JEUNE ÉCRIVAIN DES ANNÉES 40
La mobilisation générale le 2 septembre 1939 et la déclaration de la guerre (le 3 septembre)
font que son article du 1er septembre, « Derniers soupirs » grave et préoccupé, et à la mise en page bizarre comme si certains paragraphes en avaient été - déjà ? - censurés in extremis,
aura été le dernier
{ voir }.
Barjavel part pour le front où il est caporal d'intendance d'un régiment de zouaves.
La guerre ne se présente pas du tout comme l'opinion publique s'y attend, car
...
la guerre nous apporta le soulagement. On se dit : "Enfin nous allons en finir avec ce fou !"
[Hitler]
Nous étions persuadés que nous serions de retour dans trois semaines. On nous avait tellement dit qu'il n'avait
que des tanks en carton...
J'ai écrit à ma femme que ce serait bientôt fini et que dans huit jours je serai là. Nous n'avions pas
la télévision mais nous avions les actualités cinématographiques. Régulièrement, on nous montrait l'armée
allemande dans un état pitoyable. J'ai encore dans les yeux l'image d'une fantassin marchant courbé sur un
champ de bataille derrière un char peint sur un panneau ! En revanche, les défilés du 14 juillet nous montraient
les plus fiers régiments de l'armée française, des chars qui défilaient, des avions.
La débâcle de 1940 laisse ce qui reste de l'armée dans l'incompréhension, et sans chefs, sans ordres,
ils errent sur les routes, dans les champs, traversent la Seine puis la Loire en évitant Dunkerque.
On se nourrissait comme on pouvait, dans les fermes abandonnées, puis la Loire traversée, de nouveau les paysans
étaient là, auprès desquels on pouvait trouver de la nourriture. Quand nous entendîmes la voix de Pétain à la radio
annonçant l'armistice - je me souviens, c'était la radio d'un camion militaire au bord de la route - ce fut pour tous
un immense soulagement. On a eu mal après. Mais sur le moment... On ne savait plus où on allait, où tout cela allait
finir - aux Pyrénées ?
René Barjavel séjourne dans un camp de regroupement près de Bordeaux, dont il garde un très mauvais souvenir,
puis est envoyé dans une vallée pyrénéenne en attendant sa démobilisation.
Il rejoint enfin sa famille dans l'Isère mais comme Denoël a été mobilisé dans l'armée belge et a fermé son établissement parisien,
il n'a plus de travail. Des amis le présentent à un éditeur de Montpellier (M. Causse) qui
possédait le seul quotidien de France, et sans doute du monde, consacré au vin, « La Journée vinicole ».
II éditait aussi un tout petit journal, « L'école étudiante » et souhaitait qu'il devienne l'organe de presse
de tous les étudiants de la zone libre. Il me l'a confié. Je ne restais que quelques mois mais ce fut formidable.
J'ai fait débuter ainsi des hommes de grand talent : Jacques Laurent, François Chalais, Yvan Christ, Raymond Castans...
Il habitait alors avec sa famille à Palavas-les-Flots, petit village de pêcheurs où séjournaient de nombreux réfugiés,
où l'accueil ne fût pas particulièrement chaleureux.
Pourtant René Barjavel n'en gardera aucune amertume et, au contraire, se montrera par la suite très amical à l'égard de cette
région où il retournera en 1950.
Fin 1940, le polytechnicien Pierre Schaeffer, alors âgé de 29 ans et ingénieur à la radio (lui aussi élève de l'Enseignement de Gurdjieff avec Barjavel chez Mme de Salzmann, il dirigera des années plus tard le service de la recherche de l'ORTF)
crée et anime le mouvement Jeune France dont le but est "d'aider les jeunes artistes en leur proposant d'animer des soirées de jeunes réduits à l'inaction par la débâcle".
Un bureau d'études anime et coordonne sept sections artistiques, et Barjavel a en charge la section littéraire de Lyon, aux côtés de Claude Roy et Albert Ollivier.
Une autre section s'occupe à Paris de la zone occupée.
Ce mouvement, apolitique, est pour ceux qui y participent une aventure passionnante mais éprouvante, car les problèmes de fond créent, dès qu'ils sont abordés, des dissensions intenses.
