- Les journées Barjavel à Nyons du 20 au 22 août 2021 -
La présentation de Pierre CREVEUIL :
Au-delà du romantisme, l'érotisme de René Barjavel...
classé X ?…
classé X ?…
René Barjavel songeur, à Paris
Cette conférence a été donnée dans le cadre des Journées Barjavel, le samedi 21 août 2021
à Nyons (voir la présentation), à l'Ancien Tribunal, place de l'ancienne mairie.
par Pierre Creveuil, président de l'Association des Amis de René Barjavel et représentant de G.M.Loup.
Cette version imprimée de la transcription de la conférence du 24 août ne permettra pas bien sûr de rendre les animations interactives offertes par la page Internet,
ainsi que les documents audiovisuels qui ont été proposés au public. Apparaissent également sur la présente page des liens soulignés vers de nombreuses pages de
compléments, qui n'ont bien sûr d'effet que lors de la consultation du site barjaweb.
Des extraits audiovisuels, "joués" lors de la conférence, peuvent être écoutés grâce aux "players" présents
sur la page. Pour le confort évident, il convient de n'en activer qu'un à la fois…
Conventions typographiques :
- Texte du conférencier
- Citation de Barjavel (lue pendant la conférence)
- Citation de Barjavel (lue lors du spectacle de Philippe Altier et non lue pendant la conférence car )
- Citation de Barjavel (lue lors du spectacle de Philippe Altier et peut-être non lue pendant la conférence)
Nous voilà fixés. Pour ceux qui ne le savaient pas (!!), il est bien clair que :
Dans la nature, chaque fleur est un sexe.
Alors, y a-t-il dans l'œuvre de Barjavel un tant soit peu d'érotisme, plus ou moins intriqué (peut-être au sens de la physique quantique !) aux histoires d'amour (qui y sont
omniprésentes) ?
Et comment l'écriture, la sensibilité, et la pensée, de Barjavel ont-elles évolué sur ce thème ?
Nous avions vu en 2013 que son tout premier livre, retranscrivant ses conférences à Vichy et Moulins, Colette à la recherche de l'amour
abordait la question du point de vue… d'un tout jeune homme d'à peine vingt ans. Ce qu'une correspondante "d'un certain âge" lui avait fait savoir dans l'annexe qu'il a
intelligement intégrée au livre.
Mon enfant,
Je peux me permettre de vous appeler ainsi, car j’ai soixante six ans et pourrais être votre grand-mère. Je vous écoutais dans votre conférence de ces jours derniers.
J’avais tenu à vous entendre par curiosité. Comment alliez-vous vous tirer, vous, si jeune, d’une dissertation sur un sentiment que vous ne connaissez pas.
À votre âge on ne connaît rien de l'amour.
[…pourtant vous expliquiez] les raisons du renoncement d’une femme de soixante ans.
Ce n’est ni le manque de sensualité ni l’élan du cœur qui lui font défaut. Elle est simplement accablée par l'écœurement et le dégoût des façons d’agir et de penser de ces gentils petits animaux : les
hommes. Le cœur d’une femme est toujours jeune quand il peut se donner. Les sens existent toujours tant qu’existent le cerveau, la volonté.
Une grand-mère qui vous prie d’excuser son griffonnage et son bavardage et vous expédie des réflexions spontanées sans même les relire.
Pourtant, il connaissait déjà bien des choses de l'amour, puisque, à Nyons, comme il raconte dans La Charrette bleue, à propos de certaines nyonsaises (d'un âge sans doute canonique)… :
Elles sont deux ou trois par quartiers, parfois dans une seule rue, dont l'occupation principale est d'observer et commenter les vies privées.
[…] J'ai été quelque peu leur victime à l'âge de quatorze ans, l'âge de mes amours passionnées et innocentes.
J'étais Roméo mais je ne montais pas à l'échelle. Elles voyaient déjà la fille enceinte. Elle avait quinze ans.
Je me promenais avec elle en lui tenant la main. Elles mesuraient de l'œil son tour de taille… C'est un peu
a cause d'elles que j'ai dû quitter Nyons pour devenir pensionnaire au collège de Cusset. Je devrais leur en
être reconnaissant, car mon séjour dans ce collège, comme élève puis comme pion,
sous la direction du
principal Abel Boisselier, le chef d'établissement le plus extraordinaire que l'Université française ait
jamais connu,
fut pour moi comme le séjour d'un bulbe dans un sable tiède, ensoleillé et arrosé d'engrais,
d'où j'allais jaillir à dix-huit ans, plus averti mais toujours aussi tendre, vers le grand ciel de l'amour et de la vie.
