Les ANNÉES DE LA LUNE
1969 - 1970 - 1971

Trois années charnières passées au crible
par un amoureux de la vie,
un dénonciateur d'injustices, un œil
ouvert sur la vie et ses contemporains.

Trois années vues par René BARJAVEL

« Nous vivons dans notre temps. Nous ne l'avons pas choisi, nous y sommes. Il est superbe et complètement dingue, extravagant, merveilleux et odieux. Il nous mène dans la Lune, nous ouvre les portes de l'espace infini et [...] nous asphyxie, nous empoisonne et nous soulage, nous rend malade et nous guérit, et finit par nous tuer, bien sûr, comme le temps de tous les temps, mais après nous avoir secoué les os et les tripes et nous avoir mis des feux d'artifice plein les yeux... »


  1. Présentation
  2. Contexte
  3. Extrait
  4. Genèse
  5. Personnages
  6. Thématique
  7. Analyse linguistique
  8. Critiques publiées
  9. Critiques de visiteurs
  10. Notes éditoriales
  11. Copyrights


PRÉSENTATION

Première de couverture de la première édition

Recueil d'articles parus au Journal du Dimanche.
Titre original : Les ANNÉES DE LA LUNE
© Presses de la Cité, 1972

Meilleure vue de la première de couverture }
(Voir les autres éditions)
 

Dédicace :

À René Maine, qui m'a donné l'occasion, et la liberté, d'écrire les pages de ce livre. Avec ma gratitude, et mon amitié. R.B.



Quatre-vingt dix-huit articles extraits de ces trois années de publications hebdomadaires. { Voir la liste des titres }

Particularités :
  • Certains articles, dont « La plus grande supercherie du siècle : Picasso » ont été publiés aux Nouvelles litéraires, et non dans le Journal du Dimanche.
  • Certains textes non retenus pour constituer le recueil et parus dans cet intervalle de temps sont disponibles sur le barjaweb sur la page : les articles au Journal du Dimanche


La Lune

Contexte sociopolitique de l'époque

Les articles constituent la synthèse, dans un ordre chronologique, des trois années consécutives 1969, 1970 et 1971 qui ont été marquées avant tout par la conquête spatiale et notamment par le premier débarquement sur la Lune. Ces événements plus qu'historiques confèrent tout naturellement son titre au recueil et en constituent le fil conducteur, avec d'autres sujets brûlants de l'époque. Celle-ci souffre de conflits dont les principaux sont la guerre du Viet-Nam et la guerre civile en Irlande. Est également récurrent le conflit Israélo-Palestinien qui est hélas resté d'actualité. Cette époque a aussi fort heureusement connu des événements plus heureux, et dans la vie d'un homme simple, de nombreux autres, anodins en apparence, que Barjavel ne manque pas de mettre au premier plan. C'est ainsi que nous le verrons évoquer la danse aérienne d'un trapéziste, d'un puceron qu'il a trouvé sur son rosier ou ses promenades dans Paris, celles nocturnes dans les cabarets ne manquant pas de piquant.

Avant de replonger en compagnie de l'auteur dans ces années torturées et malgré tout souvent heureuses, il est peut-être utile de se remémorer le contexte sociopolitique et culturel de l'époque et les noms qui ont marqué ces années. Les liens et notes succintes que je présente ici pourront y aider. Ils ne prétendent pas à l'exhaustivité mais plutôt à fournir un échantillon significatif de faits marquants, s'articulant autour des sujets que l'auteur a choisi de mettre en avant. Ils apparaissent aussi dans un ordre chronologique : (cliquer sur les titres pour voir les détails, ou cliquer ici pour les afficher tous)


EXTRAIT

L'extrait que j'ai choisi est l'un des plus revendicatifs, les plus acides, les plus engagés du recueil. La religion comme prétexte au combat armé avait de quoi irriter particulièrement Barjavel, qui lui reprochait déjà âprement de faillir à sa mission spirituelle. Revendiquant pour l'occasion sa confession protestante pour appuyer l'irresponsabilité de ceux qui se cachent derrière leurs titres pour fuir le problème plutôt que de les mettre en avant pour le résoudre, il généralise rapidement l'attitude hypocrite des religieux aux autres institutions qui revendiquent de la même façon leurs bonnes intentions mais s'empressent de colporter l'oppression, l'intolérance, le conflit. Du haut des idéologies, il nous présente des acteurs qui sont plus les figurants que les héros de ces temps troublés. Ainsi, l'Église, le système politique et le mouvement hippie, chacun s'appuyant fièrement sur des principes et des valeurs, sont mis à l'index dans leur lâcheté et leurs contradictions communes. Ce texte condense bon nombre de thèmes qui reviendront souvent dans d'autres articles, lorsque l'actualité aura l'infortune de lui fournir d'autres exemples.

