RAVAGE «Il est resté debout au milieu de la place. Il attend. La machine s'arrête devant lui, sur ses six roues de bronze massif. Elle continue à tressauter et à trembler au rythme des pistons. Derrière la chaudière de cuivre tournent de grandes roues dentées. Un nuage de vapeur monte, dépasse le tilleul centenaire, rattrape la lumière du soleil couchant, et s'y teint de rouge.» Sur le thème «L'homme, s'il oublie qu'il est un homme...», Barjavel construit sa première fin du monde. La société y est mécanisée à outrance, l'individu assisté en chacun de ses gestes, l'être vivant coupé de sa mère nature. C'est alors que l'électricité disparaît...

Tout cela [...] est notre faute. Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s'en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le Progrès. C'est un progrès accéléré vers la mort. Ils emploient pendant quelque temps ces forces pour construire, puis un beau jour, parce que les hommes sont des hommes, c'est-à-dire des êtres chez qui le mal domine le bien, parce que le progrès moral de ces hommes est loin d'avoir été aussi rapide que le progrès de leur science, ils tournent celle-ci vers la destruction.



  1. Présentation
  2. Genèse
  3. Résumé
  4. Extrait
  5. Personnages
  6. Étude linguistique
  7. Thématique
  8. Critiques des visiteurs
  9. Oeuvres inspirées par le roman
  10. Liens sur le barjaweb
  11. Copyrights


Ravage, entre apocalypse et (re)création.
Mémoire de licence par Mme Isabelle Dagneau.
En savoir plus }

 

Ravage est :
Le meilleur roman que
     j'ai jamais lu
Le meilleur roman de
     Barjavel
Un roman exceptionnel
Un grand roman
Un bon roman
Un roman passable
Un mauvais roman
Un roman exécrable
 

PRÉSENTATION

Première de couverture de l'édition originale

Roman
par René Barjavel
Titre original : « Ravage »
© Éd. Denoël, 1943

{
Meilleure vue de la première de couverture}
(Voir les autres éditions)

Dédicace :

À la Mémoire de mes Grands-Pères, Paysans

Quatre Parties :

  1. Les temps nouveaux
  2. La chute des villes
  3. Le chemin des cendres
  4. Le patriarche

Quelques curiosités ou anecdotes :
  René Barjavel (à gauche) félicité par les “académiciens” du Prix des Dix (31 janvier 1944)


 

Avertissement aux visiteurs

Ravage est un des romans contemporains fréquemment étudiés dans les lycées et a fait l'objet de nombreux exposés, mémoires et thèses universitaires (voir "Plus à explorer" ci-dessus).
L'édition Folio plus (n°9) du roman { voir } contient un dossier pédagogique très complet (52 pages) d'Yves Ansel, qui peut servir de guide d'étude tant par la présentation de ses analyses que les questions ouvertes qu'il propose. { voir mon avis sur ce dossier }
Des analyses détaillées se situant dans une telle optique existent et sont disponibles par ailleurs ; leurs qualités se doivent d'être saluées, tout en replaçant la présente page dans l'objectif qui est le mien : la thématique que je développe a pour but essentiel de dégager le sens global. Un passage de texte offre de parfois subtiles métaphores qui ouvrent la porte à de longs développements. Loin de vouloir fournir un "corrigé tout-fait" à des devoirs, et a fortiori au dossier d'Y. Ansel, je préfère offrir au lecteur le plaisir de s'en offrir l'exclusivité avec pour seul guide sa compréhension intime du texte et les mots de l'écrivain, et laisser aux lecteurs encore plus attentifs le plaisir d'appronfondir par eux-mêmes les aspects plus subtils.
C'est donc volontairement que certains thèmes resteront ici en retrait, non qu'ils ne se prêtent pas à l'analyse, mais plutôt que la richesse de celle-ci lui donnerait rapidement des proportions inconsidérées.
Gardons-nous donc d'aller trop dépecer le texte. Nous devons nous contenter de le mettre en lumière.


Quelques références et liens où trouver des analyses de Ravage :
guide d'étude scolaire sur le roman une page sur le roman un guide d'étude scolaire d'un chapitre particulier.


GENÈSE

Premier "grand" roman publié de Barjavel pour qui il constitue ses vrais débuts d'écrivain, Ravage n'est pas pour autant le premier coup d'essai de l'auteur. Roland, le Chevalier plus fier que le lion est le véritable premier ouvrage édité. Avant lui et Ravage, un autre roman, François le Fayot, est détruit par l'auteur. Pour Jérôme le Thor, dans le dossier de l'édition Cercle du Nouveau Livre de la Tempête, Barjavel se souvient :

- Ce livre était inspiré par les souvenirs de mon service militaire. J'étais violemment anti-militariste. Aujourd'hui, le garçon que j'étais collaborerait à Libération. J'avais été dans l'infanterie à Chaumont.
La discipline imbécile de l'époque, la sottise idiote des sous-officiers, tous vérolés, idiots...
(...) Sentir que ces gens-là avaient sur moi un droit de vie et de mort... Pour la moindre bêtise, c'était le tribunal militaire, les bat'-d'af'. J'en avais ressenti une telle rancune que j'avais écrit François le fayot. Le "fayot", vous le savez, était celui qui avait rempilé : un épouvantable personnage, une brute, un bon à rien...

Barjavel est depuis peu à Paris où ses fréquentations le préparent à l'écriture de Ravage.

Deux ans avant la guerre, j'avais fait partie des groupes Gurdjieff. Cela avait orienté ma pensée vers une critique fondamentale de notre société moderne. Quand je suis rentré de la guerre, j'ai continué mon activité avec ces groupes. Je me suis aperçu, à un moment donné, à quel point cette société si développée, si puissante, capable de faire des guerres formidables, était vulnérable. Pourquoi ? Parce qu'elle dépend entièrement de l'énergie. J'ai donc écrit une histoire, au début de l'Occupation, dans laquelle une civilisation connaît soudain une privation totale de ses sources d'énergie.

Dans le même temps, Robert Denoël le forme aux métiers de l'édition, et par là de l'écriture :

- Robert Denoël était devenu un ami. C'est lui qui a fait de moi un écrivain. En 1939, je lui avais apporté le manuscrit du roman qui devait s'appeler Ravage et auquel j'avais voulu donner comme titre : Colère de Dieu. (...)
Il n'a pas aimé le titre, Colère de Dieu. Il a quand même lu le manuscrit dans la nuit et, le lendemain, il a consacré sa matinée à me montrer quels étaient mes défauts et mes qualités. Il a remplacé le titre par celui de Ravage. J'étais jusque là un journaliste, il a fait de moi un écrivain. En cette matinée, il m'a appris mon métier. C'était un homme fantastique. A part Céline, tous ceux qui sont passés chez lui lui doivent quelque chose de leur talent. Denoël était un éditeur dans le grand sens du mot.

Pour autant, si certaines idées et situations du roman sont inspirées par l'histoire personnelle de l'auteur, le thème cataclysmique en lui-même s'inscrit dans une tradition prenant sa source dans les mythes anciens. La fin des Temps en particulier est un évènement commun à la majorité des religions, et pour la plupart, la destruction d'un monde entraîne la renaissance d'un nouveau. Seul le calendrier Maya, qui se termine abruptement en l'an 2011, ne s'inscrit pas dans cette logique cyclique d'un Éternel Retour. Les causes du cataclysme sont variées selon les croyances. Dans la religion chrétienne, c'est Dieu qui punit les hommes. L'Apocalypse de Saint Jean prophétise (VIII:7) :

Le premier ange sonna de la trompette : grêle et feu mêlés de sang tombèrent sur la terre ; le tiers de la terre flamba, le tiers des arbres flamba et toute végétation verdoyante flamba.

Le Mahabarata indien, quant à lui, prévoit depuis des milliers d'années que la surpopulation de la planète en causera la fin.
La littérature inaugure ce thème en 1805 avec « Le Dernier homme » de Jean Baptiste Cousin de Grainville, et en 1926, Mary Shelley (auteur de Frankenstein) reprend le thème avec « The Last Man », dans lequel une maladie décime l'humanité.
Malgré l'optimiste positiviste qui nait alors, le XIXème siècle va mettre en œuvre des scénarios de catastophes qui n'ont rien à envier à ceux de la Science-Fiction du siècle suivant, une certaine forme d'imagination en moins : Camille Flammarion, dans « La Fin du monde » établit un catalogue des catastrophes amenant un bouleversement irréversible de la condition humaine elle-même, essentiellement causées par la chute d'une comète et les bouleversements qui s'ensuivent. Jules Verne raconte dans « L'Éternel Adam » la fin d'une civilisation et la naissance d'une nouvelle, cette dernière découvrant inopinément l'existence de la précédente dans des conditions qui rappellent « La Nuit des temps ». De Jules Verne également, le roman posthume « Paris au XXème siècle » élabore son intrigue sur la base d'une civilisation futuriste (pour l'époque), l'an 1999, où l'homme est asservi par la technique. Mais ce roman, dont la manuscrit fut découvert par le petit-fils de Jules Verne en 1990, et qui ne fut édité qu'en 1994, ne peut pas avoir inspirer Barjavel en 1942, à moins de supposer une convergence d'esprit ou une intervention du voyageur temporel Saint Menoux...

Herbert G. Wells lui-même, dans « La Machine à explorer le temps » (1895), fait découvrir à son héros les derniers instants de la vie terrestre, le soleil moribond éclairant une plage déserte sur laquelle apparait une créature articulée plongeant le Voyageur du Temps dans l'effroi.

Barjavel qui était un grand lecteur de tous ces romans dans sa jeunesse, et même après, trouve certainement l'inspiration dans de tels récits. Lui même commente à l'occasion d'une interview :

J'ai beaucoup lu dans mon enfance, mon adolescence; j'ai beaucoup lu quand j'ai commencé à écrire. Et il est certain que parmi ces lectures il y en a qui m'ont influencé et sans doute ce sont celles que j'ai oubliées. Ce sont très probablement les lectures de ma première jeunesse. Enfin c'est ce que j'ai lu entre dix et quinze ans. Et là, c'est un mélange de bandes dessinées - et il y en avait déjà ; à l'époque on appelait ça des illustrés ; c'est un mélange de bandes dessinées, de romans populaires, de classiques, de poésie, parce que j'étais très romantique ; et pas du tout du tout de grands romans de la littérature française que je n'ai lus que beaucoup plus tard.
 