Ensuite, à Vichy, puis Moulins…
Mais considérons pour commencer son œuvre écrite, ses romans, essais et aussi articles - et interviews.
Ces cinquante années d'active vie littéraire montrent une évolution tant dans le contenu que dans l'esprit potentiellement érotique de Barjavel.
Bien sûr
Plus tard, en 1979, dans une interview à l'occasion de la diffusion du téléfilm Tarendol, Barjavel s'écrira, paraphrasant ce qu'on attribue à Flaubert) :
Tarendol, c'est moi !
Ce qui renforce voire confirme l'impression de récit autobiographique - au moins d'inspiration et avec les techniques littéraires propres à l'auteur -
se devinent déjà à la lecture.
Non, ce n'est pas un péché de désirer sa propre femme.
L'acte d'amour, sans désir et donc sans amour, devient uniquement acte de reproduction. Il faut bien perpétuer la vie, hélas, dit l'Eglise en se voilent la
face. C'est pourquoi elle autorise le mariage aux fidèles. Mais elle se hâte de l'interdire à ses prêtres.
L'union des époux, réduite à la nécessité de mettre en contact les cellules reproductrices devient alors, uniquement, une injection… Pouah !
Que je sois damné si je me trompe ! Mais je pense et proclame qu'il faut aimer avec amour, avec un plein désir et une immense joie. Dieu nous tend sa
Création et place en face de nous, homme ou femme, un être complémentaire avec qui nous allons peut-être participer un peu à ses mystères, au cours d'un bonheur
partagé. Allons-nous faire grise mine ? Ne pas désirer nous pencher sur la rose, écouter le chant des oiseaux, lever nos bras vers les étoiles du ciel ?
Allons-nous mépriser ce que Dieu nous propose ?
Nos bras tendus vers le ciel sont bien courts, mais dans notre jardin, la pomme du pommier est à notre portée. Elle est à l'image de l'univers. Elle nous
est donnée. Prenons-la avec joie et avec amour. Et remercions le Donateur à chaque bouchée de notre vie.
D'ailleurs, dans Si jJ'étais Dieu, il s'interroge sur l'opportunité de conserver aux hommes leur sexe…
Femme, tu ne seras plus enceinte et tu n'accoucheras plus. Et tu ne recevras plus, avec joie, ou avec indifférence, ou avec
dégoût, la semence de l'homme dans ton corps.
Homme, tu ne pénétreras plus le corps de la femme et tu ne l'ensemenceras plus. Nous allons faire les enfants autrement. Le sexe
n'est plus nécessaire. Je supprime le sexe…
- Hé !… Hé ! … HÉ !…
- J'étais sûr que tu allais brailler !… Calme-toi ! C'était seulement pour te faire apprécier, par la crainte de le perdre, un
des agréments de ta constitution physique… Je te conserve le sexe et ses ébats, et même, dans certains cas, sa fonction. Mais la
joie de l'amour est mal partagée. Comme tu l'as dit, la femme ne la ressent pas toujours. Mais quand elle la ressent, c'est un
transport total de son être, quelque chose qui ressemble à l'instant où l'or chauffé, encore et encore brûlé, tout à coup cède, fond
partout, se répand en lui-même, devient liquide et lumière. C'est un moment découpé dans mon Paradis, d'où elle revient apaisée,
nourrie, confortée, alors que l'homme, couché sur le flanc, essoufflé, souvent triste, étonné d'avoir fait cette gymnastique, tire la
langue et se ratatine. Je vais réparer ces injustices. Mais voyons d'abord les nouveaux moyens de faire les enfants…
Je dis « les » nouveaux moyens car Je vais en essayer plusieurs. C'est ce que J'ai déjà fait pendant l'Évolution. Certaines des
vieilles solutions seront peut-être bonnes pour toi, on va voir. La graine, le marcottage, l'œuf…
Eu aussi :
Viens, petite créature… Que Je te regarde encore… Décidément, Je me demande à quoi Je pensais quand je t'ai
fabriqué ce zizi… Quand il est en orgueil on dirait une saucisse à demi épluchée, et dans sa modestie, tête basse et regardant le
sol, il est l'image même de la honte et du regret. Voilà ce qui t'a donné l'idée du péché : c'est quand tu as regardé ton ventre
après avoir fait l'amour. A ce spectacle, ton cœur et ton âme se sont emplis de désolation. Il y avait de quoi. Mais tu n'aurais pas
dû en tirer des conclusions métaphysiques. Un zizi est un zizi, rien de plus.