Si le cœur du projet est de doter chaque région d'un centre culturel, ce concept de "décentralisation" ne sera concrétisé que bien des décennies après.
En mars 1942 P. Schaeffer, trop en désaccord avec le gouvernement qui a aboli les droits de l'homme, interdit les syndicats et réintroduit le délit d'opinion,
abandonne et dissous le mouvement..
Barjavel et sa famille rejoignent ensuite Paris où la vie reprend sous l'Occupation allemande, période trouble qui force les uns et les autres
à user parfois d'expédients pour subvenir aux besoins familiaux.
L'éditeur Denoël, rentré à Paris et qui a ouvert sa maison - en piteux état - le 5 octobre 1940, se trouve contraint à une association avec un allemand, Wilhelm Andermann, éditeur d’art berlinois qui
prend une part du capital de la maison, et les impératifs éditoriaux de l'époque obligent à certaines teintures de pensée pour ne pas déplaire à l'occupant et
obtenir les quotas de papier nécessaires à la production.
Ainsi Denoël, qui semble d'ailleurs avoir professé une certaine forme de sympathie pour l'Allemagne , publie-t-il certains auteurs
franchement collaborationnistes tels que L.F. Céline, R. Brasillach et L. Rebatet, ce dernier
originaire de la Drôme comme Barjavel avec qui une certaine sympathie semble s'être nouée .
Barjavel est alors devenu directeur littéraire des éditions Denoël, et il est indéniable qu'il fréquente alors tout le
monde de la littérature de l'époque.
En 1942 il est chargé de diriger la collection pour la jeunesse "La Fleur de France", qui semble obéir à une ligne de pensée
à la gloire des héros de l'histoire de France, sans doute inculquée par les autorités de l'époque.
Il en publie d'ailleurs l'un des premiers titres : Roland, le chevalier plus fort que le lion.
C'était là son premier livre d'"édition", et il y croyait si bien qu'il avait fait faire
un tirage démesuré ; à la Libération il en restera des centaines dans les caves de l'éditeur, qui durent être pilonnés,
faisant de ce premier ouvrage la rareté qu'il est devenu maintenant.
(voir : le livre dans la bibliographie et la page "écrit" qui présente l'œuvre).
Il avait toutefois déjà préparé d'autres romans, dont la publication ne fut pas vraiment envisagée, mais qui se transformèrent sous les conseils de Denoël
pour devenir les autres premières œuvres de l'auteur.
Ainsi on trouve des extraits d'un "projet" intitulé « L'Apprenti » dans la revue littéraire
« La Nouvelle saison », qui contient ce qui devait devenir la scène du vol des fraises dans Tarendol.
Ce projet avait semble-t-il mûri au début de son séjour à Paris pour prendre la forme d'un manuscrit complet, François le fayot.
Ce livre était inspiré par les souvenirs de mon service militaire. J'étais violemment anti-militariste. Aujourd'hui,
le garçon que j'étais collaborerait à Libération. J'avais été dans l'infanterie à Chaumont. La discipline imbécile de
l'époque, la sottise idiote des sous-officiers, tous vérolés, idiots...
Sentir que ces gens-là avaient sur moi un droit de vie et de mort... Pour la moindre bêtise, c'était le tribunal
militaire, les bat'-d'af... J'en avais ressenti une telle rancune que j'avais écrit François le fayot. Le "fayot", vous
le savez, était celui qui avait rempilé : un épouvantable personnage, une brute, un bon à rien...
Quand je suis revenu, j'ai retrouvé ce manuscrit dans un tiroir, je l'ai relu. C'était abominablement mauvais.
Je l'ai jeté, mais une graine en est restée, celle de l'histoire d'amour qu'il contenait. C'est devenu plus tard Tarendol.
En 1942, l'atmosphère de l'occupation, les visions des villes bombardées et peut-être aussi certaines idées de l'époque
l'inspirent pour un roman qu'il avait imaginé quelques années avant la guerre.