(...) lorsque je lisais pour découvrir - parce que je lisais pour mon plaisir et non pas pour étudier les hommes, pas pour étudier les mœurs, pas pour étudier la littérature - je lisais des aventures, je lisais de l'action, je lisais des choses qui m'émerveillaient. Donc, j'ai lu Jules Verne naturellement, tout Jules Verne. Et il est certainement un de mes pères, je veux dire p-è-r-e-s, non seulement dans son imagination scientifique, mais aussi dans sa façon d'écrire que - encore une fois - les littérateurs, les gens distingués et bien écrivants méprisent. Il a une immense qualité, c'est la simplicité.


Quelques liens pour
en savoir plus sur
Rosny aîné :
une biographie détaillée une bibliographie une analyse des œuvres

Dès 1910 et 1913, un auteur belge développe aussi ces thèmes, dans un contexte voisin de celui de Ravage. Rosny Aîné, bien connu comme auteur de « La Guerre du feu », raconte en effet dans « La Mort de la Terre » comment la "dégénérescence" de la nature aboutit à l'extinction de l'humanité et à son remplacement par une forme de vie quasi minérale, les ferromagnétaux.
Dans « La Force mystérieuse », on voit une perturbation des lois de la nature affecter le comportement de la lumière et produire la cessation progressive des phénomènes électriques, ainsi que des anomalies comportementales des êtres vivants inexplicables et dramatiques amenant une nouvelle Société à se mettre en place. Toutefois une explication est donnée à la fin et le roman se termine plutôt bien - et de façon assez romantique. voir des extraits }

On retrouve aussi, dès 1920, un étonnant roman maintenant oublié de l'auteur - lui aussi oublié - Henri Allorge : « Le Grand Cataclysme », couronné par le Prix Sobrier-Arnould de l'Académie Française (Larousse, série Contes et romans pour tous), voir } La trame évènementielle en est indéniablement la même que celle de Ravage, mais les implications profondes du récit restent bien en deça. voir des extraits }

À l'intensité dramatique des descriptions apocalyptiques s'ajoute dans la première partie du vingtième siècle un élément d'horreur nouveau : la responsabilité - ou l'irresponsabilité - humaine.
C'est qu'entre-temps la civilisation occidentale s'est trouvé confrontée à l'horreur du premier conflit mondial. Elle y découvre alors que les cataclysmes naturels ou surnaturels imaginés - ou inspirés - par les prophètes sont largement égalés en horreur par la frénésie de destruction de l'Homme lui-même. Aussi à partir des années 1920 les romans de Science-Fiction incorporent ce thème : après les épisodes guerriers de « La Machine à explorer le temps » de H.G. Wells, et « La Guerre des mondes » du même auteur, « La Fin d'Illa » de José Morelli (1930) voir une présentation ] est un exemple remarquable de la fusion des deux thèmes : guerre totale et cataclysme balayant une civilisation. Chez Barjavel, La Nuit des temps en sera l'œuvre maîtresse.
Mais dans Ravage la menace guerrière de l'Empereur Noir est escamotée "juste à temps" par le cataclysme lui-même qui remet l'humanité face à son dénuement complet. On notera cependant que pour certains lecteurs sans doute superficiels, les aventures de François Deschamps se situent "sur une Terre ravagée par un conflit mondial"...


Ce qu'en dit l'auteur lui-même

Ayant eu de nombreuses occasions de commenter son premier roman et sa genèse, Barjavel a pu expliquer ses motivations et sources d'inspiration à l'occasion d'interviews. Le barjaweb en propose les retranscriptions complètes sur les pages :

  • Interview et dossier de l'édition "Rombaldi" de Ravage : (voir)
  • "Confidences" pour les élèves du Collège de Chalais, retranscrites sur la page : Réponses au Collège de Chalais, où il répond précisément à la question “Comment j'ai écrit Ravage”.
  • Interview rapportée dans le fanzine Mal d'Aurore vers 1970, numéro "spécial Barjavel" (voir).


RÉSUMÉ

Dans une société mécanisée à l'extrême où les hommes ne font plus rien qui ne puisse être fait pour eux par une machine, l'électricité vient à disparaître subitement. Tout est paralysé : les lumières s'éteignent, les voitures s'immobilisent, les pompes qui distribuent l'eau assèchent les robinets, la radio n'informe plus, les secours se déplacent à chevaux mais déjà des meutes de citoyens affamés commencent à attaquer les animaux au couteau. C'est la loi de la jungle qui s'empare de la cité. François Deschamps, jeune étudiant chimiste d'origine familiale agricole, décide de quitter la ville qui sombre dans la violence et le crime. Il court d'abord à la rescousse de Blanche Rouget, son amie d'enfance qui s'est fiancée au richissime et tout puissant Jérôme Seita. Celui-ci, sans ses subordonnés, ne peut même pas sortir de chez lui sans se mettre en danger de mort.
Après avoir confectionné des armes et amassé suffisamment de provisions pour tenter une escapade au travers des bandes de criminels affamés, François prend la route de son village d'enfance avec ses compagnons. Il compte y reprendre une vie saine sans devenir l'esclave des machines dont les hommes croyaient être les maîtres. Le parcours sous un soleil de plomb est difficile.
L'expédition doit affronter incendies et tempêtes. Une fois parvenue à leurs fins, les rescapés de la catastrophe fondent une société où les machines sont proscrites et le progrés banni. La hiérarchie est patriarcale et basée sur le respect et l'obéissance au chef, qui sélectionne les meilleurs sujets pour assurer sa descendance.
Au cours des célébrations qui fêtent la passation de pouvoir entre François et celui qu'il a désigné comme son successeur, un homme surgit avec une machine monstrueuse, qu'il a fabriqué en cadeau pour le patriarche. Il affirme avoir trouvé le moyen de délester les siens de la peine des labours. François qui devient fou à l'image de cet engin qui lui rappelle la société mécanisée désormais éteinte, décide de détruire la machine et de faire exécuter son inventeur. Ce dernier dans son incompréhension et son égarement tue le patriarche. Ainsi disparaît le dernier survivant de la catastrophe. Comme il l'avait voulu la machine est détruite et avec elle le cerveau qui l'a imaginée, mais les hommes demeurent et avec eux probablement d'autres machines à venir.


EXTRAIT

Ravage sonne le glas d'une civilisation. Le décor d'abord rutilant sous les feux de la technologie et de la modernité s'écroule peu à peu. L'ambiance sereine et prospère devient incertaine puis morose et finalement désespérée, alors que la situation empire au fil des pages, jusqu'à ce que l'horreur submerge le texte. Cette évolution du roman se retrouve localement dans le texte à plusieurs reprises. Typique de Barjavel, on la retrouvera dans de nombreux autres romans à venir. Il est intéressant de la disséquer en les quelques lignes ci-dessous, celles où les Parisiens forment une procession. Même au cœur de la catastrophe, Barjavel instaure à nouveau un climat prometteur, fraternel, positif. Les Parisiens se rassemblent, prient, les cierges sont épargnés, tout semble bien se dérouler, mais très vite la situation bascule. Elle se termine dans l'horreur, ici avec la scène du prêtre qui se jette du haut de la tour Eiffel.

  Vers minuit, le bruit courut que le cardinal Boisselier allait dire la messe à la Tour Eiffel. A la cime de la vieille Tour, une souscription publique avait élevé un autel d'or, à la veille de l'an 2000. De là-haut, à chaque Noël, le cardinal-archevêque bénissait la ville. La tradition persista même quand le Sacré-Cœur fut transporté sur la terrasse de la Ville Haute, et ravit à l'autel de la Tour le record d'altitude.
   Le Sacré-Cœur détruit, l'autel de la Tour Eiffel dominait de nouveau la capitale blessée.
  De toutes parts, les croyants, mystérieusement prévenus, accourent vers le Champ-de-Mars. Les prêtres viennent en surplis, la haute croix en main, entourés d'enfants de chœur qui balancent les encensoirs, suivis de tous les fidèles de leur paroisse, qui chantent des cantiques et serrent dans leurs mains les cierges allumés de l'église.
  Les cortèges cheminent dans les rues, dans une lumière d'or, une odeur d'encens et de sueur, un grondement de centaines de voix d'hommes que percent les soprani des vieilles filles. Toutes les fenêtres s'ouvrent. Les indifférents, les sceptiques, ébranlés par la peur, se sentent pris de doute. Bouleversés, ils se joignent, en larmes, à la foule.
  De longues chenilles lumineuses s'étirent vers la Tour Eiffel, se rejoignent et se confondent en un lac palpitant de cent mille flammes. Le vent s'est entièrement calmé, comme pour épargner les cierges. La foule y voit un signe du Ciel, et redouble de ferveur. Vingt cantiques différents, clamés chacun par des milliers de fidèles, composent un prodigieux choral qui monte vers les étoiles comme la voix même de la Ville suppliante.
  Le vénérable cardinal Boisselier, âge de quatre-vingt-deux ans, n'a pas voulu qu'on l'aidât à monter les marches de la Tour. Il en a gravi, seul, cent vingt-trois. A la cent vingt-quatrième, il est tombé foudroyé par l'émotion et l'effort. Quatre jeunes prêtres qui l'accompagnaient ont pris son corps sur leurs épaules, ont continué l'ascension. D'autres prêtres, d'autres encore, les suivent sur les marches étroites. Le peuple des fidèles voit un ruban de lumière se visser peu à peu dans la Tour, atteindre enfin la dernière plate-forme. Une immense clameur monte jusqu'aux prêtres, les dépasse, rejoint le nuage de fumée qui s'étend sur le ciel. Le plus jeune des quatre abbés commence l'office. En bas, c'est maintenant le silence. Un grand mouvement fait onduler les flammes des cierges. La multitude vient de s'agenouiller. Elle se tait. Elle écoute. Elle n'est qu'une vaste oreille ouverte vers le haut de la Tour. Mais rien ne lui parvient des bruits de la messe. Elle n'entend que le lourd grondement de l'incendie.
  Au bord de la Seine, un curé se redresse. De toute la force de ses poumons, il crie la première phrase de la vieille prière : " Notre Père qui êtes au cieux... " Toutes les bouches la répètent. Les bras se tendent vers le Père courroucé. L'une après l'autre, les phrases roulent sur la place, comme la vague de la marée haute. La prière finie, la foule la reprend et s'arrête sur deux mots : " Délivrez-nous! Délivrez-nous! " Elle les répète, encore et encore, elle les crie, elle les psalmodie, elle les chante, elle les hurle.
   " Délivrez-nous! Délivrez-nous!... "
   De l'autre côté de la Seine une coulée de quintessence enflammée atteint, dans les sous-sols de la caserne de Chaillot, ancien Trocadéro, le dépôt de munitions et le laboratoire de recherches des poudres. Une formidable explosion entrouvre la colline. Des pans de murs, des colonnes, des rochers, des tonnes de débris montent au-dessus du fleuve, retombent sur la foule agenouillée qui râle son adoration et sa peur, fendent les crânes, arrachent les membres, brisent les os. Un énorme bloc de terre et de ciment aplatit d'un seul coup la moitié des fidèles de la paroisse du Gros-Caillou. En haut de la Tour, un jet de flammes arrache l'ostensoir des mains du prêtre épouvanté. Il se croit maudit de Dieu, il déchire son surplis, il crie ses péchés. Il a envié, parjuré, forniqué. L'enfer lui est promis. Il appelle Satan. Il part à sa rencontre. Il enjambe la balustrade et se jette dans le vide. Il se brise sur les poutres de fer, rebondit trois fois, arrive au sol en lambeaux et en pluie.
 Le vent se lève. Un grand remous rabat au sol un nuage de fumée ardente peuplé de langues rouges. Une terreur folle secoue la multitude. C'est l'enfer, ce sont les démons. Il faut fuir. Un tourbillon éteint en hurlant les derniers cierges. Dieu ne veut pas pardonner.