HONTE, HONTE, HONTE AUX ÉGLISES ET A LEURS SERVITEURS
L'ESPOIR ECRASÉ SOUS LES BOMBES - 500.000 HIPPIES

Je suis protestant. Et j'ai honte.
Je regarde mes mains : elles sont rouges du sang et du feu de Belfast.
Je pense à mes ancêtres, paysans de la Drôme, qui se sont fait hacher, génération après génération, pour la liberté et l'égalité des droits. Et voici leur descendant, mon frère : le pasteur Paisley, de Belfast.
Vous l'avez vu et entendu. Son visage de pierre, fermé comme un poing. Sa parole ininterrompue, jaillissante de violence et de haine. Un pasteur, un homme de Dieu, organisateur de milices d'assassins, un pasteur incendiaire prêchant la chasse à l'homme et la justifiant. Un pasteur... J'ai honte.
J'avais appris, étant enfant, que nous avions, pendant des siècles, été des victimes pourchassées et que nous émergions à peine d'une longue persécution. Et voici que je me découvre aujourd'hui du côté des tueurs. Je préférais l'autre position.
Il y a trente ans, ou presque, le cardinal Spellman, catholique, bénissait les bombardiers qui allaient brûler au phosphore les femmes et les enfants de Dresde. Les soldats américains du Viêt-nam assistent au culte ou à la messe avant de partir à l'assaut. Il y a toujours un prêtre, protestant ou catholique, qui vient justifier les massacres et bénir les tueurs. Juifs et musulmans s'étripent à Jérusalem à cause d'une mosquée. Où est Dieu dans tout cela ? Comment ces hommes qui se prétendent ses ministres osent-ils prononcer SON nom ?
Nous en avons vu deux, un pasteur et un curé, côte à côte, regarder d'un air contrit un tas de briques fumantes qui avait été une maison de Belfast ou de Londonderry. Comme ils avaient l'air désolé, les chers hommes ! On les sentait tout prêts à répandre des flots de bonnes paroles et peut-être ont-ils murmuré ensemble quelques bénédictions sur ces ruines qui pouvaient encore recéler des victimes concassées.
Mais où étaient-ils pendant la bataille ?Pendant les nuits effrayantes où la haine flambait, que faisaient-ils en leurs presbytères ? Dormaient-ils ? Regardaient-ils la télévision ? Accordons-leur que peut-être ils priaient. Accordons-leur que peut-être ils ne priaient pas pour la victoire de l'un ou de l'autre camp, mais pour que cessât l'absurde et horrible violence. Il n'empêche qu'ils sont restés à l'abri, tous, dans leurs maisons éloignées des flammes et du danger, même le sinistre Paisley qui, comme tous les chefs de guerre, ne tue que par personne interposée.
Il s'agit d'une guerre de religion. Toutes les imbrications politiques et sociales n'ont fait que se greffer sur la haine séculaire et imbécile qui anime l'une contre l'autre les deux parties de la population au nom du même Dieu.
Cette haine, seuls peuvent la faire cesser les prêtres des deux Eglises. Et nous aurions voulu les voir arriver en masse au milieu du combat, se jeter ensemble devant les barricades, entre les combattants, joindre, à ce moment, leurs mains et leurs paroles et, s'il le fallait, dresser leurs poitrines devant les mitraillettes.
Trop tard la prière commune devant les décombres, trop tard...
Églises, Églises, qu'êtes-vous devenues ? Le Pape baise la terre au-dessus des martyrs africains morts jadis ou naguère. Mais il y a les vivants d'aujourd'hui qu'on martyrise. On interdit l'entrée du Vatican aux mini-jupes, aux shorts et aux épaules nues. Comme c'est important ! On embrasse la barbe du patriarche, on se fait des sourires œcuméniques par-dessus la Bible, on se demande si on pourra s'entendre malgré les points de vue différents sur l'Assomption de Marie, mais que des chrétiens se mettent à hurler de haine les uns contre les autres, puis à s'entretuer, il n'y a personne, pas un curé, pas un pasteur pour se jeter au milieu d'eux et essayer d'éteindre l'incendie au risque d'être brûlé vif. Pasteurs et curés attendront dimanche pour monter en chaire prêcher l'amour du prochain.
Honte, honte, honte aux Églises et à leurs serviteurs.

