- Les journées Barjavel à Nyons du 20 au 22 août 2021 -

La présentation de Pierre CREVEUIL :

Au-delà du romantisme, l'érotisme de René Barjavel...

   classé X ?…
classé X ?…

René Barjavel songeur, à Paris
René Barjavel songeur, à Paris

Cette conférence a été donnée dans le cadre des Journées Barjavel, le samedi 21 août 2021 à Nyons (voir la présentation), à l'Ancien Tribunal, place de l'ancienne mairie. par Pierre Creveuil, président de l'Association des Amis de René Barjavel et représentant de G.M.Loup.


Cette version imprimée de la transcription de la conférence du 24 août ne permettra pas bien sûr de rendre les animations interactives offertes par la page Internet, ainsi que les documents audiovisuels qui ont été proposés au public. Apparaissent également sur la présente page des liens soulignés vers de nombreuses pages de compléments, qui n'ont bien sûr d'effet que lors de la consultation du site barjaweb.

Des extraits audiovisuels, "joués" lors de la conférence, peuvent être écoutés grâce aux "players" présents sur la page.
Pour le confort évident, il convient de n'en activer qu'un à la fois…

Conventions typographiques :

     - Texte du conférencier

- Citation de Barjavel (lue pendant la conférence)

- Citation de Barjavel (lue lors du spectacle de Philippe Altier et non lue pendant la conférence car )

- Citation de Barjavel (lue lors du spectacle de Philippe Altier et peut-être non lue pendant la conférence)

Ordre du jour !

QUOI ? Barjavel érotique ?…

Eh bien… regardons ce programme TV (Télé 7 jours) du 17 novembre 1978

Il annonce la célèbre émission Apostrophes, en 1978, qui amène les

SOUPÇONS !


La Nuit des temps, livre érotique ?

Mais qu'en pense l'auteur lui-même ? Regardons ce petit dialogue jusqu'au bout


érotiquement ?
- oui, érotiquement

Clairement, Barjavel n'est pas d'accord. Et c'est ce point qui m'a paru très intéressant à analyser.

Que venait-il faire dans cette galère ?

Mais d'abord… que venait-il faire dans cette galère émission ?
Tout simplement, et en quelque sorte à la place d'honneur juste à la droite de Bernard Pivot, présenter son livre
Les fleurs, l'amour, la vie. Et, sa « mise sur la sellette » vaut la peine d'être revue !

Les fleurs, l'amour, la vie.

Nous voilà fixés. Pour ceux qui ne le savaient pas (!!), il est bien clair que :

Dans la nature, chaque fleur est un sexe.

Alors, y a-t-il dans l'œuvre de Barjavel un tant soit peu d'érotisme, plus ou moins intriqué (peut-être au sens de la physique quantique !) aux histoires d'amour (qui y sont omniprésentes) ?
Et comment l'écriture, la sensibilité, et la pensée, de Barjavel ont-elles évolué sur ce thème ?

Nous avions vu en 2013 que son tout premier livre, retranscrivant ses conférences à Vichy et Moulins, Colette à la recherche de l'amour abordait la question du point de vue… d'un tout jeune homme d'à peine vingt ans. Ce qu'une correspondante "d'un certain âge" lui avait fait savoir dans l'annexe qu'il a intelligement intégrée au livre.

Mon enfant,
Je peux me permettre de vous appeler ainsi, car j’ai soixante six ans et pourrais être votre grand-mère. Je vous écoutais dans votre conférence de ces jours derniers. J’avais tenu à vous entendre par curiosité. Comment alliez-vous vous tirer, vous, si jeune, d’une dissertation sur un sentiment que vous ne connaissez pas. À votre âge on ne connaît rien de l'amour. […pourtant vous expliquiez] les raisons du renoncement d’une femme de soixante ans.
Ce n’est ni le manque de sensualité ni l’élan du cœur qui lui font défaut. Elle est simplement accablée par l'écœurement et le dégoût des façons d’agir et de penser de ces gentils petits animaux : les hommes.
Le cœur d’une femme est toujours jeune quand il peut se donner.
Les sens existent toujours tant qu’existent le cerveau, la volonté.
Une grand-mère qui vous prie d’excuser son griffonnage et son bavardage et vous expédie des réflexions spontanées sans même les relire.

Pourtant, il connaissait déjà bien des choses de l'amour, puisque, à Nyons, comme il raconte dans La Charrette bleue, à propos de certaines nyonsaises (d'un âge sans doute canonique)… :

Elles sont deux ou trois par quartiers, parfois dans une seule rue, dont l'occupation principale est d'observer et commenter les vies privées. […] J'ai été quelque peu leur victime à l'âge de quatorze ans, l'âge de mes amours passionnées et innocentes. J'étais Roméo mais je ne montais pas à l'échelle. Elles voyaient déjà la fille enceinte. Elle avait quinze ans. Je me promenais avec elle en lui tenant la main. Elles mesuraient de l'œil son tour de taille… C'est un peu a cause d'elles que j'ai dû quitter Nyons pour devenir pensionnaire au collège de Cusset. Je devrais leur en être reconnaissant, car mon séjour dans ce collège, comme élève puis comme pion,

sous la direction du principal Abel Boisselier, le chef d'établissement le plus extraordinaire que l'Université française ait jamais connu,

fut pour moi comme le séjour d'un bulbe dans un sable tiède, ensoleillé et arrosé d'engrais, d'où j'allais jaillir à dix-huit ans, plus averti mais toujours aussi tendre, vers le grand ciel de l'amour et de la vie.

Ensuite, à Vichy, puis Moulins…

Mais considérons pour commencer son œuvre écrite, ses romans, essais et aussi articles - et interviews.

Une évolution littéraire et psychologique

Reprenons sa bibliographie, dans l'ordre chronologique - autrement dit biographique :

Ces cinquante années d'active vie littéraire montrent une évolution tant dans le contenu que dans l'esprit potentiellement érotique de Barjavel. Bien sûr

Roland, le chevalier plus fort que le lion

petit livre « pour la jeunesse », n'aborde absolument rien d'érotique ni même de sensuel.
 

Ravage

reste très discret : la nudité entr'aperçue de Blanche est annihilée d'un coup d'interrupteur de la webcam étonnemment anticipée par l'auteur. Et si, pour finir, François le Patriarche prend 7 épouses (dont il aura 17 enfants), ce n'est nullement pour des raisons érotiques, mais… nous le verrons plus tard. D'ailleurs :

Il choisit les quatre de plus ferme chair, de plus clair regard, et, pour donner l'exemple, y ajouta une moustachue et une boiteuse. Blanche, la tant aimée, qui portait déjà le fruit des noces, installa elle-même les nouvelles venues dans sa maison. Si elle fut jalouse, elle ne le montra guère. Elle savait bien que, parmi les sept, elle restait la première. En homme d'ordre, le jeune chef attribua un jour de la semaine à chacune de ses femmes. Le dimanche était à Blanche. La moustachue se rasait tous les vendredis soir. La ribambelle d'enfants qui trotta bientôt dans la vaste ferme fit d'ailleurs disparaître parmi ses habitantes toute trace de mélancolie ou d'irritation.

Rien d'érotique dans Le Voyageur imprudent, avec une gentille histoire d'amour entre Saint Menoux et Annette, mais - quand même - une vision du rôle féminin dans le futur (au CMè siècle) très… particulière : une seule « femme » (ou putôt femelle), énorme, dans une grotte gigantesque au milieu d'une montagne, et des hommes accourant des quatre coins de l'horizon pour s'en faire "avaler" et ainsi effectuer leur devoir de mâle, comme le raconte Saint-Menoux :

Je comprends d'un seul coup le sens de tout ce que j'ai vu depuis mon arrivée. J'assiste en ce moment à la naissance multiple et ininterrompue des hommes nouveaux. L'être-montagne blotti dans sa carapace de terre, c'est - je n'ose écrire la femme - c'est la femelle, c'est la reine. Et les homoncules qui piétinent d'impatience dans la poussière, ce sont les mâles.
Je comprends maintenant leur joie. C'est vers la vie, et non pas vers la mort, qu'ils se précipitent. Comme mes contemporains, mes frères, me paraissent misérables à côté d'eux ! Comme je me sens mesquin ! Nous ne nous donnons à la femme que pour nous reprendre aussitôt. Nous sommes pleins de calculs et d'arrière-pensées. Après une seconde d'abandon, nous nous rétractons dans notre cuirasse de suffisance et d'égoïsme. Nos descendants lointains, eux, se donnent tout entiers ; cuir et chair, une fois pour toutes ! Ils n'ont pas besoin d'organe mâle. L'organe c'est leur corps, qui se dissout totalement au sein de la femme, comme quelques poètes et amoureux de notre temps ont souhaité - avec la sécurité de savoir que c'était heureusement impossible - de se fondre dans l'objet aimé. Chacun de ces individus, sacrifiés par la loi de la cité, perd l'existence dans un paroxysme d'amour, pour assurer la continuité de l'espèce. De cette union parfaite de la femelle et des mâles naissent des enfants adultes, qui savent déjà ce qu'ils ont à faire, et se hâtent vers le lieu de leur travail.
Le mirage à mille visages, qui attire les petits mâles vers la femme unique est peut-être le seul trait commun entre leurs amours et les nôtres…

Ensuite… ça se corse !

Tarendol

est, selon Barjavel lui-même, son « seul roman d'amour »,

ne fait pas l'impasse sur les séquences sensuelles très concrètes. Tant pour le héros Jean (et l'héroïne Marie) que d'autres protagonistes ; mais curieusement seuls Marie et Jean vivent quelque chose de vraiment beau.

Mais pour commencer une scène gentiment grivoise, au collège de Milon-les-Tourdres, que nous avons entendue hier soir…

Riquet, de quatrième, a dressé devant lui un rempart de livres. Il ouvre son cahier de brouillon, déchire une page, la coupe en huit, gratte doucement la cloison et passe un premier billet. Il a écrit :
- Qu'est-ce que tu fais ?
Richardeau, une main à la cloison, l'autre sous sa blouse, reçoit le billet, le lit, répond :
- Je bande.
- C'est pas vrai, écrit Riquet, sceptique.
- Comme un manche de pelle, affirme Richardeau,
- Fais voir.
Barbe dort. Richardeau, sans bruit, se lève, écarte sa blouse. Deux têtes se tournent. Richardeau pousse sa vigueur à travers la cloison. Riquet ouvre la bouche d'admiration, saisit le membre à pleine main.
Barbe lève une paupière, frappe du bout des doigts sur sa chaire.
- Richardeau, asseyez-vous
- M'sieur, j'peux pas !…
Et à voix basse :
- Lâche-moi, bon Dieu !
Toute l'étude se retourne, sans oser rire, Barbe s'éveille tout à fait.
- Richardeau, voulez-vous vous asseoir !
- M'sieur, j'peux pas !… Tu vas me lâcher !
Barbe se lève, repousse sa chaise. Richardeau empiégé fait un effort, se délivre, croise sa blouse, se retourne. En dix pas, le répétiteur a traversé la classe. Richardeau a repris place à son banc. Le pion le regarde, regarde le trou dans la cloison.
- Qu'est-ce que vous passiez encore par ce trou ?
- Mon stylo, m'sieur, dit Richardeau.
Tête basse, il montre ses mains noires. Riquet, avant de le lâcher, a vidé un encrier sur son phallus.

La nuit de noces de la jeune Jacqueline, amie de Marie, la déçoit profondément :

[…] La sonnette s'arrête. Mme Vibert ouvre. Devant elle, sur le trottoir, se tient Jacqueline, la jupe mal boutonnée, la veste sur son buste nu, les cheveux en mèches, le visage bouleversé. Elle se jette dans les bras de sa mère et pleure, pleure comme une petite fille. Mme Vibert pleure aussi. Elle serre d'une main sa fille contre sa chaude et molle poitrine toute libérée pour la nuit, et de l'autre main repousse la porte.
- Mon Jacqui, mon Jacquou, ma petite fille, mon trésor, qu'est-ce qu'il y a ? Viens, viens ici, viens, ne réveille pas ton père, viens…
Elle l'entraîne dans la salle à manger, l'assied dans un fauteuil, lui tamponne les yeux, court mettre la cafetière sur le réchaud.
- Qu'est-ce que c'est ? crie M. Vibert, de son lit.
- C'est rien ! Dors !…
Elle revient, elle baigne le visage de Jacqueline d'une serviette trempée dans l'eau fraîche. Jacqueline se calme, se renverse en arrière contre le dossier du fauteuil. Deux grosses larmes glissent de ses yeux fermés. Mme Vibert ne demande plus rien. Elle est assise sur le bras du fauteuil, elle caresse le front tourmenté, les mains brûlantes, boutonne la veste sur les seins nus. Jacqueline gonfle, gonfle sa poitrine, soupire et tout à coup recommence à sangloter, le visage dans ses mains. Entre ses doigts coulent les larmes, et entre ses doigts et entre ses larmes elle parle :
- Maman… c'était ça ?… Dis, c'était ça ?… Si j'avais su… Si j'avais su…

Et l'on peut voir que cette réalité crue reste, et encore à moins que demi-mots, une stricte affaire de femmes :

Mme Vibert a dit à Jacqueline :
- Maintenant, il faut que tu rentres, que tu rejoignes ton mari. Tu sais bien qu'il le faut. Tu verras, c'est pas si terrible. Tu t'habitueras. C'est la première surprise. Ce garçon t'aime. C'est un brave garçon. Il te rendra heureuse. Il faut y mettre du tien.