Il prévoit de l'intituler « Colère de Dieu » et, pour le publier, le soumet à Denoël. Celui-ci
n'a pas aimé le titre, Colère de Dieu. Il a quand même lu le manuscrit dans la nuit et, le lendemain,
il a consacré sa matinée à me montrer quels étaient mes défauts et mes qualités. Il a remplacé le titre par celui de
Ravage. J'étais jusque là un journaliste, il a fait de moi un écrivain. En cette matinée, il m'a appris mon métier.
C'était un homme fantastique. A part Céline, tous ceux qui sont passés chez lui lui doivent quelque chose de leur talent.
Denoël était un éditeur dans le grand sens du mot.
Le roman est conçu dans le genre qualifié maintenant de science-fiction, pour
échapper au traditionnel roman d'analyse psychologique. Aux "états d'âme". A la "littérature".
Les drames, les comédies, les tragédies même, personnelles, familiales, nous les vivons, nous sommes plongés
dedans chaque jour, saturés, submergés, glouglou... Je n'ai aucune envie de les retrouver dans les livres, ni
ceux des autres ni les miens. La S.-F. permet d'ouvrir des fenêtres vers tous les horizons du temps et de l'espace
et de s'intéresser à de vastes problèmes qui concernent non plus tel ou tel couple ou trio ou quatuor, dans ses
exercices toujours recommencés, mais l'espèce humaine tout entière. C'est le sort des hommes qui m'intéresse,
non celui d'un seul.
cependant, l'auteur le présente comme "Roman extraordinaire" et non de science-fiction, car
Je n'avais pas employé le mot, à l'époque, ne fut-ce que parce qu'il était inconnu du public français.
J'avais baptisé mon livre "roman extraordinaire", en hommage à Jules Verne qui avait baptisé les siens "voyages
extraordinaires". En fait, le mot qui était alors en vogue était celui d'anticipation.
Ce fut donc Ravage, paru en 1942 (voir la page "écrit" qui présente l'analyse de l'œuvre),
et dont les influences et idées sous-jacentes laissent encore planer parfois des sentiments mitigés, que la page
(Influences dans l'écriture de Ravage) se donne pour objectif de clarifier.
Le roman connait alors un certain succès, et Barjavel écrit l'année suivante Le Voyageur imprudent, qu'il publie tout d'abord
en feuilleton du 24 septembre 1943 au 14 janvier 1944 dans la revue "collaborationniste" de Brasillach et Bardèche, "Je Suis Partout".
Il a aussi publié dans ce même journal trois nouvelles (qui seront plus tard regroupées dans le recueil La Fée et le Soldat (1945)) :
(Les mains d'Anicette (le 24 mars 1943), La fée et le soldat (le 18 juin 1943) et Péniche (le 3 septembre 1943)
.
Publications a priori dénuées d'arrière-pensée politique, mais qui seront reprochées à l'auteur à la fin de la guerre lors de
la campagne d'"épuration", ce qui lui vaudra d'être inscrit sur la première "liste noire" d'auteurs suspects publiée par Les Lettres Françaises le 16 septembre 1944.
Cependant, il en est retiré rapidement et se trouve "blanchi" de ses accusations, en particulier grâce à une lettre de Georges Duhamel à la direction de ce comité qui l'innocentait complètement.
(Il s'en est par ailleurs expliqué auprès de l'écrivain J. Assouline, qui en rapporte des détails dans son livre l'Épuration
{ voir }).
En janvier 1944, l'académie Goncourt étant quelque peu désorganisée, un jury alternatif s'est constitué pour décerner
à Barjavel « Le Prix des Dix ». Ces dix humoristes étaient en fait des amis et collègues de
Barjavel dont on retrouve les noms au bas d'articles du Merle Blanc et plus tard de Carrefour
{ En savoir plus sur le Prix des Dix }.
Grâce à son expérience de la critique cinématographique et son intérêt pour le Septième Art, dont il devine
qu'il est appelé à un avenir qui dépassera les limites que les restrictions techniques lui imposent, il écrit en 1944
un petit livre visionnaire, Cinéma Total - essai sur les formes futures du cinéma. Cet ouvrage est maintenant épuisé depuis longtemps, et ne fut pas ré-édité sous cette forme (en France tout du moins) ;
Il demeure toujours présent à la mémoire de spécialistes du cinéma, et on y trouve des anticipations étonnantes du multimédia
et du cinéma en relief qui justifieraient que le souvenir de l'auteur soit honoré au Futuroscope de Poitiers par exemple...