PERSONNAGES

[la barbe de François] est étalée sur sa poitrine. Elle est blanche comme la plus haute neige de la montagne. Et ses cheveux sont comme des lis et des marguerites. Dans ses yeux brillent les lumières de la sagesse et de la bonté.
Dans l'étude des personnages de Ravage :
  1. François Deschamps
  2. Blanche Rouget
  3. Jérôme Seita

Ou plutôt :

Dans Ravage les personnages ne sont pas des héros justes et bons que commande le seul sens du devoir. S'ils sont capables d'amour, d'amitié, de fraternité, de gestes nobles et héroïques, leurs défauts apparaissent aussi au grand jour. Dans la lutte pour la survie, chacun pense à son intérêt immédiat, ils sont gorgés d'égoïsme et d'intolérance, font appel à la force ou l'argent lorsqu'ils en disposent, se font criminels à l'occasion, n'ont le respect de l'autorité que sous la crainte de la rétorsion. Loin d'êtres contradictoires ils offrent donc tous une vraisemblance poignante avec la réalité. C'est le roman de Barjavel où la nature humaine se révèle avec le moins de ménagement.



~PERSONNAGES~
FRANÇOIS DESCHAMPS

Le Chef Incontesté

Le héros du roman est un imposant jeune homme de vingt-deux ans, de constitution solide, très grand et qui appelle à lui l'effort comme marque de sa domination sur les choses. Il entend aussi dominer sa femme, et entreprend, lorsque son amie Blanche se résout à se fiancer avec un autre, d'empêcher le mariage pour ramener la jeune femme à lui. Cette domination s'étendra au reste des hommes qu'il prendra sous son commandement pour quitter la ville en flammes. Il ne montre aucune pitié et se révèle très pragmatique. Il fait exécuter les prisonniers pour ne pas s'en encombrer et ordonne cette tâche aux plus faibles de ses hommes pour les mettre à l'épreuve. Il tue de ses mains un membre de son équipe qui commet une faute grave et réprime violemment toute tentative de déstabilisation au sein de sa troupe. D'origine paysanne, il est courageux, persévérant jusqu'à l'obstination. Parvenu à ses fins, devenu un vieillard chenu et vénérable, il établit une société patriarcale régie par des lois strictes. Il apparait que le philosophe Lanza del Vasto servit à Barjavel de "prototype" pour la création de ce personnage { voir }, ainsi que pour certains des thèmes de la philosophie promue par François. Refusant toute évolution qu'il voit comme une déstabilisation de cette société médiévale, il entre en conflit avec l'inventeur d'une machine à vapeur qui le tuera dans un moment de folie.

~PERSONNAGES~
BLANCHE ROUGET

La Légèreté Féminine

Blanche Rouget est l'amie d'enfance de François. Très belle et pourvue de nombreux autres atouts féminins, elle est sélectionnée sur concours pour devenir la chanteuse vedette de Radio-300, grande compagnie radiophonique. Elle a l'insouciance de la jeunesse et préfère à ses sentiments balbutiants pour François les fiançailles du directeur de la radio qui lui apportent la fortune et le bien-être. Elle se résoud à supporter les contraintes conjuguales que cela impose, ayant désormais en horreur la condition modeste de son premier prétendant. Lorsque la situation bascule et que la tournure des évènements fait de son fiancé un être impuissant à les affronter, elle rejoint avec satisfaction la sécurite dans le giron de François, auquel elle retrouve des vertus devenues primordiales : la force et le caractère. Elle devient sa femme dévouée alors même que lui, happé par ses obligations de chef, lui accorde moins d'interêt.

~PERSONNAGES~
JÉRÔME SEITA

La Puissance Fragile

Jérôme Seita est le tout-puissant directeur de Radio-300. Sa mainmise sur l'argent et la politique lui font croire qu'il est le maître du monde. Il manque de lucidité et d'objectivité et ne se montre attaché qu'aux seules valeurs qu'il connaît. Il s'approprie tout ce qu'il désire, employant pour cela des moyens subversifs si nécessaire. Il n'incarne pas le mal ni le mépris, en particulier il cherche, sans en être capable, à secourir Blanche lorsqu'elle défaillit, et apporte son aide à François. Trop confiant en l'argent, il n'a pas idée qu'une situation puisse être à son désavantage. Il ne fait rien par lui-même mais se montre très actif par le jeu de ses subordonnés. Lorsque ceux-ci viendront à lui faire défaut, il se montrera incapable d'accomplir par lui-même la moindre action et sera immédiatement victime d'un monde où viendront des individus pour qui sa parole ne sera pas un ordre ni son argent une persuasion.



ÉTUDE LINGUISTIQUE

Avec ce premier grand roman, Barjavel affirme déjà ses qualités de grand écrivain. Ouvrage précurseur de Science Fiction, Ravage est aujourd'hui encore un modèle du genre. La trame est haletante, l'idée originale, les spéculations futuristes abondantes et les explorations de l'imaginaire aussi variées que surprenantes. Si le texte n'est pas moraliste ou pire encore semble prêcher des thèmes réactionnaires, du moins ne manque-t'il pas de substance polémique et de nombreux passages sont d'exquises satires de la société. Sur le style enfin, le roman est à son apogée. L'auteur qui soignera plus la thématique dans les ouvrages à venir semble ici tout particulièrement attaché à la forme. Il se retient de tout écart dans le cours du texte qui seront abondants sous forme d'onomatopées ou d'interjections dans les œuvres à venir, s'autorisant tout au plus un style populaire dans les dialogues lorsqu'il fait parler tel représentant des classes populaires. Mais le dialogue est aussi l'occasion de s'y surpasser, et dans la bouche d'un avocat il rédige à l'occasion au subjonctif. Les dialogues nombreux sont vivants et assurent à l'histoire un certain rythme alors que, dans la première partie, en plus de la trame, l'auteur s'évertue aussi à peindre le décor d'un Paris en l'an 2052. Comme il le confirmera plus tard, l'auteur sait jongler admirablement entre le flot du texte et une courte intervention d'un personnage qui anime et met en relief de façon particulièrement concrète une description autrement plus détachée. En faisant intervenir ponctuellement des personnages dont le seul rôle dans le roman sera une déclaration, Barjavel est légitimé à s'attarder sur ces intervenants, en leur consacrant une courte mais néanmoins perspicace description. Ainsi l'auteur peut-il brosser un panorama très varié et détaillé de la population de son roman, sans s'y attarder à cette seule intention, et en ramenant toujours son lecteur dans le feu de l'action par l'intensité du dialogue. Voyons un exemple typique, extrait du moment où l'électricité disparaît dans la salle de gala de Radio-300, où l'auteur remarque subrepticement que la barbe est en train de devenir désuète, observation qu'il reprendra et commentera dans la Charrette bleue :

Quand l'obscurité, brusquement, tomba sur la scène et la salle, quelques rires fusèrent, et les bons amis de Seita se réjouirent, de l'incident. Menuiset, le rédacteur mondain de Paris-Minuit, que ses confrères avaient surnommé la « dernière barbe » autant à cause de son style que de son anachronique appendice pileux, ricana et dit à voix haute :
- Le singe a oublié d'allumer sa lanterne!
Ce fut un petit scandale. On se poussa du coude. On fit " oh! oh! ". On s'amusait beaucoup.

La poésie romantique qui deviendra une spécialité puis une caractéristique de l'auteur n'est encore que balbutiante, mais ces quelques apparitions, si elles sont rares, n'en sont pas pour autant dépourvues d'émotion, comme le montre par exemple cette métaphore pour qualifier l'odeur qui se dégage des incendies ravageant Paris :

C'était une odeur de monde qui naît ou qui meurt, une odeur d'étoile.

Mais l'heure est véritablement à l'horreur. C'est la première apocalypse de l'auteur, qui ne va pas s'économiser en récits particulièrement atroces, rapportent souffrances, destructions, crimes et catastrophes avec une minutie et un soin du détail qui plongent le lecteur dans une lecture hérissée. Le simple contexte est déjà cauchemardesque, avec des situations telles qu'un affolement général dans les rames de métros plongées dans le noir, bondées de monde et où le feu se déclare, ou encore des batailles dans les caves pour s'approvisionner en boisson et qui se terminent en boucheries sur du verre pilé et dans des effluves de vins. Si l'on ajoute à ces scénari diaboliques le style et la narration de l'auteur qui en fait une peinture très imagée, on assiste à une véritable tragédie qui ne laissera indifférent que ceux qui ne visualisent pas ce qu'ils lisent. Voyons par exemple la scène où l'un des membres de l'expédition de François, prostrée au sol en pleine tempête, se lève pour gagner un ruisseau voisin et assouvir sa soif.