Les héros, Marie et Jean, quant à eux, s'aiment, et cela de façon concrète…

Il s'arrête, près du figuier accroupi sur son ombre. Il a transpiré, mouillé en même temps sa chemise et la mince robe serrée contre lui. Il soulève Marie jusqu'à son visage, appuie sa joue sur le petit ventre brûlant, puis son front puis ses lèvres, doucement se baisse, s'agenouille, couche à terre son fardeau. Marie, tendre et chaude, ferme ses bras autour de son cou. Jean se pose sur sa bouche, allonge ses jambes dures. Marie se sent fondre sur la terre, et elle s'abandonne. Dans son nid de pierre, un épervier, éveillé tout à coup par un cri monté jusqu'à lui à travers la chair du rocher, étend et claque ses ailes, les replie et s'endort. […] Jean muet sur Marie, Jean en elle avec elle perdu, voit sous son souffle la petite tête blanche aux yeux clos tourner à gauche à droite dans l'herbe couchée, comme la tête d'un enfant malade d'un mal trop grand pour lui…
Immobile sur elle reposé, sa joue à sa joue unie par les larmes de chaleur et de joie, sa bouche ouverte dans l'herbe, Jean écoute les grandes vagues du sang battre son corps et le corps sous le sien étendu. Il pèse sur Marie comme le rocher sur la montagne. Il l'écrase de son poids d'homme lourd de toute sa vie, heureux, puissant de se sentir lourd sur elle; et la seule chose que Marie ressente encore, qui la retienne à la porte du néant, c'est ce poids de chair sur sa chair évanouie. Jean caresse de son front les cheveux de soie mélangés à l'herbe, se soulève sur les mains, se fait doucement plus léger, délivre Marie pareille à une morte, écrasée, enfoncée en terre par la danse de joie. Avec une tendresse infinie, bouleversé de la voir vaincue, il pose ses lèvres sur les paupières closes. Il comprend qu'il commence seulement à l'aimer. Il effleure de ses mains le corps immobile, le sent abandonné, perdu. Tout à coup, il s'inquiète, il a peur. Où est-elle ? Qu'est-elle devenue ? À voix basse, mais avec toute sa force d'amour, pour qu'elle l'entende si loin qu'elle soit parvenue, il l'appelle :
- Marie… mon amour… Marie…
Elle frémit. La vie, de nouveau, gonfle sa poitrine. Dans la nuit, pour elle seule, sans ouvrir les yeux, elle sourit. Elle lève un bras et cherche la bouche qui l'appelle. Elle presse longuement sa paume contre les lèvres, puis sa main glisse le long du cou, le long du flanc brûlant, jusqu'aux reins où elle se niche.
Elle retrouve les odeurs mêlées, bouleversées, de la terre sèche, de l'herbe froissée, et de la joie de leurs corps. D'une voix qu'elle ne se connaissait pas, qu'il ne reconnaît pas, elle répond à son appel :
- Mon Jean… Toi !
Elle a ouvert les yeux et au-dessus d'elle elle voit Jean entouré d'étoiles.

Plus tard, seule, ou presque puisque elle porte son bébé dans son ventre, elle sentira encore :

Marie appuie contre l'arbre sa joue d'abord, puis tout son corps. L'écorce est rude et fraîche contre la peau de son visage. Elle ferme les yeux. Elle est heureuse d'être Marie et d'être femme, de s'être couchée devant Jean, de s'être ouverte devant lui pour recevoir le dur plaisir et la vie chaude qui est restée en elle; heureuse d'être le terrain miraculeux où il sema cette graine qui a germé et qui pousse, jusqu'au jour où la moisson mûre la quittera en la déchirant de joie et de sang. Elle est femme, elle est la femme de Jean. Elle se sent pleine et ronde, et elle respire bien, et son sang court bien, tout fonctionne bien dans son corps épanoui, tout travaille en joie pour cet amour en elle, ce fils chaud de Jean, vivant, qu'elle porte et nourrit.

Et puis, lorsque - à tort - le souvenir devient triste :

Le souvenir fulgurant de l'amour et de la joie, de l'amour de Jean, de la joie de Jean dansant en elle jusqu'au déluge de soleil, jusqu'à la chair vidée et emplie jusqu'aux ongles, jusqu'au sang bouillant et glacé, jusqu'à cette goutte de vie qui la perce comme un plomb fondu, jusqu'à toute vie perdue dans le repos de la terre bercée par le ciel, le souvenir de Jean soleil, Jean rocher, Jean étoiles, Jean mon amour, mon Jean, Jean, Jean, qui ne sera jamais, jamais plus Jean, l'étreint, la tord, la broie, lui arrache un cri de mort.

Même s'il s'agit se sensations, cela reste assez "cérébral". Quant à Jean, lorsque la même chose (ceteris paribus) lui arrive… :

Son lit de cuivre a perdu trois de ses boules. La quatrième, empalée sur son pas de vis rongé, s'agite en sonnette quand il se couche, tandis que le sommier s'agite et grince. Jean éteint, ferme ses paupières entre ses souvenirs et le présent. Il retrouve en lui la lumière des nuits de Saint-Sauveur, et Marie radieuse, son parfum, sa chaleur, sa faim d'amour. Il cherche dans les draps vides les douces cuisses. Peu à peu il se réchauffe. Le sang lui frappe les tempes. Il se souvient, il se souvient… L'odeur d'amour de Marie, l'odeur de sa peau moite et de l'herbe froissée, la chanson d'amour de Marie, et la douceur, la chaleur d'elle autour de lui en elle plongé… Il se tourne et se retourne, enfonce sa tête dans l'oreiller, crispe ses mains sur les draps vides. Son dur désir lui meurtrit le ventre, lui brûle les oreilles. Il rejette tout à coup les couvertures, allume, il va se baigner le ventre et les cuisses et tout le visage d'eau glacée. Il se recouche, prend un livre, s'endort sur la troisième page.

Sagesse des livres… sages.

Et puisque tout cela est essentiellement visuel, regardons !
Tarendol : dans cette séquence en noir & blanc, Jean et Marie s'aiment…

Plus tard, en 1979, dans une interview à l'occasion de la diffusion du téléfilm Tarendol, Barjavel s'écrira, paraphrasant ce qu'on attribue à Flaubert) :

Tarendol, c'est moi !

Ce qui renforce voire confirme l'impression de récit autobiographique - au moins d'inspiration et avec les techniques littéraires propres à l'auteur - se devinent déjà à la lecture.

Évoquons

Les Mains d'Anicette

d'abord paru en article en 1944, puis en livre en 1946 (dans le recueil Les Enfants de l'ombre), où Anicette, pure jeune fille bénéficiant d'un don de voir l'avenir, le perd lorsqu'elle tombe amoureuse d'un neveu de sa tante, Fernand. Mais avant qu'il "devienne sage" - au retour du service militaire (!), il n'y allait pas par quatre chemins…

Il exerçait avec conscience le métier de plombier-zingueur. Le dimanche, il jouait capitaine dans une équipe de basket. C'était un grand garçon brun. Ses yeux parlaient avec franchise. Ils ne cachèrent point leur admiration pour l'adolescente. La fréquentation des femmes de chambre dans les salles de bains ne lui avait pas enseigné la délicatesse, et la pratique du sport le poussait à l'action. Il coinça Anicette entre deux portes et lui proposa une petite soudure. Elle lui répondit en souriant de s'adresser à Mme Mangeon.

Rappelons que Barjavel, s'il n'a pas été plombier-zingueur, a été capitaine d'équipe de basket à Cusset… Encore quelques éléments autobiographiques ?

Continuons avec la science-fiction, dans

Le Diable l'emporte

Juste avant sa fin apocalyptique. M. Gé a créé une arche pour sauver l'humanité en y plaçant un couple, Aline et Hono. Mais Aline aime Paul et le "départ" est difficile…

Alors Aline arrache sa combinaison et sa petite culotte de coton blanc. Les yeux de Paul sont grands comme des soucoupes.
- Comme tu seras belle ! dit M. Collignot.
- Comme tu es belle ! crie Paul.
Aline est confuse et satisfaite. Elle aurait voulu cacher à la fois ses seins et ce tendre bouquet auquel elle n'est pas encore habituée, mais elle n'a que deux mains, et ses mains sont petites. Alors elle laisse pendre ses bras le long d'elle. Le plus simple est d'être simplement nue.
M. Colignot pose une main tremblante sur son épaule, la laisse glisser le long d'un petit sein pointu, sur le bas de la poitrine dont il sent les os, sur la peau douce, douce et chaude au-dessous des côtes. Il s'arrête. Sous sa paume, de l'autre côté de ce satin, deux petites glandes de rien du tout renferment l'avenir du monde.
- Que Dieu bénisse ton ventre, dit-il. Allez, entre là-dedans…
- Paul ! crie Aline.
Elle tend les bras vers lui. Il s'y jette. Ils sentent pour la première fois l'une contre l'autre leurs chaleurs nues et dures et souples. Les ongles d'Aline s'enfoncent dans les épaules du garçon.
- Vite ! vite ! crie M. Collignot. Ce n'est pas le moment.
Paul repousse à bout de bras Aline qui halète. Elle embrasse son père, embrasse Paul de nouveau, puis de nouveau son père, lève un pied vers l'ouverture de la fusée.

On comprend ce qui a failli se passer, mais c'est bien innocent - et néanmoins tous les ingrédients de la pensée de Barjavel s'y trouvent.

Pour diverses raisons, l'année 1966 marque un tournant de la vie de Barjavel. Du point de vue littéraire, c'est celle de la parution de

Colomb de la Lune

qui relève certes de la science-fiction - assez fantaisiste -, mais imprégné de deux histoires d'amour qui sont à lire de façon quelque peu subliminale.
Celle de Colomb est tout au plus onirique, puisqu'il passe son temps de voyage vers la Lune à dormir, et rêver. Tout un programme, qui lui fait se rappeler les histoires et chansons de sa mère, dont…

Chanson pour une princesse 2002 - H.Léonard / R. Barjavel
Extrait sonoreCPUP_ extrait 2002 - 0:50
Tes yeux sont le ciel,
Tes cheveux sont le vent,
Ta bouche est l'ombre sur la source,
Ta tête contre moi
Est un oiseau qui s'endort
Tes seins sont des abeilles
Qui se plantent dans mon cœur.
Tes mains sont une chanson
Qu'un berger chante le matin,
Ton ventre est une écharpe de soie,
La fleur douce de l'amour
Est le piège et le poison.
Tes seins sont des abeilles
Qui se plantent dans mon cœur.

Tirées de Colomb de la Lune, ces paroles ne sont-elles pas subtilement érotiques ? Herbert Léonard a d'ailleurs, par la suite, cultivé ce style, mais il m'avait indiqué personnellement que ce n'était pas sous l'influence de Barjavel - dont il était rappelons-le un très bon ami.
Mais quand même…

L'histoire d'amour dans Colomb de la Lune est celle de la femme de Colomb, qui "séquestre" dans sa maison son jeune amant, presque inépuisable.

Elle poussa les verrous, et appuya sur un bouton. Une lumière légère s'alluma sur la table de chevet. Sur le lit, un garçon nu dormait. Il était couché de côté sur une couverture de fourrure blanche. Il était heureux, innocent, sa main gauche ouverte dans les poils ras de la fourrure, comme une fleur rosé, la paume en l'air, les doigts bruns un peu repliés vers la paume, les ongles brillants sous la lumière dorée. Sa main droite, sur le côté, l'index et le pouce joints, formait comme la tête d'un oiseau. Des muscles légers recouvraient à peine les os de sa poitrine. Son cou était court, tendu par le poids de la tête, et le sang y battait à puissantes, lentes charges profondes. L'oreille qu'on voyait était rouge, bien ourlée, un peu grande parmi les cheveux bruns que la sueur frisait en boucles courtes sur la tempe et sur le front un peu bas. Une grande bouche que le sommeil faisait boudeuse, les lèvres un peu tuméfiées par l'amour. De grands yeux avec les paupières lisses bien tirées sur le sommeil, les cils comme une fermeture-éclair. Elle ne cessa pas de le regarder en se déshabillant. Elle fit tomber sa jupe. Elle n'avait pas pris le temps de mettre une culotte. Elle arracha son pull pardessus sa tête, les bras levés dressant la pointe des seins. Elle s'approcha du lit et s'agenouilla, les seins posés dans la fourrure. Ses épaules étaient rondes et pleines, son cou puissant, sa tête ronde à peine auréolée de cheveux châtain clair coupés comme ceux d'un garçon. Autant celui qui dormait était esquisse, commencement, autant elle était achevée, pleine, fruit. Elle avait trente ans, lui dix-huit. Elle s'allongea près de lui, doucement, tendrement le retourna sur le dos sans le réveiller, vint au-dessus de lui, dressée comme un pont sur ses bras et ses cuisses puissantes et lentement s'abaissa, posa sur lui ses seins et son ventre et ses cuisses, et ses bras sur ses bras écartelés. De tout son poids.

Nous n'en verrons pas davantage, et n'en saurons guère plus. Juste de quoi penser que c'est intrigant

Mais bien sûr, nous arrivons au roman érotique de Barjavel (mais il a énormément d'autres qualités !),

La Nuit des temps

Alors nous ne pouvons manquer de nous plonger (si j'ose dire) dans l'ambiance, en haut de la Tour du temps qui domine le paysage de Gondawa comme l'appartement de Barjavel à l'époque dominait Paris.

La Nuit des temps - séquence d'amour
Extrait sonoreLa Nuit des temps - 2:32

Tout allait bien, le ciel était bleu, la coupole ronronnait doucement. Païkan se dévêtit et rejoignit Éléa dans la piscine. En le voyant arriver, elle rit et plongea. Il la retrouva derrière les voiles irisées d'un poisson-rideau nonchalant qui les regardait d'un œil rond, corail. Païkan leva les bras et se laissa glisser derrière elle. Elle s'appuya à lui, assise, flottante, légère. Il la serra contre son ventre, prit son élan vers le haut et son désir dressé la pénétra. Ils reparurent à la surface comme un seul corps. Il était derrière elle et il était en elle, elle était blottie et appuyée contre lui, il la pressait d'un bras contre sa poitrine, il la coucha avec lui sur le côté et du bras gauche se mit à tirer sur l'eau. Chaque traction le poussait en elle, les poussait tous les deux vers la grève de sable. Éléa était passive comme une épave chaude. Ils arrivèrent au bord et se posèrent, à demi hors de l'eau. Elle sentit son épaule et sa hanche s'enfoncer dans le sable.
Elle sentait Païkan au-dedans et au-dehors de son corps. Il la tenait cernée, enfermée, assiégée, il était entré comme le conquérant souhaité devant lequel s'ouvrent la porte extérieure et les portes profondes. Et il parcourait lentement, doucement, longuement, tous ses secrets. Sous sa joue et son oreille, elle sentait l'eau tiède et le sable descendre et monter, descendre et monter. L'eau venait caresser le coin de sa bouche entrouverte. Les poissons-aiguilles frissonnaient le long de sa cuisse immergée. Dans le ciel où la nuit commençait, quelques étoiles s'allumaient. Païkan ne bougeait presque plus. Il était en elle un arbre lisse, dur, palpitant et doux, un arbre de chair, bien-aimé, toujours là revenu plus fort, plus doux, plus chaud, soudain brûlant, immense, embrasé, rouge, brûlant dans son ventre entier, toute la chair et les os enflammés jusqu'au ciel. Elle étreignit de ses mains les mains fermées autour de ses seins et gémit longuement dans la nuit qui venait.
Une immense paix remplaça la lumière. Elle se retrouva autour de Païkan. Il était toujours en elle, dur et doux. Elle se reposa sur lui comme un oiseau qui s'endort. Très lentement, très doucement, il commença à lui préparer une nouvelle joie.
 