À Prague, c'est une autre Église qui assassine la liberté au nom d'un autre dieu : le socialisme. Là aussi il y a les mots, qui parlent de fraternité universelle, et les actes, qui sont ceux de l'égoïsme nationaliste le plus féroce et le plus glacé. Nous avons revu les images d'août 1968, l'espoir écrasé sous les chenilles des tanks et son reflet s'éteindre, d'une image à l'autre, sur les visages de tout un peuple. Et les chefs de bande imposer leur loi de fer au nom des grandes idées généreuses. Les mots ne servent plus qu'à camoufler les violences et les lâchetés.

La Bible a beaucoup servi dans la guerre d'extermination contre les Indiens d'Amérique du Nord. Ceux d'Amérique du Sud avaient déjà été liquidés par les Portugais et les Espagnols précédés de la Croix. Aujourd'hui, c'est l'évangile de Marx qui sert de justification à la domination, demain le petit livre rouge prendra le relais.

Viêt-Nam : les récents combats ont fait dans les deux camps plus de 5 000 morts en dix jours. La Conférence de la Paix vient de tenir sa 31° séance de guignol. Les participants sortent et font leur petit numéro devant les caméras. Les combats continuent. La conférence aussi. Les conférenciers ne risquent pas d'être parmi les morts. Ils se battent seulement sur le front de l'imposture. Chacun a la justice de son côté, chacun veut le bien des hommes que ses généraux sont en train de tuer.

Le mensonge énorme s'empare de toutes les images qui peuvent faire battre le cœur de l'homme : amour, paix, justice, Dieu, charité et les traîne dans la boue et le sang. C'est pourquoi nos enfants ne croient plus à rien et se révoltent par accès brutaux à la fois contre ce qui est et contre ce qu'on leur propose de mettre à la place.

500.000 hippies se sont agglomérés sur une colline américaine pour écouter un concert de pop'music. Ils refusent toute violence, rejettent toute propagande, veulent aimer chacun et tout le monde. Love, amour est leur mot d'ordre. Comme nous sommes d'accord ! Mais pourquoi sont-ils si laids et si sales ? Il est facile à des garçons jamais peignés ni rasés de devenir hideux, mais comment font les filles pour réussir à être encore plus affreuses qu'eux ? Ces 500 000 épouvantails entassés sur la colline composaient un spectacle à la fois grotesque et effrayant, une sorte de caricature d'Apocalypse peinte par Jérôme Bosch, y compris les démons invisibles à nos yeux : ceux de la drogue. Neuf sur dix de ces enfants, sinon tous, fument de la marijuana ou prennent du L.S.D. Leur non-violence n'est malheureusement que la veulerie des cerveaux enfumés. Ils ne s'évadent de nos mensonges que pour s'enfermer dans un autre. Ils ne sont pas sur un chemin nouveau, mais dans une impasse sinistre. Ils prétendent refuser la Société, mais ils en deviennent les déchets.

(24 août 1969)
 


GENÈSE

En introduction à ce premier volume du tryptique «Les Années de ...», Barjavel écrit une très modeste en plus que très jolie introduction. Cette profession de foi est si clairvoyante, si complète et si utile à la compréhension et l'appréciation des articles choisis, que je ne peux que la citer dans son intégralité :

Un article de journal, c'est une fleur - ou un chardon - qui ne dure que quelques minutes : le temps d'être lu. Puis le journal et la pensée qu'il transporte - si pensée il y a - servent à emballer les carottes...