Après la Libération, la situation allait tourner plus mal pour Denoël : accusé d'entente avec l'ennemi du fait de son association avec W. Andermann
et surtout de publications d'écrivains collaborationnistes notoires, et en dépit d'éditions d'un bord opposé telles que
Louis Aragon et Elsa Triolet, il est suspendu de ses fonctions par le Comité d'Épuration du Livre qui, le 20 août 1944, fait nommer par le ministère de la production industrielle
un administrateur provisoire, Maximilien Vox (pseudonyme de Samuel William Monod). Ce dernier était lui-même éditeur, imprimeur et graveur (1894-1974, il a laissé son nom à une
classification typographique créée en 1954, maintenant universellement utilisée) :
il n'avait guère de temps à consacrer à la maison Denoël. C'est donc Barjavel qui la dirigea durant des mois,
rendant compte à Denoël jour par jour de la marche des affaires et des manuscrits déposés
.
Il aida aussi l'éditeur à constituer ce qu'on appela ensuite son "dossier noir", qui contenait des éléments à charge de la plupart de
ses confrères non épurés.
Denoël fut convoqué à comparaître, mais fut assassiné dans des circonstances encore non élucidées le soir du dimanche 2 décembre 1945,
quelques jours avant son procès. Ce soir-là, le "dossier noir" disparait mystérieusement.
Barjavel jura ensuite qu'il ne contenait que des coupures de la "Bibliographie de la France", mais ce n'était guère
convaincant : le portefeuille de l'éditeur, qui contenait 12.000 F, n'avait pas été dérobé, alors qu'un dossier
contenant de simples coupures de presse restait introuvable...
La "fidélité" de Barjavel envers Denoël semble être ce qui l'amène à témoigner curieusement lors de la succession de celui-ci
au détriment de Mme Cécile Denoël, en "authentifant" l'écriture de Robert Denoël - alors contestée par sa veuve depuis quatre ans -
sur l’acte de cession de ses parts aux Editions Domat-Monchrestien, gérées par Jeanne Loviton, maîtresse de Denoël avant sa mort.
(pour plus de détail sur la biographie de R. Denoël, on pourra lire le numéro spécial du Bulletin célinien
consacré à Robert Denoël (décembre 1995) dont l'article "Un Cinquantenaire oublié" de Mr H.Thyssens tente de faire
le point sur les circonstances de son assassinat.
Par la suite, Barjavel rédigea un récit intitulé "Les sept morts de Robert Denoël", qui passait en revue,
sur le mode romanesque, les différentes versions de ce crime non élucidé ; ce texte ne fut cependant jamais publié.
La fin des années 40 l'a aussi amené à une activité créatrice complétant celle de critique et d'essaiste,
puisqu'il commence à être présent dans le monde du cinéma en écrivant en 1947 les dialogues d'un premier film de Georges Régnier : Paysans Noirs (alias Famoro le tyran), d'après un roman de Roger Delavignette.
Il écrit aussi les commentaires d'un reportage "Télévision oeil de demain".
Cette époque est celle du procès de L.F. Céline, pour qui il ne cache pas son admiration, tant par
un chapître du Journal d'un homme simple (édition de 1951) qui lui est presque entièrement consacré (L'Homme et le homard), que
par ses lettres à divers écrivains et personnalités dans lesquelles il prend la défense de son aîné
{ voir une lettre à Albert Paraz }.
Et le déplacement de son activité vers le cinéma relève peut-être aussi d'une prise de distances vis à vis du monde de la
littérature qu'il trouve si ingrat.
Ce démarrage dans le monde du cinéma amena Barjavel à en faire son activité principale, comme scénariste et dialoguiste.