Il y a dans La Nuit des temps d'autres scènes "de sexe", dans lesquelles les sentiments (pour le partenaire…) - du moins amoureux - ne jouent aucun rôle, telle celle de La Fête du Nuage, au pays d'Énisoraï.
Dans cette cérémonie annuelle à la tombée de la nuit, autour d'une sorte de tour ~ montagne en forme de Flèche, la population de la ville se constitue en cortège qui monte alors que la Flèche pénètre un Nuage dans, avec lequel elle s'accouple littéralement. Et, en synchronisme avec la musique haletante qui accompagne cette frénésie, hommes et femmes s'unissent dans une explosion de sensations mais aussi de cataclysme, assurant ainsi, pour un an, la reproduction débordante de la population d'Énisoraï…

Dans les palais, dans les maisons, dans les rues, sur les places, les hommes s'approchaient des femmes et les femmes des hommes, au hasard, simplement parce qu'ils étaient proches, et sans savoir s'ils étaient beaux ou laids, vieux ou jeunes ni qui il était ni qui elle était, ils se saisissaient et s'étreignaient, s'allongeaient sur place, à l'endroit où ils se trouvaient, entraient tous ensemble dans le rythme unique qui secouait la montagne et la ville. La Flèche entra tout entière dans le Nuage, jusqu'à sa base.

Plus tard, lorsqu'Éléa, préparée par Coban pour entrer dans la Sphère mais ne désirant rien d'autre que retrouver Païkan, quoi qu'il en coûte…, soudoie le garde :

- Avant de mourir, tu me veux ?
[…]
- Tu es à Païkan ? dit-il.
- Je lui ai promis : par tous les moyens.
- Je t'ouvrirai la porte et je te conduirai dehors.
Il ôta sa jupe. Ils étaient debout, nus, l'un devant l'autre. Elle recula lentement et, quand elle eut le tapis sous ses pieds, elle s'accroupit et s'allongea. Il s'approcha, puissant et lourd, précédé par son désir superbe. Il se coucha sur elle et elle s'ouvrit.
Elle le sentit se présenter, noua ses pieds dans ses reins et l'écrasa sur elle.
Il entra comme une bielle, Elle eut un spasme d'horreur.
- Je suis à Païkan ! dit-elle.
Elle lui enfonça ses deux pouces à la fois dans les carotides. Il suffoqua et se tordit. Mais elle était forte comme dix hommes, et le tenait de ses pieds crochetés, de ses genoux, de ses coudes, de ses doigts enfoncés dans ses cheveux tressés. Et ses pouces inexorables, durcis comme de l'acier par la volonté de tuer, lui privaient le cerveau de la moindre goutte de sang. Ce fut une lutte sauvage. Enlacés, noués l'un à l'autre et dans l'autre, ils roulaient sur le sol dans tous les sens. Les mains de l'homme s'accrochaient aux mains d'Éléa et tiraient, essayaient d'arracher la mort enfoncée dans son cou. Et le bas de son ventre voulait vivre encore, vivre encore un peu, vivre assez pour aller au bout de son plaisir. ses bras et son torse luttaient pour survivre, et ses reins et ses cuisses luttaient, se hâtaient pour gagner la mort de vitesse, pour jouir, jouir avant de mourir.
Une convulsion terrible le raidit. Il s'enfonça jusqu'au fond de la mort accrochée autour de lui et y vida, dans une joie fulgurante, interminablement, toute sa vie. La lutte s'arrêta. Éléa attendit que l'homme devînt entre elle passif et pesant comme une bête tuée. Alors elle retira ses pouces enfoncés dans la chair molle. ses ongles étaient pleins de sang. Elle ouvrit ses jambes crispées et se glissa hors du poids de l'homme. Elle haletait de dégoût.

Pour les "contemporains" du récit, les choses sont moins idéales. Ainsi, dans la famille Vignont :

M. et Mme Vignont, leur fils et leur fille mangent des frites à la confiture à la table en demi-lune devant l'écran. C'est une recette de la cuisine nutritionnelle.
- C'est idiot, des questions comme ça, dit la mère. Quoique, si on y pense…
- Ce type, dit la fille, moi, je le refoutrais au frigo. On se débrouille bien sans lui…
- Oh ! quand même !… dit la mère. On peut pas faire ça.
Sa voix est un peu rauque. Elle pense à un certain détail. Et à son mari qui n'est plus tellement… Des souvenirs lui émeuvent le ventre. Une grande détresse lui fait venir des larmes aux yeux. Elle se mouche.
- J'ai encore attrapé la grippe, je crois…
La fille est en paix, de ce côté-là. Elle a des copains aux Arts Déco qui sont peut-être moins bien balancés que le type, mais sur un certain détail ils le valent presque. Enfin, pas tout à fait… Mais eux, ils sont pas gelés !…
- On ne peut pas le remettre à la glacière, dit le père, après tout l'argent qu'on a dépensé. Ça représente un investissement.
- Il peut crever ! grogne le fils.
Il n'en dit pas plus. Il pense à Éléa toute nue. Il en rêve la nuit, et quand il ne dort pas, c'est pire.

C'est tout un programme…

Les Chemins de Katmandou (1969)

Ah ! Katmandou et ses chemins (interdits selon les titres de certaines traductions). Paru en 1969, cela ne pouvait être qu'un roman érotique

Extrait sonore69… - 0:17

En fait, pas vraiment. Mais les scènes "chaudes" y sont bien présentes, peut-être plus encore dans le roman que dans le film (qui fut, rappelons-le, réalisé avant l'écriture du roman), malgré la présence du (alors) nouveau couple du cinéma français, Jane Birkin et Serge Gainsbourg (celui-ce s'étant copieusement ennuyé lors de ce tournage). Pour Jane, cela commence mal (et cela finira encore plus mal), dès la première page.

Sa courte robe de soie verte, trempée, sous laquelle elle ne portait qu'un slip orange, était devenue presque transparente, moulait ses hanches à peine dessinées, ses petits seins tendres que le froid crispait. Elle marchait le long d'une grue, et d'une grille… Elle se heurta à une forme sombre, lourde, plus haute et plus large qu'elle. L'homme la regarda et de tout près il la vit nue sous le brouillard. Elle voulut repartir. Il écarta un bras devant elle. Elle s'arrêta. Il la prit par la main, la conduisit au bout de la grille, entra avec elle dans une étroite allée, lui fit descendre quelques marches, ouvrit une porte, la poussa doucement dans une pièce et ferma la porte derrière eux.
La pièce était sombre et sentait le hareng salé. Il tourna un bouton. Une faible ampoule s'éclaira au plafond, entourée d'un abat-jour rose. Il y avait le long du mur à gauche un lit étroit, soigneusement fait, recouvert d'un couvre-lit de crochet blanc, dont le dessin représentait des anges avec des trompettes et qui pendait sur les côtés avec des pointes de losanges terminées par des glands.
L'homme plia le couvre-fit et le posa sur le dossier d'une chaise à la tête du lit. Sur la chaise il y avait un transistor et un livre fermé. Il appuya sur le bouton noir du transistor et les Beatles se mirent à chanter dans la pièce entière. Jane les entendit et cela lui donna une sorte de chaleur intérieure, un réconfort familier. Elle était restée debout près de la porte et ne bougeait pas. L'homme vint la prendre par la main, la conduisit jusqu'au lit, la fit asseoir, lui ôta son slip, la coucha et lui écarta les jambes. Quand il s'allongea sur elle, elle se mit à crier. Il lui demanda pourquoi elle criait. Elle ne savait pas pourquoi elle criait. Elle ne cria plus.
Les Beatles avaient fini de chanter, remplacés par une voix triste et mesurée.
C'était le Premier ministre. Jane se taisait. L'homme sur elle haletait discrètement, occupé avec soin à son plaisir. Avant que le Premier ministre eût commencé à énumérer les mauvaises nouvelles, l'homme se tut. Au bout de quelques secondes il soupira, se releva, s'essuya avec le slip orange tombé au pied du lit, vint jusqu'à la petite table près du fourneau à gaz, vida dans un verre ce qui restait de la bouteille de bière, et but.
Il retourna près du lit, fit relever Jane avec des gestes et des mots gentils, remonta avec elle les quelques marches, la conduisit au bout de la petite allée, l'accompagna quelques pas le long de la grille puis la poussa doucement dans le brouillard. Elle fut pendant un instant une pâle esquisse verte, puis disparut. Lui restait là, immobile. Il avait gardé à la main le slip orange qui dessinait au bout de son bras le fantôme flou d'une petite tache gaie. Il le mit dans sa poche et rentra chez lui.

Ce sordide "rapport pas vraiment consenti", et qui ne se trouve nullement dans le film, apparaît pratiquement "recopié" d'un roman oublié de Louis Pauwels, Saint Quelqu'un.
On trouve d'autres scènes quelque peu licencieuses, qu'il est difficile de qualifier de vraiment érotiques. Ainsi le récit de la « partie fine » chez Marss, que nous avons entendue hier soir au spectacle de Philippe Altier. Dans la plus pure ambiance libertine de la fin des années 1960, des femmes dénudées évoluent dans une piscine-vitrine, et l'esthète pervers Marss invite le jeune Olivier à participer à des plaisirs qui ne le tentent pas - pour des raisons bien personnelles…

Entre les divertissements et l'étage personnel de Marss, se situait l'étage des plaisirs. Vastes divans courbes épousant les formes des murs, électrophone avec disques de danse, de jazz, de musique classique et de gémissements de femmes entrain de faire l'amour, cinéma allant de Laurel et Hardy à des films beaucoup plus intimes, projecteurs fixes de fleurs, de formes, de couleurs, qui transformaient les murs courbes en horizons étranges où surgissait parfois, inattendu, un pénis gigantesque en plein jaillissement, ou un sexe de femme écarlate, ouvert à deux mains. L'un ou l'autre, en général, faisait rire. […]
Quatre poissons énormes descendirent dans la piscine. […] Les poissons s'ouvrirent et il en sortit quatre filles nues superbes, qui nagèrent jusqu'à la paroi transparente, envoyèrent des baisers aux invités de Marrs, firent une culbute avec un ensemble parfait, et collèrent leur derrière au mur de verre. Au bas des quatre lunes, il y avait un sexe noir, un sexe roux, un sexe blond, un sexe châtain, fardés et agrémentés de faux cils. Ils obtinrent un succès de fou rire. Marss avait toujours des idées extraordinaires… Les filles s'accouplèrent deux par deux et se laissèrent remonter vers la surface en se caressant. Elles étaient au bout de leur souffle et de leur numéro. Tout cela leur était aussi égal que si on les avait payées pour faire les pieds au mur en tenue d'entraînement olympique. Olivier, les mâchoires crispées, se demandait dans quel fumier il avait mis les pieds.
- Fais pas attention, lui dit Martine, c'est rien, c'est des filles qui s'en foutent. Ça ou autre chose !… (…]
- À vous de jouer, dit Marss. La fille que vous reconnaîtrez avec vos mains sera à vous pour la nuit…
Il monta sur la marche derrière Olivier et entreprit de lui nouer le foulard sur les yeux. Martine le lui arracha.
- Laisse-le tranquille, c'est pas ses manières ! Il aime pas ces trucs-là !…
- Qu'est-ce qu'il aime pas ? demanda Marss à voix très haute. Toucher les filles ?… Ça lui plaît pas ? Il préfère les garçons ?
- Tu es ignoble ! dit Martine. […]
Olivier pensa à son père maharadjah sur son éléphant, et une bile de haine lui monta jusqu'à la gorge. Il porta son verre à ses lèvres et le vida. Puis il tendit la main vers le foulard que tenait sa mère. Sept filles nues redescendirent dans la piscine et composèrent des combinaisons amoureuses. Ce n'était pas facile de se maintenir au fond dans ces positions absurdes en ayant l'air d'y prendre plaisir. C'était du sport. Elles s'entraînaient tous les jours. L'assistance faisait cercle autour d'Olivier. Cela avait commencé d'une façon banale, et puis c'était devenu tout à coup excitant. Qu'est-ce que ce salaud de Marss avait dans la tête ? Il avait d'abord poussé dans les bras d'Olivier Judith, une brune aux cheveux coupés courts comme des copeaux.
- Comment voulez-vous que je les reconnaisse ? avait dit Olivier, je ne les connais pas !
- Tu diras simplement « blonde » ou « brune », pour toi ça suffit. Deux couples étaient restés sur le divan du fond, vert cru, sous la fenêtre en forme d'œuf derrière laquelle un projecteur illuminait un pin échevelé. Ils étaient en train d'essayer de donner un peu d'intérêt à cette soirée aussi morne que tant d'autres, en faisant des échanges et des découvertes sans surprises, pour se transformer en un quatuor bientôt exténué et écœuré. Le whisky inhabituel emplissait Olivier d'euphorie, lui bourdonnait aux oreilles une chanson de plaisir, exaltait les élans de son jeune corps. La fille qu'il palpait était bien fichue, ses seins nus sous sa robe légère s'excitaient au toucher de sa main. Il se demanda : blonde ou brune ? C'est pile ou face… Il remonta ses mains vers le visage, toucha du bout des doigts les joues rondes, le nez rond, les oreilles minuscules, les cheveux bouclés…
- Brune ! dit-il.
Il y eut quelques bravos, la fille sourit, Olivier lui plaisait.
- Non, dit Marss, elle est blonde !
Il mit sa main sur la bouche de la fille qui commençait à protester, et la projeta sur un divan.
- Tu as pas l'habitude, dit Marss. Tu as droit encore à un essai. Une autre !…
Il regarda autour de lui, fit semblant de chercher. Olivier attendait, les mains levées, les doigts un peu écartés, comme un aveugle qui n'a pas encore l'habitude d'être aveugle. Marss se décida, posa sa main sur l'épaule d'Edith-la-rousse, qui eut un sursaut de recul.
- Celle-là !…
- Ça va pas, non ? dit Édith.
Marss se mit à rire.
- Ça te dit rien de goûter à un beau petit mâle ?… Bon, bon, bon… Une autre !…
Il prit brusquement Martine par les deux épaules, et la poussa devant Olivier.
- Celle-là ! Blonde ou brune ?…
Martine sentit tout son sang se figer dans son corps et son cœur se mettre à cogner, affolé, pour remettre en marche la circulation bloquée… Un silence étonné se fit dans le salon. Qu'est-ce qU'il mijotait donc, ce salaud de Marss ? On savait que ce n'était pas son genre de partager les femmes ou le reste. Olivier sourit, leva les deux mains et les posa sur les cheveux de Martine.
- Non, dit Marss, pas les cheveux, c'est trop facile. Descends… […]
- Alors, dit Marss, blonde ou brune ?
- Je ne sais pas, dit Olivier.
- Tu connais peut-être mieux plus bas, cherche…
Martine était vêtue d'une robe de Paco Rabane, semblable à celle de Soura, en pastilles de plastique plaquées or.
- Cette robe te gêne, dit Marss.
Il en écarta les bretelles, et la robe tomba autour des pieds de Martine avec un petit bruit de monnaie. […]
- Alors, dit Marss, tu t'endors ? Olivier posa ses mains sur les épaules nues.
Martine se contracta comme une pierre.
- Plus bas, dit Marss, cherche !
Il dégrafa dans le dos le soutien-gorge de Martine, le tira et le jeta au loin. Personne ne disait plus rien. Personne n'entendait même plus gémir la négresse de l'électrophone, qui en était à son cinquantième malheur. Olivier essayait de se rappeler le visage sur lequel il avait promené le bout de ses doigts. Le sourcil, le nez, la bouche… Il ne savait pas, il n'avait rien reconnu.
Ce devait être Soura, ou une autre, n'importe qui…
La main droite d'Olivier glissa de l'épaule vers le cou, descendit entre les deux seins. Elle s'arrêta un instant. Marss regardait, les yeux féroces, un coin de bouche retroussé. Lentement, la main d'Olivier se détacha de la peau tiède, humide de terreur et d'émoi, se creusa en forme de coupe et vint envelopper le sein gauche sans le toucher. Sa main se crispa, il ferma le poing, le rouvrit… Devant les yeux de Martine, le visage d'Olivier barré du foulard noir grandissait, emplissait toute la pièce, tout l'univers. La main d'Olivier s'approchait lentement…
Brusquement, il reçut comme la foudre. Au centre de sa main, au point parfait le plus sensible, une pointe de chair dure s'était posée, et y creusait un abîme de glace et de feu. Martine tomba comme un chiffon, évanouie ou morte. Soura arracha sa robe, se colla contre Olivier, lui prit les mains, les plaqua sur ses seins-pastilles en glapissant.
- It's me, darling ! Y love you ! You're beautiful ! Kiss me, darling ! Take me !…
Olivier porta la main à sa tête pour enlever le foulard. Il hésita une seconde, puis laissa retomber sa main.
- Conduis-moi, dit-il.