J'ai voulu rattraper ou essayer de conserver quelques-unes de mes chroniques du « Journal du Dimanche ».

Elles ont déjà joué leur rôle, qui était d'inviter à sourire ou à réfléchir, pendant une cigarette, quelques lecteurs complices. Mais en les relisant je me suis aperçu qu'elles constituaient une sorte d'histoire à la fois amère et joyeuse de notre temps. Ce sont les événements de Paris, de la France, de l'humanité, réfléchis par l'œil d'un pessimiste gai, qui ne se fait pas d'illusions sur notre civilisation, mais qui se réjouit de la vivre, tant elle est passionnante malgré ses erreurs, ses injustices, et ses crises d'épilepsie.

Paris, je l'ai parcouru à peids et en voiture, et par-dessous avec le métro. La France, le Monde, je les ai vus comme vous par l'œil de la télévision. Je n'ai pas tout vu heureusement ! mais l'essentiel y est, la lune et les jupes longues, Ploom, Dali et le dollar, Belfast et Marilyn, le sang, l'amour et les étoiles, dont chacun est le plus grand. Et tout ce qui manque y résonne par son absence... 1969, 1970, 1971, voilà déjà trois ans que je tiens cette chronique du dimanche avec peine et jubilation. Il se trouve, par une chance extrême, que ce sont peut-être trois des années les plus importantes de l'histoire des hommes, clés d'une pérdiode où tout finit et tout recommence.

Ce livre est pour nous aider à nous en souvenir, aujourd'hui et dans vingt ans.

Les articles ont été compilés peu de temps après leur parution dans le journal. Ceux qui allaient constituer les deux volumes suivants (Les Années de la Liberté et Les Années de l'Homme) n'étaient pas encore écrits.
D'un point de vue administratif, l'édition aux Presses de la Cité de ces textes parus dans Le Journal du Dimanche n'a pas posé de problème, tous les deux appartenant au groupe Hachette-Fillipacchi. René Maine, à qui est dédié ce recueil, était alors directeur du Journal du Dimanche. Il est important de noter que les "articles" retranscrits dans le recueil diffèrent parfois de façon plus ou moins importante des originaux. Dans le cadre de la mission initiale que s'était vue confier Barjavel, ces derniers étaient des commentaires des émissions de télévision (et les premières chroniques avaient pour titre générique « Moi, téléspectateur »). Les retranscriptions ont été allégées de tout ce qui concernait trop directement la télévision, et le style en est parfois légèrement remanié.



PERSONNAGES

Les personnages d'un article de journal sont les grandes figures historiques, les hommes politiques, les célébrités intemporelles ou éphémères, mais aussi les héros de faits divers, les amis du journaliste, les anonymes et les sans grade qui n'ont rien fait que retenir son attention. Chez Barjavel, tous ont leur place et tous sont, à leur tour, mis à l'honneur. Les principales figures qui apparaissent dans ce premier recueil sont celles qui ont marqué l'actualité du moment ou croisé la vie de l'auteur. Avant d'en découvrir les détails, je vous invite à parcourir la liste sans vous aider des indications pour mettre votre mémoire, et parfois votre imagination, à l'épreuve (on pourra cependant les afficher tous en cliquant ici).

L'un d'eux se détache de la liste en cela qu'il n'est pas l'objet d'un hommage comme la majorité des autres, qui lorsqu'ils ne sont pas chaleureusement salués pour leurs exploits ou leurs personnalités, sont plains, compris et excusés pour leurs déboires, opinions ou infortunes, ou pour le moins traités sur un ton assez neutre et sobre. Pour Pablo Picasso, cependant, Barjavel dresse un portrait très négatif en même temps que très virulent de l'artiste, dont on sait à travers ses autres apparitions dans les textes de l'auteur, qu'il ne le porte pas, ou plutôt qu'il ne porte pas son œuvre, dans son cœur (ainsi, dans l'article aux Nouvelles Littéraires qui présentait son "Le musée imaginaire" en août 1964 il plaçait avec humour des toiles de l'artiste dans les cerisiers pour faire fuir les oiseaux.) Dans les Années de la Lune, Barjavel ne se contente pas d'une subtile ironie ou d'une simple pique comme c'est le cas par ailleurs. Ici l'auteur argumente à renfort de cruelles métaphores sur les raisons de son rejet de l'œuvre de Picasso. Jugeons-en sur ces extraits choisis :

Si l'œuvre d'art n'est pas un cri de joie ou d'amour, elle n'est rien. Les deux baigneuses ou La femme nue sous un pin inspirent autant d'horreur que Guernica...