Il se lève. L'ouragan l'enveloppe, le frappe de ses mille poings. Les morceaux de charbon se brisent sur lui. La cendre, arrêtée dans sa course par cet obstacle, coule le long de son corps. Il se précipite, baisse la chemise qui lui protégeait le visage, ouvre les yeux, les referme aussitôt, pleins de poussière et de larmes. En une seconde, il a vu devant lui, au ras de ses prunelles, un gris opaque, une épaisseur qui le touchait. Il se trouvait comme un mœllon à l'intérieur d'un mur. Il se baisse, cherche avec ses mains le courant, il trouve une couche de cendres. Ses narines sont déjà à moitié bouchées. Il éternue, crache. Ses yeux lui font mal. Il avance un peu, à quatre pattes. Il étouffe. Il crache encore, se mouche dans sa chemise, se l'enroule de nouveau autour de la tête, tourne le dos au vent, reprend son souffle, repart à quatre pattes. Sous la cendre, il sent les galets durs. Mais depuis qu'il avance, il aurait dû trouver le courant, arriver à l'autre berge. Il repart à angle droit. Au bout de quelques pas, il retrouve la rive. Il enrage. Des larmes de sang coulent de ses yeux. Il se relève, s'adosse au rivage, repart tout droit, dans le hurlement du vent qui cherche à le renverser. Le courant doit être là. Il arrache sa chemise, se baisse, enfonce ses doigts dans une boue épaisse. Il n'y a plus d'eau, plus qu'une sorte de ciment, de mastic tiède. Il ouvre la bouche pour crier son affreuse déception, alerter ses compagnons, son chef. La tempête lui enfonce dans la gorge un bâillon sec. Il tousse, il ne peut plus tousser, il râle, il devient violet. Il ouvre plus grand la bouche pour retrouver l'air qui lui manque. La cendre l'emplit, entre par les narines, obstrue les bronches. Le garde tombe, crispe ses deux mains sur sa gorge. Ses poumons bloqués ne reçoivent plus un souffle d'air. Chacun de ses efforts fait pénétrer davantage le bouchon de ciment. Il rue, se tord, griffe son cou.

Le champ lexical reflète cette atmosphère. Les verbes, noms et adjectifs ne manquent pas pour appuyer de leur présence et diversité une ambiance de terreur et de destruction (entre parenthèses le nombre d'emplois dans le texte du mot et des dérivés immédiats, pluriel ou féminin). La mort d'abord est très présente, avec les mots mort (105), cadavre (21), boucherie (7), achever (7), tuer (6), périr (5), succomber (4), trépas (2)... Du monde qui s'écroule il ne reste que cendres (47), poussière (23), débris (12) et ruines (11). La cendre en particulier est si présente dans le roman que la traduction anglaise porte le titre Ashes, Ashes voir }.
Dans un tel contexte règne un chaos bruyant, d'où surgissent la maladie et la souffrance, ainsi que le vocabulaire associé : bruit (60), cris (85), vacarme (6), assourdissant (4), maladie (27), choléra (10), plaies (8), troubles (6), puanteur (4), malheur (19), souffrance (9), douleur (8), fatigue (14), colère (12), larmes (10), folie (6), crise (6), panique (5), peur (21), horreur (11), épouvante (16), angoisse (14), terreur (25), atroce (6), abominable (6), ténèbres (9), enfer (8), catastrophe (12), cataclysme (5), fléau (6), déluge (6), tempête (11), ouragan (5), etc... Il ne faut pas compter sur Dieu (25) qui ne veut pas pardonner. La religion n'intervient que timidement (et d'ailleurs nommément une seule fois, et dans le contexte tout à fait différent de la fin du roman). Au contraire le diable et ses démons semblent très actifs. L'auteur a par ailleurs choisi une fin du monde à l'image de l'enfer (8) où la destruction se fait par le feu (66). S'ajoute donc au chaos tout les termes se rapportant à la chaleur (52), toujours très présente, notamment par usage de la racine de brûler (33). L'atmosphère est torride (5) et ardente (4), les flammes (51) et les incendies (22) nombreux. En seul rempart du feu et de la chaleur, l'eau, qui est très abondamment utilisé (cent quinze fois) mais surtout parce qu'elle manque constamment. Le champ lexical des couleurs accompagne ce sinistre décor. Les couleurs froides et sombres (8) de la désolation prédominent. La plus citée est le noir (85) de la nuit (76) qui plonge les hommes dans la pénombre (9). Il s'accompagne du blanc (35) et du gris (25). Le rouge (35) est plus consacré à la vie, notamment au vin, aux couleurs vives des combinaisons, au sang, mais à l'occasion il se fait aussi vecteur de l'oppression du feux, du soleil, des braises. Une couleur vivante et agréable, le rose ou rosé, est étonnament utilisée (par douze fois). À chaque fois elle est la couleur de la vie bien portante, d'une fille potelée, d'un ministre gras, d'angelots, de lèvres charnues... Elle est, même dans un autre contexte, signe de paix et de confort, couleur de robe ou de maison, d'oiseaux. Les autres couleurs plus communes ne se distinguent pas par un usage particulier et représentatif (le bleu par exemple, utilisé vingt-six fois, sert autant à colorer un ciel ou un regard que les cernes ou un champignon de pourriture). Le rose brille surtout par son caractère moins commun que les autres couleurs (vert, jaune,...). C'est, toutefois, la couleur préférée de l'auteur. Le vocabulaire de la mort est donc largement prédominant sur celui de la vie (57), et à cause de la catastrophe, l'amour (29), la joie (27), le bonheur (19) font des interventions relativement peu fréquentes, s'étalant sur un panel de vocabulaire restreint. L'auteur fait presque autant usage du mot «survivant» (15) que du mot «vivant» (17). Pour illustrer avec force de l'image les supplices endurcis, il fait grande usage du champ lexical corporel. Les mains (138) sont largement en tête, comme il est typique de l'auteur, et avec elles les doigts (36) et les bras (66). Puis vient le visage (67) ou la tête (65) qui est la partie noble du corps et celle plus amène à exprimer l'émotion et plus particulièrement la souffrance. Seront donc souvent sollicités les yeux (91), la bouche (36), les oreilles (28), le front (20), les joues (19), les dents (17), les narines (13) et le nez (16), le cou (13), la gorge (7) et jusqu'aux tempes (4). Mais les autres parties du corps interviennent aussi copieusement: les pieds (74), le cœur (27), le ventre (28), les épaules (24), la poitrine (19), les jambes (18), les genoux (16), les cuisses (9), les reins (6), les poumons (9), ainsi que les organes généraux ou de surface: la chair (27) et la peau (28), les os (18) et les muscles (14). Les personnes concernées sont très majoritairement les hommes (227) devant les femmes (113), les enfants (58) mais surtout les jeunes (75) devant les vieillards (28). La foule (38) et les gens (35) qui apparaissent de façon groupée plus souvent devant les autres classifications--directeurs et patrons (17), scientifiques et savants (14), ouvrier (14) et paysans (14)--montrent que la société est appréhendée d'abord de façon anonyme, sans grande distinction de classe ou de statut. Tous sont égaux devant la catastrophe. Une exception concerne l'autorité (11) très présente d'abord par sa tête, avec les ministres (42) ou plus tard les chefs (53), ensuite par son executif: gardes (44), police (9), soldats et militaires (7). Cependant bien vite cette hiérarchisation s'efface pour laisser place aux seuls fugitifs (15), survivants (15), pillards (10) et victimes (5). La mécanisation de la société qui est au cœur du roman se voit attribuée une part respectable, mais loin d'être centrale, dans le vocabulaire. On y trouve des voitures (54), des avions (31), des machines (38), des usines (38), des moteurs (29), des appareils (22), du plastec (néologisme) (18), des écrans (14), des outils (5) et instruments (4) ou de façon plus abstraite encore la science (18) et la technique (6), le progrès (11), un peu de connaissance (8) mais peu de sagesse (7). La grande fautive, l'électricité, en est bien sûr le symbole le plus abondant (cinquante quatre apparitions directes, sans compter les nombreuses références telles que l'énergie (17) ou plus concrètement les piles (5), accumulateurs (4) ou batteries (1)).


THÉMATIQUE

Dans la Thématique de Ravage :
  1. La Ville Radieuse
  2. La Catastrophe et la Fuite
  3. Le Retour à la Terre

Ou plutôt :

Ravage est le premier ouvrage de l'auteur lui donnant l'occasion de développer sa propre thématique. Celle-ci souffre par rapport aux autres romans de quelques incertitudes et présente de nombreuses pistes qui ne mèneront nulle part ou, pire encore, qui se perdent. Il y aborde les thèmes de la société et de la place qu'y occupe l'individu.
Le fil directeur est la disparition de l'énergie, thème important pour lui-même et légitime, comme l'auteur ne manque pas de le faire remarquer (voir section genèse) en se référant à des coupures d'éléctricité et des pannes classiques de courant qui ont déjà plongé certains grandes villes américaines dans des commencements de situation qui se retrouvent dans le roman.
Plus importante cependant est la place de l'inharmonie du citoyen au sein de sa cité. L'homme n'y est pas heureux, et malgré tous les efforts quil tente, son entourage s'occupera de le replonger dans mille sortes de problèmes. Bien qu'il se fourvoit de plus en plus avec le temps dans un mode de vie qui l'opprime, l'homme trouve une distraction à ses malheurs dans le progrès qui l'accompagne sur cette route qui le conduit à sa perte. C'est la véritable thématique autour de laquelle Barjavel construit son roman.
Influencé par la morosité ambiante dans un monde en guerre et un pays occupé, et ne l'ayant peut-être pas approfondi assez pour lui même, l'auteur développe sa thématique d'une manière qui peut sembler erratique. Après un début dont la dynamique du scénario permettra d'escamoter les faiblesses, il termine le roman à bout de souffle, sans avoir complètement convaincu le lecteur, avec une société entre Moyen-Âge et Ancien Testament.
Il lui eût peut-être mieux valu anéantir l'expédition pour conclure le roman en même temps que l'aventure. Mais Barjavel qui va - peut-être malgré lui -se forger avec Ravage une image d'auteur pessimiste et antiscientifique, ne peut sans doute pas - ironiquement parce qu'il est confiant et persuadé qu'il existe une solution - se résoudre à une telle fin.