Mais bien sûr, Katmandou, c'était, pour les Occidentaux de 1969, la ville des temples érotiques. À commencer par le stupa central :

Au centre de l'univers, au milieu de la place, était creusé un bassin de granit, carré comme les temples. Au fond du bassin se dressait une colonne posée dans une coupe ronde. C'était le lingam dans le yoni, le sexe mâle et le sexe femelle unis dans l'éternité de la pierre pour l'éternité de la vie que leur union créait.
L'univers, autour d'eux, la place, les temples, la foule, les vaches, les chiens, les nuages, la Montagne cachée, et les étoiles qui viendraient avec la nuit, étaient le fruit de leur amour jamais interrompu.

L'Équation de Zoran, en quelque sorte !

Nous ne sommes pas loin du Kama Sutra, et plus objectivement, des délices de l'art d'aimer indien. Et, curieusement, ce n'est pas du tout le propos de Barjavel - mises à part les « missions » de vols dans les temples de ces statues qui faisaient b....r (?) ricaner les Occidentaux - en ignorait-il les raffinements ? Sujet intéressant… Comme le dit l'auteur, situant sans doute la vision qu'il avait pu se faire sur place de l'atmosphère locale :

Dans sa position à demi accroupie, son sexe offert attendait, et certainement s'impatientait. Les trois personnages, en bois sculpté et peint de façon primitive, n'évoquaient rien de pornographique ni même d'érotique. Ils composaient un tableau naïf et un peu comique, familier.

Le Grand Secret (1973)

Le Grand Secret (1973)

Ici encore, l'Orient se rapproche, avec Shri Bahanba, savant indien découvrant avec effroi l'immortalité et ses conséquences, en particulier la surpopulation inévitable si un moyen contraceptif n'est pas ims en œuvre à très grande échelle… et c'est, en parallèle avec l'histoire de Jeanne et Roland, ce qui causera le drame du roman.
Les scènes d'amour ne manquent pas… d'abord - dès le début - entre les deux héros, comme nous l'avons entendu hier soir au spectacle de Philippe Altier 

Elle se réveilla au milieu de la nuit. Elle avait laissé une faible lampe allumée à l'autre bout de la chambre, juste assez de lumière pour le voir dès qu'elle ouvrait les yeux. Elle le regarda. Il dormait comme un enfant, sans bruit, détendu. Sa main droite tenait encore le drap qu'il avait ramené jusqu'à son ventre, parce qu'il ne voulait pas qu'elle vît son sexe quand il était au repos, il le trouvait ridicule. Sa poitrine était large, lisse, sans un poil avec des muscles plats modelés discrètement. En décembre ils avaient pu passer ensemble quelques jours au Maroc. Ils n'étaient presque pas sortis de l'hôtel, ne quittant le lit que pour la piscine ou la terrasse. Ils ne voyaient rien d'autre, elle, que lui, et lui, elle. Le reste du monde n'était qu'un décor à peine discernable, une brume confortable et exotique, une ouate parfumée dans laquelle ils blottissaient leur amour. Ils en étaient revenus, elle avec un teint de cuivre brun, lui couleur de pain frais. Sur la poitrine plate de Roland, que la respiration soulevait à peine, ses petites pointes de sein étaient couleur de caramel. Jeanne se pencha vers la plus proche, lentement, jusqu'à ce qu'elle la sentît à peine toucher son front, pas tout à fait au milieu, juste un peu plus bas vers le sourcil gauche, en ce point aussi sensible que le cœur de la main. À la limite de l'immobilité et de la caresse elle demeura ainsi quelques secondes, résistant au désir de se poser sur lui tout entière, de le toucher avec toute sa peau. La merveille de la nudité, c'était cela, tout le corps devenait une main pour toucher et sentir l'autre corps pareillement dépouillé des carapaces, et lui aussi sensible, et gourmand, et curieux.
Mais il dormait si bien…
Elle avait soif… Elle se redressa et s'assit au bord du lit. La chambre était chaude et sentait l'amour et la peau d'orange. […]
D'une fenêtre en face, à l'étage supérieur, un jeune vicaire insomniaque de l'église de Saint-Sulpice, qui s'était levé pour réciter une action de grâces, vit Jeanne nue, superbe et libre, aller et venir dans la pièce rouge, ouvrir l'énorme réfrigérateur, en sortir une bouteille d'eau, se verser à boire, boire, se verser encore et boire de nouveau, longuement, avec volupté, le bras bien levé et le visage un peu renversé en arrière, comme si elle buvait à une source jaillissant de la paroi d'un rocher, La lumière crue du plafond brillait sur ses épaules et sur ses cheveux lisses, d'un brun presque roux, qui lui cachaient les oreilles et les joues. Et le reflet des carreaux du sol ourlait de rose ses longues cuisses, le petit triangle d'acajou au bas de son ventre, le dessous de ses seins bien ronds et pointus, et son bras levé, plein comme une branche. Ce ne fut que lorsqu'elle éteignit que le jeune vicaire s'agenouilla pour remercier Dieu. […] -->

Elle se recoucha. Roland n'avait pas bougé. Elle tira doucement le drap, le découvrit tout entier, et à le voir si beau, désarmé auprès d'elle, confiant comme un enfant à qui personne encore n'a jamais fait peur, des larmes de bonheur lui vinrent aux yeux. Elle ne s'habituait pas, elle ne s'habituerait jamais à la joie miraculeuse de tant l'aimer. […] Elle se mit à rire doucement avec tendresse et reconnaissance, en regardant le sexe endormi. Il avait l'air, dans un nid de mousse, d'un oiseau épuisé à couver des œufs trop gros pour lui. Doucement, elle posa, sur le nid et ses trésors, sa main comme un autre nid. Alors l'oiseau et Roland s'éveillèrent.

Mais le plus troublant (c'est un euphémisme…) se passe ensuite dans l'Îlot 307, lorsque les "jeunes" - filles et garçons - découvrent en toute liberté (toutes les eaux de l'Île étant additionnées de contraceptif…) les plaisirs de l'amour :

Une adolescente gracieuse, aux longs bras minces, s'agenouilla devant un adolescent de son âge, porta ses douces mains et sa bouche au sexe du garçon pour le faire dresser, puis, sans le lâcher, s'allongea sur les fleurs, s'ouvrit, et le conduisit jusqu'au cœur de son corps. De plus jeunes enfants jouaient à mille jeux, se roulaient sur les pâquerettes, un chat mangeait un écureuil, des essaims d'oiseaux multicolores volaient d'arbre en arbre comme ci ceux-ci échangeaient leurs fleurs, un héron piquait du bec une grenouille pas plus grosse qu'une marguerite…
- Ici, rien ne meurt jamais, dit Roland, à moins d'être tué…
Il y eut un son de cloche léger, comme venu du fond d'une campagne, et toute une partie du ciel devint blanche.

Et, dans la nature luxuriante :

Un garçon d'une dizaine d'années, son sexe mince et dur à la main, essayait de le placer chez une fillette qui se prêtait au jeu, se dérobait, riait, criait et finalement le repoussa à coups de poing et le fit tomber dans un ruisseau. C'est alors que Jeanne remarqua qu'il n'y avait en ce jardin aucun enfant plus jeune que ce garçon ou cette fille. Roland lui dit qu'il n'y en avait nulle part ailleurs. La dernière naissance dans l'île avait eu lieu au mois de mai 1962.

Rappelons pourquoi :

Le JL3 laisse pousser tout ce qui vit jusqu'au sommet de son épanouissement, et l'empêche, après, de descendre la pente. Et ce sommet de l'épanouissement, que ce soit chez les végétaux ou les animaux, c'est toujours l'âge de l'amour… Pour les plantes, c'est la fleur. Qu'est-ce que c'est une fleur ? c'est le sexe de l'arbre ou de la plante. Ou, le plus souvent, à la fois les deux sexes, mâle et femelle. Quand la fleur s'épanouit, son parfum, ses couleurs, sa beauté, c'est l'explosion de joie de la plante qui fait l'amour. Un pommier de Normandie, au printemps, se fait l'amour par cent mille fleurs. Comment peut-on croire que les plantes n'ont pas de sensibilité quand elles expriment d'une façon si fantastique la plus grande joie du monde ?

Hé oui, le thème principal revient ! Et avec lui, dans le récit, les ennuis…

Dans la lumière bleue de la nuit, Annoa, étendue sur l'herbe du jardin, gémissait et criait. Les pâquerettes avaient fermé leurs yeux blancs, et l'herbe était sombre, et Annoa était une boule sombre qui remuait et gémissait et parfois poussait un cri déchiré. Et Han, debout auprès d'elle, son visage et ses cheveux d'or éclairés par le projecteur de la caméra d'alerte, appelait au secours, appelait tout le monde à l'aide, appelait il ne savait qui : Annoa criait, Annoa souffrait, c'était peut-être cela, mourir…
[…]
Jeanne s'agenouilla près d'Annoa, essuya son visage couvert de sueur avec de l'herbe fraîche, lui prit la main, et lui dit d'une voix rassurante :
- Calme-toi, mon petit, calme-toi… Allonge-toi… Détends-toi… Là… Bien… Respire… comme tu as appris…
Annoa cessa de gémir et regarda Jeanne avec une énorme interrogation dans les yeux.
- Oui, dit Jeanne souriante, oui… C'est ton enfant qui vient…
- Oooh !… firent les enfants.

Et ensuite…

Les filles enceintes voulaient garder leur enfant, et celles qui ne l'étaient pas voulaient le devenir. Les garçons avaient peint des fleurs et des oiseaux sur les ventres plats des filles, et les filles avaient tressé des ceintures de fleurs autour des tailles fines des garçons, avec des guirlandes et des nids pour orner, et glorifier leur sexe qui donnait les enfants. Aucune ne mangeait plus rien qui fût fabriqué dans l'Ile, et elles recommençaient à tout instant la cérémonie de l'amour.

 

Le Prince blessé (1974)

Le Prince blessé - Édition de 1976 Cette nouvelle, ou plutôt conte oriental, aux saveurs des Mille et Une Nuits, a été intégrée au recueil paru en 1974 auquel elle donne son titre, et qui reprend les textes des Enfants de l'ombre. Son inspiration est quelque peu mystérieuse, une analyse fine ouvre la piste de la presque autobiographie, mais peu importe.
L'Amour en est le sujet principal, et l'érotisme un à-côté incontournable et en même temps "purifié" : la fin du récit est justement la « guérison » de l'immense chagrin d'amour du Prince, qui n'était peut-être qu'un chatouillement du côté du sexe… Et l'auteur y exprime :
D'abord la découverte des plaisirs par le le Prince Ali :

Ce fut seulement la nuit suivante que le prince eut la révélation de ce qu'on nomme les joies charnelles, par les soins d'un bataillon de filles ravissantes qu'Omar avait sélectionnées dans la journée. Il y en avait des brunes, des blondes, des rousses et même des noires et des jaunes, toutes un peu grasses, comme on les aime à Bagdad. Il y en avait dans les fauteuils, sur les coussins et les sofas, dans la baignoire, sur l'armoire incrustée de nacre, sur la table basse en bois découpé, dans le plateau de cuivre et dans le lit, sous les draps, entre les draps, sous chaque couverture et une en travers à la place du traversin. Cela composait une sorte de jardin mouvant de bras, d'épaules, de seins et de derrières qui découvraient parfois la bouche rose d'un sexe, fleur carnivore et assoupie.
Ali ne se rappela jamais en quelle fleur il avait sombré en premier, puis en combien d'autres. Cette nuit lui laissa un souvenir confus et chaud, comme celui d'une baignade au bord de la plage en plein été : on n'identifie pas les vagues aimables qui vous recouvrent, vous aspirent, vous reçoivent, s'évanouissent…

Puis, après des péripéties amoureuses qui finissent par le voir rejeté par Pauline, il tente de reconquérir son cœur, et le reste :

Il s'agenouilla près d'elle et improvisa à haute voix une nouvelle strophe à son poème :
Ton derrière est comme les deux moitiés de la lune
Ton devant…
Au son de la voix d'Ali prononçant le nom de son derrière, Pauline se retourna comme s'il l'avait brûlé.
- Vous ! Comment êtes-vous entré  ?
Ali fit avec sa main qui tenait la rose un geste vague qui voulait dire « Peu importe… ».
- Je t'aime et j'entrerai partout où tu es…
Elle se leva et lui montra la porte :
- Moi, je ne t'aime plus et je te prie de sortir ! Tout de suite ! Compris  ?
Non, il ne comprenait pas, il ne pouvait pas com nbbbprendre une chose aussi absurde et monstrueuse. Il lui donna sa rose qu'elle foula sous ses pieds nus parmi les mégots. … Elle continuait de lui montrer la porte.
Alors, naïvement, il revint à l'essentiel : il déroula les quatorze tours de sa ceinture de soie et d'or, pour libérer son pantalon bouffant et lui montrer son amour qu'elle avait tant aimé et qui tendait vers elle un bras superbe et suppliant.
Ce fut en vain. Elle n'en voulait plus, elle ne voulait même plus le voir, cachez-moi cette horreur, vous n'avez pas honte Elle ne voulait plus rien voir de lui, plus rien recevoir, plus de diamants, plus de châteaux, plus de trains aérodynamiques, elle en avait assez, assez, assez, c'est tout de même facile à comprendre, non.
Il comprit. Il sortit de la chambre d'or.