Insistant sur la place centrale de la beauté dans l'expression artistique, Barjavel va jusqu'à insinuer que Picasso ne s'est même pas réalisé, allant donc jusqu'à le nier comme artiste :

Faute de pouvoir embrasser la beauté, il la mit en pièces, il désossa la figure humaine et l'objet, et les étala sur ses toiles en fragments anatomiques. Chacun de ses tableaux est un bourgeonnement anguleux de rancune envers le tableau qu'il aurait pu peindre à sa place, s'il avait réussi à être Picasso.

Élaborant sur une comparaison du peintre avec un volcan :

Il manque à Picasso ce qui fait la beauté sauvage du Stromboli ou de l'Etna : le feu, ou même la plus modeste tiédeur.

Son succès n'est pas, pour l'auteur, populaire. Il est hypocrite :

La bonne foule moyenne, de peur de passer pour un troupeau ignorant, n'ose pas dire qu'elle Le trouve affreux.

Notons néanmoins la majuscule. Et pour conclure sur le même ton que l'extrait précédent :

Vous ne vous trompez pas devant un Matisse, un Renoir ou un Van Gogh : vous recevez un grand coup au cœur, et le bonheur de regarder la beauté face à face vous fait monter le sang aux joues et accélère votre respiration. Vous ne vous trompez pas davantage devant un Picasso : vous perdez vos couleurs, vous cessez de sourire, vous cherchez vainement à l'aimer ou à l'admirer, vous réfléchissez, vous combattez avec vous-même, vous convenez avec honte que si on ne vous en avait pas tant dit vous le trouveriez sinistre et laid. Eh bien, soyez délivrés de tous complexes : en toute innocence et bonne foi vous avez raison.

Reconnaissons néanmoins le courage certain pour dénoncer ainsi une telle institution. Nous le savons capable de telles diatribes envers de nombreux autres grands noms unanimement reconnus et salués, tels que Zola ou Sartre, en fait le plus souvent sur des points précis et non à l'encontre de leur personne même (voir par exemple son article à propos de Sartre du 20 avril 1980complet.. Cette franchise est très caractéristique de l'auteur qui ne faisait jamais de concessions sur ses idées, ici à l'égard d'autres personalités, mais tel est encore le cas pour ses opinions religieuses, politiques ou de société. Cela renforce sa sincérité et la crédibilité lorsqu'il s'exprime positivement sur d'autres points dont on pourrait autrement croire qu'il s'aligne sur une pensée unique ou officielle. C'est bien là, avec de tels exemples que les sensibilités personnelles pourront regretter, la preuve que c'est une emprise dont Barjavel était tout à fait affranchi. Quant à la façon de l'exprimer, elle le caractérise encore plus, puisque sa force des mots, sa concision de l'expression, la justesse de ses comparaisons si propres à exalter l'amour, la beauté et la joie, sont comme le savent tous ses lecteurs encore plus efficaces pour décrire leurs contraires. Mérités ou non.



THÉMATIQUE

Dans la Thématique des Années de la Lune :
  1. Le spectacle de l'homme dans un monde changeant
  2. La Lune
Ou plutôt :