- En avez-vous un, Seigneur ?
- Impertinent voyou !… J'en SUIS un… Je suis le sexe mâle et femelle insexué, Je suis l'ovule infini et le sperme
universel dans leur conjonction éternelle… Voilà que tu Me fais faire de la métaphysique à Moi aussi !… Cesse de Me distraire !
Nous travaillons… C'est très important, car Je dois de nouveau te faire à Mon image…
- Qu'est-ce que ça signifie, Seigneur ? Je ne l'ai jamais compris… Comment moi, infime virgule, puis-je ressembler au texte complet ?
- Sans la virgule placée juste où elle doit être, le texte perd sa signification. C'est là ton importance dans la création. Tu es
à ta place, juste à l'articulation entre la matière et l'immatériel, frontière et passage de celle-ci à celui-là, et tu Me ressembles
parce que tu es trois en un, comme Moi.
- Trois en un ?
- L'animal est deux, le végétal est un, le minéral zéro, toi seul est trois, à Mon image. Ce n'est pas un mystère. Réfléchis et
tu comprendras. Revenons au zizi. Je le coupe !
- NOOON !… Vous m'aviez dit que Vous me laissiez l'amour ! Vous avez promis !…
- Bien sûr, mais pas avec ce machin !… Je vais t'inventer quelque chose de mieux…
- Non ! Oh non ! Seigneur !… Je vous en prie !… J'y tiens !… Je l'aime !… ELLES l'aiment !… Même quand il penche !… Elles n'y voient pas regret, mais promesse… Et leur joie est de savoir 'lui rendre sa fierté… Je vous accorde qu'il est ridicule… Mais pas plus que mon nez ou mes oreilles, ou que cette barbe que vous me faites pousser sans arrêt. Si je la garde j'ai l'air d'un buisson, si je la rase c'est la barbe ! Lui, au moins, il ne pousse pas…
- Il ne lui manquerait plus que ça !… Bon, Je te le laisse… Mais il offusque Ma vue dans sa position mineure. Je le fais rentrer dans ton ventre avec ses attributs. Il y sera à l'abri et n'en sortira que pour agir. Comme celui du chat. Et il obéira à ta volonté et non plus à l'instinct. Il ne t'entraînera plus malgré toi dam des sprints exténuants, vers des drames, des malentendus ou des sketches bouffons. Et il ne se dérobera plus, sous le coup d'une émotion ou d'une idée, juste au moment où il devrait faire ses preuves, virant en trois secondes du bronze au beurre fondu. Et tu ne pourras plus éprouver le désir de l'utiliser si tu ne te trouves pas en face d'un désir réciproque et complémentaire. Plus de femmes violées ou même seulement consentantes et blêmes, plus d'hommes impuissants ou filant derrière leur sexe comme une flèche derrière sa pointe…
- Alors, plus d'unions malheureuses ! Plus de malentendus conjugaux !…
- Ça, c'est autre chose. Pour le bonheur, la joie sexuelle ne suffit pas. Il y faut, en plus, l'amour. Mais vous êtes les
créatures les plus aimantes après le chien. Je n'ai rien à vous rajouter dans ce domaine. Votre erreur, votre malheur, c'est que cet
immense amour dont vous êtes capables, chacun de vous le destine à lui-même. Il s'aime, il s'admire, il se plaint, il se dorlote, il
essaie de tout prendre aux autres pour se l'offrir, le monde doit le servir, lui être toujours favorable, tout lui donner et ne lui
demander rien.
Tu es en train de te dire : « Comme c'est vrai ! » en pensant à tes proches, tes amis, tes voisins. Mais tu es pareil TOI AUSSI !
Réfléchis quelques instants, fais ton examen de vérité ! Ce n'est pas exact ?