~THÉMATIQUE~
La Ville Radieuse

La Ville Radieuse de Ravage, imaginée en images de synthèse par Phil Venet, alors étudiant en architecture à l'Université de Bordeaux III.

Dans une longue première partie, Barjavel fait la description d'un Paris futuriste qui sera bientôt le théatre de la fin du monde. Avant que ne surviennent les troubles de l'électricité qui seront le support narratif de la catastrophe, le roman est une étude sociologique d'anticipation, oscillant entre utopie et dystopie. Le monde de demain tel que Barjavel l'entrevoit est alors fortement versé dans la technologie. Bien que l'usage excessif des machines qui en rend ses utilisateurs dépendants provoquera les effets de la catastrophe qui vont suivre, la technologie en elle-même n'est pas malfaisante. Bien souvent au contraire elle contribue à une amélioration positive et redonne à nos villes des airs de paradis perdu :

Le long des murs, derrière des parois transparentes, coulaient des rideaux d'eau sombre et glacée. Des vibreurs corpusculaires entretenaient dans la salle des parfums alternés de la menthe et du citron.

L'emblème même de la réalisation technique aboutie est l'urbanisme. Barjavel - improvisant à l'occasion, et dans la même veine que celle dont Boris Vian sera friand quelques années plus tard - un patronyme inspiré, Le Cornemusier - dépeint une cité bien structurée, salubre, moderne et agréable, qui vient en remplacement de vieux quartiers miséreux et sales, rasés pour faire place aux nouveaux bâtiments. Les problèmes sont les conséquences des travers de ses habitants, comme la concentration dans des villes congestionnées moins apte à accueillir correctement leur population.
Le véritable problème n'est donc pas la technologie mais plutôt l'usage que l'homme fait de cette technologie. Remplacé par les machines plus efficaces, l'homme qui demeure cependant toujours la finalité et qui ne peut être retiré du cycle, se retrouve inutile, inefficace, presque indésirable. C'est le cas par exemple des serveuses de bar qui ne sont là que pour leur présence:

Juchées sur leurs hautes caisses vides, elles n'encaissaient plus rien. Elles ne parlaient pas. Elles bougeaient peu. Elles n'avaient rien à faire. Elles étaient présentes.

La place mal attribuée aux machines est encore plus frappante avec l'exemple du plastec. Barjavel imagine une structure plastique à laquelle il confère autant d'avantages par rapport à notre plastique actuel que celui-ci en a par rapport au fer ou au bois d'antan. Le matériau miracle se prête à mille possibilités nouvelles : malléable, des objets monolithiques entiers en sont construits. Il est résistant et universel, on le retrouve dans l'immobilier, l'architecture, les industries automobiles et vestimentaires et aussi dans les prothèses ou pour faire des gobelets. Ses propriétés en font une matière d'art révolutionnaire, qui change de couleur avec l'heure ou l'angle de vision, est luminescente avec des couleurs variées, ou au contraire dont la transparence cristalline permet des sculptures en trois dimensions. Toutes ces propriétés fantastiques ne devraient pas, cependant, être jamais utilisées autrement que dans l'interêt et au service de l'homme. Un exemple tout à fait familier de notre société montre qu'il n'en est pas ainsi : dans un accident de train catastrophique pour les passagers, l'habitacle de l'appareil qui en est ressorti indemne fait la grande satisfaction de ses constructeurs, sans plus de considération pour ceux à qui cette solidité aurait dû servir : les voyageurs.

Entre Paris et Berlin, un wagon se décrocha dans un virage, percuta une usine, abattit cinq murs, rebondit et se planta, la pointe en l'air, dans un toit. Les voyageurs qu'on en retira ne possédaient plus un os d'entier. Quelques-uns en échappèrent, se firent mettre des os en plastec. Le wagon n'avait subi ni fêlure ni déformation, ce qui montrait l'excellence de sa fabrication. Ce n'était pas la faute de la Compagnie si les contenus s'étaient avérés moins résistants que le contenant.

Cette société futuriste passée maîtresse dans l'usage de la technique montre donc des signes inquiétants de reniement de la personne humaine. Cela se révèle à plusieurs autres occasions, comme la dénomination de « Siècle 1er de l'Ere de Raison » d'une période toute récente, balayant donc comme déraisonnable l'héritage culturel et social mais évidemment technologiquement primitif des générations antérieures. Ce sera le rôle de la catastrophe que de revisiter ces préjugés d'une civilisation à l'égard de son prochain et de ses aînés. Pour l'heure, Barjavel en est encore à imaginer le fonctionnement futur de la société.

Ce n'est pas dans ce roman qu'il fera ses meilleurs coups d'éclats de devin et gagnera son image de visionnaire. Ses prédictions majoritairement confirmées des moyens audio-visuels futurs sont plus à attribuer à Cinéma Total qui reprendra ces idées dans le détail, telles que la couleur et l'image en trois dimensions ou l'anecdotique usage abondant et bien accueilli par les spectateurs de la pornographie. L'usage du synthétique et notamment de la nourriture artificielle a fait quelque chemin dans la réalité et en fera d'autre chez l'auteur dans ses derniers écrits. Il n'entrevoit pas, ni ici ni ailleurs, le formidable essor de l'informatique, conserve quelques antiquités tels que le pneu (seulement utilisé aujourd'hui en France et par tradition entre les deux chambres parlementaires), exagère ou sous-estime d'autres points, mais offre dans l'ensemble - et pour un des premiers romans modernes de Science-Fiction - une description des moyens technologiques de la société avancée tout à fait respectables et convenant parfaitement à l'histoire qu'il entend développer. Par contre on peut regretter quelques manquement un peu plus dommageables sur l'évolution de la société. Politiquement, il a bien compris l'enjeu des technologies. Il comprend que les mutations technique provoquent l'essor social. Il baptise l'un de ces tournants qu'il étale sur trois jours du nom des « trois glorieuses », que l'on rapprochera évidemment de l'appellation similaire choisie ultérieurement par Fourastié des « trentes glorieuses » pour qualifier les trentes années d'émancipation industrielles, technologiques et sociales après la seconde guerre mondiale. Cependant l'auteur manque à prédire l'émancipation de la classe ouvrière par le biais de la robotisation et de l'automatisation.
L'ouvrier spécialisé qui est un pilier de la société contemporaine de l'écrivain, dans la continuité du siècle écoulé, retrouve dans le roman une place identique à celle qu'il occupe dans le milieu du 20ème siècle. Son éducation est limitée, son travail difficile, ennuyeux et avilissant :

C'était un métallurgiste, un ancien du métier, à la peau recuite, un vieux compagnon qui avait résisté à trente ans d'usine. Sa main droite, avec laquelle, à l'atelier, il donnait toutes les deux secondes le même coup de marteau sur des rivets toujours pareils, restait fermée autour d'un manche imaginaire.

L'auteur ne trouve pour le « prolétariat » que le confort d'une société baignée de technique. Il y a certes donc pour eux une amélioration du quotidien redevable à la technique, mais leur infériorité sociale reste un point d'ancrage. Barjavel ne peut imaginer un progrès autre que celui qui conserverait les différences sociales, où les ouvriers restent à l'ornière de l'esclavage, sacrifiés à la tâche :

L'usine les tuait à cinquante ans. Mais, au moins, jusque-là, avaient-ils bien vécu.

C'est la vision futuriste du roman qui sera la plus en défaut. D'autres de moindre importance s'inscrivent aussi dans cette lignée, comme le maintien de labeurs aliénants tel que les poinçonneurs ou, dans l'armée, de formations archaïques condamnées au massacre de leurs troupes comme la cavalerie. Cette retenue à faire évoluer un tant soit peu les conditions de vie et amoindrir les disparités sociales sous l'auspice de la modernité opposent une réserve à la thématique de l'auteur, qui, trop résolument attaché à l'avancement d'un progrès qui se fait sans amélioration du sort du peuple, se voit contredit par les faits et affaibli dans la poursuite de sa thèse : le progrès technologique sans le progrès social est néfaste. Toute l'argumentation de l'auteur retrouve sa pleine puissance avec cette légère modification qu'un progrès technologique trop rapide par rapport au progrès social est néfaste. Barjavel n'aurait-il pas pu concéder une amélioration tangible de la société grâce aux machines ? Imaginer la restructuration de la société ? En plein conflit mondial, et dans la période sombre de l'occupation allemande, cela lui est particulièrement difficile. Ici le progrès est, pour raisons de guerre, tel qu'il le décrit dans le roman : accéléré et sans la moindre considération pour les individus. Certainement le contexte aura influé énormément sur le déroulement du récit. L'auteur attribue même lors de l'interview citée précédement (voir section genèse) l'idée de la disparition de l'électricité au couvre-feu qui plonge Paris dans le noir à partir de seize heures. De plus, on voit souvent ressurgir dans le décor futuriste et ultra-moderne les scènes du quotidien de l'auteur : par exemple au cœur d'une ville qui brille de mille feux et retentit des toutes dernières innovations techniques, Blanche vit dans un décor des années trente, assez déplacé plus d'un siècle après alors qu'il est déjà de nos jours totalement oublié.

Elle occupait là, au deuxième étage d'une des vieilles maisons en pierre de taille qui subsistaient en grand nombre dans ce quartier, une petite chambre meublée à l'ancienne, d'un lit de fer, d'une armoire en noyer, de trois chaises cannées, et d'un adorable petit bureau 1930 en bois blanc, du plus pur style Prisunic. Elle avait ajouté à ce décor charmant quelques menus bibelots désuets : un réveille-matin à ressort, une lampe de chevet à ampoule de verre, un thermomètre à mercure, aux murs trois vieilles photos plates et grises.