~THÉMATIQUE~
Le spectacle de l'homme dans un monde changeant

On a pu remarquer qu'une grande partie des portraits - écrits  rapportés ci-dessus donnent à voir les portraits - visuels - de leurs personnages. On sait, et c'est une caractéristique tant de son œuvre que de sa sensibilité, que Barjavel a une perception et un rendu des choses essentiellement visuels (voir à ce propos la présentation “Les Cinémas de René Barjavel” donnée lors des Journées de Nyons en août 2006), et que cela aura été le fil conducteur des réussites de ses activités : cinéma, journalisme, romans (et, a contrario, des dommaines qui n'étaient pas vraiment les siens, parce que sonores plus que visuels : théâtre, chansons). Et ce n'est pas un hasard puisque, pour ces chroniques mêmes, on a vu que leur point de départ était la critique d'émissions de télévision, où il visait à apporter, par la plume, ce qu'il avait vu. C'est dire toute la valeur des témoignages que constituent ses articles, valeur historique - peut-être pas d'histoire "Académique", bien que les experts pourront lui savoir gré d'avoir rapporté des faits et situations dont il a été un des rares à percevoir la portée - mais dune histoire sociale exprimant ce qui a pu être désigné péjorativement à une époque comme « le point de vue de la majorité silencieuse » , qui n'en est pas moins la majorité qui constitue qu'on le veuille ou non la légitimité des sociétés démocratiques.
Renvoyant donc à ses semblables une vision du monde appréhendée au travers de ses pensées et de sa sensibilité, il a pu accompagner les changements qu'ont vécus le tournant des années 1970 et qui ont apporté de grandes mutations.

Rendu visuel des événements, et pourtant quasi-exclusivement textuel : dans le recueil les articles retranscrits ne comportent aucune illustration, et, à l'exception du portrait de l'auteur en vignette, les originaux eux-mêmes n'étaient que très rarement accompagnés de photographies (et dans ces rares cas, il s'agissaient d'images prises par l'auteur ou par un photographe qui l'accompagnait lors de ses interviews). Au lecteur donc de se construire sa vision à partir de ce qu'en offre l'auteur, et, comme l'écrivait Michel Jeury (dans Sud-Ouest à propos de Une Rose au Paradis) :

Un [livre de] Barjavel, c'est un film tout écrit,

on peut compléter en diantqu'« un article de Barjavel, c'était un vidéo-reportage transporté dans l'esprit du lecteur ».
Talent qui ne peut que conférer à ses écrits une influence psychologique, voire "morale", et c'était bien son intention lorsqu'il parle du métier d'écrivain dans son article du 6 septembre 1970 :

Notre fonction est alors devenue un métier. Nous ne pouvons plus vous transmettre la Vérité, car elle a été perdue. Nous pouvons, de temps en temps, vous exhorter de notre mieux à la chercher. Comme chantent les choristes immobiles : " Marchons ! Marchons ! ". [...]
C'est quand même un beau métier. Rien n'égale la liberté de l'écrivain qui s'assied devant son papier blanc. Il n'est pas sûr d'être publié, il n'est pas sûr d'être lu, mais il lui suffit d'un peu d'encre pour créer un univers. Il n'est esclave d'aucune technique, il est seul avec ce qui va exister grâce à lui. Il va jouir comme un amant ou souffrir comme une accouchée, mais, à la fin, les pages jadis blanches porteront sa création. S'il commence alors à se prendre pour un dieu, il est perdu. La vanité est la plus grande destructrice d'intelligences.
Nous ne connaissons plus le chemin de la vérité, nous ne pouvons plus vous l'indiquer, c'était notre tâche et nous ne pouvons plus l'accomplir. Nous pouvons encore, pour justifier notre état, nous battre pour la joie, pour la beauté, pour la justice, pour l'amour. Mais nous ne le faisons jamais assez, jamais. C'est notre péché mortel. François Mauriac, qui êtes peut-être aujourd'hui en Sa présence et qui comprenez enfin ce qu'Il est, si différent de l'objet de votre foi, du roi barbu du catéchisme, de la caricature qu'en ont faite dix mille Eglises, demandez-Lui Son pardon pour ces bavards qui sont parfois de bonne volonté quand ils en ont une : nous, vos confrères, qui nous croyons vivants.

mais qui laisse le lecteur en dispose selon sa propre sensibilité et ses opinions, et il n'a pas manqué d'en recevoir des critiques. C'est pour son rôle de journaliste qu'elles ont été le plus nombreuses, et la page consacrée à ses "détracteurs" en présentent les principaux protagonistes...



~THÉMATIQUE~
La LUNE

Dans Les Années de la Lune le fil conducteur est... la Lune. Car le 21 juillet 1969 a été l'aboutissement d'une aventure planétaire qui s'était menée tout au long de la décennie précédente et qui est en fait le rêve ancestral du genre humain : conquérir le ciel, l'Espace et les planètes. Aboutissement technique mais, pour l'époque, point de départ de la lancée extra-terrestre de l'Humanité qui enflammait les esprits, les rêves et les espoirs de beaucoup de monde.