Une tentative de réalisation d'une adapation de la pièce Barabbas de Michel de Ghelderode à Collioure n'aboutit pas,
malgré l'enthousiasme de l'équipe d'amis qu'il avait constituée (Le Journal d'un homme simple en rapporte les péripéties parfois émouvantes),
et on peut aussi trouver la trace de courts métrages :
Adaptations, scenarii et dialogues constituèrent donc son activité principale jusqu'au milieu des années 60, avec les réalisations de
Il tâte aussi d'une autre activité d'écriture, les paroles de chansons, dont il reste à présent fort peu de souvenirs,
mais que la (page consacrée aux chansons) présente maintenant de façon exhaustive.
Cette intense activité ces années-là lui laisse peu de temps pour la littérature. Il ne publie que peu d'ouvrages,
et ceux-ci sont en fait liés à son expérience immédiate : Collioure, album de dessins du peintre Willy Mucha
dont il écrit les textes de présentation avec Henri-François Rey ; W. Mucha l'a hébergé en août 1950 lors du tournage de l'adaptation de Barabbas, Jour de feu.
(voir dans la bibliographie et la page qui présente cette œuvre rarissime), et
Jour de feu, roman qu'il tire du scénario de ce projet de film, qui parait discrètement en 1957 mais sera ré-édité avec plus de succès en 1974
(voir dans la bibliographie).
Le début des années 60 le voit timidement renouer avec la science-fiction. Il contribue à la jeune revue Fiction dans laquelle trois de ses nouvelles, tirées du recueil Les Enfants de l'ombre,
sont publiées : Béni soit l'atome (dans le n°58 de 1958), Péniche (n°88, mars 1961) et L'Homme fort(n°104, juillet 1962)
(voir dans la bibliographie).
La vague naissante de la science-fiction française, dont les pionniers enthousiastes animent ces revues, le considère en effet alors comme l'un de ses "aînés"
puisque c'est surtout pour ses trois premiers romans extraordinaires qu'il est connu dans cet univers.
Et c'est à l'invitation de Fiction qu'il écrit un court texte pour le numéro spécial, maintenant fort prisé des collectionneurs, "La première anthologie de la science-fiction française"
de mai 1959 : Colomb de la Lune.
En 1962 il étoffe l'histoire de manière conséquente, et en fait le roman du même nom qui est aussi une histoire d'amour,
et un hymne au Mont Ventoux qui vient justement de se transformer en base de contrôle des missiles nucléaires du Plateau
d'Albion (voir dans la bibliographie).
Le milieu des années 60 est le redémarrage de son activité littéraire. Il s'éloigne du monde du cinéma, dont un certain
mercantilisme lui déplait, et reporte sous sa plume les thèmes de ses réflexions qui n'étaient jusqu'alors que simplement commentés dans ses romans.
Et La Faim du tigre (1966), qui obtient le Prix Lecomte du Noüy, est un véritable essai philosophique sur des pensées humanistes
qui révèlent sa pensée et son écriture à un public sans doute différent de celui de la littérature de science-fiction qui l'a connu précédement.
C'est à cette occasion qu'il "perd son prénom", car il juge opportun de ne se faire (re)connaître en tant qu'écrivain que sous son seul nom,
laissant à son activité cinématographique son identité complète ; désormais, ses livres seront donc de Barjavel tout court...
René Barjavel a supprimé son prénom. Il s'appelle maintenant Barjavel tout court, comme Fernandel.
Ce n'est pas pour rappeler qu'il est le dialoguiste de Don Camillo mais pour marquer ses distances, précisément, avec le cinéma.
Il renoue aussi avec le journalisme, en tenant d'abord la chronique de télévision au Journal du Dimanche,
puis "Les Libres Propos", qui occuperont chaque semaine, pendant près de dix ans, la demie deuxième page du journal
ainsi des articles dans France-Soir, et une émission sur Radio-Télé-Luxembourg (RTL),
où il commentera en particulier avec poésie les premiers vols vers la Lune
(voir - écouter)
Son activité reste quand même orientée vers le cinéma, et ce n'est que parce que les scénarii qu'il prépare avec son ami
André Cayatte épouvantent les producteurs par les budgets qu'ils nécessiteraient, qu'il en fait des romans dont
le succès le rendra vraiment célèbre.