La prise acérée du siècle sur l'auteur se répercute encore sur la fin du texte où le retour à la terre et la société patriarcale résonnent avec certaines « valeurs » de l'époque du triptyque travail, famille, patrie. Ne le voit-on pas, par exemple, imaginer des institutions d'état pour former des mères de famille d'élite ? Loin s'en faut pour autant d'attribuer à Barjavel un quelconque crédit du régime d'occupation et de la politique du gouvernement de Vichy. Les idées qu'il avance dans ce roman sont perturbées par l'incertitude et la morosité que lui ont inspiré la situation, mais il reste distant de tout engagement politique. La scène extraite suivante en est une des révélations. Parmi l'une des meilleures satires du roman elle montre, alors que le ministre des P.T.T. interrompt le chef du gouvernement pour lui faire savoir la façon de penser de sa couleur politique, que l'auteur est pleinement conscient et indépendant de tout reflexe doctrinal :

Le ministre des P.T.T. l'interrompit brusquement. C'était un homme congestif, trapu, qui répondait au nom bien français de Dufour. Il frappa sur la table et se leva. Il était écarlate.
- Mon cher Tapinier, ce que vous devez d'abord nous dire, c'est la vérité. Qui nous a coupé l'électricité ? Si c'est un coup de la réaction, je déclare solennellement au nom du peuple que je représente, que les ouvriers ne se laisseront pas ainsi ôter de la bouche le travail et le pain de leurs enfants!
Cette intervention provoqua une explosion de cris, de protestations ou d'approbations violentes.
Les trente et un ministres présents se levèrent et se mirent à parler tous à la fois. Le plus excité de tous, le baron de Bournaud [...] glapit en brandissant son monocle :
- La réaction ? Vous nous la baillez belle, Monsieur Dufour. Dites que c'est là l'œuvre bien reconnaissable des incendiaires et des coupe-jarrêts de vos syndicats d'extrême gauche, qui veulent ainsi prolonger les trois mois de congés payés que leur octroient leurs malheureux patrons. Voilà où nous conduit la lâcheté de l'élite devant les exigences toujours grandissantes de la racaille! Mais cette manœuvre n'éteindra pas les lumières de la culture et de la tradition française, et, dussions-nous périr sous le couteau des brutes avinées, nous les défendrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang.
- Dufour a raison ! clama le ministre de l'Instruction Publique. [...] Il n'est pas difficile de reconnaître là la main vipérine des curés qui cherchent à replonger le peuple dans les ténèbres du Moyen Age.
- Mon Dieu, pardonnez-lui, il ne sait ce qu'il dit, murmura l'abbé Legrain, rond et rosé ministre de la Santé Morale. A moins qu'il ne veuille donner le change et défendre ses amis francs-maçons...

Dans sa société futuriste que l'on comprendra donc néanmoins reflet de la sienne contemporaine, Barjavel n'a pas manqué de mettre à l'œuvre tous les rouages de la finance et du pouvoir, et d'en tirer les ficelles pour faire jouer les frictions résultantes. L'archétype du parvenu, héritier richissime et tout puissant, n'ayant comme seule qualité que sa position, est Jérôme Seita. Directeur de la radio, il incarne le pouvoir égoïste et arrogant, qui trouve naturels les privilèges dont il jouit. Ce n'est pas sans plaisir que le lecteur assiste à l'effondrement de l'empire du magnat de la presse. Son argent n'ayant soudainement plus aucune valeur, homme assisté en tout, il devient dès lors vulnérable et plus faible que le premier venu. Sa première tentative d'imposer un pouvoir qui n'a plus cours lui coûtera la vie. Cette impuissance se répercute chez tous mais avec d'autant plus d'ampleur que le pouvoir détenu était grand. François, le héros, habitué à tout faire par lui même, sera donc parfaitement a même de prendre la tête d'une expédition pour survivre à la catastrophe. Avec ces revirements de situation, que peuvent causer des remaniements politiques, des soubresauts économiques, un évènement personnel inattendu, ou comme dans le roman une catastrophe naturelle, Barjavel enjoint à une vie indépendante autant que possible de l'extérieur, non seulement parce qu'autrement l'individu se voit fragilisé en cas de vacillement de l'autorité dont il dépend, mais aussi parce qu'on ne vit que lorsque l'on vit par soi-même. Cet aspect de la thématique qui revêtira son plein essor dans les écrits à venir est déjà perceptible dans Ravage:

Les hommes se perdirent justement parce qu'ils avaient voulu épargner leur peine. Ils avaient fabriqué mille et mille et mille sortes de machines. Chacune d'elles remplaçait un de leurs gestes, un de leurs efforts. Elles travaillaient, marchaient, regardaient, écoutaient pour eux. Ils ne savaient plus se servir de leurs mains. Ils ne savaient plus faire effort, plus voir, plus entendre. Autour de leurs os, leur chair inutile avait fondu. Dans leurs cerveaux, toute la connaissance du monde se réduisait à la conduite de ces machines. Quand elles s'arrêtèrent, toutes à la fois, par la volonté du Ciel, les hommes se trouvèrent comme des huîtres arrachées à leurs coquilles. Il ne leur restait qu'à mourir...

~THÉMATIQUE~
La Catastrophe et la Fuite

La société telle qu'elle est présentée en première partie du roman trahit certains dysfonctionnements dont les conséquences ne se révèlent finalement pas. Les personnages accusent tous quelques travers. Ainsi François se montre un amant possessif et Blanche une femme pour qui l'amour est plus affaire de confort et de jeu que de sentiments épanouis. D'autres personnages secondaires nous apparaissent comme aux prises d'une société indifférente où ils ne font qu'acte de présence. La vie y est artificielle et ses acteurs semblent las. Les activités sont déconnectées de toute réalité sensible. Les pêcheurs par exemple auraient en horreur de consommer le fruit d'un loisir devenu totalement inutile. C'est la catastrophe qui va braquer les lumières sur ces maux bénins qui, en apparence, sont sans importance. Barjavel veut montrer que sur des bases aussi peu solides, le moindre dérapage peut crever l'abcès et tuer une société malade. La catastrophe qu'il choisit est la disparition de l'électricité. Bien sûr quand on sait le nombre d'outils et machines mus par l'énergie électrique, on comprend que l'idée heureuse de l'auteur lui permettra de paralyser d'un coup la société toute entière. Il en fera un usage magistral. Mais alors qu'il n'avait nul besoin sérieux de se justifier de ce choix judicieux pour en récolter les dividendes, il semble en faire grand cas. D'abord il annonce l'imminence de la catastrophe par quelques signes précurseurs de baisses de tensions, de plus en plus fortes, comme si l'électricité était en train de se « casser ». Par la voix du scientifique le Dr. Portin, il rattache ces évènements aux recrudescences des tâches solaires. Ce ne sont là que de bien menus détails cherchant à rendre plus vivant le terrible évènement. Il est plus étonnant que dans un autre roman, le Voyageur imprudent, Barjavel revienne sur cette question et traite dans une note de bas de page de la question explicitement, citant Ravage et résumant les faits, pour discuter de la cause sans rien ajouter de bien précis pour autant. On y apprend simplement que l'auteur s'est longuement interrogé à ce sujet comme s'il était véritable plutôt que le fruit de sa propre imagination. Il conclut ensuite sur l'inutilité de discuter de la cause initiale. Revoyons, extrait du Voyageur imprudent, ce retour énigmatique à Ravage :

Dans Ravage, qui est le récit de cet événement, de ses conséquences pour l'humanité et des aventures de François, à travers le monde qui s'écroule, jusqu'à l'établissement de sa dynastie, l'auteur, qui a étudié les faits autant qu'il était possible de le faire, en arrive à cette conclusion : l'électricité n'a pas disparu, elle a simplement cessé, en un instant et dans le monde entier, de se manifester sous ses formes habituelles. Ainsi les corps jusque-là conducteurs brusquement ne le sont plus. Ainsi, il n'y a plus de courant, plus de foudre, plus d'étincelles, plus rien dans les piles ni les accus. Ainsi tous les moteurs, y compris les moteurs atomiques et les moteurs nucléaires à cellules photo-électriques, s'arrêtent au même instant dans le monde entier. D'un seul coup, tous les véhicules stoppent, tous les avions tombent, toutes les usines cessent de tourner. Plus de transports, plus de courant, plus d'eau, plus de vivres dans les immenses villes qui ont drainé toute la population du XXIe siècle. C'est un écroulement effroyable et subit, à cause de ce simple phénomène : une des forces naturelles auxquelles l'homme s'est habitué a tout à coup changé d'aspect. Quelles sont les causes de ce changement ? L'auteur ne saurait vous le dire. Mais sauriez-vous lui dire quelles sont les causes qui font de l'électricité, aujourd'hui, ce qu'elle est ?

C'est aussi dans le Voyageur imprudent qu'il faut aller chercher la raison de l'an 2052 où se déroule l'histoire. Nostradamus a en effet écrit un verset, que Barjavel, par la voix d'Essaillon, rappelle au lecteur puis interprète :

   L'an que Vénus près de Mars étendue
   A le verseau son robinet fermu
   La grand' maison dans la flamme aura chu
   Le coq mourant restera l'homme nu.
- « L'an que Vénus près de Mars étendue » désigne astrologiquement, d'une façon incontestable, l'an 2052, reprit le savant. Les autres vers nous font craindre des événements terribles. Le coq désigne, ici, la France, ou peut-être l'humanité. "Restera l'homme nu..." L'homme nu ! Vous entendez ? Que pourra-t-il arriver à notre malheureux petit-fils pour qu'il reste nu ? Vous n'avez pas envie de le savoir ?

Ces explications par ouvrages interposés se faisaient-elles dans l'espoir de renvoyer les lecteurs sur le roman précédent ? On peut le penser mais l'auteur eut alors plutôt intérêt à appliquer cette formule - avec les risques d'incompréhensions qu'elle comporte pour le lecteur - à l'envers. En effet, alors que Ravage eut un grand succès immédiat, le Voyageur imprudent est longtemps resté relativement discret, - malgré le Prix des Dix attibué aux deux romans ensemble - jusqu'à ce que l'auteur soit redécouvert par les lecteurs de S.-F. après la Nuit des temps et le Grand secret.
L'auteur semble plutôt être resté sur un sentiment d'inachevé avec Ravage. À, plusieurs autres reprises dans le Voyageur imprudent il complète certains points, élaborant notamment sur les us linguistiques des populations d'alors, dont il n'est nulle mention dans le présent ouvrage. Notons encore que concourt une autre possibilité pouvant prétendre à expliquer ou causer la catastrophe, qui est celle de la déclaration de guerre de l'empereur noir. C'est encore un manifeste empiètement dans l'histoire des évènements que le romancier subit dans sa vie. Il n'y a aucune nécessité à faire peser une menace ou un climat de guerre dans le roman, sinon pour l'auteur d'exorciser par l'écriture les terribles réalités du moment. Plus important que la cause, intervient la nécessité de cette rupture avec ce que Barjavel voit comme une fuite en avant. Est-ce le seul fait d'un accident ? L'auteur qui n'est pourtant pas mystique se réfère à de nombreuses reprises à un acte de rétorsion divin. Il avait même «Hommes et femmes, bouche ouverte sous le vêtement qui leur protège le visage, ont grand-peine à trouver dans cette purée de quoi emplir leurs poumons brûlants.» envisagé de baptiser initialement son roman « Colère de Dieu » mais, coomme on l'a vu, en fut découragé par son éditeur. Il restera tacite au moins de façon hypothétique que la privation d'électricité est le fruit d'une volonté supérieure, d'une nécessité cosmique, d'un ordre ou d'un rappel à l'ordre de la Mère Nature. Ainsi dès lors que l'électricité « disparaît » ou quelque soit la cause véritable de son inaction subite, les détournements par l'homme de l'ordre naturel des choses qui semblaient ne se traduire que par des désagréments latents peuvent alors prendre leur pleine ampleur pour révéler la véritable portée de l'incurie humaine à l'égard de ce qu'il ne maîtrise pas. Il est temps de payer la négligence des écarts commis dans l'insouciance par la chute. François qui pressentait la dangerosité d'une rupture avec la nature commente :

La Nature est en train de tout remettre en ordre.