Les Dames à la Licorne (1974) et Les Jours du monde

Les Dames à la Licorne

Premier roman écrit à deux voire quatre mains avec Olenka de Veer, l'influence de celle-ci se fait sentir, y compris je pense dans le réalisme et le ressenti des scènes sensuelles. Ainsi :

Alors elle écartait à deux mains le rideau des cheveux.
-
Est-ce que je suis belle ?
II vit les douées épaules, et la cambrure du rein, et les deux collines qui le suivent, et qui sont chacune la moitié du monde, il vit le ventre plat avec son œil d'ombre, la courbe des hanches qui est la courbe divine de l'infini, et le court buisson d'or où naît la bouche du mystère. […] Elle le regarda venir, beau et nu comme le dieu de la jeune Irlande. […] Elle se jeta dans l'herbe, s'y roula, il y était avec elle, près d'elle, sur elle, il la caressait à deux mains, il caressait l'herbe, il la caressait elle, il l'embrassait, la quittait, il entra en elle une seconde et repartit, elle cria, le rejoignit, elle mordit une pâquerette et la luit mit dans la bouche, […]
Elle glissa une jambe entre les siennes pour le faire tomber. Ils roulèrent sur l'herbe, séparés.
Alors elle cessa de rire, ferma les yeux, et l'attendit. […] Elle sentit d'abord sa main, légère, se poser sur ses genoux, et elle les lui ouvrit. Puis elle sentit sa poitrine sur sa poitrine et son ventre sur son ventre, il la touchait mais il ne pesait pas, il n'avait aucun poids, elle attendait et c'était une. éternité insupportable d'attente merveilleuse, et puis lentement, partout à la fois, il pesa et il fut tout entier sur elle et en elle, tout nu.
Et elle ne sut plus ce qui était l'intérieur et l'extérieur d'elle-même et du monde, ce qui était en elle et ce qui était lui. De longues vagues l'emportaient, chacune recommençant avant que l'autre finisse, en un voyage dont elle désirait la fin à en mourir et voulait qu'il ne finisse jamais.
Elle était à la fois l'océan et la barque, elle allait vers le soleil qui s'approchait, qui grandissait, vers lequel chaque vague l'emportait, plus haut, plus près, et puis, dans le déchirement de la naissance du monde, la mer et le ciel se joignirent, toute la mer coulait en elle dans tous les sens, elle était le soleil…

Une rose au Paradis (1981)

Une rose au Paradis - édition 1982
Le pouvoir de l'attrait de l'amour, ou peut-être plutôt du plaisir, qui forcera Monsieur Gé à déclencher l'ouverture de l'Arche plus tôt que prévu…
Vivons avec Jim et Jif la découverte…

Ils se disputèrent, ils se bousculèrent, il lui donnait des coups de poings, elle lui tirait les cheveux, ils poussaient des cris, ils riaient, ils roulaient l'un sur l'autre, et tout à coup elle avait dit, surprise :
- Oh ! Qu'est-ce qui l'arrivé ?
Et, pour savoir, elle avait mis la main dans son short.
- Oh !…
Elle lui avait ôté son short, pour mieux voir, et à genoux dans l'herbe, ils avaient regardé et touché, tous les deux, ce-qui-lui-arrivait… C'était drôle !… Et plus drôle encore ce que ça lui avait fait à elle. Tout son intérieur s'était bouleversé et était devenu brûlant, sa poitrine, son ventre, sa tête… Elle ne se rappelait plus du tout comment ça s'était enchaîné ensuite, mais, en un rien de temps, ce-qui-était-arrivé à Jim avait trouvé le moyen de venir s'installer dans elle, juste à l'intérieur d'un endroit qui semblait fait exprès pour ça… La première fois, ça avait été plutôt bizarre. Mais ils avaient recommencé, et les autres fois c'était devenu bon, bon, bon !…
Il faudrait qu'elle en parle à maman. Maman ne savait peut-être pas qu'on pouvait se servir de cette façon de cet endroit-là. Elle ne devait pas le savoir, puisqu'elle ne le leur avait jamais dit.

Mais d'abord… Jif et Jim ont été conçus, et c'est l'alors future Mme Jonas qui en a pris l'initiative, enfin celle de l'acte, sans doute inconsciente alors des conséquences :

Lentement, lentement, sa main gauche s'en fut en exploration. Après la traversée du désert, le dos de ses doigts toucha la hanche chaude. Il était nu.
Il ne se réveilla pas.
Alors sa jambe suivit le même chemin et vint se poser contre sa jambe, avec autant de précautions qu'un pétrolier s'ajustant le long du quai. Il s'arrêta de respirer. Elle aussi. Il y eut un instant de silence, puis un bruit de drap, et elle sentit une main légère se poser sur sa cuisse. Interrogative… Elle se remit à respirer, et posa sa main sur cette main. Celle-ci sembla hésiter, immobile. Comme un petit animal surpris qui croit se faire oublier en ne bougeant plus, puis elle se retourna sans brusquerie et fit face à la main posée sur elle. El elles se fermèrent l'une sur l'autre… Elle soupira. Elle était acceptée. Mais le moindre mot, maintenant, pouvait tout briser, apporter le ridicule ou l'odieux. Elle lui parlerait demain… Elle se redressa sur le coude, et de son autre main commença à faire sa connaissance. Tiens ! Il n'était pas aussi maigre qu'il le paraissait. Ses épaules étaient musclées, ses bras aussi, bien qu'un peu minces… Il n'avait pas de poils sur la poitrine. Elle en sourit de plaisir dans le noir, elle avait horreur des torses velus, un torse long, la taille fine, et… Oh le cher, cher petit oiseau blotti, qui n'avait jamais volé et avait peur ! Elle le rassura doucement, lui fit de sa main un nid puis un toit, puis un étui, puis le quitta pour ne pas l'effaroucher. Elle se recoucha sur le dos, conduisit jusqu'à sa veste de pyjama la main qui était dans sa main, et l'abandonna sur le bouton. La boutonnière était très large, le bouton glissa tout de suite… C'était fait ! Il l'avait déshabillée !…
À la fois audacieuse et timide, la main légère se glissait sous un pan de la veste, découvrait une merveille, en faisait le tour puis l'ascension, s'y reposait avant de partir à la découverte de la merveille symétrique. Sa main à elle était revenue vers l'oiseau blotti qui commençait à prendre courage. Elle l'entourait de chaleur et de tendresse, lui donnait de l'élan, le sentait peu à peu devenir un adulte superbe et, avec délicatesse, le conduisait jusqu'à la porte du monde…

La Tempête (1982)

La Tempête  - édition 1992

Dernier roman de science-fiction de Barjavel, d'inspiration biblique comme nous l'avions détaillé ici même il y a deux ans, son intrigue est menée par la découverte de la "molécule d'amour", sorte de phéromone généralisant les sentiments au moins bienveillants à toute les populations. Mais Olof y étant (le seul) réfractaire, les graves ennuis commencent, et Judith entreprend de le séduire pour sauver l'Humanité. Un résumé un peu raccourci, pour en venir au fait que les scènes potentiellement érotiques sont… rares -  bien que bibliques (au sens San Atonionesque).

Elle appuya sa joue contre la sienne, il tourna un peu la tête et leurs lèvres furent ensemble. […] Ils flottaient allongés au centre de tout, délivrés, intouchables. Les jambes de Judith s'ouvraient peu à peu, légères comme des pétales. Elle les referma doucement autour de lui. Alors il entra dans le chemin qui venait de lui être ouvert, et elle reçut ce qu'elle avait si longtemps attendu, le ciel avec ses étoiles, toutes les étoiles brûlantes et douces…, qui se balançaient, se balançaient… Et d'où coulait, partout, partout en elle, la joie inima#nable, pour laquelle aucun mot n'a jamais pu étre inventé.
Le temps s'écoula. […] Il n'y avait plus de temps, il n'y avait plus de poids, il n'y avait plus de monde.
Ils s'aimaient comme des papillons, comme des hirondelles, ils étaient duvets couchés sur le vent. Ils s'aimaient avec une passion brûlante et fraîche, avec tendresse, avec amitié, avec complicité.

C'est très joli, assez évocateur, mais peut-être un peu… fleur bleue.


Le bleu charrette de l'aphyllante de Montpellier

L'Enchanteur (1984)

L'Enchanteur L'Enchanteur

C'est dans L'Enchanteur que l'érotisme barjavélien atteint son sommet, avec cette page torride tout en frôlant l'escroquerie éditoriale :

Alors laissons Guenièvre et Lancelot murmurer, balbutier, chanter leur amour, leur folie, leur éblouissement. La porte s'est refermée. Éloignons-nous, en silence…

Que dire de plus ? Sinon citer le Dictionnaire Nathan théorique et critique du cinéma :


Les vrais (et les meilleurs) films de René Barjavel, ce sont ceux que le lecteur, la lectrice se font en lisant ses livres….

La Peau de César (1985)

Le sexe est sous-jacent à l'intrigue de cet unique roman policier de Barjavel, mais concrètement de manière très ponctuelle, nous en parlerons le moment venu.

Ses avis sur la Question

Effectivement, le mieux n'est-il pas de demander à l'auteur ce qu'il en pense ? De l'érotisme en général, et de ses "variantes" et représentations.
Pour lui, il semble que l'érotisme ne se distingue, éventuellement, que très subtilement de la pornographie. Et de celle-ci il pense et dit le plus grand mal ! À côté de plusieurs articles et interviews dans lesquels il s'exprime sur le sujet, sa position la plus résolue est celle qu'il profère avec véhémence dans l'émission de télévision d'Armand Jammot « Aujourd'hui Madame » du 20 février 1973, consacrée justement à la pornographie, avec un traitement copieux du film qui venait de faire scandale, « Le Dernier Tango à Paris ».

Aujourdhui Madame le 20 février 1973 : La pornographie

Barjavel s'est aussi étonné que plusieurs des participantes à l'émission avaient aimé le film. Aussi rien d'étonnant à ce qu'il trouve… étonnant que l'on puisse trouver érotique La Nuit des temps.
Juste après, il écrivit un long article de critique du film dans Le Journal du dimanche du 4 février 1973, publié dans Les Années de la Liberté. Il le conclut en appelant de ses vœux :

Qu'on nous montre donc Roméo et Juliette avant le chant de l'alouette ! Et Daphnis et Chloé se découvrant parmi les fleurs, et n'importe qui pourvu que le couple soit beau et amoureux. Le sexe sans l'amour n'est qu'une morne viande, et ce qui nous est dit et montré dans le « Tango » n'est même pas du sexe, mais ses ombres malodorantes. L'amour physique, c'est la joie, la joie, LA JOIE, et non ces soubresauts de chien bouilli.
Je pense d'ailleurs que cette communion du couple en paradis peut difficilement devenir un spectacle. Elle est d'une intimité charnelle tellement profonde et intérieure que la représentation de ses gestes ne peut en composer qu'une caricature. A moins qu'elle ne soit l'œuvre d'un metteur en scène génial, équilibré, heureux, ébloui…

Et, deux ans plus tard, il revient à la charge dans Le Journal du dimanche à propos du « cinéma porno », racontant avoir vu (par conscience professionnelle, bien sûr) quelques films : Emmanuelle :

Ce qu'on éprouve ? Après la surprise et un peu d'excitation, c'est très vite l'ennui. Comme tout le monde, j'étais allé voir Emmanuelle, il y a quelques mois. J'étais parti au bout d'une demi-heure, en bâillant. Mais, par conscience professionnelle, je suis resté cette fois jusqu'au bout de l'Histoire d'O.

et lu le roman

… un triste livre et un livre triste, qui nous emplit de compassion à l'égard de son auteur.

Et pour le film :

Je vous garantis que c'est une épreuve, malgré quelques instants de comique involontaire. Et c'est bien la « matière » qui est en cause, car les actrices et les acteurs sont beaux, les décors de qualité, et le metteur en scène plein de talent. Dès qu'il a - si brièvement ! - la possibilité de jouer avec le ciel, la brume, la mer, et des personnages habillés, il se libère et nous donne des images pleines de beauté et de poésie. Quel film merveilleux il aurait fait avec Le Grand Meaulnes !… Nous en sommes loin, évidemment. Et ce qui nous accable, c'est : encore un coït et encore un coït, et encore un ! après déjà tant d'autres coïts. Ooooh… hisse! Cela cesse vite d'être drôle. Et dans ce film et dans les autres, tant de fesses, et tant de seins, et tant de cuisses, et tous ces doigts de pied, et tout cela qui remue et se superpose, toujours de la même façon… Il y a si peu de variantes… Et c'est un exercice si peu esthétique… Toujours ce rein masculin qui s'agite, et cette bouche féminine qui, pour exprimer la volupté, s'ouvre comme pour gober une grosse mouche… Et encore des seins, des gros et des petits, des insolents et des résignés, toujours par deux et toujours au même endroit… Et ces bouches qui se rejoignent, avec les langues qui cherchent le chewing-gum… Moi qui vénère le corps de la femme et tous ses miraculeux détails, j'en suis sorti écœuré, comme un enfant voleur de sucre qu'on a obligé à en manger un kilo, jusqu'au dernier morceau.

Puis Exhibition :

C'est différent. C'est même le contraire, bien qu'il s'agisse de l'exploration du même gouffre. Ce n'est plus de la spéléologie intellectuelle, mais documentaire. Je préfère ça. La porno qui dit son nom à celle qui le remplace par le mot prétentieux d'érotisme.

Et il conclut, annonçant en quelque sorte « Apostrophes » de 1978 en s'adressant à la Jeunesse :

Mes romans contiennent bien des scènes « chaudes ». Mais ce sont des scènes d'amour. Je ne sais pas si j'oserai encore en écrire, de peur d'être confondu avec cela…
L'amour charnel, réussi et partagé, est le morceau de paradis que Dieu a donné au couple sur la Terre, quand il s'est repenti de l'avoir chassé de l'Eden. Mais c'est le contraire du sadisme et de l'exhibitionnisme. Rien n'a autant besoin d'intimité. L'homme et la femme réunis, qui s'accordent de la tête aux pieds, y compris le cœur et d'abord lui, font tomber en souriant toutes les barrières qui les séparent, et les dressent entre eux et le monde pour s'aimer dans le secret. Les grandes histoires d'amour, évidemment, ce n'est pas celle d'O, mais ce n'est pas non plus Roméo et Juliette ou Daphnis et Chloé. Ce sont celles dont personne n'a jamais entendu parler.
Jeunes gens et jeunes filles qui sortez d'une salle « rose », secouez votre crinière et oubliez ça, et pensez à la merveilleuse aventure d'amour sans contraintes, sans mensonges qui peut-être vous attend. Avec sa passion et sa tendresse, avec ses braises et sa pudeur. Je vous souhaite de la rencontrer. Ce n'est pas du cinéma.