Ainsi La Nuit des temps (1968) (voir dans la bibliographie et
la page "écrit" présentant et analysant l'œuvre) résulte de tels préalables.
Elle étonne aussi Barjavel par ses "talents" d'astrologue, non pas tant de prédictions que de définition du caractère par le thème astral qu'elle
lui démontre sur des personnalités de l'époque (le secrétaire général de la C.G.T. G. Séguy en particulier), comme il le rapporte dans ses articles
de France-Soir des 18 et 20 février 1970 (contenus dans le recueil "Les Années de la Lune").
Olenka de Veer divorce peu après, et il semble alors que leurs relations se soient alors resserrées. Lorsque La Nuit des temps
parait, elle lui prédit un succès littéraire très proche, et de fait le roman obtient le Prix des Libraires en 1969,
ce qui aide à contribuer à son grand succès.
Pour changer un peu de domaine, j'ai corrigé, en revenant de Collioure, mon Voyageur imprudent, récrit en juillet pour la troisième fois. Non pas mon roman, il est ce qu'il est, il restera tel, et pour ma part je ne le trouve pas mauvais du tout ! Mais la pièce que j'en ai tirée
Lorsque je l'ai écrite pour la première fois, c'était un drame. L'ayant terminée, je la relus. Et je m'aperçus que pour un drame c'était plutôt farce.
(...) J'ai donc récrit mon Voyageur en décidant de renoncer au drame et d'en faire une comédie. Mais maintenant je ne suis plus sûr du tout que ce soit drôle.
Le projet en était donc resté là...
Avec ces deux romans qui terminent les années 60, le succès littéraire et la reconnaissance du "grand public" font de l'écrivain maintenant d'âge mur
(il a 57 ans) un auteur à succès, connu autant de ces larges lectorats et auditoires que de quelques spécialistes ou amateurs de science-fiction.
Ces derniers d'ailleurs diminueront leur intérêt, voire leur sympathie à son égard, car les tendances politiques de l'époque (les agitations revendicatrices
de mai 1968 sont dans l'air du temps) font que, pour la jeune génération d'écrivains de science-fiction, il parait vieillot,
réactionnaire voire "ringard". Ils ne l'épargnent pas particulièrement dans les colonnes de la revue Fiction qui présente
ses nouveaux romans sous des angles parfois peu amènes. Entre temps sa popularité comme homme de pensée
s'est étendue par ses chroniques journalistiques, tant dans la presse écrite que la radio ou la télévision.
Certains même le lui reprocheront, ainsi, dans le numéro n°236 d'août 1973 de Fiction,
Serge-André BERTRAND ironise cruellement dans sa critique du Grand Secret :
...et puis Barjavel s'est lentement transformé en ce qu'il est devenu aujourd'hui (...) : un journaliste à tout faire qui parle de tout
et de rien sans jamais être au courant du fond du problème, et dont on voit à tout bout de champ la tête de chien battu à la télévision chaque fois qu'il s'agit
de proférer sentencieusement des lieux-communs.
De fait, si ses idées se rattachent à une tendance "écologique" dont il fait sa profession de foi, il ne rejoint cependant pas
le fond politique des écologistes alors nettement portés à gauche, voire "révolutionnaires", ce qui le fait classer par ceux-ci comme du bord opposé
- donc "réactionnaire".
C'est durant cette période que son activité atteint alors ses plus hauts niveaux, et il entreprend pour de bon un film en 1968 avec André Cayatte :
ce sera, sur le thème de ce qui est appelé alors le phénomène hippie, Les Chemins de Katmandou, dont il tirera
presque immédiatement après le roman maintenant bien plus connu que le film, pourtant deuxième apparition conjointe de S. Gainsbourg et J. Birkin qui venaient de faire connaissance
(voir la page présentant l'analyse de l'œuvre)..
En 1974 son amitié avec Olenka de Veer se concrétise sur un projet littéraire commun, Les Dames à la Licorne, qui raconte
de manière romancée l'histoire des ancêtres irlandais d'Olenka.
L'assiduïté de ses lecteurs hebdomadaires du Journal du Dimanche l'amène à publier une sélection de ses articles en recueils :
Les Années de la Lune (1972), Les Années de la liberté (1975) et Les Années de l'Homme (1976).