Privée de la technologie autour de laquelle toute la société s'est construite, l'humanité sans autres repères se retrouve propulsée à un nouvel âge de pierre, dans un monde sans pitié où la loi est dictée par la violence et la force. Celui qui n'a d'autre expérience de lui-même que par le reflet des machines est handicapé, incapable sans outils de voir son entourage immédiat alors qu'il contemplait hier encore le monde entier au travers de ses instruments. p class=barjavel> Chacun allait se retrouver dans un univers à la mesure de l'acuité de ses sens naturels, de la longueur de ses membres, de la force de ses muscles.

Une emprise plus concrète sur le monde est alors vitale, ainsi qu'un abandon des futilités qui sont l'apanage de ceux qui se parent de mille « gadgets » :

[François] était décidé à se débarrasser de tous les objets devenus inutiles, de toutes les habitudes et de tous les scrupules que l'événement rendait caducs. Il jugea de l'heure comme pendant ses séjours à la ferme : à la hauteur du soleil.

Ce retour brutal aux sources s'accompagne d'excès qui ôtent à ceux qui en font la démarche tout caractère humain et les contraignent au recours de réflexes indignes de bêtes sauvages. Chacun abandonne ce qui lui est le plus cher, ne pensant plus qu'à lui même :

Il n'y avait plus de respect, plus d'amour, plus de famille. Chacun courait pour sa peau. Les boutiquiers avaient laissé l'argent dans les tiroirs, les mères abandonnaient les bébés dans les berceaux.

Pour redevenir des êtres humains dignes il faudra aux survivants expier leurs erreurs du passé et parcourir un chemin de croix qui les reconduira d'une civilisation où la technique est maîtresse à celle pour laquelle l'homme en est la figure centrale. Pour cela, il faut fuir la capitale en feu, symbole d'un monde que les hommes ont abandonné à des forces qu'ils ne maîtrisaient pas, et qui n'est désormais plus qu'une jungle féroce. Lorsque dans l'adversité de leur migration ils rencontrent d'autres éprouvés qui n'ont cependant pas choisi de s'arracher aux griffes qui les dépossédaient d'eux-mêmes, ils ne voyent que des loques squelettiques qui s'entre-dévorent. Ceux-là, ayant choisi de ne pas faire par eux-même le travail des machines et de sombrer dans la facilité criminelle et bestiale, ne retrouveront ni les fruits de ce travail ni le statut d'être humain. L'équipe de François, fourbue d'efforts et écrasée par l'hostilité environnante, comprend alors que sa déchéance physique et sa grande affliction n'est qu'un prix temporaire à avancer pour souscrire au retour d'une vie harmonieuse. Ils n'ont pas perdu l'essentiel. Ils demeurent, même malades et mutilés, des êtres humains.

Ils comparaient leur propre misère à cette horreur. Nus, mais debout, maigres, affamés, las, mais décidés à la lutte, ils étaient loin de cette déchéance atroce. Ils n'avaient pas renoncé. Ils étaient encore des hommes.

Le voyage au début relativement routinier devient de plus en plus difficile au fur et à mesure de leur progression. Bien sûr la transition complète reste plus difficile que la simple volonté de l'effectuer. Ce n'est que sur la fin qu'il devient un véritable supplice et que leur volonté est la plus rûdement mise à l'épreuve. La nouvelle hiérarchie doit faire ses preuves. À la tête de ce qui deviendra vite un clan se trouve celui qui a la plus haute autorité morale et spirituelle, ainsi que la meilleure connaissance du monde et de la façon de vivre en son sein. Ceux qui le suivent, si sa philosophie est correcte, seront épargnés. Ceux qui bravent ses recommandations seront éliminés. Ce sera le cas du garde qui, oublieux des ordres de François, se lèvera en pleine tempête pour se désaltérer. Ceux qui n'ont pas le courage de suivre trouveront la mort.

- Ils sont morts, dit François, d'avoir renoncé. En pleine lutte, [...] ils se sont laissé vaincre ils ont accepté la mort, et la mort est venue.

Plus tard cette société sera instituée avec interdiction pour ceux qui n'ont pas été désignés chefs d'accéder à un certain niveau de connaissance, comme par exemple la lecture, et interdiction formelle à tous de construire ou d'innover. On voit donc que la transition de l'ancien au nouveau monde s'est accompagnée de mutations profondes dans la société ainsi que d'une interdiction de tout mouvement en direction du passé. Cette rupture qui balaye toute notion de progrès appelle en remplacement le développement de ressources personnelles. C'est au cours de l'expédition que cette possibilité est approchée et, peut-être, que François y est éveillé. L'homme serait capable, en mobilisant suffisamment les forces de son corps et s'il dispose de suffisamment d'énergie, de réaliser de véritables prouesses, à l'égal voire surpassant les accomplissements des machines, et tout ceci du seul fait de l'individu. La spéculation de telles ressources s'insère donc naturellement dans la thématique de Ravage, et intervient lors de la visite de l'asile psychiatrique. L'équipe de François y trouve deux aliénés à qui de fortes doses d'énergies ont été dispensées médicalement, et qui par la force de leur conviction vont extérioriser l'objet de leur folie. L'un d'eux se croyant Jésus peut jouer de l'éclairage environnant ou encore apprivoiser les animaux. L'autre se prenant pour la Mort n'aura comme intervention que de foudroyer l'aventureux Dr. Fauque qui a croisé son regard, et d'illustrer encore ce faisant que le désir de connaissance sans une certaine forme préalable de sagesse entraîne irrémédiablement la destruction. Ainsi ces individus sont capables de faire par eux-mêmes ce qui nécessiterait pour un autre homme le recours à une lampe, un appeau ou une arme. Cette vue, même si elle trouve sa place dans le roman, devient si spéculative que l'auteur n'a pas la place de la développer. Il le fera dans le Voyageur imprudent où l'usage de cette énergie transformera la société jusqu'à chacun de ses individus.

La fuite de Paris à Vaux, le petit village natal de François et Blanche, est donc plus un parcours initiatique qu'un déplacement géographique. Les obstacles qu'ils ont affrontés les ont mis à l'épreuve et les ont préparés à un mode de vie avec lequel ils avaient tous rompus à un certain degré. D'abord accompagnée de vivres et de vêtements, de moyens de locomotion, d'armes et d'outils, la troupe s'est vue progressivement démunir de tout ce qu'elle possèdait. Sur la fin du voyage, ils n'ont plus rien, plus de nourriture, plus de force, ils sont nus, exténués d'avoir fournis tant d'efforts. Mais ils sont arrivés.

~THÉMATIQUE~
Le Retour à la Terre

Ce à quoi aspirent les pénitents est le retour à la terre, c'est-à-dire, le retour à un mode de vie où l'homme appréhende l'extérieur en prenant la pleine conscience de la limite de ses sens et non pas en se fourvoyant dans l'artifice d'intermédiaires qu'il ne comprend pas et qui l'abusent. Abus qui peut devenir, comme dans le roman, une trahison mortelle. Tout doit être ramené à l'échelle humaine, ainsi que l'illustre sur la possession des terres une des lois de la société nouvelle :

[Il est défendu] à un homme de posséder plus de terre qu'il n'en puisse faire le tour à pied du lever au coucher du soleil, au plus long jour de l'été.

L'argent et le commerce sont proscrits pour que chacun ait à faire par lui même ce sont il a besoin. La nourriture sera donc le fruit du travail de tous, travail auquel sera versé le tribut de l'effort. Celui-ci seul peut faire prendre conscience de la réalité et susciter le plaisir du travail. Bien avant la catastrophe, François avertissait son amie :

Mais n'[...]éprouve aucune vanité. Une seule chose compte, une seule chose est belle : l'effort.

Il en sera ainsi pour tout. Les habitations construites sans machines, et donc sans démesure, sont à la hauteur de ce que la peine peut consentir pour contenter l'aspiration. Une humble maisonnette devient un véritable palais à celui qui l'a bâtit de ses mains. Un palais est transparent à qui le traverse derrière une armée d'ingénieurs et d'ouvriers. Sur l'urbanisme, une autre loi contient l'expansion des villages et limite la démographie, sans quoi l'individu se retrouve perdu dans une foule où il ne connaît plus ses voisins, ce qui est inadmissible dans une société où l'individu est la valeur première, et avec lui la famille et les amis.

François a rétabli une religion basée sur l'amour de Dieu, de la famille et de la vérité, et le respect du voisin.

Le ratio des sexes qui est désormais à l'avantage des femmes, en surnombre, voit cette société s'imposer la polygamie, afin qu'aucune femme ne soit exclue. Chacune devra enfanter et avoir un amant. Les hommes les plus beaux et les plus méritants doivent accueillir des femmes sans grands attraits physiques. François lui même épouse ainsi une femme à barbe et une autre qui boite. On notera que cette démarche va à l'encontre de considération eugénistes qui auraient pu voir le jour afin d'« optimiser » la qualité du repeuplement. Rien de tel chez Barjavel.
La vérité, ou la pleine conscience de la réalité, compte parmi les valeurs primordiales. Il faut y voir ici les premières requêtes de « vérité » de l'auteur, qui seront à l'apogée dans la Faim du tigre.