La Sainte Inquisition en action ?

Peut-on considérer que les positions réservées de Barjavel aient été "inspirées" par des considérations religieuses ? De façon inconsciente, peut-être. Car même si les positions qu'il exprime sur les préceptes moraux puritains induits par la, ou les, religions vont le plus souvent dans le sens d'un regret de toute sévérité, l'éducation qu'il a pu recevoir pendant son enfance protestante peut avoir laissé des traces "de fond".
Dans La Nuit des temps, lorsque les savants viennent de réveiller le deuxième endormi de la Sphère, juste après les évocations "audiovisuelles" qu'a faites Éléa de sa vie à Gondawa, y compris les scènes les plus intimes, ne déplore-t-il pas ( :

Les vieux savants et même les plus jeunes, les hommes, et les quelques femmes parmi eux, se soulageaient en gesticulations et à grands cris de la gêne qu'ils éprouvaient à se retrouver entre eux, à se regarder les uns les autres, après avoir entendu et vu ensemble sur l'écran les scènes les plus intimes évoquées par la mémoire d'Éléa. Ils affectaient de n'y attacher aucune importance, d'être blasés, de les considérer dans un pur esprit scientifique, ou d'en plaisanter. Mais chacun en était bouleversé profondément dans son esprit et dans sa chair, et, en se retrouvant tout à coup dans le monde d'aujourd'hui, il n'osait plus regarder son voisin qui, lui-même, détournait les yeux. Ils avaient honte. Honte de leur pudeur et honte de leur honte. La merveilleuse, la totale innocence d'Éléa leur montrait à quel point la civilisation chrétienne avait - depuis Saint Paul et non depuis le Christ - perverti en les condamnant les joies les plus belles que Dieu ait données à l'homme. Ils se sentaient tous, même les plus jeunes, pareils à de petits vieillards salaces, impuissants et voyeurs. Le cœur de Coban, en se réveillant, venait de leur épargner ce moment de pénible embarras collectif, où la moitié d'entre eux se mettait à rougir et l'autre moitié blêmissait.

(sans parler du fils Vignont !)

En fait, pour Barjavel le(s) plaisir(s) d'amour sont un don de Dieu, et il convient (selon sa "foi") de les considérer - et respecter - comme tels. Il approfondit le sujet dans La Faim du tigre et Si J'étais Dieu, et en 1981, écrira au Pape Jean-Paul II - par un article au Journal du Dimanche en réponse à une récente déclaration pontificale :

Non, ce n'est pas un péché de désirer sa propre femme.
L'acte d'amour, sans désir et donc sans amour, devient uniquement acte de reproduction. Il faut bien perpétuer la vie, hélas, dit l'Eglise en se voilent la face. C'est pourquoi elle autorise le mariage aux fidèles. Mais elle se hâte de l'interdire à ses prêtres.
L'union des époux, réduite à la nécessité de mettre en contact les cellules reproductrices devient alors, uniquement, une injection… Pouah !
Que je sois damné si je me trompe ! Mais je pense et proclame qu'il faut aimer avec amour, avec un plein désir et une immense joie. Dieu nous tend sa Création et place en face de nous, homme ou femme, un être complémentaire avec qui nous allons peut-être participer un peu à ses mystères, au cours d'un bonheur partagé. Allons-nous faire grise mine ? Ne pas désirer nous pencher sur la rose, écouter le chant des oiseaux, lever nos bras vers les étoiles du ciel ? Allons-nous mépriser ce que Dieu nous propose ?
Nos bras tendus vers le ciel sont bien courts, mais dans notre jardin, la pomme du pommier est à notre portée. Elle est à l'image de l'univers. Elle nous est donnée. Prenons-la avec joie et avec amour. Et remercions le Donateur à chaque bouchée de notre vie.

D'ailleurs, dans Si jJ'étais Dieu, il s'interroge sur l'opportunité de conserver aux hommes leur sexe…


Femme, tu ne seras plus enceinte et tu n'accoucheras plus. Et tu ne recevras plus, avec joie, ou avec indifférence, ou avec dégoût, la semence de l'homme dans ton corps.
Homme, tu ne pénétreras plus le corps de la femme et tu ne l'ensemenceras plus. Nous allons faire les enfants autrement. Le sexe n'est plus nécessaire. Je supprime le sexe…
- Hé !… Hé ! … HÉ !…
- J'étais sûr que tu allais brailler !… Calme-toi ! C'était seulement pour te faire apprécier, par la crainte de le perdre, un des agréments de ta constitution physique… Je te conserve le sexe et ses ébats, et même, dans certains cas, sa fonction. Mais la joie de l'amour est mal partagée. Comme tu l'as dit, la femme ne la ressent pas toujours. Mais quand elle la ressent, c'est un transport total de son être, quelque chose qui ressemble à l'instant où l'or chauffé, encore et encore brûlé, tout à coup cède, fond partout, se répand en lui-même, devient liquide et lumière. C'est un moment découpé dans mon Paradis, d'où elle revient apaisée, nourrie, confortée, alors que l'homme, couché sur le flanc, essoufflé, souvent triste, étonné d'avoir fait cette gymnastique, tire la langue et se ratatine. Je vais réparer ces injustices. Mais voyons d'abord les nouveaux moyens de faire les enfants… Je dis « les » nouveaux moyens car Je vais en essayer plusieurs. C'est ce que J'ai déjà fait pendant l'Évolution. Certaines des vieilles solutions seront peut-être bonnes pour toi, on va voir. La graine, le marcottage, l'œuf…

Eu aussi :

Viens, petite créature… Que Je te regarde encore… Décidément, Je me demande à quoi Je pensais quand je t'ai fabriqué ce zizi… Quand il est en orgueil on dirait une saucisse à demi épluchée, et dans sa modestie, tête basse et regardant le sol, il est l'image même de la honte et du regret. Voilà ce qui t'a donné l'idée du péché : c'est quand tu as regardé ton ventre après avoir fait l'amour. A ce spectacle, ton cœur et ton âme se sont emplis de désolation. Il y avait de quoi. Mais tu n'aurais pas dû en tirer des conclusions métaphysiques. Un zizi est un zizi, rien de plus.
- En avez-vous un, Seigneur ?
- Impertinent voyou !… J'en SUIS un… Je suis le sexe mâle et femelle insexué, Je suis l'ovule infini et le sperme universel dans leur conjonction éternelle… Voilà que tu Me fais faire de la métaphysique à Moi aussi !… Cesse de Me distraire ! Nous travaillons… C'est très important, car Je dois de nouveau te faire à Mon image…
- Qu'est-ce que ça signifie, Seigneur ? Je ne l'ai jamais compris… Comment moi, infime virgule, puis-je ressembler au texte complet ?
- Sans la virgule placée juste où elle doit être, le texte perd sa signification. C'est là ton importance dans la création. Tu es à ta place, juste à l'articulation entre la matière et l'immatériel, frontière et passage de celle-ci à celui-là, et tu Me ressembles parce que tu es trois en un, comme Moi.
- Trois en un ?
- L'animal est deux, le végétal est un, le minéral zéro, toi seul est trois, à Mon image. Ce n'est pas un mystère. Réfléchis et tu comprendras. Revenons au zizi. Je le coupe !
- NOOON !… Vous m'aviez dit que Vous me laissiez l'amour ! Vous avez promis !…
- Bien sûr, mais pas avec ce machin !… Je vais t'inventer quelque chose de mieux…
- Non ! Oh non ! Seigneur !… Je vous en prie !… J'y tiens !… Je l'aime !… ELLES l'aiment !… Même quand il penche !… Elles n'y voient pas regret, mais promesse… Et leur joie est de savoir 'lui rendre sa fierté… Je vous accorde qu'il est ridicule… Mais pas plus que mon nez ou mes oreilles, ou que cette barbe que vous me faites pousser sans arrêt. Si je la garde j'ai l'air d'un buisson, si je la rase c'est la barbe ! Lui, au moins, il ne pousse pas…
- Il ne lui manquerait plus que ça !… Bon, Je te le laisse… Mais il offusque Ma vue dans sa position mineure. Je le fais rentrer dans ton ventre avec ses attributs. Il y sera à l'abri et n'en sortira que pour agir. Comme celui du chat. Et il obéira à ta volonté et non plus à l'instinct. Il ne t'entraînera plus malgré toi dam des sprints exténuants, vers des drames, des malentendus ou des sketches bouffons. Et il ne se dérobera plus, sous le coup d'une émotion ou d'une idée, juste au moment où il devrait faire ses preuves, virant en trois secondes du bronze au beurre fondu. Et tu ne pourras plus éprouver le désir de l'utiliser si tu ne te trouves pas en face d'un désir réciproque et complémentaire. Plus de femmes violées ou même seulement consentantes et blêmes, plus d'hommes impuissants ou filant derrière leur sexe comme une flèche derrière sa pointe…
- Alors, plus d'unions malheureuses ! Plus de malentendus conjugaux !…
- Ça, c'est autre chose. Pour le bonheur, la joie sexuelle ne suffit pas. Il y faut, en plus, l'amour. Mais vous êtes les créatures les plus aimantes après le chien. Je n'ai rien à vous rajouter dans ce domaine. Votre erreur, votre malheur, c'est que cet immense amour dont vous êtes capables, chacun de vous le destine à lui-même. Il s'aime, il s'admire, il se plaint, il se dorlote, il essaie de tout prendre aux autres pour se l'offrir, le monde doit le servir, lui être toujours favorable, tout lui donner et ne lui demander rien.
Tu es en train de te dire : « Comme c'est vrai ! » en pensant à tes proches, tes amis, tes voisins. Mais tu es pareil TOI AUSSI ! Réfléchis quelques instants, fais ton examen de vérité ! Ce n'est pas exact ?

La peur des mots ?

Dans l'œuvre de Barjavel, les récits à connotations érotiques (comme nous en avons cités quelques-uns) sont finalement très "soft", du point de vue vocabulaire. Ce sont presque des mots de tous les jours, permettant certes de bien comprendre de quoi il s'agit, mais qui n'ont rien d'"émoustillant" comme c'est le cas dans les littératures, disons, davantage "spécialisées". Barjavel appelle un chat un chat, mais oserait-il utiliser le féminin ?


Barjavel et son chat, Chafou
 

Un livre passionnant qui aurait
sans doute passioné Barjavel…
Il est des mots… - M. Polnareff, chanson interdite avant 22 heures à l'époque de sa sortie (1966)
Extrait sonoreIl est des mots - 0:14

Effectivement, il y a des mots à ne pas dire en société… ni dans les livres, ni même… tout court. Pour diverses raisons, mais dont l'essentiel, pour certains - dont Barjavel - serait de "détruire la poésie".

VideoApostrophes - Orgasme - 0:16

Je me rappelle - j'en avait parlé en 2013 - cette jeune étudiante que j'avais aidée en 2007 lors de son mémoire de Master I de Littérature française, « L'AMOUR ET LA MORT dans La Nuit des Temps, Le Grand Secret, La Tempête », qui y développait assez longuement les considérations - d'inspiration freudienne en particulier - Éros et Thanatos, celle-ci cristallisée pour elle dans le rapprochement entre l'orgasme dénommé "Petite mort" dans certaines littératures. Qu'en aurait pensé Barjavel ?…
Enfin je n'ose pas imaginer son ressenti face à (si j'ose dire) des termes érotiques très précis comme cunnilingus, etc. !
Alors oui, je pense qu'il y a chez lui non pas une peur, mais une réserve vis-à-vis du vocabulaire (pardon, soyons branchés, le champ lexical…), et qui est sans doute toute à son honneur.
Dans L'Enchanteur, ne justifie-t-il pas la page blanche par :

Ici nous ne pouvons que nous taire. Pour décrire l'amour qui s'accomplit, tant de joie éperdue, la timidité d'abord, peut-être l'effroi, le coeur qui veut sauter hors de la poitrine, les mains qui veulent connaître, qui se tendent, qui se posent, qui se brûlent, la découverte, l'émerveillement, les corps qui se joignent peau à peau et s'unissent, la stupeur, l'envol, le bonheur de l'autre, la douce lassitude, la tendresse, la gratitude infinie, et la redécouverte et le nouvel élan, et les frontières de la joie sans cesse reculées, et celles du monde volant en éclats, pour dire la délivrance du cœur que plus rien ne gêne, l'épanouissement de l'esprit qui comprend tout, pour donner même, une faible idée de ces moments hors du temps et de toutes contraintes, il faudrait employer d'autres mots que ceux dont dispose le langage ordinaire. Pour parler des joies de l'amour et des lieux du corps qui leur donnent naissance, il n'existe que des mots orduriers ou anatomiques. Ou d'une pauvreté si misérable, qu'ils sont comme une peinture grise sur le soleil. Le plus affreux d'entre eux est le mot " plaisir "…
Les amants inventent leur propre vocabulaire, mais il n'a de signification que pour eux.

Le plaisir, et les désirs

Bien sûr, s'ils sont présentés comme mûs par le sentiment amoureux - qui reste à préciser plus finement - les amants barjavéliens sont surtout animés par le désir, et la recherche du plaisir.

Tiens, retrouvons Herbert Léonard…

H.Léonard - Pour le plaisir
Extrait sonorePour le plaisir - 0:27

Le plaisir, oui, le désir, certes, mais le chemin de l'un à l'autre est chez Barjavel assez direct.
De manière assez simple en fait, car il n'est pas trop question de "raffinements" - éventuellement nommés (…ailleurs, car je pense que Barjavel n'aimait pas trop le mot) "préliminaires". Comme relevé précédemment, Barjavel semble donc ignorer le Kama Sutra, du moins en tant qu'influence littéraire. Il est vrai que certains contemporains le découvrent encore assez tard… Je citerai Michel Onfray, dont l'ouvrage de 2008 Le Souci des plaisirs fait assez bien le tour de la question (en particulier l'analyse critique - nous y revoilà ! -, de l'influence du christianisme paulinien), tout en laissant comprendre qu'il s'est agi, pour lui, d'une révélation récente.


Le souci des plaisirs -M. Onfray 2008
(il en existe une très jolie version en livre audio lu par Fanny Ardant

Et à plusieurs occasions Barjavel l'exprime assez crûment… Dans Les Chemins de Katmandou, même s'il exprime le point de vue du personnage Marss, bien peu sympathique :

Les filles, elles sont toutes pareilles, dès qu'il y a un jeune qui se présente, avec sa petite gueule fraîche et sa queue dure, elles deviennent folles ! leur ventre n'est plus qu'un aspirateur !…

Barjavel dans…  ?…

Le croiriez-vous ?