Il est des mots… - M. Polnareff, chanson interdite avant 22 heures à l'époque de sa sortie (1966)
Il est des mots - 0:14
Effectivement, il y a des mots à ne pas dire en société… ni dans les livres, ni même… tout court.
Pour diverses raisons, mais dont l'essentiel, pour certains - dont Barjavel - serait de "détruire la poésie".
Apostrophes - Orgasme - 0:16
Je me rappelle - j'en avait parlé en 2013 - cette jeune étudiante que j'avais aidée en 2007 lors de son
mémoire de Master I de Littérature française,
« L'AMOUR ET LA MORT dans La Nuit des Temps, Le Grand Secret, La Tempête »,
qui y développait assez longuement les considérations - d'inspiration freudienne en particulier - Éros et Thanatos, celle-ci cristallisée pour elle dans
le rapprochement entre l'orgasme dénommé "Petite mort" dans certaines littératures. Qu'en aurait pensé Barjavel ?…
Enfin je n'ose pas imaginer son ressenti face à (si j'ose dire) des termes érotiques très précis comme cunnilingus, etc. !
Alors oui, je pense qu'il y a chez lui non pas une peur, mais une réserve vis-à-vis du vocabulaire (pardon, soyons branchés, le
champ lexical…), et qui est sans doute toute à son honneur.
Dans L'Enchanteur, ne justifie-t-il pas la page blanche par :
Ici nous ne pouvons que nous taire. Pour décrire l'amour qui s'accomplit,
tant de joie éperdue, la timidité d'abord, peut-être l'effroi, le coeur qui veut sauter hors de la poitrine, les mains qui veulent connaître, qui se tendent,
qui se posent, qui se brûlent, la découverte, l'émerveillement, les corps qui se joignent peau à peau et s'unissent, la stupeur, l'envol, le bonheur de l'autre,
la douce lassitude, la tendresse, la gratitude infinie, et la redécouverte et le nouvel élan, et les frontières de la joie sans cesse reculées, et celles du
monde volant en éclats, pour dire la délivrance du cœur que plus rien ne gêne, l'épanouissement de l'esprit qui comprend tout, pour donner même, une faible
idée de ces moments hors du temps et de toutes contraintes, il faudrait employer d'autres mots que ceux dont dispose le langage ordinaire. Pour parler des joies
de l'amour et des lieux du corps qui leur donnent naissance, il n'existe que des mots orduriers ou anatomiques. Ou d'une pauvreté si misérable, qu'ils sont comme
une peinture grise sur le soleil. Le plus affreux d'entre eux est le mot " plaisir "…
Les amants inventent leur propre vocabulaire, mais il n'a de signification que pour eux.
Et à plusieurs occasions Barjavel l'exprime assez crûment…
Dans Les Chemins de Katmandou, même s'il exprime le point de vue du personnage Marss, bien peu sympathique :
Les filles, elles sont toutes pareilles, dès qu'il y a un jeune qui se présente, avec sa petite gueule fraîche et
sa queue dure, elles deviennent folles ! leur ventre n'est plus qu'un aspirateur !…
Mais tout bienfaisants et "artistiques" que puisse être l'acte d'amour, et les représentations qui en sont faites, tant en scultpure,
dessins, peintures, et même, n'en déplaise à l'auteur, cinéma (ce seul art qui dépende entièrement de la technique, ce qui peut aussi ouvrir la porte à d'autres arts, à inventer),
la vision de Barjavel de la motivation de l'amour, et du sexe, est quelque peu unidimensionnelle : c'est…
L'auteur nous le dit clairement dans La Faim du tigre, qui est en fait son livre consacré à cette question, La Question… :
L'être humain de sexe mâle en qui s'est éveillé le désir d'un être humain du sexe opposé, qui franchit ou détruit tous les obstacles qui l'en séparent,
qui fait fondre son indifférence, anéantit ses scrupules, dissipe ses craintes, l'arrache à ses parents ou à son mari pour en faire sa femme ou sa maîtresse et se couche
enfin en elle, est bien persuadé à cet instant suprême que cette possession est l'aboutissement de son effort conscient, obstiné, volontaire, le couronnement
victorieux de son action individuelle, alors qu'en réalité il a couru derrière son sexe, lequel était orienté comme l'aiguille d'une boussole par le champ
magnétique de l'espèce.