François tient à ce que son peuple reste attaché aux solides réalités.

Cette vérité, ou cette connaissance, est la responsabilité d'un homme capable choisi par des épreuves annuelles et qui sélectionne le meilleur. Il s'agit donc d'une véritable aristocratie, sans transmission de pouvoir par l'hérédité. Au pouvoir s'associe l'âge avancé, image de la sagesse et de la connaissance. François devient le patriarche. Il est le père de toute une civilisation, vieillissant dans un âge très avancé. Aux toutes dernières pages du roman, il a cent-vingt-neuf ans, et d'autres méritants à ses côtés atteignent ces longévités peu courantes, surtout à l'époque réelle du roman où les doyens sont en principe seulement octogénaires. Cette longévité est un écho à la Bible où les premiers hommes vivaient, derrière Mathusalem, plusieurs fois centenaires. La chair corrompue et fragile retrouve, en même temps que la terre et la vie saine, la santé sereine et solide qui n'a pas besoin de médecine. Il n'y a plus de malades. Celui qui est élu pour sa sagesse a autorité sur son village et est seul à gouverner, sans partage, en cumulant les diverses responsabilités.

Le chef du village est à la fois prêtre, juge, et capitaine.

Cette société s'appuie donc sur l'idée que les hommes doivent être plus commandés et surveillés que gouvernés. Un de ses fondements est encore plus en contradiction avec les habitudes du lecteur: cette société est fondamentalement obscurantiste. Si l'alcool y est interdit pour ne pas abrutir les masses et permettre à chacun de rester constamment conscient, ce que l'on peut comprendre et accepter, il en est de même des livres. Ceux-ci sont recherchés, et brûlés. L'innovation est interdite, et lorsqu'il viendra à l'un des habitants observant l'effet de la vapeur sur une marmite l'idée de se servir de la force de la vapeur, celui-ci poussé par la seule curiosité et l'innocente et même généreuse intention de soulager la peine de ses frêres deviendra un criminel, qu'il faudra exécuter. Ce sont là des restrictions bien sévères, des interdictions bien catégoriques. L'auteur lui même n'en est peut-être pas satisfait. Si l'alcool est interdit, le vin consommé avec modération est autorisé. Si les livres sont brûlés, c'est à l'exception des ouvrages de poésie (on notera une méfiance similaire envers les écrits dans les dispositions prises par Mr Gé dans Une Rose au paradis, où le seul livre emporté dans l'Arche est « Les Fables de La Fontaine »
Ainsi, comme nous l'avions déjà remarqué, les outils et toutes les créations humaines demeurent désirables. C'est leur usage qu'il faut surveiller. Rien n'est dangereux sinon l'homme et son usage inconsidéré, insouciant, inconscient des objets et forces qui l'entourent. L'interdiction est-elle une solution ? La fin du roman laisse penser que non. Toujours obéissant, sans jamais penser faire le mal, un fidèle sujet transgresse les lois. C'est donc que les lois ne sont pas naturelles. Le roman s'achève ainsi. Dans sa direction, le Voyageur imprudent ira plus loin encore en adaptant non les lois à la société, mais la société aux lois que nous avons vu ne pas convenir à l'homme tel que nous le connaissons. L'auteur atteindra une configuration qui fonctionne, mais il y aura perdu l'être humain. Ce sera l'œuvre du reste de sa vie que de trouver un équilibre entre l'homme, les hommes et l'univers, et dont Ravage était la première tentative quelque peu chaotique.


Ravage, un roman sous influences ?

Dans le contexte historique de la parution de Ravage, il est légitime de se poser la question de son intégration à des courants de pensée de l'époque, qui, compte tenu des moyens et méthodes de la propagande alors en action, ne peuvent être ignorés. Les commentateurs d'aujourd'hui ne s'en sont pas privé, et le dossier de l'édition Folio plus insiste sur cette optique d'une manière qui peut d'ailleurs biaiser une étude vraiment objective. Se constituer une vue claire de cet aspect de l'œuvre nécessite un exament d'un ensemble de sources, directes et indirectes, et seuls les textes et les faits avérés peuvent se voir attribuer une validité.

  visite recommandée ! On trouvera une page consacrée à ce thème comportant de bien plus longs développements, intéressants a priori essentiellement le spécialiste soucieux d'approfondissements, et qu'il serait disproportionné de détailler ici. ( aller à cette page )


CRITIQUES PUBLIÉES
AU SUJET DU ROMAN


La parution de Ravage en 1943 fut saluée comme on l'a vu par l'attribution du Prix des Dix, décerné comme "ersatz" du Goncourt par un jury d'humoristes et collègues de Barjavel dans ses activités journalistiques (Jan Mara écrivait avec lui avant la guerre dans « Le Merle blanc »)

L'hebdomadaire "collaborationiste" de R. Brasillach Je Suis Partout présenta dans son numéro du 12 mars 1943 un article à propos du roman, étoffé d'une interview de l'auteur par Henri Poulain, sous le titre "En parlant de leurs livres - Dans l'arche de René Barjavel, promoteur paisible des déluges" { voir l'article }. Cet article, et surtout le contexte de sa parution, justifient quelques commentaires que l'on pourra lire { ici }.
Le même Je Suis Partout allait publier en feuilleton l'année suivante Le Voyageur Imprudent, et le présenter par un article élogieux consacré à l'auteur sous la plume de Claude Maubourguet { voir l'article }. Cette collaboration strictement "littéraire" fut cependant reprochée à Barjavel par la suite lors de l'Épuration du monde des Lettres qui suivit la Libération.

Ravage fut aussi présenté par Henri-François Rey dans la rubriques “Les Livres” de la revue IDÉES qui avait été créée à Vichy en novembre 1941 comme "Revue de la Révolution Nationale" prônée par le Maréchal Pétain. { voir cet article }.

En octobre 1943, le mensuel FRANCE - Revue de l'État Nouveau -  édité à Vichy et dont le nom, la couverture et le contenu montrent bien une allégeance aux idées du nouveau chef de l'État Français, présentait sous la signature de Gilbert SIGAUX une critique certes élogieuse du roman, mais ne mettant nullement en avant la sympathie des idées relatives au "retour à la Terre" que certains ont pu y trouver. { voir l'article }.

La critique redécouvrit le roman, et avec lui Le Voyageur imprudent, lorsque la vogue de la Science-Fiction en France prit quelque consistance, c'est à dire vers la fin des années 1950.
À la fin de 1959 fut publiée la première édition de poche (Livre de poche n°520) { voir }, et la jeune revue « Fiction » publia dans son numéro 77 d'avril 1960 { voir ce numéro }, une critique du roman sous la plume de Démètre Ioakimidis, dont on citera par exepmle :

Formons donc le vœu que cette parution révèle le nom de Barjavel à un grand nombre de lecteurs, et qu'elle leur donne envie de connaître également les autres œuvres du doyen de la science-fiction française contemporaine.

et :

(...) le lecteur (...) s'attache à l'action, il s'associe aux difficultés du petit groupe) il en vient à souhaiter que le courage et la ténacité des voyageurs trouvent quelque récompense : c'est là le principal, en vérité, car c'est à cela que se mesure la réussite de l'auteur.

On lira l'intégralité de la critique { ici },

Quelques années plus tard, Démètre Ioakimidis récidivait en publiant dans le n°191 de « »Fiction »» { »voir ce numéro }, une critique couvrant Ravage et Le Voyageur imprudent - consacrant ainsi la dualité des deux romans.
Concernant Ravage, son avis n'a pas changé, tout en insistant particulièrement sur un aspect d'incomplétude du roman, le fait que la catastrophe n'est jamais expliquée pouvant laisser planer une réticence du lecteur à rentrer dans l'idée de l'auteur :

Les Terriens de 2052 sont donc à cet égard des victimes, et Ravage devient un réquisitoire contre des gens que ta fatalité a frappés, ce qui n'emporte pas nécessairement l'adhésion du lecteur. Mais celui-ci est en revanche entraîné par la narration elle-même, dont la ton conserve tout son mordant après un quart de siècle.

La critique complète est consultable { ici },

Ravage restera le roman "prototype" de la Science-Fiction française moderne, et plutôt que sujet de critiques, il devint sujet d'études, thèses - et même devoirs scolaires - comme présenté plus haut.


CRITIQUES DES VISITEURS


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Ravage a inspiré d'autres œuvres

Se situant comme on l'a vu dans le courant des romans cataclysmiques, Ravage a en fait été l'un des premiers romans de Science-Fiction moderne à y inclure les considérations résultant de l'interaction d'un univers technique, d'une situation extrème et de comporements sociaux qui deviennent par celle-ci inapproriés. De nombreuses œuvres romanesques ont suivi cette voie, mais aussi des réalisations relevant d'arts très différents, ainsi que des courants de pensée qui virent leur apogée à l'approche de l'an 2000.

visite recommandée !La page Ravage les a inspirés en présente les plus notables.


AILLEURS SUR LE BARJAWEB :
quelques liens

Ravage, la présente page et ses compléments ont été présentés par plusieurs pages du barjaweb qui en abordent divers aspects ou ont annoncé leur publication initiale. On pourra s'y reporter avec intérêt car des points particuliers s'y trouvent mis en avant.

  • La Lettre de G.M.Loup n°7 de juillet 2001 qui annonçait la mise en ligne de cette page (lire)
  • La transcription du Café Littéraire des Journées Barjavel 2002 : “Anticipation et prospective dans l'œvre de René Barjavel” (lire)


COPYRIGHTS


  • Le texte du roman est © Éd. Denoël, 1943.
  • Le titre flamboyant du haut de la page est une création graphique de G.M.Loup sur la base de la première de couverture de l'édition Denoël de 1949 {voir}
  • L'image du frontispice est une illustration de de S.Ernst pour une édition inconnue du roman (source : « Les Maîtres de l'Étrange », Ed. Atlas 1985)
  • Les illustrations au trait noir sont du dessinateur F. Van Hamme, sont © Éd. Ambassade du livre.
  • L'illustration en noir et blanc de François et Blanche au pied des ruines de la cité est de Jean Claude Leymarie, extraite de l'édition Famot (© Éd. François Beauval)
  • L'image de synthèse représentant la Ville Radieuse est de Phil Venet de Bordeaux voir son site ]
  • Tout ce qui n'est pas mentionné ci-avant est © G.M. Loup.