   

Qui est macho ?
quelques hommes célèbres* en france et aux états-unis
disent ce que la libération des femmes a changé, ou non, pour eux
* Entre autres : Dr Spock, Jacques Laurent, Claude Chabrol, Jean Cau, Robert Sabatier,
Roger Moore, Lucien Bodard, Remo Forlani, Jean-Edern Hallier, Jean-Jacques Pauvert,
Jean d'Ormesson, Arrabal, Michel Tournier,
et…

RENÉ BARJAVEL Ce qui modifie peu à peu mes rapports avec les femmes, ce n'est pas leur « libération », mais, hélas, l'âge. Pas le leur : le mien… La « libération » n'a rien changé. Il y avait, avant, des femmes avec qui on pouvait avoir des relations d'homme, et celles qui n'étaiuent que des êtres de sexe féminin, avec qui on n'avait des relations d'être humain. Les unes et les autres sont restées les mêmes. Ce sont les secondes qui ont voulu se « libérer ». Les premières étaient déjà libres… Dans mon livre « Si j'étais Dieu », j'ai libéré la femme de son plus lourd handicap : la maternité. J'ai inventé neuf nouvelles façons de faire les enfants…

Étrange déclaration (et apparition) d'un Barjavel à la chevelure christique voire paternosterique (image d'artiste…), mais dont on ne peut pas nier qu'elle représente sa pensée, à cette époque tout au moins. Ses pensées, plutôt, car en plus de la vision particulière qu'il exprime de la féminité, on retrouve aussi ce qui est le fond de sa compréhension du rôle des femmes : la maternité.

Mais alors, tout ça pour quoi ?

L'Art ? Oui, d'une certaine façon. Car Barjavel l'exprime bien, par exemple dans Le Journal d'un homme simple, le 17 juillet 1949, en faisant appel d'emblée à une caractéristique esthétique - presque platonicienne -, comme nous l'avons entendu hier soir :

Parmi les fruits et les fleurs, le plus beau cadeau que Dieu ait fait à l'homme, c'est la femme. Et pour qu'ils se réjouissent ensemble il leur a donné l'amour. Il n'est pas de joie aussi saine, aussi complète, aussi réconfortante, aussi naturelle, aussi propre, aussi exaltante, aussi apaisante, aussi nourrissante, que celle qu'éprouvent un homme et une femme jeunes, normaux, équilibrés, bien assortis et amoureux, à faire ensemble l'amour.

Toutefois, les sous-entendus de son avis ne manquent pas d'interroger : la beauté des plaisirs est-elle réservée à la jeunesse ? - et à quelques autres caractéristiques qui semblent exclusives, nous dirions maintenant discriminatoires :

« un homme et une femme jeunes, normaux, équilibrés, bien assortis et amoureux »…

Qu'en est-il passé un certain âge ? Nous y reviendrons.

Mais tout bienfaisants et "artistiques" que puisse être l'acte d'amour, et les représentations qui en sont faites, tant en scultpure, dessins, peintures, et même, n'en déplaise à l'auteur, cinéma (ce seul art qui dépende entièrement de la technique, ce qui peut aussi ouvrir la porte à d'autres arts, à inventer), la vision de Barjavel de la motivation de l'amour, et du sexe, est quelque peu unidimensionnelle : c'est…

L'auteur nous le dit clairement dans La Faim du tigre, qui est en fait son livre consacré à cette question, La Question… :

L'être humain de sexe mâle en qui s'est éveillé le désir d'un être humain du sexe opposé, qui franchit ou détruit tous les obstacles qui l'en séparent, qui fait fondre son indifférence, anéantit ses scrupules, dissipe ses craintes, l'arrache à ses parents ou à son mari pour en faire sa femme ou sa maîtresse et se couche enfin en elle, est bien persuadé à cet instant suprême que cette possession est l'aboutissement de son effort conscient, obstiné, volontaire, le couronnement victorieux de son action individuelle, alors qu'en réalité il a couru derrière son sexe, lequel était orienté comme l'aiguille d'une boussole par le champ magnétique de l'espèce.

La Force Vive de la biologie

L'Élan Vital bergsonnien…

Donc la seule finalité de tout cela, c'est une force - The Force - qui dépasse tout ceux et celles qu'elle incite à l'action, autrement dit dont on est nécessairement inconscient.
Et cette optique est celle qui éclaire et conduit toute son œuvre, tant romanesque que littéraire et journalistique.
Barjavel converge ici avec la pensée du philosophe Henri Bergson, et des vitalistes de la première moitié du vingtième siècle, et l'appliquant à l'amour et toutes ses "manifestations" (autrement dit, ses mises en actions), déclenchés et justifiés par la (sur) vie de l'espèce, des espèces même car tout les règnes vivants sont concernés, il en arrive assez logiquement à penser que, parfois, souvent, les êtres concernés en sont victimes

Le Piège, et le Poison ?

La fleur douce de l'amour
Est le piège et le poison.

Oui… et cela pour chacun selon son espèce (Genèse I:11-12).



11 - Dieu dit : "Que la terre produise des végétaux, savoir : des herbes renfermant une semence ; des arbres fruitiers portant, selon leur espèce, un fruit qui perpétue sa semence sur la terre." Et cela s'accomplit. »
12 - La terre donna naissance aux végétaux : aux herbes qui développent leur semence selon leur espèce, et aux arbres portant, selon leur espèce, un fruit qui renferme sa semence. Et Dieu considéra que c'était bien.

Autrement dit, chaque espèce n'est poussée par rien d'autre que la propagation de ses gènes.
Mais cela conduit-il à oublier tout le reste ? C'est à dire le désir - non, justement il en fait directement partie - et ses raffinements ? Eh bien… si Barjavel ne les ignore pas complètement, il en fait la mesure de la ruse de cet élan vital, autrement dit de la Nature. Et il résoud ainsi, peut-être de façon un peu abracadabrantesque, un des mystères… : pourquoi cette pulsion, ces désirs, existent-ils chez des êtres qui n'en ont jamais ressenti les conséquences - autrement dit, le Plaisir ?

C'est presque toujours avec surprise qu'une femme se rend compte qu'elle est enceinte. Et même quand la surprise est heureuse, ce qui est la minorité des cas, il lui faut un certain temps pour le croire et réaliser vraiment son état. Rapidement, elle accepte sa fonction nouvelle et s'en réjouit, mais l'événement lui est apparu d'abord comme invraisemblable et presque surnaturel. Alors que rien ne lui avait semblé plus naturel et allant de soi que de faire l'amour.

Dans Le Grand Secret, à peine l'acte "consommé", avec la lucidité post coitum viennent des considérations plutôt déprimantes :

Il retrouva auprès d'elle une insouciance un peu animale, agréable. Ils firent l'amour et elle s'endormit. Il la regarda. Elle était couchée de profil, jeune et belle, intacte, élastique... Il pensa que ce qu'ils venaient de faire ensemble, cette agitation, ces soupirs, ce plaisir-piège, tout cela qu'ils n'avaient voulu ni l'un ni l'autre, qui avait été voulu par un instinct tellement plus puissant qu'eux, était grotesque, et humiliant. C'était cela, l'homme, la femme, les rois de la création ? Cette gymnastique, ces crispations et ces détentes, ces coups de pied de cheval, ces ramollisements, ces odeurs ?

Mais j'ai envie de dire au - relativement - jeune Barjavel qui commence à réaliser, quelque peu douloureusement je crois, et à formaliser à l'approche de la cinquantaine,

« C'est un peu court, jeune homme ! »

C'est un peu court, jeune homme ! - 0:02

Que deviennent alors les raffinements amoureux, tant sentimentaux que sensuels, qui assurément ne visent pas (que) la procréation ? Et qui, de ce fait, ne sont bien évidemment pas réservés à la jeunesse !
Il semble - mais il est peut-être risqué de s'aventurer à une analyse psycho-historique trop personnelle - que Barjavel en ait "pris conscience" un peu tard, et, on peut le penser, sous l'influence d'Olenka de Veer qui l'a accompagné dans l'Écriture et aussi d'une certaine façon dans sa vie à partir de la fin des annés 1960. Et que cette révélation a pu venir bousculer ses idées précédentes, sans les remplacer mais en le faisant s'interroger davantage sur le sujet, et tout en gardant, quand même, la même ligne de pensées.
Mais peut-être est-ce simplement la marque de son expérience, et d'une certaine inquiétude lucide qui lui en est venue…

Nous devrions y penser de bonne heure. Mais tant que nous sommes jeunes, ou « encore jeunes », pouvons-nous imaginer que nous ne le resterons pas toujours ?

Même si c'en est la motivation (selon Barjavel), l'érotisme ce n'est pas que la procréation. Et même… ce peut être autre chose que ce qu'on appellerait aujourd'hui « le couple hétérosexuel cis-genre »… Barjavel envisage-t-il ces autres sexualités et érotismes ? Ses romans sont pour le moins "discrets" sur la question.

Le sexe sans partenaire (joli euphémisme) est évoqué de manière très marginale dans La Nuit des temps :

… et quand il ne dors pas, c'est pire…

ainsi que dans Tarendol, et ça et là dans des articles ou essais. Après tout, de ce point de vue, chacun fait (fait fait) ce qu'il lui plaît (plaît plaît)… (comme le chantait Grégory Ken, qui fut de façon peu connue un artise barjavélien…)

Les Amitiés particulières - et plus si affinités - qui avaient inspiré dans les années 1960 Roger Peyrefitte, "intéressent" aussi Barjavel. On a pu voir, dans Les Chemins de Katmandou, l'évocation par Marss de la possibilité « de préférer les garçons » :

- Qu'est-ce qu'il aime pas ? demanda Marss à voix très haute. Toucher les filles ?… Ça lui plaît pas ? Il préfère les garçons ?

et, dans La Peau de César, en parlant du Maître, l'acteur Faucon qui vient d'être assassiné sur scène, et dont le personnage rappelle par bien des aspects Marss lui-même :

- L’assassin bien-aimé… Brutus ! qui joue Brutus ?
- Un jeune acteur… Je n’ai pas son nom dans la tête… Un inconnu… On dit que c’est le petit ami de Faucon…
- Ah ! le Maître est dans sa période masculine ?
- Il n’a pas de période, je pense… Il prend ce qui lui fait envie… S’il se fait un peu tailler la peau, un de ces soirs, il l’aura bien cherché !…

Dans La Faim du tigre, il considère les homosexuels comme tout autant "affectés" par l'élan biologique du désir :

…tous les couples anonymes qui constituent le tissu vivant de l'humanité et aussi les isolés, les abandonnés, les déçus, et aussi les homosexuels. Ceux-ci ne sont pas plus libres que les autres. Ils sont, eux aussi, commandés par le besoin d'éprouver les délices charnelles de l'amour.

Dans Lettre ouverte aux vivants, il confirme :

Les homosexuels eux-mêmes, mâles ou femelles, sont mus par le tout-puissant élan de reproduction, qu'ils n'ont fait que détourner de sa direction naturelle. Cela ne compte pas dans le grand courant de la vie, pas plus que ne comptent les millions de tonnes de pollen perdu, les armées de spermatozoïdes sacrifiées, les populations d'alevins gobés dès leur naissance. Ces énormes pertes sont négligeables. Ce qui passe à travers les obstacles suffit. La vie continue.

Et, dans plusieurs articles et interviews, Barjavel fait preuve d'une certaine ouverture d'esprit assez remarquable (pour l'époque…), mais qui est (encore) pénétrée d'une certaine δοξα bien prégnante à l'époque et dans sa génération. Ainsi dans Le Journal du dimanche du 26 janvier 1975 (Les Années de l'Homme) :

LES HOMOSEXUELS
ÊTES-VOUS HOMOSEXUEL?
- Non !..
Sûrement ? Réfléchissez… N'avez-vous jamais rougi à la vue du petit télégraphiste barbu ?… Non ? Voilà qui est singulier…

N'avez-vous jamais pensé que la femme est une erreur de la nature, un être inférieur, aussi étrange qu'un escargot, au psychisme infantile et au physique repoussant, avec ces trous et ces bosses partout ? Non ?… Vous trouvez, au contraire, ces détails plutôt agréables ? Il y a quelque chose qui ne va pas chez vous, mon ami… Vous devriez consulter votre médecin… Une petite cure de psychanalyse…
… Je ne plaisante pas entièrement.

Il est certain qu'on se sent aujourd'hui insolite, dépassé, diplodocus, si on se prétend ordinaire, si on préfère la rose à l'épine, Renoir à Picasso et le contrefilet à point à la salade de soja. Celui qui se croit en équilibre est suspect.

Pour montrer qu'on est dans le vent, qu'on est « humain », qu'on comprend le sort malheureux des assassins, qu'on est prêt à accueillir tout le tiers monde affamé dans son studio-kitchenette, il faut pencher de quelque côté - ce côté ne peut être d'ailleurs que le côté gauche - et surtout ne pas se proclamer capable d'amour pour et avec une femme, et une seule à la fois. A la rigueur, on peut se commettre avec plusieurs à condition que ce soit en compagnie d'autres garçons courageux et dans des positions inconfortables…
Voilà que j'ai encore tendance à plaisanter. C'est une sorte d'automatisme, que provoque instantanément l'évocation de ce sujet.

La situation de ces hommes, en marge et à la marge de la masculinité, est pourtant, neuf fois sur dix, tragique ou pitoyable, bien qu'elle suscite, toujours, la plaisanterie, accompagnée ou non de colère.

Il existe pourtant entre eux une « fraternité » au moins aussi efficace que celle des anciens élèves de l'école Polytechnique…

Dans certains milieux artistiques ou d'affaires, « en » être est une aide plus qu'un obstacle. C'est normal. Partout et toujours, les membres des minorités opprimées se reconnaissent et s'entraident. Tout le monde doit avoir le droit de vivre ce qu'il est. Nous naissons porteurs d'une hérédité et d'un sexe qui nous sont imposés. Nous sommes blanc, noir, jaune, brun, roux, grand, petit, laid ou beau, intelligent ou idiot, homme ou femme, ou l'un et l'autre, ou ni l'un ni l'autre. Nous n'y pouvons rien. Ce que nous pouvons, c'est admettre que notre voisin est comme il est et lui laisser la liberté de l'être, à condition que sa liberté ne piétine pas la nôtre.
Mais il est difficile de vaincre tout à fait le réflexe provoqué chez un homme « normal » par l'évocation ou la rencontre d'un « anormal ». C'est le surgissement d'un bloc de sentiments où se mélangent le blâme, l'incompréhension, le mépris, l'amusement et parfois la haine. Je crois que ce n'est pas une réaction purement sociale et qu'il faut en chercher les racines beaucoup plus profondément.
L'homme a besoin de manger pour vivre, et de boire, et de respirer. Ces trois nécessités commandent tous ses actes. La nécessité d'utiliser son sexe lui semble moins impérieuse, parce qu'à la rigueur il peut survivre sans ça. Ou en s'en servant très peu. Alors qu'il ne pourrait se contenter de respirer une fois par mois. Cette liberté dont il croit disposer à l'égard de son sexe n'est qu'une illusion. La pulsion sexuelle est en réalité la plus puissante et domine toutes les autres. Ce n'est pas la survie de l'individu qu'elle commande, mais celle de l'espèce. Cette dernière, qui pousse tout le monde vers un but inconnu, doit veiller à ce qu'il y ait encore des vivants quand arrivera le bout de la route. C'est pourquoi elle jette sans arrêt hommes et femmes les uns vers les autres, sans se soucier des accidents.