En complément de ses écrits, les contacts avec le public sont nombreux et variés : séances de
dédicaces (voir la page consacrée aux envois et autographes),
débats dans les comités d'entreprises, Maisons de la Culture et lycées,
et courriers de ses lecteurs.
Il fait aussi partie du monde de la science-fiction, peut-être en tant qu'ancien, et assiste régulièrement aux festivals de films
S.-F. en compagnie de ses amis Louis Pauwels et Jacques Bergier, fondateurs du mouvement et de la revue Planète.
et la télévision française lui confie la première série télévisée de science-fiction diffusée en France, Commando Spatial, adaptation qu'il réalise
de la série allemande en 7 épisodes « Raumpatrouille - Die phantastischen Abenteuer des Raumschiffs ORION »
qui a aujourd'hui encore son cercle de fans :
Généreux de son soutien, il met sa plume au service de ses "coups de cœurs" et de quelques amis, écrivains ou artistes,
dont il encourage les publications par un article ou une préface
{ voir une présentation }
Ses écrits de la fin des années 70 sont plus les essais ou créations d'un penseur humaniste que d'un romancier,
c'est en 1976 que paraît Si j'étais Dieu, profession de foi certes non conformiste mais néanmoins pleine de ferveur.
Toujours intéressé par le cinéma, il s'associe à son ami Frédéric Maury qui lance en 1976 une revue consacrée
au 7ème art, Ciné-Magazine
{ voir le numéro 1 }.
Cinéma Total s'y trouve re-publié chapitre par chapitre, chacun complété par des commentaires de
l'auteur lui-même revoyant quelques trente-deux ans plus tard ce qu'il est advenu de ses
prévisions. Mais exactement en même temps se trouve lancé le magazine Première, qui
bénéficie d'appui et de financements bien plus important, et qui l'emportera... Ciné-Magazine
ne publiera que six numéros, et le septième article de Barjavel restera à l'état de projet.
Écrivain confirmé, la mode d'alors des récits de traditions familiales lui fait commander par les éditions Denoël
un tel album de souvenirs d'enfance, qu'il élabore avec l'aide amicale de son demi-frère Émile Achard.
La Charrette bleue, parue en 1980, étend son auditoire à un public encore plus large, et surtout le fait enfin connaître
dans sa ville natale... Parisien depuis 1936, il n'y a en effet pratiquement plus d'attaches, aussi est-ce avec émotion
qu'il participe à des scéances de dédicaces chez les libraires de sa ville qui s'en souviennent maintenant encore fort bien.
Il y a d'ailleurs l'occasion de préciser, à une nyonsaise qui lui reproche gentiment de ne pas avoir mentionné sa famille dans son récit
alors qu'ils avaient été en relation :
Madame, dans La Charrette bleue, je n'ai gardé de Nyons que les souvenirs agréables...
S'il reste parisien, il fera d'autres retours au pays et y sera même intronisé "Chevalier de la Confrérie de l'Olivier"
[ voir le site de la Conférie de Nyons ]
Et c'est en 1980 aussi que sera diffusé (sur la deuxième chaîne française) le téléfilm en 2 épisodes Tarendol, enfin réalisé :
les droits en avaient été achetés à parts éales par Julien Duvivier et un autre réalisateur
en 1946, mais les désaccords survenus entre eux empéchèrent le projet de se réaliser...
La télévision ayant racheté ces droits, ce fut Louis Grospierre qui réalisa le téléfilm, avec
l'active collaboration de l'auteur, et bien sûr dans la région même où se situe l'action
(certaines scènes étant tournées précisément au hameau de Tarendol).
Y débutaient, dans les rôles principaux, Jacques Penot et la charmante Florence Pernel ; Michel Duchaussoy y tenait le rôle de l'auteur...
AU TOURNANT D'UNE ÉPOQUE
Barjavel entre dans les années 80 à l'âge de 70 ans. Son activité "publique" semble alors se ralentir, au profit de créations
littéraires qui vont devenir alors particulièrement denses.