Un petit pas pour l'homme, un pas de géant pour l'Humanité

Depuis ces années l'enthousiasme s'est refroidi, pour de nombreuses raisons, tant techniques que politiques et économiques...Il y a maintenant plus de trente ans que la dernière mission Apollo a mené des hommes sur la Lune, et ce qui semblait le futurisme absolu alors est pour les jeunes générations un passé révolu.
Barjavel se passionnait depuis longtemps pour la conquête spatiale, en fait depuis l'immédiate après-guerre, puisque déjà en octobre 1949 il écrivait dans Carrefour ses visions futuristes, et publiait dans Les Nouvelles Littéraires du 11 décembre 1962 un commentaire enthousiaste du premier vol vers Vénus : Vénus et les enfants des hommes. et, juste avant de commencer ses chroniques dans le Journal du Dimanche, un commentaire le 2 janvier 1969 à propos du le premier vol habité d'Apollo VIII autour de la Lune (qu'il avait aussi commenté sur R.T.L) : Le poisson, l'homme et les étoiles.
Espoirs qui peuvent paraître rétrospectivement un peu naïfs, car les retombées immédiates et directes des voyages dans l'espace ne semblent pas évidentes, et ne se trouvent pas forcément là où on pouvait les attendre, mais plutôt du côté des avancées scientifiques et techniques qui ont été développées sous la stimulation et les besoins de l'aventure spatiale.
L'Homme vient seulement de faire un pas hors de sa maison natale et de poser le pied sur le paillasson - chère Lune, pardonne-moi... Les techniciens sont sur le pas de la porte. Les poètes ont déjà franchi l'horizon.
Nous éclatons d'orgueil et tremblons d'émoi parce que nous venons de nous poser sur la Lune. Comme l'enfant pour la première fois, lâchant la main de sa mère, a franchi l'espace entre deux chaises. C'est merveilleux, mais il n'est qu'au début de son voyage... L'Homme, par ses poètes et ses écrivains, a envoyé son esprit à la découverte de l'infini. Sa carcasse suivra. Les techniciens du mois de juillet 1969 viennent de nous démontrer que tout est possible.

Pour Barjavel l'attraction lunaire ne se révèle pas seulement dans ses chroniques, mais la Lune est aussi un fil conducteur de ses œuvres lmes plus diverses, à l'honneur ou tout simplement présente dans ses romans : Colomb de la Lune, bien sûr (et son premier texte paru sous ce titre dans la revue Fiction numéro spécial en 1959), Le Diable l'emporte, La Nuit des temps (où la Lune est pour les habitants de Gondawa une destination touristique dont Éléa nous montre des images, après avoir été le théâtre d'un conflit atomique délocalisé.) Sans oublier son récit radiophonique “Ne demandez pas la Lune”, diffusé en mars 1950, dont certaines péripéties anticipent curieusement La Nuit des temps.

Certains analystes ont pu voir dans l'intérêt du public pour la conquête spatiale une aimable diversion proposée pour détourner l'attention de l'opinion (essentiellement américaine) de la guerre au Viêt-Nam qui avait bien de quoi aliementer les préoccupations internationales. Pourtant Barjavel n'occulte nullement celle-ci, au contraire, pas plus qu'il ne contourne les conflits sociaux et les drames, petits et grands, de la Société. Mais, "optimiste par sentiment, pessimiste par raison", il met surtout en avant les espoirs et les rayons de soleil, même modestes, que ses yeux découvrent, telle cette observation lors de son deuxième voyage en Floride pour assister au retour des "naufragés de l'espace" (Apollo XIII), le 16 avril 1970 :
Autour des bâtiments de la NASA, dans le vaste espace vert de son enclos, c'est le calme de la campagne. Six canards sauvages, qui ont oublié qu'ils étaient canards et sauvages, ont préféré le gazon aux lagunes à crocodiles. Ils ont élu domicile devant la tour de contrôle. Ils dorment la tête sur le dos. Quand arrive pour la relève une équipe de techniciens qu'ils connaissent, ils se précipitent vers eux en remuant la queue mais les techniciens ne se laissent même plus approcher par les canards.
Une cane grise couve, elle a fait son nid près de la maquette grandeur nature du module lunaire, au milieu d'un massif de verdure, juché en haut d'un cube décoratif en ciment. Le cube de ciment a plus d'un mètre de haut. Quand les petits canards seront éclos, comment gagneront-ils le gazon ? Ils n'auront qu'une solution : la chute libre. Ce sont les petits canards d'Apollo 13.



