteur... J'ai honte.
J'avais appris, étant enfant, que nous avions, pendant des siècles, été des victimes
pourchassées et que nous émergions à peine d'une longue persécution. Et voici que je me
découvre aujourd'hui du côté des tueurs. Je préférais l'autre position.
Il y a trente ans, ou presque, le cardinal Spellman, catholique, bénissait les bombardiers qui
allaient brûler au phosphore les femmes et les enfants de Dresde. Les soldats américains du
Viêt-nam assistent au culte ou à la messe avant de partir à l'assaut. Il y a toujours un
prêtre, protestant ou catholique, qui vient justifier les massacres et bénir les tueurs. Juifs
et musulmans s'étripent à Jérusalem à cause d'une mosquée. Où est Dieu dans tout cela ? Comment
ces hommes qui se prétendent ses ministres osent-ils prononcer SON nom ?
Nous en avons vu deux, un pasteur et un curé, côte à côte, regarder d'un air contrit un tas de
briques fumantes qui avait été une maison de Belfast ou de Londonderry. Comme ils avaient l'air
désolé, les chers hommes ! On les sentait tout prêts à répandre des flots de bonnes paroles et
peut-être ont-ils murmuré ensemble quelques bénédictions sur ces ruines qui pouvaient encore
recéler des victimes concassées.
Mais où étaient-ils pendant la bataille ? Pendant les nuits effrayantes où la haine flambait,
que faisaient-ils en leurs presbytères ? Dormaient-ils ? Regardaient-ils la télévision ?
Accordons-leur que peut-être ils priaient. Accordons-leur que peut-être ils ne priaient pas
pour la victoire de l'un ou de l'autre camp, mais pour que cessât l'absurde et horrible
violence. Il n'empêche qu'ils sont restés à l'abri, tous, dans leurs maisons éloignées des
flammes et du danger, même le sinistre Paisley qui, comme tous les chefs de guerre, ne tue que
par personne interposée.
Il s'agit d'une guerre de religion. Toutes les imbrications politiques
et sociales n'ont fait que se greffer sur la haine séculaire et imbécile qui anime l'une contre l'autre les deux
parties de la population au nom du même Dieu.
Cette haine, seuls peuvent la faire cesser les prêtres des deux
Églises. Et nous aurions voulu les voir arriver en masse au milieu du combat, se jeter ensemble devant les barricades,
entre les combattants, joindre, à ce moment, leurs mains et leurs paroles et, s'il le fallait,
dresser leurs poitrines devant les mitraillettes.
Trop tard la prière commune devant les décombres, trop tard...
Églises, Églises, qu'êtes-vous devenues ? Le Pape baise la terre au-dessus des martyrs
africains morts jadis ou naguère. Mais il y a les vivants d'aujourd'hui qu'on martyrise. On
interdit l'entrée du Vatican aux mini-jupes, aux shorts et aux épaules nues. Comme c'est
important ! On embrasse la barbe du patriarche, on se fait des sourires oecuméniques par-dessus
la Bible, on se demande si on pourra s'entendre malgré les points de vue différents sur
l'Assomption de Marie, mais que des chrétiens se mettent à hurler de haine les uns contre les
autres, puis à s'entretuer, il n'y a personne, pas un curé, pas un pasteur pour se jeter au
milieu d'eux et essayer d'éteindre l'incendie au risque d'être brûlé vif. Pasteurs et curés
attendront dimanche pour monter en chaire prêcher l'amour du prochain.
Honte, honte, honte aux Eglises et à leurs serviteurs.
Pour conclure je tiens néanmoins à remercier M. Lupi pour avoir pris la peine de formuler des
remarques qui, même si je les crois mal fondées, sont recevables et respectables. J'ai surtout voulu
défendre l'impartialité et l'intransigeance du barjaweb
sur les sujets qu'il traite. Le Pape n'est après tout qu'un sujet bien périphérique dans ces considérations générales,
et si l'on en croit les controversées prophéties de Saint Malachie, notre prochaîne évocation du Saint Père sera
d'une nature autrement plus captivante... Peut-être seul Saint-Menoux sait si Olof sera alors une fois encore l'objet de
ce prochain (mais sûrement lointain) rendez-vous épistolaire.
Nous en reparlerons à cette occasion !
G.M. Loup, le 24 mai 2005.