Le succès de La Charrette bleue l'amène à reprendre son Journal d'un homme simple originellement paru en 1951, en le remaniant
en profondeur, supprimant certains chapitres qu'il juge soit dépassés car touchant à une actualité d'alors maintenant oubliée
(et pourtant historiquement fort intéressante), soit trop dramatique du fait de sa vision pessimiste au sortir de la guerre,
et risquant ainsi d'épouvanter ses lecteurs ...
Il y ajoute de nombreux "commentaires a posteriori", donnant sur le monde et les idées qu'il en avait alors
la vision que trente ans de recul et de réflexion lui ont permis d'acquérir.
Puis l'écriture de romans reprend avec Une rose au Paradis (1981) et La Tempête (1982), histoires de science-fiction cataclysmique définitivement
empreintes de son pessimisme gai qui donne à son humour toute sa saveur.
Il renoue avec le merveilleux médiéval de La Chanson de Roland et des Dames à la Licorne avec L'Enchanteur, libre adaptation
des cycles arthuriens teintée d'une douce fantaisie et peut-être de sous-entendus initiatiques beaucoup
plus érudits qu'ils ne le paraissent.
L'année 1985 le voit publier un genre en apparence complètement nouveau pour lui : La Peau de César est un roman policier
à l'enquête subtilement menée. Mais on doit se rappeler que ses premiers films (L'homme à l'imperméable et Chair de Poule) étaient des adaptations de Série Noire du célèbre James Hadley Chase, et que le suspense
y était déjà distillé avec un talent certain.
La première moitié de la décennie 1980 a vu en France le changement politique dont on se souvient. Le
double septennat qui commençait n'appela pas de commentaire de Barjavel, qui s'était contenté en 1974 d'un portrait
subtil de F. Mitterand :
Quand il regarde en face, on a l'impression qu'il regarde un peu à côté.
La voix est grave et douce, mais l'intonation étudiée comme le geste. Les mains jointes
rappellent singulièrement celles de Bernadette de Lourdes, mais l'expression du visage est celle d'un
excellent acteur jouant "Mon curé chez les pauvres..."
Car ses propos, on l'a vu, n'ont jamais exprimé de message idéologique "catalogué". Et vu de chaque bord
cela pouvait être pris pour de la connivence ou de l'opposition. Et c'est plutôt cette dernière approche qui
semble justifiée : apolitique dans son intérêt pour l'écologie (comme le salue N. d'Estienne d'Orves dans
Le Figaro Littéraire du 9 mars 2000 à l'occasion de la parution du troisième recueil Omnibus Demain le paradis
{ voir
l'article }).
Les rares allusions aux personnalités et partis politiques qui se trouvent dans ses articles semblent neutres,
ni malveillantes, ni enthousiastes : une sorte de Voie du Milieu prudente, "demandant à voir"
et surtout se tenant vigoureusement à l'écart de la "politique politicienne". Quelques pages publiées dans l'ouvrage collectif
Le Futur en Question donne le fond de sa pensée :
La politique est une saleté.
Il n'y a pas de société idéale.
Il n'y a pas de solutions sociales aux problèmes humains. Il n'y a que
des compromis.
Il n'y a que des sociétés un peu moins mauvaises que d'autres. Donc l'homme politique, le politicien, doit forcément accepter d'être le
serviteur d'une doctrine et de défendre des intérêts liés à des formes de sociétés sclérosées, qui auraient besoin d'être changées.
Tous les hommes politiques sont les esclaves soit d'une idée, soit d'une société, et ils sont forcément prêts à sacrifier toujours la
vérité et la sincérité pour rester au pouvoir.... même les marxistes... qui racontent autant d'histoires que les autres. Selon
moi, s'engager dans un combat politique, c'est renoncer à la vérité.
Ses écrits et sa pensée se refusent donc à toute idée de récupération comme son interview dans Je Suis Partout du 12 mars 1943
l'avait peut-être laissé "échaudé" .
C'est plutôt dans l'analyse de fond, ouverte à des propositions de solutions concrètes même (et peut-être surtout) non-conventionnelles, de
conseils et axes de réflexion que sa pensée s'est appliquée en 1985.