Esquisse d'une ANALYSE LINGUISTIQUE

Il serait un peu présomptueux de se livrer à une analyse stylistique approfondie des articles compilmés dans Les Années de la Lune, il faudrait y considérer l'évolutions, voire les évolutions, de l'écriture de l'auteur au fil du temps, et prendre le recul pour intégrer dans une telle étude les deux autres recueils de chroniques.
Mais deux pistes présentent un intérêt pour une première approche :

  • Adaptations apportées au texte pour l'édition
  • Fréquences lexicales

  • Adaptations du texte

    On a vu plus haut que le texte même des articles regroupé dans le recuil est parfois assez différent de celui des articles originellement publiés dans Le Journal du Dimanche. Sans que le sens en soit altéré, ces adaptations relèvent de deux démarches d'ordre littéraires :

      Restriction de la thématique à l'intérêt historico-journalistique "intemporel" : dans certains articles, surtout au début de la période, des passages entiers ont été supprimés. Ce sont ceux portant directement sur la "critique de télévision" (qui était le rôle initialement confié à Barjavel : ces premières chroniques portaient le titre « Moi, téléspectateur »), rapportant un compte-rendu ponctuel de telle ou telle émission et qui s'élargissaient ensuite vers des considérations plus générales qui constituent les parties conservées. Le tout premier article, par exemple, « Le miracle de vivre », était précédé d'un description du visionnage d'une émission du Commandant Cousteau sur les requins. (et aussi Alain Delon)

      Si cette démarche se défend par rapport à ce que l'on comprend du souci de publication d'alors : le recueil est paru en 1971, aussi donner à relire des commentaires d'émissions d'il y a tout au plus quatre ans, soit oubliées, soit rediffusée, présentait peu d'intérêt par rapport aux chroniques proprement dites. Le recul de plusieurs décennies peut le faire regretter, même sans compter avec le charme nostalgique que l'on peut trouver aux souvenirs télévisuels des années 1970... D'un point de vue documentaire, ces avis seraient de nbos jours les bienvenus, en ayant à l'esprit le fait que les archives de cette époque sont souvent presque inaccessibles : ce n'est que très récemment que le patrimoine audiovisuel a commencé à faire l'objet d'une sérieuse remise en valeur, grâce à de délicates restaurations réalisées par l'INA [ http://www.ina.fr ].

      L'adaptation stylistique est plus discète, car le sens principal du texte n'est pas modifié, le remaniement visant simplement à plus de clarté, voire d'élégance, dans certaines tournires de phrase.

    • Fréquences lexicales.

      CRITIQUES PUBLIÉES

      Ce livre constitue une sorte d’histoire des années 60 par petits morceaux, les uns joyeux, d’autres amers, vus par l’oeil d’un pessimiste gai, qui ne se fait aucune illusion sur notre civilisation mais se réjouit de la vivre, tant il la trouve passionante, malgré ses erreurs et ses injustices, et ses crises d’épilepsie.



      CRITIQUES DES VISITEURS

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      votre opinion et vos analyses sur Les Années de la Lune.


      NOTES ÉDITORIALES

      La présente page, élaborée entre la fin de 2004 et le début de 2007, fut présentée par la Lettre G.M.Loup de janvier 2007. Elle est naturellement complétée par la page présentant les Articles de Barjavel au Journal du Dimanche, et par la transcription du Moulin Littéraire des Journées Barjavel 2004 sur le thème « René Barjavel, journaliste ».



      COPYRIGHTS

      • Le texte est © Éd. Presses de la Cité, 1972.
      • Tout ce qui n'est pas mentionné ci-avant est © G.M. Loup.