Il faut continuer le voyage, il faut remplacer les voyageurs qui tombent, il faut faire des enfants… c'est le seul devoir de l'individu, il ne sert qu'à cela. Qu'il soit, en plus. Prix Nobel ou femme de ménage portugaise, c'est secondaire et superflu.
Une partie des hommes et des femmes est empêchée par les circonstances d'accomplir son devoir envers le genre humain, ou s'en détourne. Mais la nature a pris de formidables précautions. Chaque homme dispose dans ses cartouchières de milliards de projectiles, et chaque femme est une cible qui fonctionne comme un aspirateur. Le nécessaire sera fait. Pas besoin de grandes batailles. Les escarmouches suffisent…

L'amour, à la base, c'est donc cela : l'accomplissement d'une obligation, sous l'effet d'une pression fantastique, qui peut aussi bien écraser les individus que les projeter en plein ciel. Cette pression, ce devoir de l'espèce sont si puissants que si demain, comme on nous le laisse de nouveau entendre joyeusement, une guerre atomique éclate et qu'il ne reste que deux survivants, un homme manchot et une femme-tronc, ils ramperont l'un vers l'autre avec ce qui leur restera de chair, pour l'unir et la confondre afin de donner naissance à des chairs nouvelles, qui pourront continuer le voyage. Les sociétés, les religions, les morales, effrayées par cette puissance, ont essayé de la maîtriser. Elles l'ont endiguée entre des murailles d'interdits et de tabous, l'ont canalisée dans le mariage et dirigée vers les robinets de la famille, qui sont plus souvent fermés qu'ouverts.

Les contraintes fantastiques auxquelles a été soumise depuis des millénaires cette force naturelle auraient dû avoir, semble-t-il, des conséquences physiologiques. On aurait pu s'attendre à voir le sexe de l'homme plié en zig-zag et celui de la femme cloisonné en labyrinthe. Rien de tel. Tout est resté bien droit, bien simple, tout est toujours aussi facile, aussi difficile. Ce n'est pas le sexe qui s'est tordu, mais l'esprit.

Les déviations, les manques, les excès, les impossibilités, les frénésies sont les fruits de l'esprit effrayé, comprimé par cent siècles d'interdits. L'homosexualité est un produit de ces contraintes. La preuve en est qu'elle n'existe pas chez les bêtes libres. Que ce soient l'hérédité, l'état nerveux ou hormonal de sa mère enceinte, ou l'éducation et les tentations qui le déterminent définitivement, l'homosexuel est un produit artificiel de la civilisation.
Mais la réprobation qu'il suscite est un produit naturel. C'est une réaction de l'espèce, en bloc, tendant à rejeter ce morceau d'elle-même qui s'est détourné de sa fonction.
Le tragique, c'est qu'il est quand même emporté, comme les autres, par la pulsion sexuelle, bien qu'elle n'ait chez lui plus de raison d'être. Il désire, il aime, il veut, il est heureux, il saigne. Il saigne d'autant plus qu'aux barbelés de la morale s'ajoutent pour lui ceux des bonnes mœurs. Le fruit qu'il désire lui est deux fois défendu. Ballotté entre un sexe qui ne veut pas de lui et l'autre dont il ne veut pas, emporté par la marée d'un désir sans finalité et repoussé par les récifs de la société, il ne lui reste, s'il ne veut pas sombrer, qu'à s'enfoncer dans le chenal de la clandestinité ou à se confier à la vague du scandale. L'obscurité ou la provocation…


Par leurs porte-parole à la télévision, mardi dernier, « ils » ont demandé à être libérés de l'une et de l'autre et considérés comme des êtres humains ordinaires. Des êtres humains, certes! Et souvent des plus agréables avec qui lier une amitié. Mais « ordinaires », ce sera difficile. La réaction qu'ils provoquent provient du subconscient collectif animal et elle est peut-être impossible à raisonner.

Pourtant, tout homme peut un jour « en » devenir « un » et toute femme « une »…
- Quoi ? Moi ? Je… ?
- Tous les contraires sont en puissance en vous et en chacun. C'est une question de chimie. Il suffit d'un accident, de la brusque fantaisie d'une glande, d'une erreur de médicament, pour vous retourner la peau comme celle d'un lapin… Alors ne soyez pas sectaire et faites attention à vos plaisanteries… Et rappelez-vous que, tordu ou droit, normal ou dévié, il n'y a pas, après tout, dans la vie, que le sexe.

Cette dernière phrase étant aussi comme un leitmotiv de sa façon de penser, on la retrouve en conclusion d'un autre article au Journal du dimanche (11 mai 1975), « Le derrière d'Emmanuelle et le crâne de Giscard »

Et puis… Et puis, il y aura toujours, triomphant, immortel, l'amour. Ceux et celles qui sont dignes de lui s'apercevront très vite que sans l'amour leur propre corps et celui de leur partenaire ne sont, après la petite gymnastique, pas autre chose que de la viande…

Curieusement, dans la transcription de cet article dans Les Années de l'Homme, sous le titre « Une famille en week-end, dans vingt ans » ce dernier paragraphe est supprimé…

C'est grave, Docteur ?

Que peut-on penser d'une approche psychanalytique de l'« érotisme barjavélien » ? À mon avis, rien… Quoi que l'on pense de la psychanalyse elle-même, sa démarche n'a de sens que si l'"analysant" en est partie prenante. Or Barjavel n'y accorde pas beaucoup de crédit ni d'intérêt, et même la récuse, avec ironie :

Il faut, d'après la psychanalyse, tuer son père, au moins symboliquement, pour devenir un homme. C'est très curieux. Ni dans ma tendre enfance, ni plus tard, je n'ai eu envie d'assassiner le mien, ni de sodomiser mes frères, ni de violer ma mère. Je dois être anormal.

Et, ailleurs :

La psychanalyse prétend tout expliquer. Elle ne permet de connaître qu'un tiers de notre personnalité ; la partie instinctive. Les deux autres tiers : la partie émotionnelle et la partie intellectuelle restent dans l'ombre. Alors ? hein ?

Mais je me demande si la connaissance qu'a pu avoir Barjavel de la psychanalyse "tient la route". Disons qu'elle était "grand public", sur la base de quelques mots, ce que m'incite à me rappeler cette interview où il déclare, avec ironie :

les Américains sont de grands enfants, ils viennent de découvrir la psychanalyse, et ils sont pleins de complexe d'infériorité…

On comprendra donc que je ne m'aventurerai pas sur ce terrain risqué… mais néanmoins quand même potentiellement intéressant.

Évolution : Une vision et un postulat

On a bien compris que la conception qu'a Barjavel des relations amoureuses repose sur un postulat qu'il s'est lui-même donné, après d'intenses reflexions personnelles étayées par certaines considérations scientifiques, qui peuvent être remises en cause par la progression de la recherche, par exemple les homosexualités chez les animaux, maintenant avérées.
Mais cela ne retire rien pour lui à l'intérêt de La Chose… à condition qu'elle soit faite intelligemment, et avec lucidité dénuée de crainte des conséquences.

JDD, 12 décembre 1972, in Les Années de la Liberté :

On veut nous montrer des couples en train de faire l'amour ? Pourquoi pas, si c'est intelligent et beau ? Bien que j'estime que cette grande, cette immense cérémonie perde toute vie dès qu'on lui casse sa coquille, qui est l'intimité, le secret à deux. Mais peut-être cette mise au grand jour est-elle nécessaire après tant de silence, tant d'ignorance, tant de nuits de noces où des ignorants ou des brutes sacrifiaient des vierges dans les ténèbres. Alors, qu'on ne fasse pas pire, qu'on ne remplace pas le silence par des concerts de ricanements et l'obscur par l'odieux. L'amour, la merveilleuse joie de la vie, comment osent-ils en faire une telle charogne ?
Le sexe, c'est grave. Où l'homme le met, tout le reste y passe. Ce que la femme y accueille l'emplit jusqu'aux cheveux. C'est pourquoi il faut choisir la joie et la beauté. La beauté, cela peut être une fille pas belle, un garçon tordu, si ce qu'on fait avec lui, avec elle, c'est dans la liberté et l'amour, la recherche de joies partagées, d'où l'on revienne exalté et grandi et non honteux ou, ce qui est pire, indifférent.

Et, de ce postulat qui finalement sous-tend toute son œuvre, Barjavel garde une préoccupation "de longue date", que l'on peut penser associée à un (ou des) souvenir de jeunesse, le risque d'enfantement… d'où son souci pour la contraception, dont la libéralisation lui a apporté un soulagement qu'il exprime fréquemment, loin des blocages pontificaux, ainsi en décembre 1972 :

La vérité n'est ni dans l'ignorance, l'obscurité et les tabous, ni dans la licence et la dispersion. Elle est dans la lumière et la recherche de l'épanouissement de soi par l'épanouissement de l'autre et le respect des autres. La loi Neuwirth, (qui autorisait et libéralisait la contraception) qui vient enfin d'être votée, est un pas vers un avenir qui devrait permettre aux hommes et aux femmes des générations futures de participer en toute lumière et maîtrise de soi à la grande ronde expansionniste de la création, qui, partie de nulle part, tend à occuper tout. Notre univers, c'est peut-être un œuf de Dieu en train d'éclore.
JDD, 17 décembre 1972 in Les Années de l'Homme)

Et puis…
… et j'allais dire déjà…

Barjavel, écrivain érotique ?

Chacun se fera son idée. Mais il est bon de réaliser qu'il s'agit d'un "genre littéraire" qui n'est pas à la portée du premier venu… Écoutons ce qu'en disait tout récemment l'auteure Belinda Cannone, auteure de plusieurs essais sur l'amour, le désir…


Extrait sonore
Belinda Cannone sur France Culture le 7 août 2021 - 0:38

Je crois, je me suis beaucoup intéressée, je m'intéresse beaucoup à cette question de l'écriture de l'érotisme, parce que je crois qu'en effet c'est un des enjeux les plus compliqués pour un écrivain. Arriver à écrire l'érotisme, c'est compliqué. C'est difficile, il faut trouver un labgage. Et notamment, je crois que ce qui est le plus difficile, si vous voulez, l'erreur qui consiste.. qui d'ailleurs tend à la pornographie, c'est de décrire les choses telles qu'on les voit. Et l'intérêt d'un écrivain, de l'érotisme pour l'écrivain c'est surtout, au contraire, de les écrire comme on les sent. Et là c'est un autre enjeu bien plus compliqué.

Barjavel a-t-il ce talent ? Et cette vocation ?

Ab esse ad posse valet, a posse ad esse non valet consequentia.

Alors, je suis sûr que vous l'attendiez… ré-écoutons le encore une fois nous dire ce qui est je crois tout son art, y compris - et surtout - dans l'érotisme :

Jamais je ne m'habituerai au printemps… - 0:48
René Barjavel lit La Faim du tigre
dans l'émission L'Homme en question
( Le 7 août 1977 sur )

Jamais je ne m'habituerai au printemps. Année après année, il me surprend et m'émerveille. L'âge n'y peut rien, ni l'accumulation des doutes et des amertumes. Dès que le marronnier allume ses cierges et met ses oiseaux à chanter, mon cœur gonfle à l'image des bourgeons. Et me voilà de nouveau sûr que tout est juste et bien, que seule notre maladresse a provoqué l'hiver et que cette fois-ci nous ne laisserons pas fuir l'avril et le mai.
Le ciel est lavé, les nuages sont neufs, l'air ne contient plus de gaz de voitures, on ne tue plus nulle part l'agneau ni l'hirondelle, tout à l'heure le tilleul va fleurir et recevoir les abeilles, les roses vont éclater et cette nuit le rossignol chantera que le monde est une seule joie. Tout recommence avec des chances neuves et, cette fois, tout va réussir. J'ai un an de moins que l'an dernier.

Alors, cette année, je vais continuer la lecture…

Non, pas un an, toute ma vie de moins. Je suis une source qui commence. C'est la grande illusion annuelle. Le règne végétal s'y laisse prendre en premier. D'un seul élan, des milliards d'arbres et de plantes resurgissent, poussent des tiges enthousiastes, déplient des feuilles parfaites qui n'ont pas de raison de ne pas être éternelles. Pourtant, dans l'autre moitié du monde, l'automne est déjà là et a jeté au sol ces merveilles que l'hiver va pourrir.
Mais pour nous que le printemps aborde, l'automne est invraisemblable et l'hiver n'a pas plus de réalité que la mort. Le marronnier est blanc comme des communiantes, le pêcher est une flamme rose, le lilas une torche. Dans tous les jardins, les champs et les forêts, dans les immensités cultivées ou sauvages, sur chaque centimètre carré de terre non déserte, c'est le prodigieux déploiement de l'amour végétal silencieux et lent.
Chaque fleur est un sexe. Y avez-vous pensé quand vous respirez une rose ?

Et, au vu de tout ce qui précède, j'ajouterai :

Et réciproquement !

Pardon ? On en a oublié un ? Non, une ?

Ah, c'est vrai… B.B. !

Brigitte Bardot amie des animaux

En effet, Barjavel a écrit les textes de ce très joli album de photos (publié en 1976) consacré à notre Brigitte Bardot nationale (peut-être même un peu frontale à présent), Brigitte Bardot amie des animaux.
Mais, mis à part la plastique historique de B.B. - dont certes Barjavel se réjouit -, il ne s'y trouve pas grand chose d'érotique… C'est en fait pour l'auteur un manifeste de sympathie, d'amour, et de compassion envers la vie animale, ce qui constitue un sujet barjavélien à part entière. Alors, rendez-vous dans deux ans ?

Remerciements
Merci

Merci à toutes et à tous, sans oublier…

  • Madame Lydie Gagnère, ici présente : plus qu'un soutien - littéraire et technique -, sa participation concrète a permis que ces Journées 2021 et cette conférence soient menées à bien.
  • La ville de Nyons et son équipe municipale quelque peu renouvelée, qui a courageusement organisé et accueille ces Journées 2021,
  • Le public, pour sa présence, son écoute et son intérêt,

Certaines « confidences » doivent beaucoup à :

  • Monsieur Jean Barjavel, décédé en avril dernier et dont nous regrettons l'absence ; il reste avec nous par la pensée.
  • Madame Paulette Ylzer, nièce et filleule de Barjavel, elle aussi décédée en mars.

 
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Notes
 
Les index correspondent aux notes de renvoi dans le texte.